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MÉMOIRES
L'ACADÉMIE DES SCIENCES
BELLES-LETTRES ET ARTS
DE SAVOIE
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TOME IV
QUATRIÈME NÉRIE
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CHAMBERY
IMPRIMERIE SAVOISIENNE, RUE DU CHATEAU
1893
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MÉMOIRES
L'ACADÉMIE DES SCIENCES
BELLES-LETTRES ET ARTS
DE SAVOIE
QUATRIÈME SÉRIE
TOME IV
ART. 37 DU RÈGLEMENT
L'Académie n'entend ni adopter, ni garantir les opinions
émises dans les Mémoires dont elle aura autorisé la publi-
cation.
Cet article du Règlement sera imprimé en tête de chaque
volume de ses Mémoires.
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MÉMOIRES
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DE
L'ACADÉMIE DES SCIENCES
BELLES-LETTRES ET ARTS
DE SAVOIE
——— 7 4—
QUATRIÈME PÉRIE
TOME IV
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CHAMBÉRY
IMPRIMERIE SAVOISIENNE, RUE DU CHATEAU
1893
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Bayerische
Staatsbibliothek
München
TABLEAU
DES
MEMBRES DE L’ACADÉMIE
DES
SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS
DE SAVOIE
AU 1* MARS 1893
PRÉSIDENT
PILLET Louis, avocat.
VICE-PRÉSIDENT
CouRTOIS D'ARCOLLIÈRES Eugène.
SECRÉTAIRE PERPÉTUEL
MoranND Laurent (l’abbé), curé de Saint-Pierre de Maché.
SECRÉTAIRE ADJOINT
Réviz Joseph, chimiste.
BIBLIOTHÉCAIRE ARCHIVISTE
PERRIN André, libraire.
TRÉSORIER
BLANCHARD Claudius, avocat.
f TABLEAU
Membres effectifs résidants.
BonNJEAN Joseph, chimiste,
PizLET Louis, avocat,
DE Jussieu Alexis, ancien archiviste du
département de la Savoie,
Le M" d'ONcIEU DE LA BATIE César,
Le M'# CosTA DE BEAUREGARD Albert,
PERRIN André, libraire, ex-conserva-
teur du Musée départemental,
DEscosTes François, avocat,
BARBIER Pierre-Victor, directeur des
douanes en retraite,
BLANCHARD Claudius, avocat, greffier
en chef de la Cour d'appel,
CourToiIs D'ARCOLLIÈRES Eugène,
Fusier François, docteur en méde-
cine, ancien directeur de l’Asile de
Bassens,
Le C'* bE Mouxy DE LocHe Jules,
BorsoN Francisque, général de division
du cadre de réserve,
Moranp Laurent (l'abbé), curé de
Saint-Pierre de Maché,
Le C'* FERNEx De Moneex Régis,
avocat,
ARMINJION Ernest, avocat, ancien con-
seiller à la Cour d'appel de Gham-
béry,
Le C'* pe MARESCHAL DE LUCIANE
Clément,
Le C'*° D'OncIEU DE LA BaATIE Eugène,
Réviz Joseph, chimiste,
nommé le 18 février 1842.
7 juillet 1854.
46 mai 1861.
23 avril 1863.
9 mars 1865.
23 janvier 1868.
96 juin 1878.
56 février 1874.
5 février 1874.
6 juillet 1876.
3 avril 1879.
24 février 1881.
27 avril 1882.
18 juillet 1389.
10 mai 1883.
29 mai 1884.
7 janvier 1886.
21 mars 1889.
21 mai 1891.
Membres résidants non encore reçus.
BéRrarD Louis, avocat,
LacuaT Hippolyte, ingénieur en chet
des mines en retraite.
BoucxAar Léon (l'abbé), aumônier des
Sœurs de Saint-Joseph de Chambéry,
MaiLLAND Joseph (le chanoine), aum6-
nier des Hospices civils de Chambéry.
nommé le 5 avril 1888.
80 juillet 1885.
5 juin 18%.
12 mai 1892.
MÉNABRÉA Louis-Frédéric, marquis de Val Dora ot ambassadeur
en retraite, à Chambéry.
DES MEMBRES DE L’ACADÉMIE g
Membres effectifs non résidants.
RABUuT François, professeur honor*
d'histoire, à Dijon, nommé le 5 février 1850.
Ducrs (le chanoine), ancien archiviste |
du département de la Haute-Savoie, — 22 décemb. 1864.
DE Foras Amédée (le C“), à Thonon, — 8 mars 1870.
Ms TuriNaz Charles, évêque de Nancy
et de Toul, — 4° juin 1876.
Ms Rosser Michel, évêque de Mau-
tienne, — 6 juillet 1876.
Buer Charles, homme de lettres, à
Thonon, — 16 mars 1882,
TrucxerT Saturnin (le chanoine), pré-
sident de la Société d'histoire et
d'archéologie de Maurienne, — 30 juin 1892.
Membres de droit.
Le Recteur d'Acaÿémie.
L'Inspecteur d'Académie.
Membres agrégés.
Basin Augustin, docteur en médecine, à Chambéry.
BELLET Charles (l’abbé), à Tain (Drôme).
BERNARD Joseph (l'abbé), de Montmélian.
BoLLATI DE SAINT-PIERRE Frédéric-Emman® (le baron), surin-
tendant des archives d'État, à Turin.
Brio'r Félix, inspecteur des forêts, à Chambéry.
CARUTTI DI GANTOGNO Dominique (le baron), sénateur du royau-
me, président honor. de section au Conseil d'État, président
de la députation royale d'histoire nationale de Turin, à Turin.
CHANTRE Ernest, géologue, directeur-adjoint du Musée de Lyon.
CHEVALIER C.-U.-J. (l'abbé), à Romans (Drôme).
CLARETTA Gaudenzio (le baron), à Turin.
CosTa DE BEAUREGARD Josselin (le comte), à Chambéry.
CosTa DE BEAUREGARD Paul (le comte), à Chambéry.
DENARIÉ Emmanuel, avocat, à Chambéry.
Dessaix Antony, ancien archiviste-adjoint du département de Ia
Savoie, à Chambéry.
kh TABLEAU
DurANnD-MorIMBEAU Henri, homme de lettres, à Paris, rue Mau-
beuge, 47.
Five Théodore, architecte, à Chambéry.
GENIN Félix, entomologiste, à Lyon.
Grrop Marie, agent des Hospices, à Ghambéry.
KizLIAN W., professeur à la Faculté des sciences, à Grenoble.
MaISTRE Charles (le comte DE), à Beaumesnil (Eure).
Manxo Antoine (le baron), secrétaire de la Députation royale
d'histoire nationale, à Turin.
Mari Léonide (le comte), à la Motte-Servolex.
MayEuL-LamEey (le R. P.) de l’Ordre des Bénédictins, au château
de Grignon, par les Laumes (Côte-d'Or).
MERCIER Joseph (le chanoine}, à Annecy.
MozuiN Benoît, professeur de peinture, à Chambéry.
MoLLaRD Francisque, archiviste, à Auxerre.
PERRIER DE LA BATHIE Eugène (le baron), professeur d’agricul-
ture, à Albertville.
RocHAs-AIGLUN (A. DE), lieutenant-colonel du génie, à Paris.
RosserT Joseph (le baron), général d'artillerie en retraite, à Rome.
ScuEerER Charles, membre de l’Institut, à Paris.
ToyToT (DE) Ernest, à Nevers (Nièvre).
TREDICINI DE ST-SÉVERIN Charles-Félix (le marquis), à Cham-
béry-le-Vieux.
Membres correspondants.
ADRIANI, professeur d'histoire à l’Université de Turin.
ANTIOCHE AÂDHÉMAR (le comte D’), au château de Selorre, par
Paray-le-Monial (Saône-et-Loire).
ARMINJON Victor-François, contre-amiral en retraite, à Gênes.
ARNAULD DE PRANEUFr, sous-préfet de Riom.
AYMONIER Étienne, chef de bataillon d'infanterie de marine, di-
recteur de l'École coloniale de Paris.
BErLioz Constant, commissaire de surveillance administrative,
à Lyon.
BERTHIER Joachim (le R. P.), dominicain, recteur do l’Université
de Fribourg (Suisse).
BERTRAND Édouard, apicultour, à Nyon (Suisse).
BæœcKer (be), président de la Société d'histoire et des beaux-arts
des Flandres-Maritimes, à Bergues (Nord).
BonJEAN Félix, publiciste, à Lyon.
BonsEAN Georges, juge suppléant au Tribunal de la Seine, à
Paris.
BonreL Josoph-Émile (l'abbé), à Moûtiors.
BorREL, architecte, à Moùtiers.
DES MEMBRES DE L’ACADÉMIE à
BoucHAGE François (le R. P.), rédemptoriste, à Contamine-sur-
Arve.
BourGEzo1is Jacques, avocat, à Chambéry.
BouraEzrT Clément (le B°" pu), capitaine au 10° chasseurs à cheval,
à Moulins.
BourcoraNon Arthur-Paul, capitaine au 13° bataillon de chas-
seurs à pied, à Chambéry.
BRACHET Léon, docteur en médecine, à Ain lés-Hains.
BucxHarD Gabriel, inspecteur des forêts en retraite, à Chambéry.
BurLer Joseph (l'abbé), profrau Grand-Séminaire de Chambéry.
Caccia Maximilien (le comte), à Verceil.
CHaraux Charles, professeur de philosophie à la Faculté de
Grenoble.
CHARVET B., docteur en médecine, à Grenoble.
CHAULIN-MERCIER Georges, avocat, à Paris.
CHAUMONT Gaston (le marquis DE), à Valleiry (Haute-Savoie).
CHAVANNE, professeur, à Lausanne.
ConsTANTIN Aimé, homme de lettres, à Annecy.
Darsay Joseph, professeur de peinture, à Chambéry.
DaTra, professeur de philosophie, à Turin.
DELMoTTE, avocat, trésorier de la Société des Antiquaires de la
Morinie, à Saint-Omer.
Des Francs L.-B., ancien inspecteur d'Académie.
DREvVET Paul-Gaspard, homme de lettres, à Paris.
DusEux, ancien procureur général.
Du Bors-MELLy Charles, à Genève.
Duc Pierre-Étienne, chanoine de la cathédrale d'Aoste (Italie).
Ducuer, proviseur du Lycée, à Saint-Omer.
Durour Théophile, directeur de la bibliothèque de Genève.
DurREsNE Édouard, docteur en médecine, à Genève.
Dumas Jules, médecin en chef de l’Asile public de Bassens, près
Chambéry.
Dunanp Joseph, chanoine de la Métropole, à Chambéry.
DupLaN Albert, avocat, ancien magistrat, à Évian.
DurANDARD Maurice-Antoine, avoué, membre de l'Académie de
la Val d'Isère, à Moùûtiers.
ESCHAVANNES (le comte D’}, à Paris.
EsPiNEe (Henri-Adolphe D’), docteur en médecine, à Genève.
Fazsan Albert, géologue, à Lyon.
FozLier André, député, à Évian.
Fourier Paul, professeur à la Faculté de droit de Grenoble.
FRançors Victor, avocat, à Chambéry.
FRÉDÉRIC, de Sixt (le R. P.), capucin, à San Remo.
FusiEer René, avocat, à Chambéry.
GARBIGLIETTI Antoine, docteur collégié, à Turin.
GERBAIX DK SONNAz (le comte Albert), ministre plénipotentiaire,
agent diplomatique et consul général d'Italie, à Sofia.
J TABLEAU
GLowEr Melvil, professeur, à Lyon.
Gonop, professeur de chimie, à Clermont-Ferrand.
GonTuHIER Jean-François (l'abbé), aumônier des Hospices civils
d'Annecy.
GREMAUD Jean (l'abbé), professeur, président de la Société d'his-
toire du canton de Fribourg.
GuaeEr, professeur de géographie, à Neuchâtel.
GUILLERMOND, pharmacien, à Lyon.
HERVIER, docteur en médecine, à Rive-de-Gier.
HoLLANDE, docteur ès-sciences naturelles de la Faculté de Paris,
professeur de chimie au Lycée de Chambéry.
Huarp Adolphe, homme de lettres, à Paris.
JamBois, substitut du procureur général, à Paris.
JAYBERT Léon, avocat, à Paris.
KoscrakiEwicz, docteur en médecine, à Rive-de-Gier.
Lacroix (l'abbé), professeur à l’École militaire de Modène.
LapisLas (le R. P.), capucin, à Chambéry.
Laïssus Camille, docteur en médecine, à Moûtiers.
Lannoy (le comte Richard pe), chef de bataillon du génie, à
Épinal.
LARACINE Édouard, ancien conseiller à la Cour d'appel de
Chambéry.
LECOY DE LA MARCHE, archiviste aux archives nationales de
Paris.
LEGRAND, vice-président de la Société des antiquaires de la Mo-
rinie, à Saint-Omer.
LEgJoLis Auguste, docteur en médecine, à Cherbourg.
Lreuraup V., ancien bibliothécaire de la ville de Marseille.
Lior DE NORTBÉCOURT, receveur des Domaines, à Saint-Omer.
LousrTau Gustave, ingénieur civil, à Crépy-en-Valois (Oise).
MaïLLaND Pierre, notaire, à Aix-les-Bains.
MarcHAND Frédéric (l’abbé), curé de Varembon (Ain).
MarrTin Louis-Émile, conseiller à la préfecture du Rhône, à
Lyon.
MaARTIN-FRANKLIN Jean, ingénieur, ancien capitaine du génie, à
Chambéry.
Masson Albert, docteur en médecine, à Chambéry.
MATHERON, géologue, à Marseille.
METzGER Albert, homme de lettres, à Chambéry.
M1GNaARD, archéologue, à Dijon.
MiLLIEN, à Beaumont-la-Ferrière (Nièvre).
MILLIET D'AUBENTON, inspecteur des forêts, à Belley.
Monacuon Henri (l'abbé), aumônier de l'Orphelinat et de la Pro-
vidence des jeunes filles de Chambéry.
MonTEeT (Albert DE), à Vevey.
MurTeau Charles, à Dijon.
Navilze Ernest, ancien professeur de philosophie, à Genôve.
MEMBRES DE L’ACADÉMIE k
Neantr Christophe, inspecteur général des consulats, à Turin.
NoauËs A.-F., ingénieur civil des mines à Argomedo, 22, près
Santiago (Chili). ‘
OG1ERr, secrétaire général des Hospices d'Annecy.
ONcCIEU DE LA BATIE Amé (le comte D’), à Chambéry.
ORÉ, professeur à la Faculté de médecine de Bordeaux.
PADIGLIONE, à Naples. ;
PaAyor Venance, naturaliste, à Chamonix.
PEREIRA José, secrétaire général de l’Académie nationale de
médecine, à Rio-Janeiro (Brésil).
PÉrIN Jules, avocat à la Cour d’appel, à Paris.
PERREY Alexis, professeur à la Faculté, à Dijon.
PETTEx Jean-Marie, curé de Marignier.
PrccarD L.-E. (l'abbé), aumônier, à Mornex.
PILLET (l'abbé Albert), docteur en théologie, professeur de droit
canon aux Facultés catholiques de Lille.
PiLLET Antoine-Louis, professeur à la Faculté de droit de Gre-
noble. |
QuEenson, président du Tribunal, à Saint-Omer.
QuenTIN Émile, hommes de lettres, à Paris.
Quinsonnas (le comte Emmanuel DE), à Chanay, près Seyssel.
REGARD DE VILLENEUVE (le comte Joseph DE), président du
Syndicat agricole et vice-président de la Société centrale d’agri-
culture de la Savoie.
RENVILLIER, docteur en médecine, à Paris.
REvIGLI0, professeur à l’École vétérinaire, à Turin.
REVILLOUD, professeur au Lycée de Versailles.
Revon Michel, avocat, professeur de droit à l'Université impé-
riale de Yedo (Japon).
Reymonp Charles, docteur en médecine, à Turin.
REyYMonND Jean-Jacques, profess. d'économie politique, à Turin.
Rreux Léon, docteur en médecine, à Lyon.
RiTrer Eugène, doyen de la Faculté des lettres à l'Université de
Genève. : bi
R1ve (Théodore DE La), à Genève.
SAINT-GENIS (Victor DE), conservat des hypothèques, au Havre.
SAINT-LAGER, docteur en médecine, à Lyon.
SAURET, chanoine honoraire, à Embrun.
SAUTIER-THYRION Maurice, à Veyrier.
SLRODER, bibliothécaire, à Stockholm (Suède).
Socquer, docteur en médecine, à Lyon.
SONJEON André, naturaliste, à Chambéry.
SoPRANI (l'abbé), à Turin.
Tarpy Joseph, à Lyon.
Tarry (Harold DE), vice-secrétaire de la Société archéologique
de France.
THÉOBALD, professeur à l'École des Sourds-Muets, à Paris.
l SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES
TR£MEY (l'abbé), membre de l’Académie de la Val d'Isère, à
Buenos-Ayres.
TRENCA Joseph-Alexandre, professeur de musique, à Chambéry.
TREPIER Donat, commandant du 5° bataillon d'infanterie légère
d'Afrique, à Aiïn-Sefra (Oran).
UsaANNaz-Joris, avocat, à Tunis,
Vayra Charles (le chevalier), sous-directeur des archives d'État,
à Turin.
VERNIER Jules, archiviste du département de la Savoie, à Cham-
béry.
Vipaz Léon, ancien inspecteur général des prisons, à Paris.
Vianaux Eugène, homme de lettres, à Paris.
ViGNET (le baron Albert DE), à Saint-Mamert (Gard).
VuLLIET François, docteur en médecine, à Genève.
Vuzztez Jules, procureur de la République, à Toulon.
Vuy Jules, avocat, à Genève.
Weiss A., docteur en philosophie, à Vienne (Autriche).
Yvoire (le baron François D’), ancien député, à Yvoire, près
Sciez.
LISTE PES SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES
a —————
Sociétés étrangères.
Amsterdam : Académie des sciences (Koninklyke Akademie).
Aoste : Académie religieuse et scientifique.
Bâle : Verhandlungen Von Natur forschenden Gesellschaft.
Berne : Institut géographique international.
Boston : Society of natural historr.
Brème : Abhandlungen herausgegebon vom naturwissenschaft-
lichen Vereine zu Bremen. :
Cagliari : Bollettino archeologico sardo.
Christiana : Kongelige Norske Frederiks universitets.
Colmar : Société d'histoire naturelle.
Dublin : Proceedings ot the natural history Society.
Florence : R. Istituto di studi superiori pratici e di perfezionu-
mento.
Fribourg : Société d'histoire du canton de Fribourg.
Genève : Institut national genevois.
Genève : Société d'histoire et d'archéologie.
Genève : Société de physique et d'histoiro naturelle.
Harlem : Archives du Musée de Teyler.
SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES | ET)
Lausanne : Société d'histoire de la Suisse Romande.
Lausanne : Société vaudoise des sciences naturelles.
Liège : Société libre d'émulation.
Madrid : Reale Academia de ciencias exactas fisicas y naturales.
Manchester : Literary and philosophical Society.
Milan : Reale Istituto lombardo.
Milan : Societa italiana di scienze naturali.
Modène : Reale Accademia.
Montréal : Geological Survey of Canada.
Naples : Reale Istituto d'incorragiamento alle scienze naturali
economiche e technologiche.
Neuchâtel : Société des sciences naturelles.
Palerme : Accademia di scienze e lettere.
Pise : Sociela toscana di scienze naturali.
Rome : Accademia pontificia dei Lencei.
Rome : Reale Accademia dei Lencei.
Strasbourg : Société de médecine.
Turin : Académie royale des sciences.
Turin : Députation royale d'histoire nationale.
Valparaiso : Société scientifique du Chili.
Vienne : K. K. Geologischen Reichsanstalt.
Venise : Istituto reale.
Wasingthon : Smith'’s onian Institution.
Zurich : Annuaire de la Société générale d'histoire suisse.
Sociétés françaises.
Aix : Académie des sciences, arts et belles-lettres.
Amiens : Société linnéenne du nord de la France.
Amiens : Société des antiquaires de Picardie.
Angers : Académie des sciences et belles-lettres d'Angers.
Angoulême : Société archéologique et historique de la Cha-
rente. ‘
Annecy : Société florimontanc.
Annecy : Académie salésienne.
Annecy : Commission météorologique de la Haute-Savoie.
Apt : Société littéraire, scientifique et historique.
Arras : Académie des sciences, belles-lettres et arts.
Autun : Société Eduenne.
Auxerre : Société des sciences historiques el naturelles de
l'Yonne.
Besançon : Académie des sciences, belles-lettres et arts.
Besançon : Société libre d'émulation du Doubs.
Béziers : Société d'étude des sciences naturelles.
ñ SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES
Blois : Société d'agriculture, sciences, arts et lettres de Loir-et-
Cher.
Bône : Académie d'Hippone.
Bordeaux : Académie des sciences, belles-lettres et arts.
Bordeaux : Commission des monuments et documents histori-
ques et des bâtiments civils du département de la Gironde.
Bourges : Société des antiquaires du Centre.
Brest : Société académique.
Caen : Académie nationale de Caen.
Caen : Société des antiquaires de la Normandie.
Caen : Société des beaux-arts.
Castres : Société littéraire et scientifique.
Chambéry : Club-Alpin français (sous-section de Ghambéry).
Chambéry : Société savoisienne d'histoire et d'archéologie.
Chambéry : Société centrale d'agriculture.
Chambéry : Société d'histoire naturelle.
Chambéry : Société médicale.
Cherbourg : Société des sciences naturelles.
Cherbourg : Société nationale académique de Cherbourg.
Clermont-Ferrand : Académie dessciences, belles-lettres et Le
Constantine : Société archéologique.
Dijon : Académie.
Draguignan : Société d'agriculture, de commerce et d'industrie
du Var.
Gap : Société d'études des Hautes-Alpes.
Grenoble : Académie delphinale.
Grenoble : Société de statistique, des sciences naturelles et arts
industriels du département de l'Isère.
Le Havre : Société nationale havraise. .
La Rochelle : Académie.
Le Mans : Revue historique et archéologique du Maine.
Le Mans : Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe.
Limoges : Société archéologique du Limousin.
Lille : Société des sciences.
Lons-le-Saunier : Société d’émulation du Jura.
Lyon . Académie des sciences, belles-lettres et arts.
Lyoh : Annales du Musée Guimet.
Lyon : Société botanique.
Lyon : Société académique d'architecture.
Lyon : Société littéraire, historique et archéologique.
Mâcon : Académie.
Marseille : Académie des sciences, belles-lettres et arts.
Marseille : Société de statistique.
Melun : Société d'archéologie, sciences, lettres et arts de Seine-
et-Marne.
Montauban : Société des sciences, belles-lettres et arts de Tarn-
et-Garonne.
SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES 0
Montbrison : La Diana, Société d'histoire et d'archéologie du
Forez.
Montpellier : Académie des sciences et lettres.
Moulins : Société d'émulation.
Moûtiers : Académie de la Val d’Isère.
Nancy : Société d'archéologie lorraine.
Nantes : Société académique de la Loire-Inférieure.
Nice : Société des lettres, sciences et arts des Alpes-Maritimes.
Nîmes : Académie du Gard.
Orléans : Société archéologique de l’Orléanais.
Paris : Société française de numismatique et d'archéologie.
Paris : Société des études historiques.
Paris : Société de l’histoire de Paris et de l’Ile de France.
Paris : Romania, recueil consacré à l'étude des langues romanes.
Paris : Revue des Sociétés savantes des départements.
Paris : Revue des travaux scientifiques.
Paris : Répertoire des travaux historiques.
Paris : Journal des savants.
Pau : Société des sciences, belles-lettres et arts.
Périgueux : Société historique et archéologique du Périgord.
Perpignan : Société agricole, scientifique et littéraire des Pyré-
nées-Orientales.
Poitiers : Société des antiquaires de l'Ouest.
Saint-Jean de Maurienne : Société d'histoire et d'archéologie.
Saint-Omer : Société des antiquaires de la Morinie.
Saint-Quentin : Société académique des sciences, arts, agricul-
ture, belles-lettres et industrie.
Thonon : Académie chablaisienne.
Toulon : Société des sciences, belles-lettres et arts du Var.
Toulouse : Académie des sciences.
Toulouse : Académie des Jeux floraux.
Toulouse : Société d'histoire naturelle.
Toulouse : Sociélé archéologique du midi de la France.
Tours : Société d'agriculture, arts, sciences et belles-lettres d'In
dre-et-Loire.
Troyes : Société académique d'agriculture, des sciences, arts et
belles-lettres de l'Aube.
Valence : Comité d’histoire ecclésiastique et d’archéologie reli-
gieuse des diocèses de Valence, Digne, Gap, Grenoble et Viviers.
Valence : Société départementale d'archéologie et de statistique
de la Drôme.
Versailles : Société des sciences naturelles et médicales de Seine-
et-Oise.
Versailles : Société d'agriculture et des arts de Seine-et-Oise.
Vitry-le-François : Société des sciences et des arts.
COMPTE-RENDU
DES
TRAVAUX DE L'ACADÉMIE
DES
Sciences, Belles-Lettres et Arts de Savoie,
pendant l’année 1892,
Par M. L. MORAND,
SECRÉTAIRE PERPÉTUEL,
I. — Nécrologie.
Les années qui composent le temps, quelque brillantes
et fructueuses qu’elles soient, renferment inévitablement
des jours sombres mêélés à des jours sereins, une saison
attristée succédant à des saisons riantes. La vie humaine
est aussi composée de ces sortes d’oppositions, le plaisir
- n'est pas loin de la douleur.
Gette loi inéluctable n’a pas épargné l’Académie durant
l’année qui vient de s’écouler ; ses joies ont été souvent
troublées par des tristesses. La mort est venue à plusieurs
reprises ravager impitoyablement ses rangs. Sept de ses
I
Il COMPTE-RENDU DES
membres ont ainsi laissé en son sein des vides qu'elle
déplore et des deuils que l'énoncé seul de leurs noms fera
déjà comprendre. Tels sont : MM. Pierre Tochon et le
chanoine François Trepier, membres effectifs résidants ;
S. E. Mer le cardinal Gaspard Mermillod, membre effectif
non résidant ; MM. François Croisollet et Gustave Vallier,
membres agrégés ; MM. Prosper Despine et Jean-Baptiste
Onofrio, membres correspondants. |
En commençant ces pages, où nous allons retracer le
tableau de la vie de l'Académie dans ces douze mois écou-
lés, il est juste que nous payions d'abord à la mémoire de
ces chers défunts un tribut d'hommage et de regret.
M. TOCHON, décédé à Chambéry le 4er janvier 1892,
était un agronome distingué. « C’est à ce titre, a dit M. le
président d’Arcollières, dont nous citerons ici les paroles,
que l’Académie lui à ouvert ses portes dans sa séance du
2 juillet 4868. Aux premiers jours de son existence, à
l'époque où elle n'était encore que Société académique,
notre Compagnie se vouait principalement à l'étude des
questions agricoles. Le sujet que feu M. Tochon donna à
son discours de réception la ramenait à ses débuts ; ce
n’était plus sans doute le temps des communications de
M. Burdet et du Dr Gouvert; le discours qu’elle entendit
était tout cela et quelque chose encore : l’agriculture de ce
pays, en effet, n'avait pas eu auparavant son histoire ; il
appartenait au récipiendaire de remplir cette lacune re-
grettable. Mais, retenu dans les bornes d'une simple lec-
ture, l’auteur avait dû abréger son travail. Il se dégageait
bientôt de ces entraves, remettait à l'œuvre un sujet si
intéressant pour notre province et lui donnait un dévelop-
pement proporlionné à son importance. Bref, le 3 janvier
| TRAVAUX DE L'ACADÉMIE nl
1870, l'Académie, à l'unanimité, votait l’impression dans
ses Mémoires de l'Histoire de l'agriculture en Savoie.
« Le but de ce travail », écrit l’auteur dans son intro-
duction, « n’est pas seulement de rappeler les faits chro-
« nologiques plus ou moins intéressants qui ont marqué
« les phases progressives de l’agriculture de notre petit
pays. Cette histoire de l’économie agricole, spéciale aux
« deux départements de la Savoie, aura de l'intérêt, nous
« aimons à le croire, pour les agronomes qui désireront
« connaître le véritable caractère de notre agriculture ; et
« elle contribuera , nous lespérons, à détruire bien des
« préventions sur l’état économique de notre pays. »
« L'Institut de France, après l’Académie de Savoie, a
apprécié la valeur pratique du livre de M. Tochon; elle
l'a couronné, décernant ainsi une de ces récompenses dont
la rareté, à elle seule, ferait déjà tout le prix.
« Entre les diverses publications de notre défunt con-
frère, son Histoire de l’agriculture en Savoie est l'unique
qui ait pris place dans nos Mémoires. Combien long serait
pourtant le détail de tout ce qu’il a composé depuis sa Sta-
tistique agricole des Étals sardes, ou seulement son Traité
théorique et pratique d'agricullure, de viticulture et d'hor-
ticulilure, paru en 1874 et devenu classique, jusqu’à son
compte-rendu si fidèle, si complet, des Conférences viti-
coles données à Chambéry les 4, 5 et 6 octobre 1890.
« C’est dans le Bulletin de la Société centrale d’agricul-
lure que M. Tochon divulguait en général le résultat de ses
expériences et de ses études. Ces essais étaient tirés à part;
. Comme chacun de nous, l’Académie en recevait un exem-
plaire. Peut-être se souvient-on que, l’année derniere,
après les avoir tous réunis de nouveau sous la forme d’un
volume relié, notre confrère eut l’aimable attention d'offrir
Ce:
IV COMPTE-RENDU DES
ce volume à notre bibliothèque. Était-ce simple coquetterie
d'auteur, où plutôt n’était-ce pas là une délicate pensée,
l'indice d’un pressentiment, une sorte de souvenir anticipé
qu'il tenait à envoyer à la Compagnie dont il fut membre
correspondant ou effectif durant près d’un quart de siècle ?
« Encore que, depuis un certain temps, M. Tochon eût
réservé toute son assiduité pour les séances de la Société
centrale d'agriculture, — notre voisine, — il ne laissait pas
de s'intéresser à l’Académie, à ses vues, à ses travaux, et
je sais bien que, chaque fois qu'il en avait la faculté en
vertu de notre règlement, il n'hésitait pas à adresser au
président son vote ou son avis sur les questions d’impor-
tance, mises à l’ordre du jour. — Au reste, trois années de
suite, il avait fait partie de votre bureau en qualité de tré-
sorier ; avec quel soin il exerçait celte charge ! Ses rende-
ments de comptes et ses projets de budget portaient bien
le reflet exact de ses qualités d'administrateur clair, expé-
rimenté, méthodique.
« Méthode, expérience, clarté, tels étaient également les
traits distinctifs des conférences de M. Tochon. Lorsque se
réunissaient les congrès des Sociétés savantes de Savoie
(ne fut-il pas, en 1885, le secrétaire général du Congrès de
Montmélian ?), une matinée lui était réservée d’ordinaire ;
il y traitait un de ses sujets favoris ; or, vous vous rappelez
s’il savait lui donner un tour intéressant et un but pratique.
« Tout autant que ses ouvrages, ses conférences le firent
avantageusement connaître en dehors de la Savoie. Sa vie,
d'ailleurs, qui commençait en 1819, a élé des mieux rem-
plies, et, par l’énumération des nombreuses fonctions qui
lui ont été départies successivement, on concevrait sans
peine que sa réputation ne soit pas restée enserrée dans
les limites étroites de sa province.
TRAVAUX DE L’ACADÉMIE \
« Après avoir conquis un diplôme à l’école de Grignon, il
eut l’heureuse idée de compléter son instruction par des
voyages dans les centres agricoles d'Italie, de France
et d'Angleterre. Directeur d’une fabrique d’instruments
d'agriculture à Turin, il y formait le Musée agricole du
palais Madame et coopérait avec le comte de Cavour aux
publications de la Société agraire, cette association qui ne
dut pas seulement sa célébrité à ce qu’elle fit pour la
prospérité de l’agriculture. De retour en Savoie, il suc-
cédait au comte Louis-Joseph Marin dans son secrétariat
de la Chambre royale d'agriculture et de commerce de
Chambéry, et, en cette qualité, il était délégué aux expo-
sitions de Turin, de Gênes, de Londres et de Paris. Tour
à tour expert provincial, membre de la junte statistique
des États sardes, il fut, en outre, professeur d'agriculture
et d'économie rurale à l’établissement modèle de la Motte-
Servolex, du temps où M. de Cavour, devançant les
hommes d’État voisins, voulut introduire l’enseignement
agricole dans les écoles normales et dans l’enseignement
secondaire.
« Depuis l'annexion de la Savoie à la France, nous trou-
vons M. Tochon secrétaire de la Chambre consultalive
d'agriculture de cette ville, correspondant de la Société
nationale d'agriculture de France, de la Société des
Arts de Genève et de l’Académie royale d'agriculture de
Turin. Président du Congrès agricole de Moütiers pour
la détermination de la race tarine, vice-président du
Comice de Chambéry, il fit partie des jurys régionaux el
fut souvent chargé des rapports sur les primes d'honneur.
« Ses concitoyens, qui l'avaient délégué, en 1861, au
Conseil d'arrondissement, lui renouvelaient son mandat
en 1867,
VI | COMPTE-RENDU DES
« Dans celte dernière année, il était appelé au Comité
départemental de la deuxième Exposition universelle, de
même qu’il devenait, en 1878, le président du Comité de
la troisième, pendant que notre confrère, M. Barbier, en
était nommé le secrétaire.
« Le gouvernement impérial, qui conférait, en 1869, à
M. Picrre Tochon la croix de la Légion d'honneur, lui
accorda ensuite les palmes d’officier d’Académie, tandis
que notre ancien roi, Victor-Emmnanuel, lui envoyait les
insignes de l’ordre des Saints Maurice et Lazare.
€ Il aurait semblé qu’une pareille existence eût dû finir
dans le calme et dans le repos ; mais l’âge n'avait point
refroidi le zèle du président de la Société centrale d’agricul-
ture ; son activité incessante n'avait pas faibli ; et puis, ne
s'était-il pas fait du devoir une idée qui n’avait d'égale que
son énergie à toute épreuve ?
« Lorsqu'une grave maladie, il y a un mois à peine, le
réduisait brusquement à Finaction, on aurait pu lui
appliquer les paroles que lui adressait, en lui souhaitant la
bienvenue, un de mes prédécesseurs sur ce siège. « La
« profession agricole, » avait dit le docteur Guilland,
« est celle qui doit fournir les plus constantes garanties
« d'ordre religieux et social et de stabilité, parce que l’agri-
« culture en a besoin pour prospérer, parce qu’elle tient
« l'homme en face du maître de la nature. »
«€ M. Tochon ne resta pas immobile en face de ce maitre
dont lui avait parlé M. Guilland : il ne songea pas à reculer.
Spontauément, au contraire, il alla au-devant de lui,
montrant par là qu'il n'avait point oublié la remarque
spiritualiste de notre ancien président ; elle resta sienne,
au surplus, jusqu'au milieu des cruelles souffrances de ses
derniers instants, et, si l'on doit à cette heure louer sa
TRAVAUX DE L’ACADÉNIE VII
résignation chrétienne, ses concitoyens lui ont bien prouvé
l’autre jour, par leur concours à ses funérailles, de quelle
façon ils apprécient ses services. |
« Quant à l’Académie, elle aimera à se ressouvenir de
celui qui sut être à la fois un confrère aux relations
cordiales et un agronome de savoir, d'initiative et de
dévouement. »
M. le chanoine Francois TREPIER est mort le 9 mars.
Né à Aillon-le-Jeune, le 22 décembre 1814, il se
destina à la carrière ecclésiastique et fut ordonné prêtre
le 21 mai 1842.
Après avoir été vicaire à Domessin pendant deux ans,
puis à Notre-Dame de Chambéry pendant trois ans, il dut
se retirer dans sa famille pour soigner sa santé déjà fort
ébranlée.
Heureusement, il fut appelé alors à diriger l'éducation
du jeune baron Albert de Vignet ; il s’attacha à cette famille,
fort distinguée, et y resta lié jusqu’à la fin de ses jours.
Pendant cette longue retraite, il s’adonna avec passion
à l'étude de l'histoire ecclésiastique de la Savoie. Déjà,
pendant son séjour au château de Franquières, il avait
communiqué de nombreux mémoires à l’Académie delphi-
nale, sur le cartulaire de saint Hugues, sur l’éboulement
du Mont-Grenier. À la session de l'Institut des Provinces, à
Chambéry, en 1863, nous nous rappelons qu’il lut une
intéressante notice sur ce terrible événement.
Lorsque, devenu libre, il vint se fixer à Chambéry, notre
Académie s’empressa de se l’attacher d'emblée comme
résidant, en 1865, sans l'avoir fait passer par les degrés
de correspondant et d'agrégé. Dans son discours de
réceplion, prononcé le 8 février 1866, il prit pour sujet :
VI COMPTE-RENDU DES
L'origine et l'influence des monastères et prieurés de la
Savoie.
En 1869, il nous fit une lecture sur Jean de Murs, pro-
fesseur de Sorbonne, célèbre au xive siècle, qu’il revendique
comme Savoisien.
Mais, revenant bientôt à son sujet de prédilection, il
nous donne trois gros volumes intitulés : Recherches
historiques sur le décanat de Saint-André et sur la ville de
ce nom ensevelie, au xuie siècle, avec plusieurs autres
paroisses, sous les éboulis du Mont-Grenier, publiés en
1878, 1885 et 1886.
Tout dernièrement, il nous lisait encore une notice sur
Sainte-Claire hors ville et l'Hôpital militaire de Chambéry ;
elle est imprimée dans le volume III de la 3° série de
nos Mémoires.
En même temps qu’il se livrait à ces travaux, M. Trepier
trouvait le temps de se rendre utile, d’abord comme
aumonier des prisons, en 4865, puis comme aumonier de
l'Hôpital militaire, depuis 1875 jusqu'à sa mort. C’est à
raison de ces services qu'il fut décoré de la Légion d'honneur
par le gouvernement et nommé par l'autorité diocésaine
chanoine honoraire de la Métropole, le 28 octobre 1879.
Deux fois l’Académie de Savoie l’a élu vice-président,
d’aburd en 1873, et ensuite en 1890. Dans toutes ces
administrations, il a laissé les meilleurs souvenirs par son
dévouement, son exquise urbanité, je dirai même par la
distinction de ses manières.
Par une journée de.neige et de tempête, on a pu voir à
sa mort combien il comptait d'amis dans notre ville. Le
corps des officiers, ayant à sa tête les généraux et cheîs de
corps, des députations de toutes les armes, le clergé, la
haute magistrature, les membres des Sociétés savantes, la
TRAVAUX DE L'ACADÉMIE 1X
population entière de Chambéry se pressait à ses obsèques.
Juste hommage rendu au mérite et surtout au cœur de
notre collègue. |
Comme tout le faisait craindre, S. E. Mer le cardinal
MERMILLOD a succombé, le 93 février, à onze heures et
demie du matin, au mal cruel qui le minaïit depuis long-
temps. Déjà, le rude assaut qu’il subissait, l'automne pré-
cédent, au château de Monthoux sur Annemasse, avait
semblé marquer le terme de sa vie si pleine de grandes
actions, et lui-même traçait alors de sa main affaiblie ce
touchant et admirable testament que les journaux ont
reproduit. Il a fallu toute l'énergie de ce pontife vaillant
pour le soutenir et reconquérir les forces nécessaires qui
devaient le ramener à Rome, près de Léon XIIE où il
désirait mourir. Le léger mieux qui s'était manifesté pen-
dant les mois de décembre et de janvier n'était qu'un répit
que Dieu accordait à son serviteur pour satisfaire à son
vœu, et aussi une résistance dernière du malade qui aurait
voulu servir encore l’Église, mais que la mort a terrassé.
Né à Carouge, en 1824, d’un père originaire de Savoie,
Mer Mermillod fit ses études secondaires au petit Séminaire
de Saint-Louis du Mont, sur Chambéry, et fut ensuite
placé comme curé à la tête de sa paroisse natale, à l’âge de
vingt-quatre ans seulement. Depuis lors, il devint l’âme du
catholicisme à Genève. Son zèle, sa persévérance, son
action énergique et insinuante lui assurèrent bientôt une
influence considérable parmi ses compatriotes coreli-
gionnaires et même protestants. Pour le récompenser de
ses travaux et de ses fatigues sans nombre, mêlés souvent
d’amertumes cruelles, le pape Pie IX le créa, en 1864,
évêque d'Hébron avec charge de représenter l'évêque de
X COMPTE-RENDU DES
Lausanne dans la circonscription de Genève, et, en 1872,
vicaire apostolique pour ce même canton.
De son côté, Léon XIII, appréciant comme son prédéces-
seur le vaillant apôtre, le tira, en 1889, ainsi qu'on se le
rappelle, de l'évêché de Lausanne où il avait succédé à
Mer Marilley, et le nomma cardinal-prêtre du titre des
Saints Nérée et Achillée.
Nous n’avons point à retracer ici en détail la carrière si
bien remplie de cet illustre ministre de Jésus-Christ ; c’est
l'affaire de ses biographes, dont la plume trouvera sans
effort dans son beau sujet la matière à de nombreuses
pages touchantes. Tout ce que nous dirons, c’est que la vie
du vénéré prélat fut une lutte ardente, éloquente, tour-
mentée, qui fera époque dans l'histoire religieuse de Genève,
et l’on pourrait même dire dans l’histoire de la liberté
religieuse en Europe.
Nous ajouterons que Mer Mermillod était surtout remar-
quable par les dons du cœur, de l'esprit et du caractère
dont il était supérieurement orné. À une douceur aimable
dans les formes, ainsi qu’à une ténacité ardente dans la
conduite, il joignait la grâce du langage, en même temps
qu’une éloquence caressante et forte dans la parole. Toutes
les grandes chaires de France et d’ailleurs l'ont appelé et
ont connu la séduction de ses discours 1inagés, gracieux,
attrayants qui captivaient les auditeurs.
Emporté par l’action, Mer Mermillod a peu écrit. Parmi
les quelques publications dont il a marqué les routes qu'il
s'était imposé de parcourir en apôtre mendiant pour son
église de Genève, nous citerons seulement les conférences
et discours suivants, comme représentant le mieux la
nature de son âme et de son talent : De la vie surnaturelle
dans les âmes. — De la vie intellectuelle des femmes à
a
TRAVAUX DE L’ACADÉNIE XI
notre époque. — De l'intelligence de la vie surnaturelle
dans les ämes. — Discours en faveur des pauvres secourus
par la Société de Saint-Vincent de Paul de Lyon. — Dis-
cours en faveur des pauvres d’irlande, prononcé dans
l’église de Sainte-Clotilde de Paris. Panégyrique de Jeanne
d'Arc, prononcé dans la cathédrale d'Orléans le 8 mai 1863.
= M. JEAN-FRANCOIS CROISOLLET, membre agrégé, est dé-
védé à Rumilly le 6 février, à l’âge de quatre-vingt-onze
ans, neuf mois et vingt-cinq jours. La presse a raconté les
belles vertus morales et les hautes qualités mtellectuelles du
nouveau défunt ; en même temps, sa ville natale lui à fait
des funérailles dignes de son propre patriotisme et dignes
de celui qui l'avait honorée autant par l'élévation de ses
sentiments que par ses nombreux travaux historiques.
Successivement notaire au Châtelard et à Rumilly pen-
dant près de quarante ans, M. Jean-François Croisollet
joignait à l'exercice scrupuleux de sa profession un culte
ardent pour tout ce qui concernait les annales glorieuses
de son bien-aimé pays. Ses nombreuses publications sont
ainsi rapportées dans le tome XXVe de Ja première série
des Mémoires de la Société savoisienne d'Histoire et d’Ar-
chéologie de Chambéry :
« Dans l'Encyclopédie catholique qui a paru en 1839-
1848, les articles suivants : Piémont, Sardaigne, Sardes
(États), Savoie, Tarentaise, Turin, et quelques autres ar-
ticles signés C ; dans le supplément du même ouvrage qui
a paru en 1856-1859, soixante-douze articles, entre autres :
Albanais, Aoste (ville), Aoste (duché), Charles - Albert,
Gênes (ville), Gênes (duché), Lally (général), Léman (lac),
Maurienne, Myans, Nice (comté), Savoie (Maison de),
Simond (abbé), Tamié, Thècle (sainte), Tournon (cardinal
XII COMPTE-RENDU DES
de), Val-de-Fier, Vallées vaudoises, Toscane, Tunnel des
Grandes Alpes, Yenne; en outre, en 1860, Mémoire pour
la Fabrique du Fort de l’Annonciade, au tome IV des
Mémoires de la Société savoisienne d'Histoire et d’Archéo-
logie ; en 1869, Histoire de Rumilly, in-8° de 430 pages,
Chambéry, imprimerie Puthod ; en 1882, Supplément au
même ouvrage, in-8 de 320 pages, Rumilly, imprimerie
Ducret ; en 1884, extrait littéral et analytique d’un manus-
crit intitulé : Visitation, second volume des annales du
monastère de la Visitation Sainte-Marie de Rumilly, à
commencer l'an 1705 (jusqu'à la fin de 1751), in-8& de
120 pages, au tome XXII des Mémoires de la Société sa-
voisienne d'Histoire et d'Archéologie ; en 1880, Vie de la
Sœur Madeleine-Auguste de Rouer de Saint-Séverin, reli-
gieuse de la Visitation Sainte-Marie de Rumilly, Genève,
Grosset et Trembley, in-8° de8 pages ; en 1886, Vie de la Sœur
Madeleine-Auguste d'Arcollière, supérieure du monastère
de la Visitation Sainte-Marie de Rumilly, in-8 de 43
pages ; 1889, Les véritables Armoiries de Rumilly, in-8° de .
& pages. »
Ce ne sont là que les principaux écrits du vénérable et
savant défunt ; mais de tous, les plus remarquables et ceux
qui rendront sa mémoire plus chère aux habitants de Ru-
milly, ce sont les deux volumes qu’il a consacrés à la mo-
nographie de cette cité.
M. GUSTAVE VALLIER, de Grenoble, s’est éteint dans
cette ville le 23 juin.
M. Gustave Vallier était connu en Savoie dès le congrès
scientifique de France qui se tint à Chambéry, en 1863.
Nommé secrétaire pour la section d'histoire et d’archéo-
logie, il montra, dans l’accomplissement de ses fonctions,
P
TRAVAUX DE L’ACADÉMIE xtit
une étendue de savoir et une rectitude de jugement qui le
firent remarquer parmi tous les autres membres illustres
de ces célèbres assises. L'Académie de Savoie s’empressa
alors de se l’attacher en lui conférant le titre de membre
correspondant. Plus tard, en 1882, elle l’éleva au rang de
membre agrégé.
Nous ne citerons pas ici le nombre prodigieux, soit des
volumes qu'il publia par devers lui, soit des communica-
tions dont il enrichit les Mémoires des sociétés savantes
auxquelles il appartenait, de la Société française d’Archéo-
logie, de l’Académie delphinale, de la Société royale de
numismatique belge, de l’Académie de Savoie, etc.
M. Gustave Vallier était arrivé à l’âge avancé de soixante-
dix-huit ou soixante-dix-neuf ans, lorsque la vie est venue
lui faire défaut. Les années n'avaient point éteint son
amour des choses de l’esprit, ni ralenti ses recherches et
ses publications scientifiques. On peut dire qu'il est mort
en travaillant.
M. PROSPER DESPINE était fils de Louis-Félix, qui alla
lui-même habiter Marseille en 1812, et y mourut en 1858.
Marié successivement à Dlle Zénaïde Pascal et à Dlle Marie
Gassend, il n’en eut point d'enfants. Par contre, il a laissé
le souvenir d’une haute réputation de science médicale et
de nombreux écrits très estimés.
Parmi ceux-ci nous citerons principalement : Psychologie
naturelle, étude sur les facultés intellectuelles et morales,
dans leur état normal et dans leurs manifestations anor-
males, chez les aliénés et les criminels, 1868. — De la
contagion morale, faits démontrant son existence ; son
explication scientifique ; danger que présente pour la
moralité et la sécurité publiques la relation des crimes
XIV COMPTE-RENDU DES
donnée par les journaux, 1870. — Du retour à la raison,
chez certains déments, pendant les dernières heures de leur
vie, 1870. — Le démon Alcool, ses effets désastreux sur le
moral, sur l'intelligence et sur le physique ; moyen d'y
porter remède, 1871. — De l’imitation considérée au point
de vue des différents principes qui la déterminent, 1871.
— De la Folie, au point de vue philosophique et psycholo-
gique, 1875. — Étude scientifique sur le somnambulisme,
1880.
M. JEAN-BAPTISTE ONoOFRIo était né à Lyon, le 40 février
4814. Son esprit richement doué le fit non seulement péné-
trer très avant dans la science du droit, mais encore cultiver
avec un succès remarqué les études littéraires. Entré de
bonne heure dans la magistrature, il ne cessa, pendant sa
longue carrière, d'unir aux travaux austères du juriscon-
sulte les agréables distractions de l'homme de lettres. Après
avoir siégé dans les tribunaux de plusieurs villes de France,
il rentra, à l’âge de cinquante ans, à Lyon, sa ville natale,
comme premier président de la Cour d'appel. Dans ce
poste élevé, il ne dédaigna pas de rendre service à plusieurs
de nos jeunes archéologues de Chambéry, en leur donnant
d'utiles conseils et en leur enseignant les procédés les plus
sûrs pour calquer les inscriptions lapidaires. Lui-même
publia, dans ce même temps, des recherches précieu-
ses sur le glossaire des patois du Lyonnais et du Forez.
En reconnaissance de son dévouement envers nos com-
patriotes, l’Académie lui conféra, en 1866, le titre de
membre correspondant. Neuf ans plus tard, en 1875, Île
magistrat distingué fut appelé à siéger à la Cour de cas-
sation de Paris avec notre éminent compatriote M. Mer-
cier. Depuis quelques années, par suite d’une infirmilé
à
TRAVAUX DE L’ACADÉMIE XV
qui lui fit donner sa démission, il était revenu à Lyon, où
il trouva moyen de satisfaire encore son zèle pour le bien
de ses concitoyens, soit en devenant président de la com-
mission civile des Hospices, soit en contribuant à la
fondation de la maison des Convalescents de Saint-Genis et
à celle des Hospitaliers veilleurs.
II. — Histoire et Archéologie.
Telles sont les épreuves douloureuses que l’Académie à
eu à supporter durant l'année récemment écoulée, et que
n’ont point fait oublier les heures de satisfaction qui lui
sont survenues entre temps. Les causes de ces derniers mo-
ments heureux, mêlés miséricordieusement à nos jours de
deuil, sont de diverse nature. C’est d’elles que nous allons
parler maintenant.
En cette année passée, plus peut-être qu’en aucune
autre précédente, ses séances ont été animées d’une ému-
lation féconde dans ses membres et ont jeté un chaud
rayonnement dans les cœurs, soit par la présentation de
travaux historiques importants, soit par la réception de
membres distingués, soit enfin par des dons généreux
d'ouvrages remarquables.
L'histoire est la voix qui, dans le cours des siècles pos-
térieurs, avertit les générations de ce qu’elles doivent
faire et de ce qu’elles doivent éviter. C’est là son but vrai
et sans lequel elle n’aurait aucune raison d’être écrite
L'Académie, qui apporte à cette branche de la science un
soin particulier, a eu le bonheur de voir ses vœux se réali-
ser dans une large mesure. Plusieurs de ses membres, tels
que MM. Pillet, le général Borson, l'avocat Blanchard,
XVI COMPTE-RENDU DES
A. Perrin, le comte Clément de Mareschal de Luciane,
Marie Girod, le capitaine Arthur-Paul Bourgoignon, l'ar-
chiviste Jules Vernier, l’abbé Joseph Burlet, L. Morand,
ont, entre autres, présenté des travaux ou des communi-
cations d’un grand intérêt.
M. l'avocat L. PILLET a écrit l’histoire et rappelé les
différents travaux de l’Académie. La presse à fait elle-
même l'éloge de ce volume précieux à tous égards. C’est
ainsi que s’est exprimé le Courrier des Alpes :
« Cette Compagnie, à qui l'amour de notre chère province
et le culte désintéressé des choses de l’esprit ont donné
naissance, existe depuis plus de soixante ans. Elle a compté
parmi ses membres des hommes remarquables par l’intel-
ligence et le goût des études élevées, elle à publié de
nombreux volumes précieux pour l’histoire de la Savoie et
pour la science en général. Rappeler le souvenir de ces
travailleurs éclairés et recueillir le fruit de leurs patientes
recherches est une œuvre utile, juste et patriotique. Elle
vient d’être entreprise et menée à bonne fin par M. Louis
Pillet.
« Membre de l’Académie depuis 185%, honoré maintes
fois des suffrages de ses collègues, M. Louis Pillet est un
témoin bien informé et un juge compétent. Nul mieux que
lui ne pouvait retracer les annales de la Société à laquelle
il n'a cessé de prêter un concours actif, dont il a enrichi
les Mémoires de nombreuses publications concernant la
géologie, la jurisprudence, l'archéologie et l’histoire lit-
téraire. Les gens paresseux, pour qui nous réclamons un
peu d'indulgence, objecteront que ce long et obstiné labeur
devrait exempter celui qui l’a exécuté d'une nouvelle
tâche. M. Pillet leur répondra sans doute qu'il. se repose en
TRAVAUX DE L’ACADÉMIE XVII
faisant une autre besogne. Lassé du droit, il trouve un
réconfort dans l'étude des sciences naturelles ; pour se
remettre des ses investigations à travers vaux et rochers,
il traite une question d’histoire locale , il oublie la fatigue
de ces recherches érudites en éclairant de notes et de
souvenirs personnels la vie désolée de J.-P. Veyrat, ou en
racontant les audaces apostoliques et les charitables fonda-
tions de Mie Guittaud. |
« L'œuvre qu’il vient de publier se recommande seule à
l'attention du public par l'intérêt du sujet et le mérite de
la composition. Pour la louer, il n’est pas besoin d’amasser
les épithètes. Il suffit d'indiquer en quelques mots ce
qu’elle nous apprend et comment elle enseigne.
« M. Pillet, dans la première partie de son livre, expose
les origines de l’Académie de Savoie et réunit des notices
sur les membres de la Société jusqu’à l’Annexion. Voici
comment et par qui fut fondée la Société ::
« Dans le courant de l’année 1819, après que la paix
eut été rendue à l'Europe, et que la Savoie fut revenue
tranquille sous le sceptre des anciens rois, quatre hommes
s'étaient concertés à Chambéry pour y créer une Société
scientifique et littéraire.
« Leurs noms, leurs positions sociales étaient bien en
rapport avec la vie de Chambéry à cette époque.
« C’était d’abord ün représentant de la vieille noblesse de
Savoie, et tout naturellement un ancien militaire, le général
comte de Mouxy de Loche. Ne dirait-on pas le personnage
du comte dans les Soirées de Saint-Pétersbourg ?
« Puis un membre de la noblesse de robe, moins antique,
mais non moins illustre par ses alliances de famille et par
sa distinction personnelle. Le sénateur Xavier de Vignet
IT
FUN
XVII COMPTE-RENDU DES
représente, à mes yeux, le sénaleur du chef-d'œuvre de
Joseph de Maistre.
« M. Georges-Marie Raymond, professeur, homme de
science, plein d’ardeur et de dévouement, représentait
dans ce petit cénacle, la bourgeoisie, le chevalier de Saint-
Pétersbourg. |
« Mais un élèment qui ne comptait pas dans la Société en
Russie, devait avoir une place d'honneur dans les confé-
rences scientifiques de Chambéry, en l'an 4819 ; cet
élément, c'était le clergé. 11 avait un excellent représen-
tant : le jeune chanoine Billiet, vicaire général, alors
. professeur au Grand-Séminaire.
« Nos quatre collaborateurs, dans leurs séances prépara-
toires, avaient posé les bases d'une Société académique, en
avaient rédigé le règlement, et avaient même dressé la
liste des personnes qui devaient en former le premier
noyau. On ne peut qu’admirer le tact parfait, la sagesse
dont ils font preuve dans le court préambule où ils rendent
compte de leurs premières réunions , ED tête du premier
volume des Mémoires de la Société naissante.
« Ils s’adjoignent, dès le premier jour, M. le chevalier de
Vignet cadet, le chanoine Rendu, professeur au collège
royal, les docteurs Guilland et Gouvert.
« La première séance eut lieu le 23 avril 14820. Dès ce
jour, la Société trouva dans Charles-Félix un protecteur
libéral, et elle reçut ladhésion de tous les Savoyards qui,
dans leur pays ou à l'étranger, se signalaient par leur
attachement aux lettres et aux sciences. Treize membres
effectifs non résidants vinrent grossir la phalange des
fondateurs. M. Pillet en donne la liste, que tous no$
compatriotes liront avec une légitime fierté.
« A côté de Joseph de Maistre et de son frère Xavier, on
TRAVAUX DE L’ACADÉNIE XIX
voit le chimiste Berthollet ; l’astronome Bouvard, directeur
de l'Observatoire de Paris ; l’historien Michaud, de l’Aca-
démie française, et d’autres dont le nom à moins de lustre,
mais qui jouissaient dans le monde lettré et savant d’un
renom étendu. |
« Charles-Félix aimait beaueoup la Savoie et avait pour
les travaux de l'esprit une vive sollicitude. La Compagnie
fondée à Chambéry avait un double droit à sa faveur. Cet
appui ne manqua pas. Le souverain autorisa et encourageæ
la Société naissante.
« Celle-ci ne cesse dès lors de se renforcer en appelant
dans son sein les hommes qui parlageaient avec elle le
goût de la haute culture intellectuelle et le souci des
nobles spéculations. Pour son recrutement, elle tient
compte de la valeur réelle des candidats, quelle que soit
leur condition sociale, si éloignés qu’ils puissent être des
Opinions professées par les fondateurs. Ainsi, l’on voit le
naturaliste Saint-Martin précéder Mer Bigex, évêque de
Pignerol, dans les scrutins de l’Académie.
« M. Pillet énumère, dans cette partie de son livre, tous
les membres admis jusqu’en 1860. IL consacre à chacun
d’eux une notice écrite d'un style sobre et rapide, la bio-
graphie est suivie du catalogue des ouvrages publiés. La
nomenclature seule suffirait à nous faire concevoir la va-
leur d’un corps qui réunissait des hommes éminents dont
s’honore notre pays. Ne pouvant tout citer, indiquons seu-
lement Mer Rey, évêque d'Annecy; Mer Charvaz, arche-
vêque de Pignerol; le général de Boïigne, le marquis Léon
Costa de Beauregard, Léon Ménabréa, le chanoine Cha-
moüsset, Claude-Melchior Raymond, Auguste de Juge, etc.
« En 1849, Charles-Albert donne à la Société royale
académique de Savoie le titre d’Académie royale de Savoie,
XX COMPTE-RENDU DES
qu'elle a gardé jusqu’à l'annexion. Elle compte alors dix-
neuf membres effectifs résidants. Les non résidants sont
au nombre de douze, parini lesquels on rencontre Mer Du-
panloup, évêque d'Orléans ; M. Avet, ministre de la justice ;
Mer Rendu, le comte Pillet-Will, etc.
« L'Académie avait déjà été gratifiée des libéralités de
Charles-Félix et du général de Boigne. De nouveaux bien-
faiteurs viennent la mettre en état d’aider par des secours
importants les travailleurs qui s'occupent d'art, de science
ou de littérature. L'avocat Guy fonde un prix de peinture
et de poésie. MM. Pillet-Will et Bonafous affectent des
sommes à l’encouragement de l’agriculture. M. le comte
Fortis attribue à l’Académie un legs important. Il faut lire
dans l'ouvrage de M. Pillet les pages consacrées à ce sujet
pour comprendre l'utilité de l'institution dont il écrit l'his-
toire et juger des heureux résultats de ces efforts de pa-
triotes animés d’un zèle vif, sincère et agissant.
« Après nous avoir fait connaître les hommes qui com-
posaient l’Académie, l’auteur a voulu nous présenter un
résumé de leurs travaux, ou plutôt nous permettre de pro-
fiter aisément de leurs patientes recherches et de leurs
importantes publications. Il a dressé deux tables des ma-
lières contenues dans les quarante-deux premiers volumes
des Mémoires édités par l’Académie. Grâce à la méthode
qu’il a adoptée, il a ramassé en un court espace un tableau
très clair et très complet des questions traitées dans cette
importante bibliothèque. Quel secours ces indications peu-
vent être pour nos compatriotes studieux, on le compren-
dra, en jetant un coup d’œil sur ces tables. Les matières
sont classées par ordre, réparties en plusieurs chapitres
bien divisés. On arrive sans peine et sans tâtonnement aux
matériaux dont on a besoin.
TRAVAUX DE L'ACADÉNIE XXI
« Honorer ses confrères et servir le public, c’est l’am-
bition d’un académicien ; on ne saurait mieux mêler l’utile
à l’agréable. M. Louis Pillet a eu le courage de l’entre-
prendre et le bonheur d’y réusssir. Omne tulit punctum. »
Il appartenait à M. le général BorsoN de parler de
Bayard. C’est ainsi que notre éminent collègue s'exprime à
propos des derniers travaux publiés à Grenoble relative-
ment au chevalier « sans peur et sans reproche * » :
« Bayard est resté l’une des gloires les plus pures et les
plus populaires de la chevalerie française. Il à allié la
bravoure la plus aventureuse à la plus noble simplicité, le
désintéressement et la loyauté à la générosité envers les
vaincus, à la pitié envers les humbles et les faibles. Il était
grandement charitable et soigneux des pauvres et même
des honteux, a dit l’un de ses biographes?. Sa devise de
chevalier sans peur et sans reproche a traversé quatre
siècles et entoure son nom d’une sorte d’auréole. 1] semble,
a dit un illustre historien étranger *, que la chevalerie,
avant d’expirer devant l'introduction des armes nouvelles
et devant un nouvel ordre de choses social et politique où
la générosité devait tenir peu de place, ait voulu laisser
dans Bayard sa personnification la plus brillante. Aussi sa
renommée est-elle devenue universelle.
« L'Amérique elle-même, nation toute moderne et sans
traditions séculaires, s’est éprise de cette noble figure d’un
autre âge ; elle lui à donné place dans sa littérature et lui
a érigé une statue dans l’une de ses capitales.
{ Séanco du 14 août 1892.
? Claude d’Expilly, président au Conseil de Chambéry et au
Parlement de Grenoble (1561-1636).
3 César Cantü.
XXII COMPTE-RENDU DES
« Comment s'étonner, dès lors, que tout ce qui se rap-
porte à la vie de Bayard inspire un vif intérêt. Le Dauphiné
étant sa terre natale, la province dont il a été le gouver-
neur, il est tout naturel que Grenoble se considère comme
la gardienne de sa mémoire. Elle lui a élevé un monument
sur la place de Saint-André, à côté de l’église, où ses
cendres reposent.
« La Savoie ne peut se désintéresser, à son tour, de
cette gloire historique. Le château où est né Bayard touche
à ses confins avec le Dauphiné. Elle se rappelle, en outre,
qu'il fnt reçu comme page à la Cour de ses princes. Dans
la salle dite de l’alcôve du château royal de Turin, on voit
un tableau représentant l’évêque de Grenoble qui présente
le jeune Bayard, son neveu, au duc Charles Ier.
« Un autre fait, rapporté par le président d’Expilly, rat-
tache le souvenir de Bayard aux princes de la Maison de
Savoie. Je l'emprunte à l’exemplaire de ses œuvres existant
à la Bibliothèque de Chambéry.
« Le duc Charles-Emmanuel de Savoie, dit-il, petit-fils
« du roi François Ier, qui, vaillant comme lui, aime les
« vaillants et honore leur mémoire, a désiré avoir l’épée
« de Bayard pour la mettre au nombre des choses rares
« qu'il conserve à sa galerie de Turin, mais n’ayant pu la
« recouvrer, quelque diligente recherche qu'il ait faite, il
« a mis à sa place la masse d’armes dont le chevalier se
« servait en guerre et qu'il a retiré avec instance de Charles
« du Motiet, sieur du Chichiliane, brave et sage gentil-
« homme du Dauphiné, qui la conservait soigneusement.
« Il Jui a écrit une fort honorable lettre, le priant de lui
« en faire présent et qu’il la chérirait comme chose très
« précieuse, ajoutant pour l'honneur du chevalier que
« parmi le contentement qu'il aurait de voir cette pièce
TRAVAUX DE L’ACADÉMIE XXII
« au lieu plus digne de sa galerie, il était déplaisant de
« quoi elle ne serait en si bonnes mains que celles de son
« premier maitre. » |
« Tout récemment, les archéologues de Grenoble se sont
attachés à éclaircir certaines questions relatives à Bayard
et à sa mort glorieuse. Nous allons les passer en revue
rapidement, espérant qu’elles offriront quelque intérêt pour
nos lecteurs.
« La statue de la place Saint-André a été érigée en
1823 ; elle est l’œuvre de Raggi, statuaire italien alors en
grand renom. Bayard est représenté au moment où, frappé
à mort et se sentant défaillir, il baise en guise de croix la
garde de son épée. Ce fait est conforme au récit du Loyal
serviteur, avec cette observation, toutefois, que Bayard
était encore à cheval au moment de cet acte de piété et
que, si l'artiste l’eût représenté ainsi, son œuvre aurait eu
un caractère de grandeur et de noblesse bien plus imposant.
Je viens de citer le biographe de Bayard qui est désigné
sous le nom de Loyal serviteur, sans faire connaître son
nom ; il lui tenait de près et le suivit dans ses expéditions.
« Il a raconté les faits et gestes du preux chevalier dans
le style imagé et naïf de l’époque, et son récit est d’une
lecture attrayante.
« Connu longtemps des seuls érudits, cet ouvrage a été
popularisé depuis quelques années par plusieurs éditions
plus ou moins rapprochées du français actuel*.
1 On peut citer parmi elles l'édition illustrée de la maison
Hachette, due à M. Lorédan Larchey, bibliothécaire de l’Arse-
nal, et celle de M. Camille Rousset, de l’Académie, faisant partie
de la Bibliothèque de l'Armée française, publiée sous la prési-
dence de M. Thiers et sous ses auspices. Quant à l'édition dans
son texte original, elle figure dans le Recueil des Mémoires de
l'Histoire de France.
XXIV COMPTE-RENDU DES
« La tête de Bayard, de la statue de Grenoble, est d’un
beau type, mais toute de fantaisie, si on la rapproche de
la description de ses traits faite par ses biographes, car il
n’existe de lui aucun portrait bien authentique.
« Son armure a été copiée de celle conservée au Musée
d'artillerie de Paris.
« On avait conçu le projet d’orner le piédestal de la
statue de bas-reliefs qui reproduiraient les sujets emprun-
tés à la vie du héros, et la scène où il arme François Ier
chevalier, après la bataille de Marignan, se présentait na-
turellement à l'esprit. Malheureusement, les souscriptions
n'ayant pas atteint le chiffre nécessaire pour couvrir les
frais, on dut se borner à de simples inscriptions, parmi
lesquelles figurent : Le lieu de naissance de Bayard, celui
de sa mort, les noms des principales affaires auxquelles il
a pris part ; enfin les paroles qui peuvent passer pour sa
profession de foi politique et religieuse : « Dieu et le Roi,
« voilà mes maîtres : oncques n’en aurai d’autres. » Ces
diverses inscriptions ont donné lieu à quelques contro-
verses.
_ « La première porte que Bayard est né au château de
Grignon. C’est le nom d'un hameau attenant à Pontcharra
et qui était jadis une des cinq paroisses composant le man-
dement d’Avallon.
« On fait remarquer qu’il eut été plus naturel de mettre
sur l'inscription : Château Bayard, puisque c'était la mai-
son forte de sa famille, construite en 1443, par Pierre du
Terrail, bisaïeul du chevalier, qui l’hommagea au dauphin
le 31 octobre de la même année.
« On sait avec précision que Bayard a été tué le 30 avril
1524. Frappé à mort vers les dix heures du matin, il expira
le soir vers les six heures. On ignore, par contre, la date
TRAVAUX DE L’ACADÉMIE XXV
exacte de sa naissance, dont l’année même est discutée.
D’après les uns, il était âgé de 48 ans, au moment de sa
mort ; d’après d’autres, de 51 ans. La pierre tombale sous
laquelle reposait le preux chevalier, dans l’église du mo-
nastère des Minimes, situé aux portes de Grenoble, ainsi
que le mausolée lui-même, ont été détruits sous la Révo-
lution, avec une partie des bâtiments du couvent. Un his-
torien dauphinois (Guy Allard, conseiller du roi et prési-
dent de l’Élection de Grenoble an x siècle), nous a
heureusement conservé le texte de cette inscription toin-
bale. Elle porte que Bayard est mort à 48 ans, ce qui fixe
à 1476 l’année de sa naissance. C’est bien celle qui figure
sur le piédestal de la statue. Néanmoins, M. Prudhomme,
architecte de l'Isère, l’a contestée dans une récente bro-
chure, mais sans donner, à mon avis, de preuves suffi-
santes à l'appui de son opinion. Ce même archéologue a
élevé des doutes sur l'authenticité des paroles prêtées à
Bayard et que nous avons rapportées plus haut. « Cette
« phrase pompeuse, dit-il, n’a jamais été prononcée par
« Bayard, » du moins d’après le Loyal serviteur.
« Si les hommes qui ont érigé le monument de 1823 à
Bayard, en témoignage public de l'admiration de ses con-
citoyens, avaient abusé de la bonne foi commune en lui
prétant un langage qu'il n’aurait pas tenu, ils mériteraient
un blâme sévère. Il n’en n’est rien. Les paroles inscrites
sur le piédestal sont bien de Bayard ; elles ont été quelque
peu condensées, il est vrai, mais sans avoir subi aucune
altération. Les circonstances où elles ont été prononcées
ajoutent même un lustre de plus à la gloire du héros.
« Le pape Jules II, contre lequel Bayard fit la guerre en
Italie et qu’il faillit faire prisonnier avec toute son escorte
dans une ambuscade près de la Mirandole (voir le Loyal
XXVI COMPTE-RENDU DES
serviteur, chapitre XLv), à peine élevé au Souverain Ponti-
ficat, offrit au preux chevalier de le faire capitaine général
de l'Église, c’est-à-dire chef des forces de terre du Saint-
Siège, charge éminente qu’a occupée de nos jours un autre
illustre homme de guerre, le général de Lamoricière.
« On trouve le récit de ce fait dans Symphorien Cham-
pier, autre biographe contemporain de Bayard, qui fait
également autorité. Il l'avait connu de près et s’est mis en
scène avec lui dans quelques endroits de son récit sous la
forme d'un dialogue familier, où l’on voit que le vaillant
chevalier mêlait à sa bonhomie naturelle un peu de malice
gauloise. Symphorien Champier n’ayant pas, comme le
Loyal serviteur, suivi son héros à la guerre, a rapporté ce
qu'il tenait de la bouche même des gentilhommes, ses
compagnons d'armes. Son histoire des gestes du preux et
vaillant chevalier, dédiée à Mer Laurent des Allamans,
évêque de Grenoble, oncle maternel de Bayard, parut en
1525, c’est-à-dire un an à peine après la mort de ce der-
nier. Voici le texte qui se rapporte au point qui est en
discussion :
« Au retour de Barillan (Garigliano), le Pape Jules II,
« qui nouvellement avait été élu, voulut faire capitaine de
« l’Église le noble Bayard, mais oncques ne voulut accep-
« ter. Si répondit : qu’il remerciait le Pape de son bon
« vouloir, mais qu’il avait un Seigneur au ciel et un autre
« en terre, c'était Dieu au ciel et le Très Chrétien Roi de
« France en terre ; qu'autre ne servirait en ce monde, dont
« fut desplaisant Pape Jules et dit que c'était la coutume
« des Français d’ainsi aimer leur naturel Prince. »
« On peut faire remarquer ici que tant Symphorien
Champier que le Loyal serviteur, ne donnent que des
renseignements très incomplets ou sans précision sur la
£à
TRAVAUX DE L'ACADÉMIE XX VII
plupart des faits historiques. Quant aux noms des localités
et des cours d'eau, ils sont le plus souvent altérés au point
d’être méconnaissables. C’est ainsi qu'on trouve Barillan
pour Garigliano, Bresse pour Brescia, Briagras pour
Abbiategrasso, Navarre pour Novare, etc. Ces altérations
ne doivent pas nous étonner. Ces auteurs, préoccupés avant
tout de mettre en relief les faits et gestes de leur héros,
ne virent dans les événements historiques que le cadre où
se meut leur personnage. La science critique portée si loin
de nos jours n'était pas née et les auteurs n'avaient pas à
leur disposition, comme aujourd’hui, les documents de
toute nature propres à contrôler les récits et à corriger
les erreurs. Ces lacunes sont bien rachetées par la grâce,
par l'accent sincère et naïf du narrateur. Si nos prédéces-
seurs étaient moins érudits, ils ne connaissaient pas, en
revanche, toutes ces considérations étrangères, ces ména-
gements tirés des opinions courantes, des convenances du
goût, des écoles politiques ou littéraires régnantes. Le
style de nos jours est plus châtié, plus correct, mais il a
perdu le plus souvent cette allure indépendante qui en
fait la saveur et ce qu'on pourrait appeler sa person-
nalité. » |
M. l'avocat CL. BLANCHARD ayant déposé sur le bureau
de l’Académie un manuscrit concernant le droit de litre,
la Compagnie, sur le rapport favorable de la commission
chargée de l’examiner, a décidé d'insérer ce travail dans
ses Mémoires !.
Le mot Ztre, dont il est ici question, appartient au genre
féminin et dérive du bas latin Ztra, listra, qui signifie
bordure, lisière ou bande. Cette dénomination était par-
1 Séance du 18 février 1892.
XX VIII COMPTE-RENDU DES
ticulièrement employée, dans les temps féodaux, pour
désigner la bande noire portant les armes des seigneurs
patrons-fondateurs et des seigneurs haut-justiciers, que
ceux-ci avaient le droit de faire peindre au dedans et au
dehors des églises ou des chapelles, à l’occasion de leur
décès.
Un contemporain grincheux de Henri IV (Loyseau,
Traité des seigneuries, 1613) disait, au sujet de cette
coutume, en France : « C'est un des malheurs de notre
siècle que le rang n’est en lieu quelconque si opiniastrement
recherché qu’en la maison de Dieu, où l'humilité nous est
le plus recommandée. » |
Nous lisons également dans le livre remarquable publié
en ces derniers temps par M. Albert Babeau, le Village
sous l'ancien régime : « Le seigneur ne se contentait pas
d'occuper dans l’église la première place, dans un banc
situé dans le chœur ; il y posait partout les marques de sa
suprématie, qui, dans le cas de fondation ou de don, étaient
aussi les témoignages de sa générosité. Non seulement ses
armes étaient représentées sur son banc ; il en ornait les
voûtes, les verrières, les autels et même les chasubles.
À sa mort, on l’enterrait dans le chœur ; un tombeau orné
de statues et garni d’épitaphes était destiné à rappeler sa
mémoire ; l'édifice religieux portait longtemps les indices
de son deuil. Une bande noire, décorée à certains intervalles
de ses armoiries, était peinte à l'entour de l'église, à
l'extérieur comme à l’intérieur. Ce droit, qui subsista
jusqu'en 1790, s'appelait le droit de tres. On pouvait
tendre aussi l’intérieur de l’église avec des bandes de
damas et de velours noir ; mais il fallait les enlever au bout
d’un an et un jour. »
En Savoie, ce même droit d'orner ainsi les églises de
TRAVAUX DE L’ACADÉMIE XXIX
bandes noires à la mort des seigneurs était pratiqué, et
dura jusqu’à l'invasion de la Révolution française en 1792.
Le mémoire de M. l'avocat Blanchard rapporte préci-
sément un procès qui eut lieu à ce sujet, par-devant le
Sénat de Chambéry, entre le marquis Jean-Honoré de
Piolens, seigneur du mandement de Montbel, et la paroisse
de Saint-Alban.
Le marquis, ayant perdu, au château de Lépine, sa
femme Marie-Josephte-Etienne de Cluny, décédée le 2
avril 1782, voulut faire peindre, en son honneur, des litres
sur l’église de Saint-Alban. Les habitants de cette paroisse
s’y opposèrent, alléguant qu’un tel droit, pour appartenir
au seigneur, ne pouvait s'étendre à sa femme, et eurent en
cela l'appui du substitut Salteur, qui, dans ses conclusions,
fit valoir longuement cette raison par des arguments
intrinsèques. Mais le Sénat, se basant sur la coutume
existante, rendit un jugement favorable au marquis de
Piolens et condamna les paroissiens de Saint-Alban.
Après l’exposé clair et précis de ces diverses circonstan-
ces, M. l’avocat Blanchard rapporte, ce qui n’est pas moins
digne d'intérêt, quelle était alors la composition de la
haute compagnie, et fournit des notes précieuses sur
quelques-uns de ses membres.
Nous devons à M. À PERRIN un Mémoire intéressant
sur l’ancienne papeterie de la Serraz et sur la famille
Caproni.
Malgré le rôle important que le papier joue dans l’indus-
trie du livre, très peu de personnes, jusqu'à ce jour, avaient
étudié l’histoire de sa fabrication à la main dans notre pays.
Comme le dit M. Perrin, les filigranes et les marques
employés par les fabricants peuvent fournir d’utiles indica-
XXX COMPTE-RENDU DES
tions et faire connaître la date d’un écrit quelconque, celle
d’un livre, ainsi que le lieu de l'impression.
La famille Caproni, établie à la Serraz, v a dirigé une
papeterie pendant plus d’un siècle et demi ; et l’une de ses
branches s’est fixée à Divonne, où elle a continué à exercer
ce genre d'industrie. M. Perrin a fait de longues et patientes
recherches, couronnées de succès, pour découvrir la marque
spéciale de cette famille, les marques particulières de
chacun des fabricants, celles des différentes sortes de leurs
papiers, et les filigranes qu’ils ont adoptés. Afin de distin-
guer les marques différentes employées par chacun des
Caproni, l’auteur a dû dresser une généalogie ou au moins
des fragments généalogiques qui permettent de suivre pas
à pas la série de ceux qui ont dirigé la fabrique depuis la
fin du xvr siècle. Il a ainsi trouvé les moyens de recon-
naître les produits de chacun d’eux jusqu’en 1742. Vers la
fin de cette période, l’on retrouve moins de papiers portant
la marque distinctive du fabricant, parce que l'emploi du
papier timbré était devenu obligatoire pour les actes publics.
L'auteur nous apprend aussi divers détails, intéressants
au point de vue des mœurs de l’époque, sur les rapports
de cette famille avec les habitants des environs, surtout du
Bourget, et avec les de Seyssel, barons de la Serraz, qui,
plusieurs fois, ont tenu des Caproni sur les fonts baptismaux,
ou ont assisté comme témoins à leurs mariages. Les allian-
ces de ces industriels indiquent aussi la considération dont
ils jouissaient dans le pays.
Cette étude est complétée par des notions peu connues
sur la fabrication du papier à la main et sur la législation
qui la régissait dans notre pays.
Vers la fin de la première de ces parties, l’auteur explique
que le filigrane indique le format, la qualité, le fabricant,
Ja papeterie et l’année de la fabrication.
TRAVAUX DE L'ACADÉMIE : XXXI
Les variantes, dit-il, en dehors des motifs et des lettres,
sont peu sensibles, mais pourront servir à classer les
filigranes douteux ou à comparer entre eux les produits
des différentes fabriques de la Savoie et des pays étrangers.
Dans les États Sardes, les papeteries étaient soumises
à des dispositions légales toutes spéciales, dont quelques-
unes ont attiré plus particuliérement notre attention.
« Des règles, dit M. Perrin, assuraient la bonne fabrication
du papier ; de là l'obligation d'employer des filigranes et
des marques garantissant la qualité par l’indication du
fabricant... Chaque papeterie devait recueillir les chiffons
dans un rayon déterminé, et les payer au prix fixé aussi
bien que les linges et les colles employés à la fabrication
du papier. » L'État, alors essentiellement protectionniste,
prohibait la sortie de ces matières premières.
L'auteur termine par un appendice sur les trois papete-
ries de Divonne, qui passèrent au xvine siècle entre les
mains de la famille Caproni.
Le mémoire que M. Perrin a présenté à l’Académie a le
mérite de traiter un sujet à peu près nouveau en Savoie et
de faire connaître une industrie locale. À ce double point
de vue, il était tout à fait digne de figurer dans les Mémoires
de l’Académie ‘.
Une autre fois, M. À. Perrin, ayant obtenu de son ami
M. Pigorini, directeur du musée d'archéologie préhistorique
de Rome, pour le -musée de Chambéry, l'échange de
plusieurs objets des palañittes du Bourget contre une série
d'objets des terramares de l'Émilie, a exposé ces derniers
et établi leurs relations avec leurs similaires de notre pays ?.
D'abord, nous devons dire qu'on donne, au-delà des
1 Séance du 21 janvier 1892.
? Séance du 4 février 1892.
XXXII COMPTE-RENDU DES
Monts, le nom de {erramare à des amas de terre, mêlés de
débris de toutes sortes, riches en phosphates ainsi qu’en
matières azotées, et depuis longtemps exploités comme
engrais par les agriculteurs. Très nombreux en divers
endroits de l’Émilie, ces terrains curieux sont établis sur
l'emplacement d’anciens lacs comblés par l’accumulation
de matériaux divers, ou dans des marécages obtenus arti-
ficiellement au moyen d’une digue environnante.
Depuis une vingtaine d'années, l'attention de nos voisins
d'Italie s’est portée vivement sur ces amas de débris, qui
représentent exactement nos stations lacustres du Bourget.
La plupart des objets qui ont été adressés au musée de
Chambéry se rapportent à l’âge de bronze et proviennent
des trois terramare del Colombaro di Basano, commune de
Besenzone, dans le Plaisantin, de Castione dei Marchesi,
commune de Borgo San Domnino, dans le Parmesan, et
de Casaroldo di Lamboseto, commune de Busseto, dans la
même province de Parme. Ils s'élèvent au total de près de
quatre-vingts, dont M. Perrin fait ressortir la ressemblance
ou la différence de quelques-uns avec ceux de même genre
trouvés dans les palafittes du Bourget.
De même, le travail de M. le comte CLÉMENT DE MARES-
CHAL DE LUCIANE, intitulé Vieux papiers des Pingon, a été
admis à l'impression dans les Mémoires de la Société *,
sur le rapport de M. le comte Eugène d'Oncieu de la Bâtie.
Ces « vieux papiers » nous font voir, non seulement ce
qu’étaient les membres de cette illustre famille de Savoie
dans leur vie privée et dans les charges publiques qu'ils
remplissaient, mais encore le soin qu’on apportait alors à
1 Séance du 17 novembre 1892.
TRAVAUX DE L’ACADÉMIE XXXIII
tait alors à l’éducation de la jeunesse. La plupart de ces
pièces sont surtout des lettres qu'Emmanuel-Philibert de
Pingon adressait à son fils Bérold, pendant que celui-ci était
« escholier. »
Nous connaissions d'Emmanuel-Philibert de Pingon, dit
le rapporteur, l’homme de lettres et l'homme d’État: nous
connaissions moins le père de famille. Mais, à vrai dire,
nous le devinions tel que ses lettres à son « escholier »
nous le montrent, tenant à la maison une chaire d’ensei-
gnement rivale de celle de l’Université, négligeant les dé-
monstrations affectueuses pour professer le dialogue, à ce
point dédaigneux de la chronique locale et des nouvelles
de famille, que des événements, telle que la mort d’un fils,
sont forcés de se réfugier dans le post-scriptum.
Peut-être bien n’était-il pas superflu de placer de cette
façon, en vedette, ce qu’un élève moins studieux que Bérold
de Pigon eut risqué de confondre, dans une égale indif-
férence, avec l’éloge des Lois ou celui de Salluste et de
César. |
Quoi qu’il en soit, cette position d’'arrière-garde semblait
spécialement affectée aux enfants morts avant l’âge où l’on
peut apprendre qu'il n’y a «aultre richesse que de sçavoir. »
Car, à la même époque, presqu'à la même date, et de Turin
également, Claude de Milliet, écrivant à son frère le
Président pour lui demander des traductions latines d’Ana-
créon et de Pindare, glissait à la même place l’oraison
funèbre de son filleul : « Claude Milliet m'était cher parce
que Milliet et parce que ton enfant ; il me l’était plus encore
en tant que mon filleul ; je supporte, avec égalité d’âme et
comme il convient à un chrétien, cette perte prématurée. »
S’il ne faut pas compter sur la correspondance des pères
de famille du seizième siècle avec leurs « escholiers, »
111
XXXIV _ COMPTE-RENDU DES
pour éclairer d’un jour nouveau les grands événements de
l’histoire, on peut trouver en revanche, dans celle
d'Emmanuel-Philibert de Pingon avec son fils, une très
exacte peinture des étudiants. Les commandements placés
comme des jalons pour guider dans la bonne voie la jeunesse
bouillante de Bérold, apprennent combien d’avenues de
vice il fallait fermer, et la main qui les planta avec tant de
discernement est de celles dont la sûreté trahit l'expérience
du métier.
L’interdiction de chercher « licence à porter arme » ne
serait-elle point dictée, en effet, par le souvenir toujours
cuisant, à un demi-siècle de distance, d’un coup d'épée
reçu par un tout jeune « escholier » de douze ans, à Lyon,
au collège de la Trinité ?
Faut-il voir également, dans l'obligation faite actuelle-
ment par ce dernier à son fils de demeurer trois où quatre
ans au même lieu, un enchaînement d'idées bien naturel
qui remet subitement devant ses yeux trois années de
perpétuelles migrations, où on le retrouve successivement
à Lyon, à Chambéry, à Annecy, à Chambéry encore, et
enfin à Paris ?
Lorsqu'il mesure si étroitement à son fils les cent pistoles
de sa pension, ne se voit-il pas, son bagage d’étudiant sur
le dos, revenant à pied de Paris à Pingon « eu égard aux
grandes charges de sa famille, » et se heurtant, dans son
désir de partir pour Padoue, aux objections de sa mère,
femme prudente et sage, qui allègue la dureté des temps,
la pénurie des revenus, et aussi l’usage ancien de la maison
qui obligeait à pratiquer l'hospitalité, à recevoir avec
honneur les « allant et venant. ? »
Ne savait-il pas enfin ce qu’étaient les joyeuses compa-
gnies, le rude convive que le poète de Buttet apostrophait
en ces termes :
TRAVAUX DE L’ACADÉMIE XXXV
Debout à cette fois,
Ne pardonne à la cave,
Sois d’un vin abreuvé
Jà de trois ans esclave,
Aux amis réservé.
Fais fumer ta cuisine
De mets non excessis,
Et au bal contremine
L’effort de tes soucis.
Or est, ou jamais, heure
Que gais nous nous tenions.
I1 n’est chère meilleure
Que de vrais compagnons.
Pingon, de cette place
Un seul ne bougera
Qui ne vuide la tace
Lorsqu'elle écumera.
Ne savait-il pas la vie celui qui, longtemps après son
séjour à Padoue, battait encore son med culpä en ces
termes : Interdum, neque est quod delictis meis ignoscam,
qui amore captus Luciæ Perinæ virginis, ab ed naturalem
filium Ludovicum nomine susceperim, filiamque Lucretiam ?
Vraiment, la partie n'était pas égale entre les deux
hautes parties contractantes. Car, il est probable que si
Bérold s’était avisé de répondre à son père : « Vous avez
pourtant été jeune, » il se serait attiré cette fière riposte :
« Sois jeune comme je l'ai été, à vingt-trois ans vice-
recteur de Padoue, à vingt-cinq ans avocat au Parlement
de Chambéry, à vingt-sept ans vice-official de Savoie et
premier syndic. Voilà la vraie manière d'être jeune. »
_ convient de dire toutefois que cette ceinture de com-
mandements n’avait point étouffé dans le cœur de Bérold
cet art d’être jeune ; bien au contraire, elle l'avait
soigneusement conservé et maintenu dans toute sa fraîcheur
—
XXXVI COMPTE-RENDU DES
naïve. On en a la preuve dans une des lettres de celui-ci,
adressée à Mademoiselle et belle maîtresse Mie de Charrin,
où il laisse couler une sève assez puissante.
Nous terminerons ces réflexions bien incomplètes sur la
communication de M. le comte de Mareschal de Luciane,
en ajoutant simplement avec le rapporteur de la commis-
sion ce regret bien légitime : Pourquoi faut-il que deux
générations seulement nous séparent des barons de Cusy et
de Saint-Ours, en qui se termine la descendance de ce
sage et digne père qui s’appelait Emmanuel-Philibert de
Pingon ?
M. MARIE GIROD, membre correspondant, à adressé à
l’Académie, sur les tombeaux de l’église de Saint-Jeoire,
la communication suivante, qui a été écoutée avec beau-
coup d'attention :
« Dans le courant de l’été dernier, j’eus l’occasion de
faire une agréable promenade dans les environs, avec
MM. J. Vernier, notre très sympathique archiviste dépar-
temental, et Albert Jarrin.
« Entre autres monuments anciens, nous avons visité
l’église de Saint-Jeoire, qui mérite, à tant de titres, l’at-
tention de l'archéologue, de lhistorien, de l'artiste et
même du simple curieux, amateur du pittoresque.
« Cette église, dont une partie paraît remonter au xue
siècle, dépendait, comme on le sait, du Chapitre des cha-
noines de Saint-Augustin, fondé en 1110 par saint Hugues,
évêque de Grenoble.
« Elle renferme un tombeau que Grillet dit, à tort, avoir
été construit pour un membre de cette famille.
« Ge tombeau est situé dans la chapelle latérale, à
gauche, à côté de la sacristie. La tombe est adossée au
TRAVAUX DE L'ACADÉMIE XXXVII
mur (côté est) de cette chapelle. Elle mesure 3» 07 de
longueur. Une première assise de pierres plates, taillées
à la fine pointe, forme le soubassement. Au-dessus est
une dalle épaisse, en pierre de Curienne, sans autre orne-
ment qu'une moulure formée d’un congé et d’un filet sur-
monté d’un large chanfrein, sur lequel court l'inscription.
« La statue du personnage, en marbre blanc, plus
grande que nature, est couchée sur une dalle, drapée
dans les plis raides de son costume monastique. Les pieds
reposent sur un lion accroupi. La tête s'appuie sur un
coussin qui émerge du chevet.
« Cette partie du monument — le chevet — est ornée
de sculptures peintes très délicates. La face de tête enca-
dre les armes du personnage : de..., au lion de..., à une
fasce d'azur, chargée de trois quintefeuilles d’or brochant
sur le tout ; supports : deux sauvages. Ce qui a dû induire
Grillet en erreur, c’est la ressemblance de ces armes avec
celle des Amblard de Chignin, qui sont : d’argent, au lion
de gueules, à une fasce d'azur, chargée de trois roses
d'argent brochant sur le tout. Le même écusson, attaché
à un clou par une courroie chargée de coquilles d’un dé-
licieux travail, est reproduit sur la face principale, mais
sans sans les supports. — Le chevet est posé sur quatre
lionceaux accroupis.
« Grâce à la science paléographique de M. Vernier, la
lecture de l'inscription nous a été facile. À peine avons-
nous eu besoin de prendre l’estampage de la première
partie gravée sur la face latérale du côté du chevet.
« Voici cette inscription en caractères gothiques, restée
inédite jusqu'à ce jour :
PA
XXX VIII COMPTE-RENDU DES
%. HIC. JACET.DNS.GVIGO.SVAGII.BACALL.I.
DECTIS . HVILIS.POR .H’.PORAT”. SCI. GEORGI.
Q.. HAC.HAC. CAPELLA . I. HONORE . BTE. M.
OTRVX . ET. DOTAVIT . ET. PRIORATV. SCI.
JVLIANI . HVIC . PRIORATVI. VIRI. FECIT . QVI.
OBIIT.ANO.D.MCCCC_.
« Elle se lit comme suit :
« Hic jacet dominus Guigo Servagüi, bacallaureus in
decretis humilis prior hujus prioratus sancti Georgü, qui
hanc capellam in honore Beate Marie construivit et dotavit,
et prioratum sancti Juliani huic prioratui uniri fecit, qui
obiit anno Domini MCCCC.
« Plusieurs personnages de la famille Sauvage ont joué
un rôle assez important au moyen âge. Leurs noms sont
souvent mentionnés dans les documents des xine, xive et
xve siècles. C’est dans la maison de Jean Sauvage que fut
passé le traité entre Louis, roi de Jérusalem et de Sicile,
et Amed, duc de Savoie, le 45 octobre 1418 (Guichenon,
Preuves).
« Dans la lecture du blason, je n’ai pu distinguer les
émaux d’une manière bien certaine, les couleurs ayant en
partie disparu ; mais cette lacune sera assurément remplie
par la suite du travail de M. de Foras.
« Le tombeau de Saint-Jeoire est un des rares monu-
ments de cette époque qui aient été respectés par la tour-
mente révolutionnaire. Il serait à souhaiter qu'il fût mis à
l'abri des dégradations au moyen d'un entourage ou grille
en fer, ce qui serait peu coûteux.
« Dans la même église, près du chœur, à gauche et
TRAVAUX DE L'ACADÉNIE XXXIX
dans l’épaisseur du mur, se trouve une pierre tommbale qui
porte gravées les armes des anciens seigneurs de Challes :
d'argent à la croix ancrée de sable, et la date 1537. On
lit au bas de cette tombe : SEPULTURA . DNOÉ . DE . CHALLES .
La partie supérieure de l'inscription est effacée.
« C’est sans doute le dernier descendant de cette famille,
l’évêque Jean-Philibert, mort en 1544, qui a fait graver
cette inscription. |
« Plusieurs autres inscriptions, en beaux caractères go-
thiques, existent sur les dépendances de l’ancien prieuré.
Le fac-simile de l’une d'elles a été publié par M. F. Rabut
dans les Mémoires de l’Académie. »
M. BOURGOIGNON, capitaine au 43e bataillon de Chasseurs
à pied, en garnison à Chambéry, a présenté à l’Académie
un premier mémoire sur un Capitaine de milices alpines au
xvie siècle, Daniel-André Bourcet, mémoire dont nous
prenons plaisir à donner ici l'analyse! :
Daniel-André Bourcet fut le premier capitaine de milices
français.
Avant d'entrer dans ce sujet spécial, dit l’auteur, il
semble utile de rappeler en peu de mots l’organisation de
celte arme.
Les milices, à la fin du règne de Louis XIV, et surtout
sous Louis XV, avaient une organisation analogue à celle
de notre armée territoriale.
_ Chaque localité fournissait un certain nombre d'hommes
tout équipés.
On les groupait par compagnies ou bataillons, et dans
chaque province on en formait des régiments.
1 Séance du 7 avril 1892.
[TN
XL COMPTE-RENDU DES
Les capitaines étaient, en général, du pays, et aussi
d'anciens officiers retraités ou retirés du service.
Les milices étaient convoquées chaque année, par voie
d'affiches, pour une période d'exercice de quelques jours,
de même que nos territoriaux d’aujourd hui.
Plusieurs de ces affiches existent dans les archives des
gouverneurs de province. En les voyant, on croirait lire
une affiche de convocation pour l’armée territoriale.
Pendant les grandes guerres, ces milices provinciales
renforçaient l’armée active. Elles pouvaient fournir à celle-
ci une réserve de 60,000 hommes, en 1791.
Pendant les périodes de longue paix, les milices étaient
délaissées. Souvent même, on ne les convoquait plus pour
des périodes d’exercice.
. Sous le règne de Louis XIV, dans le cadre restreint où
nous nous plaçons, nous voyons les miliciens du Pragelas
et du Briançonnais apparaître à la défense du pont de
Salbertrand contre les Vaudois.
À partir de ce moment, ils sont toujours adjoints aux
troupes actives. Ils s’aguerrissent, et comme ce sont des
montagnards, on leur confie toujours la garde des postes
les plus élevés, des cols de la frontière.
On voit des compagnies de Martinais (habitants de la
vallée de Saint-Martin), des bataillons du haut et du bas
Pragelas et des bataillons du Barbançonnais, chargés de
résister aux Barbets et au duc de Savoie.
On voit même un régiment tout entier de milices opérer
dans le Briançonnais.
En 1694, après la prise d’Exilles, un col du Briançon-
hais, le col d’Isoccard, fut occupé par soixante hommes,
sur l’ordre de Catinat.
Les régiments de la Chalandière, des milices du Dau-
TRAVAUX DE L’ACADÉNIE XLI
phiné, renforcés de cent paysans, qui se relevaient tous les
cinq jours, gardaient les approches de Briançon.
= Le capitaine Leclair, des milices de Grenoble, raconte
que le poste de soixante hommes fut attaqué par les Bar-
bets, qui en tuèrent treize et prirent le reste.
À la suite de cette surprise, les postes furent fortifiés
par des retranchements et des palissades ; un bûcher signal
fut préparé dans chaque poste pour avertir le gros de la
troupe d’une attaque des Barbets.
Un bûcher sur la montagne, en arrière, devait avertir
la garnison de Briançon.
« Il y eut souvent des alarmes, et la garnison de Brian-
con vient renforcer la réserve des postes, » disent les
mémoires du capitaine de milices Leclair.
Maintenant, pour en venir au capitaine de milices André
Bourcet, disons d’abord que sa famille était originaire du
Pragelas, qui appartint à la France jusqu'au traité d’'Utrecht,
en 1713. Cette famille habitait Usseaux, au commencement
du xvre siècle, et émigra en France après le traité d’'Utrecht.
Petit-fils d’un capitaine que distingua Louis XIII à la
prise du Pas de Suze en 1629, et fils d’un pasteur pro-
testant, Daniel-André naquit lui-même à Usseaux, en 1658.
Il se convertit depuis au catholicisme.
Entré au service du roi de France en 14677, Daniel-André
débuta en Sicile et en Catalogne, en 1678. Il assista au
bombardement de Tripoli, d'Alger et de Gènes dans les
années 1681, 1682, 1683 et 1684.
Nommé capitaine aux milices de Briançonnais en 1689,
il assista à toutes les campagnes de Louis XIV dans les
Alpes, de 14689 à 1713.
Le capitaine Daniel-André Bourcet prit part, avec sa
compagnie, à la défense du pont de Salbertrand contre les
XLII COMPTE-RENDU DES
Vaudois en 1689, puis à la garde des cols frontières contre
les Vaudois unis aux ducs de Savoie. :
Avec plusieurs compagnies ou bataillons, Daniel-André
fut chargé de fonctions analogues à celles du commandant
de ligne d'étape, avec mission de couvrir, dans le bas
Pragelas, les communications de l’armée du roi de France,
qui opérait en Piémont (1705-1706); il organisa partout
des postes, qu’il défendit avec ses milices et quelques
troupes réglées. Il fit un plan de défense pour la garde
de ces vallées par les milices.
L’année suivante (1707), avec un bataillon, Daniel-André
fut chargé de la garde des cols de Malanotte, Sablon,
d’Oursière, puis du col de Ruffère en 1708.
Le maréchal de Berwick lui confia la garde des positions
de Valloire en 1708 et 1709, du Chastel d’Aars en 1710,
des abords de Briançon en 1710 et 1713, où il opéra avec
“un bataillon et plusieurs autres compagnies.
Daniel-André se distingua dans la défense du col de la
Fenestre et d’une redoute de Fenestrelle, ainsi qu'à l’at-
taque du col d'Alberghian, en 1708.
Il dirigea avec succès plusieurs opérations de partisans,
telles que enlèvement de courriers, d’espions, etc.
Il fit des reconnaissances militaires qui servirent de base
aux plans du maréchal Berwick.
En même temps qu’il se distinguai tcomme capitaine
commandant à des troupes de montagne, Daniel-André
était guide de nos armées et conseiller des maréchaux de
Catinat, Villars et Berwick. La bravoure et les connais-
sances militaires dont il fit preuve lui valurent les éloges
de ces grands capitaines ; c’est ainsi que le maréchal de
Berwick apprécie la valeur d'André Bourcet, et le rôle
qu'il joua dans les guerres des Alpes, sous Louis XIV :
TRAVAUX DE L'ACADÉNIE XLIIT
« Le capitaine André Bourcet, écrit le maréchal au mi-
nistre de la guerre en 1716, est un homme d’une grande
distinction, dont tous les généraux ont été si contents qu’ils
ne faisaient quasi rien sans qu'il n’y eut une bonne part;
il a eu une infinité d'actions qu'il à toujours conduites avec
intelligence et prudence.
« Son désintéressement et son attachement au roi l’ont
déterminé à refuser les offres qui lui ont été souvent faites
par le roi de Sardaigne, et à abandonner son bien, qui est
au-delà des monts, plutôt que de rentrer sous une domi-
nation étrangère ; en un mot, c'est un des plus dignes
sujets, des plus vertueux, des meilleurs officiers qu'il y
ait eu en France. »
M. le capitaine BOURGOIGNON, comme complément de la
précédente, a donné lecture d’une autre communication sur
la campagne de Gênes, en 1684, et sur le bombardement
d'Alger, en 1682, par les flottes françaises !.
En 1680, le roi Louis XIV, ayant à se plaindre des
Génois, prit la résolution de les châtier.
Il donna des ordres pour faire armer, à Toulon, quinze
vaisseaux de guerre, onze galiotes à bombes, un vaisseau
chargé de bombes, de grenades et de toutes sortes
d'artifices.
Ce dernier vaisseau, qu'on appelait la grosse bombe,
transportait une nouvelle machine de fonte, si grande que
dix-sept personnes pouvaient y entrer. On espérait le
conduire assez près du môle de Gênes, pour détruire les
fortifications, au moyen du feu qu'on mettrait au bâtiment
lui-même.
Le commandant officiel de cette expédition fut le célèbre
1 Séance du 183 mai 1892.
XLIV COMPTE-RENDU DES
marin Abraham Duquesne ; mais le véritable chef fut
M. de Segnelay qui, investi de toute la confiance du roi,
donnait des ordres de la part de celui-ci, les signait Louis
et les datait, comme si le roi lui-même était présent.
Le bombardement commença à la fin de mai, le len-
demain de l’arrivée de la flotte, vers les trois heures de
l'après-midi, avec une telle vivacité, que l’on voyait
toujours en l’air dix à douze bombes de 360 livres.
Entre trois et quatre heures, le feu prit à la ville avec
tant de violence que, dans la nuit qui suivit, on pouvait, à
la distance d’une demi-portée de canon, lire des lettres à
la lueur de l'incendie.
Les Génois, qui avaient leurs remparts bien munis de
canons, faisaient aussi, de leur côté, un feu continuel sur
leurs ennemis.
Néanmoins, après un bombardement de onze jours et de
onze nuits consécutifs, leur ville fut prise d’assaut, et la
paix qui s’ensuivit, signée dans le mois de décembre
suivant. :
Le bombardement d'Alger, en 1682, avait été décidé par
le même roi Louis XIV, pour punir les corsaires de cette
ville, ainsi que ceux de Tripoli, de détourner le commerce
d'Orient. |
Le même marin Dusquesne avait été aussi le comman-
dant en chef de cette expédition.
L'escadre comprenait huit vaisseaux de guerre, cinq
_galiotes à bombes, trois galiotes à rames et plusieurs
vaisseaux de charge.
La ville fut, à la vérité, à moitié détruite par le feu des
assaillants. Néanmoins, les habitants firent une telle résis-
tance que l'ennemi n'osa tenter une descente et qu’on ne
put les contraindre à faire la paix,
e
TRAVAUX DE L’ACADÉMIE XLV
Plusieurs épisodes curieux et intéressants marquèrent
cette campagne de la flotte française dans la Méditerranée.
Tel est, entre autres, celui du turc Hirsouf et de M. de
Choiseul.
Ce dernier, lieutenant de vaisseau, avait été investi
pendant qu’il était de garde dans une shlonpe durant le
bombardement.
Les Algériens, fort irrités de la ruine de leurs maisons,
obtinrent de faire passer le lieutenant français et les hommes
de son équipage par la bouche du canon.
Après les avoir amenés les uns et les autres au lieu du
supplice, on leur demanda de renier leur foi, pour avoir la
vie sauve.
Le comte de Choiseul prit alors la parole avec tant
d’éloquence et tant d’élévation de sentiments, que, de tous
ses compagnons, il ne s’en trouva qu'un ou deux qui ne
reculèrent pas devant la honte de devenir apostats.
La plus grande partie des autres prisonniers fut aussitôt
mise à mort sous les yeux mêmes de leur noble chef qui ne
cessa de les exhorter à subir vaillamment leur supplice.
Comme M. de Choiseul allait lui-même être exécuté, une
troupe de Turcs, le sabre à la main, à la tête de laquelle
se trouvait un capitaine de vaisseau, nommé Hirsouf,
apparut soudain.
Ayant été pris lui-même autrefois avec son vaisseau et
traité avec égard par un cousin du captif, l’officier ture,
dans sa reconnaissance, réclama d’abord avec instance la
grâce de ce dernier, et à la fin, le prenant sous le bras, lui
ouvrit, à coups de sabre, un passage à travers la foule,
ivre de haine et de fureur contre l’étranger.
Le domestique du comte de Choiseul fut aussi arraché
de la bouche du canon par un acte de dévouement
semblable.
XLVI COMPTE-RENDU DES
Leur généreux libérateur les conduisit ensuite l’un et
l’autre dans sa maison, où il les garda, tant que la guerre
dura, les iraita fort bien, et les protégea encore contre
plusieurs autres tentatives de la populace.
Nous devons à M. JULES VERNIER, archiviste du dépar-
tement de la Savoie, le texte de deux traités d'alliance
passés en 1369 et 1379 : le premier entre Marguerite de
France, comtesse de Flandre, d’Artois et de Bourgogne,
Philippe-le-Hardi, duc de Bourgogne, Amédée VI, comte
de Savoie, et Hugues de Chalon, sire d’Arlay ; le second
entre le même Philippe-le-Hardi, duc de Bourgogne, et le
même Amédée VI, comte de Savoie ‘.
On connaissait déjà les rapports d'amitié qui existaient
entre les augustes contractants et les secours qu'ils se
prêtèrent parfois en certaines conjonctures difficiles. Le
comte Amédée notamment, en 1364, s'était rendu en
Bresse avec une armée pour donner main forte au duc
Philippe contre les compagnies d’aventuriers qui désolaient
alors les terres de ce dernier. Mais ce qu'on ignorait,
c'était la teneur même des traités en vertu desquels ces
princes s'étaient liés.
M. Vernier a eu le bonheur de découvrir ces actes dans
les archives du département du Nord, où il remplissait les
fonctions de stagiaire avant d'être appelé à la tête des
archives de notre département. Grâce à lui, le point
d'histoire qu’on soupçonnait, mais dont on ne pouvait
faire la preuve, est indéniablement établi et nettement
déterminé.
Le premier de ces traités est fait pour dix ans. Ses
différentes clauses sont :
4 Séance du 1° décembre 1892.
TRAVAUX DE L'ACADÉMIE XLVIL
4° Que chacun des contractants se prêtera mutuellement
secours pour tous les méfaits passés et à venir, de quelque
nature qu’ils soient, qui auront été ou seront commis sur
leurs terres respectives, soit par des étrangers, soit par
leurs propres sujets.
25 Que, dans le cas où quelque sujet de l’un des con-
tractants se serait rendu ou se rendrait coupable d’actes
répressibles sur les terres des autres, celui d’entre eux où
le délinquant se trouve établi ou se sera retiré devra cher-
cher d’abord lui-même à lui faire réparer ses torts, et, s’il
ne le peut par ses propres Îorces, appeler à son aide ses
confédérés. Dans cette occurence, le contingent de troupes
que chacun des alliés aura à fournir sera dans les propor-
tions suivantes : la comtesse de Flandre et d’Artois cent
lances, le duc de Bourgogne cent vingt lances, le comte de
Savoie cent lances, Hugues de Chalon trente lances. La
lance, en Savoie, se composait ordinairement de trois
hommes. En outre, l'appelant devra faire une levée de cent
autres lances dans les communes de ses domaines et
pourvoir à tous les engins nécessaires pour le siège des
forteresses.
3° Que le sujet de l’un des to qui aura acquis
quelques droits de créance dans les terres de l’autre devra
présenter ses titres à celui-ci afin d'en obtenir prompte
satisfaction.
Cet acte fut signé : J. ions pour la comtesse
Marguerite, J. Blanchex pour le comte de Bourgogne,
Ravais pour le comte de Savoie, et R. de Castegnolet pour
le sire de Chalon.
Le second traité de 1379 ne fut guère quela reproduction
et la confirmation du précédent, avec plus de phraséologie
et de détail. Il est passé seulement par le duc de Bourgogne
XLVIII COMPTE-RENDU DES
Philippe et par le comte de Savoie Amédée VI en leur nom
et au nom de leurs enfants nés et à naître, soit de leurs
successeurs.
Nous ne nous attarderons pas, pour ce motif, à faire ici
l'analyse de ce nouveau document. On le lira, avec son
prédécesseur, dans les Mémoires de l’Académie, où la
Société a décidé de le faire imprimer. Nous ferons seule-
ment remarquer que ce qui porta principalement les parties
contractantes à s’allier fut la présence des aventuriers,
Tard-Venus, Écorcheurs et autres pillards de ce genre,
qui ravagaient alors la France et la haute Italie. M. Vernier
a ajouté à sa communication un sombre tableau des
malheurs qui éprouvaient le premier de ces pays. Mais,
voici ce que nous lisons d’un autre côlé, en ce qui regarde
la Savoie, dans l'Histoire municipale et politique de Cham-
béry, par M. Léon Ménabréa :
« Dans la longue liste des fléaux qui travaillèrent l’Europe
au moyen-âge, il faut placer en première ligne, et au même
rang que la famine et la peste, ces nombreuses hordes de
gens de guerre, qui, sous le nom de compagnies d'aventure,
erraient de pays en pays, pour vendre leurs services au
plus offrant et portaient partout la désolation et la mort.
« En 1363, une de ces compagnies, après avoir dévasté
la Provence, s'était rendue en Piémont par les Alpes
maritimes, et y avait détruit le bourg de Lanzo. Au prin-
temps de l’année suivante, une autre société non moins
redoutable, composée comme la précédente, de mercenai-
res anglais, se présente aux frontières de la Bresse avec
l'intention de pénétrer en Savoie. A la nouvelle de cette
prochaine invasion, l’alarme fut générale. Le Comte-Vert
(Amédée VI) convoqua le ban afin de repousser les agres-
seurs. Chambéry envoya alors à ce prince vingt-cinq
TRAVAUX DE L'ACADÉMIE XLIX
arbalétriers à pied et vingt-cinq clients bien armés, sous
la conduite d’un capitaine appelé Pierre Dorche, qui était à
cheval, lui et ses deux valets. »
En 1374, Chambéry lui-même, sous les appréhensions
d’être pris et pillé par ces sortes de bêtes fauves altérées
de sang, résolut d'augmenter ses fortifications jugées insuf-
fisantes. Outre des ouvriers et des maçons qu’on fit venir
du Graisivaudan et de la Bresse, « les paysans de Montgex,
de Saint-Saturnin, du Bourget, des Bauges, dit encore
M. Ménabréa, furent requis pour ce travail ; on leur fournit
quantité de pelles, de pioches, de fossoirs, d’oysels à traire
la terre, etc., qui furent bientôt mis hors d'usage, à cause
de l'immense concours de gens que ces circonstances
amenèrentsur les lieux. Les ouvriers, divisés par bannières,
recevaient le pain, le vin, le fromage et une petite rétri-
bution en argent. On ne se borna pas à entourer la ville de
bons fossés ayant quarante pieds de largeur et cinq de
profondeur, on établit des ravelins et des tornafols (sortes
de tours mobiles tournant sur un pivot) devant les portes
du Reclus et de Fors-Porte (rue Croix-d'Or), et l’on
couronna de bretêches les murailles et les tours. Plusieurs
de ces bretêches (espèces de châteaux en bois d’où les
assiégés faisaient tomber des nuées de pierres et de traits
sur les assiégants) se composaient de deux ou de trois
étages ; d’autres se dressaient cà et là en forme de chafals
(châteaux en bois du même genre, mais plus grands que
les bretêches). On prit partout où l’on put les bois néces-
saires à ces constructions. ®»
Cette crainte des aventuriers et cette activité pour se
mettre à couvert durèrent près de vingt ans, avec des accès
plus ou moins violents, suivant les menaces plus ou moins
IV
L COMPTE-RENDU DES
proches. Cependant Chambéry n'eut pas le DRUICRE de voir
apparaître l’ennemi.
M. l'abbé Joseph BURLET, professeur au grand Séminaire
de Chambéry, a adressé à l’Académie un document précieux
sur la célébration du mariage de l’un de nos anciens prin-
ces de Savoie‘.
On sait que Louis XIV, dans le but de ménager son
influence à la Cour de Turin, profita de la rupture des
fiançailles du jeune duc Victor-Amédée II avec l’infante
Isabelle de Portugal, fille de la sœur de sa mère, Madame
Royale Jeanne-Baptiste de Savoie-Nemours, pour substituer
à la princesse délaissée Anne-Marie d'Orléans, fille du duc
Philippe d'Orléans et de Henriette d'Angleterre, sa nièce.
Le mariage, convenu à Versailles, le 10 avril 1684, fut
béni dans la chapelle du château de Chambéry, le mois
suivant, par l’évêque de Grenoble, Mer Étienne Le Camus.
Les pièces fournies par M. l'abbé Burlet relatent en ces
termes, avec le transport du prélat de Grenoble à Cham-
béry, les détails de la cérémonie :
« Le 16e du mois d'avril 1684, nous sommes parti de
Grenoble pour nous transporter à Chambéry, afin d’y
donner la bénédiction nuptiale à leurs Altesses, ensuite des
lettres que nous avons reçu de son Altesse Royale de Savoye
et de Madame Royale sa mère. »
Procès-verbal du mariage du duc Vicior-Amédée II
de Savoie avec Anne-Marie d'Orléans.
« Le septième de may 1684, S. A. R. Monseigneur
« Victor Amé second estant arrivé à Chambéry, vers sept
! Séance du ?2 juillet 1892.
«
«
«
«
FRA RARRAAR AA A
AA RAA RARARARAR A À
«
«
«
TRAVAUX DE L'ACADÉMIE LI
heures du soir, avec S. À. R. Madame Anne de France,
fille de S. À. R. Monseigneur le Duc d'Orléans, frère
unique du Roy Louis xiïij du nom, ils sont entrés dans
la Sainte Chapelle du Chasteau de Chambéry, descendant
du carosse ; et, s’estant mis à genoux devant le maistre
autel, Nous Estienne, Évesque et Prince de Grenoble,
estant revestu du rochet, de l’amict, de la croix pecto-
rale et de la chappe blanche, ayant la mittre sur la teste
et la crosse à la main, estant au milieu de l'autel, avons
esté présent à la ratiffication du mariage de leurs Altes-
ses royalles par paroles de présent, et, en conséquence,
nous leur avons donné la bénédiction nuptialle, sellon
les formes prescrites dans le rituel Romain. Nous aurions
souhaité que, conformément à l'esprit de l’Église et aux
ordonnances du diocèse. cette cérémonie se fut faicte le
mastin, pendant la messe ; mais, pour ne pas contrevenir
à la deffence générale de l'Église, qui ne veut pas que les
fiancés logent soubs un mesme toict, Nous avons faict la
cérémonie à l'heure susdite, y ayant adjouté les prières
marquées dans la messe des nopces. La cérémonie finie,
Nous avons repris la crosse et la mittre que nous avions
quittées aux prières de la bénédiction de la bague, et
Nous avons donné la bénédiction solennelle chantant :
Sit nomen Domini benedictum. Après quoy, leurs Altes-
ses se sont retirées dans leur chasteau, et nous avons
quitté les ornements dans la sacristie, où nous nous
estions revestus.
« Monseigneur l’Archevêque de Tarentaise et l’Évesque
de Genève nous ont assisté de leur présence à cette
cérémonie, estant du costé de l’espitre en rochet et
camail, ayant chacun deux aumosniers derrière eux. Et
& Nous avons eu, pour officier, le sr de Chalot, archidiacre
Lil COMPTE-RENDU DES
«
de la Sainte Chapelle, pour prestre assistant, revestu de
la chappe sur son surplict, et les sieurs Du Four et
la Breüille, tous deux chanoines de la dicte Ste Chapelle,
pour diacres d'honneur, revestus de la tunique sur l'aube,
et de cinq aumosniers en surplicts, savoir : les srs de
« Gaupinel pour le bénitier, Isoard pour la crosse, Martini
pour la mittre, Magnon pour le bougeoir, et Lione pour
le livre. Ont esté présents le sr abbé de la Perouse, doyen
de la Ste Chapelle, qui avait présenté l’eau benicte à
Leurs Altesses en entrant dans la Saincte Chapelle, et
tous les chanoines de la Saincte Chapelle, dont deux
étaient en chappes, avec les masses, au coin du marche-
pied de l'autel. Pendant la cérémonie, son excellence
dom Antoine de Savoye et le seigneur marquis d’Est,
comme les deux personnes les plus qualifiées de la Cour,
comme estant du sang de la maison de Savoie, ont tenu
le poële sur Leurs Altesses Royales. Les aumosniers de
Leurs Altesses étaient en rochet soubs le manteau, au
bas des degrés de l’autel, avec les seigneurs de la Cour
en grand nombre. |
« Une heure après la cérémonie, M. le président de la
« Tour, intendant de la maison de son Altesse Royalle,
« nous est venu prendre dans la chambre du sacristain, où
«
mn
nous nous estions reposé, et nous a conduit dans la
chambre nuptiale, où leurs Altesses Royales s’estant
mises à genoux au pied du lit, nous avons faict la bénédic-
tion du lit, après quoy Leurs Altesses ont signé, dans
« notre registre, l'acte du mariage que nous avons faict
ES
«
dresser ; ayant ensuite complimenté Leurs Altesses, qui
Nous ont remercié d'une manière fort honneste, Nous
Nous sommes retiré. Nous avons faict cette cérémonie de
la bénédiction du lit avec le rochet, le camail et l'estolle,
TRAVAUX DE L'ACADÉMIE LIII
« n'estant accompagné que de nos deux aumosniers ordi-
« naires, tous les autres qui estaient dans la chambre,
« ayant eu ordre de se retirer, excepté quelques dames de
« celles qui avaient accompagné Madame la Duchesse. »
« 4 Est. Ev. de Grenoble. »
Chambéry avait souvent autrefois ses princes pour hôtes,
et ne manquait jamais d’en témoigner sa joie par des ma-
nifestations aussi enthousiastes qu’affectueuses. Une des
circonstances les plus marquantes de ce genre, au dernier
siècle, fut celle qui se passa, sous le roi Charles-Emma-
nuel III, à l’occasion de son mariage avec Élisabeth-Thérèse
de Lorraine. M. MoRAND rapporte, au sujet de ce prince et
des fêtes qui lui furent données, les détails suivants :
« Charles-Emmanuel III n’eut pas, dans son enfance,
tontes les tendresses qu’il était en droit d'attendre de sa
famille et de son rang. Petit de taille, chétif de complexion,
goitreux et légèrement bossu, son père Victor-Amédée IT,
qui avait placé toutes ses espérances et ses affections dans
son fils ainé Victor-Amédée, le tenait lui-même à l'écart
et ne lui montrait qu’une froide indifférence, quand il ne
lui infligeait pas quelques pénibles humiliations.
« Aussi, le jeune prince, déjà timide de sa nature, avait-il
retiré de cette sorte d’ostracisme parmi les siens un carac-
tère sombre et taciturne, une défiance de lui-même qui lui
enlevait toute décision prompte, en même temps qu’elle le
rendait lent à concevoir, inhabile à relier les idées ou les
faits entre eux et hésitant dans ses réponses à ses interlo-
cuteurs.
« Seul, en ces temps qu’on pourrait appeler glacials,
l'esprit d'attention et de ponctualité, résultant de sa préoc-
{ Séance du 17 mars 1892.
LIV COMPTE-RENDU DES
cupation constante à s’éviter des reproches, se développa
à un haut degré dans cette nature ainsi étouffée ou, pour
mieux dire, refoulée en elle-même.
« Néanmoins, personne ne l’ignore, Charles-Emmanuel
devint, plus tard. un de ces pasteurs des peuples dont les
nations sont fières. L'histoire le place parmi les plus grands
souverains de notre pays. S'il n’eut pas tout le génie et
toute l'extraordinaire activité d'esprit de son père Victor-
Amédée If, il ne sut pas moins se montrer intrépide et
vaillant sur les champs de bataille, se faire respecter et
apprécier des autres puissances, en même lemps que gou-
verner ses sujets avec une sollicitude et une sagesse admi-
rables.
« On sait les guerres que ce prince eut aussi à soutenir,
à l'exemple de son prédécesseur, par le même effet de la
situation de ses États entre des adversaires puissants, tantôt
avec la France contre l’Antriche, tantôt avec l’Autriche
contre la France et l'Espagne. De même, chacun connait
comment, dans. ces difficiles et souvent douloureuses con-
jonctures, il sut manœuvrer en diplomate habile et jusqu’à
tourner ses échecs au profit de sa gloire et à l’agrandisse-
ment ou l’affermissement de sa puissance.
« Le marquis Costa de Beauregard, dans ses Mémoires
historiques, parle ainsi de ce souverain : «Il n'avait pas
« la facilité de son père, mais il y suppléait par l’applica-
« tion, qui ne le fatiguait jamais... Le plus souvent, le
« roi écrivait de sa main aux princes étrangers, et il dres-
« sait lui-même les instructions de ses ambassadeurs dans
« les affaires délicates. Ces instructions étaient des chefs-
« d'œuvre de prévoyance, de sagacité et de clarté... Une
« de ses principales maximes était qu'il faut envisager les
€ affaires importantes sous toutes les faces possibles, ré-
mm ES = es
TRAVAUX DE D ACADÉMIE LV
« fléchir mürement et longtemps sur les partis à prendre,
« mais ne jamais revenir de ceux une fois adoptés. »
« Nous pouvons ajouter, avec un écrivain de son temps,
qu'en ce qui concerne la justesse de ses combinaisons dans
les choses de la guerre, la sûreté de son coup d’œil, son
habileté à tenir en toute occasion une armée pourvue des .
choses nécessaires, et aussi sa bravoure et son sang-froid
sur les champs de bataille, ce prince fut le premier de son
temps.
« Pourtant, les épreuves douloureuses, faisant en quel-
que sorte suite à celles qu'il avait endurées dans son en-
fance, ne l’épargnèrent point dans sa vie de famille lors-
qu'il fut héritier présomptif du trône et lorsqu'il y fut
monté. La mort, étendant cruellement et impitoyablement
sa faux, à côté de lui, dans son propre palais, l’obligea à
convoler successivement, en moins de treize ans, à trois
mariages. |
« Les trois femmes qu’il épousa ainsi furent : Anne-
Christine de Stultsbach, fille de Théodore, comte palatin
du Rhin et seigneur de Stultsbach, le 16 février 1722 ;
Polixène-Christine d’Assia-Rhinfels, fille d’Ernest-Léopold,
Jandgrave d’Assia-Rhinfels, le 2 juillet 1724 ; Élisabeth-
Thérèse de Lorraine, fille de Léopold-Joseph, duc de Lor-
raine, et sœur de l’empereur d'Autriche François Ier, le
11 octobre 1747.
« De la première de ces princesses, morte en couches
le 12 mars 1723, il eut un fils Victor-Amédée qui décéda
lui-même le 44 août 1725.
« La seconde lui donna Victor-Amédée IIL, qui lui suc-
céda sur le trône. — Emmanuel-Philibert, qui mourut à
l’âge de quatre ans. — Charles-Romuald, décédé quelques
mois seulement après sa naissance. — Marie-Louise-Ga-
LVI COMPTE-RENDU DES
brielle, morte le 22 juin 1767 dans le monastère des Béné-
dictines de Saint-André de Chieri, où elle s'était retirée.
— Marie-Félicité, décédée le 143 mai 4801 à Rome, où elle
avait suivi la famille royale en exil. — Éléonore-Thérèse,
morte à Moncalier le 45 août 1781.
« Élisabeth-Thérèse de Lorraine, à son tour, le fit père
de Charles-François, mort l’année même de sa naissance,
en 1739. — Victoire-Marguerite, morte en 1742, à l’âge de
deux ans. — Benoiît-Maurice, filleul du pape Benoit XIV,
décédé à Rome en 1844.
« Le mariage de Charles-Emmanuel III avec cette troi-
sième princesse a cela de particulier, pour la Savoie,
qu’elle fut le premier et principal théâtre des cérémonies
et des fêtes auxquelles il donna lieu. Le roi, après avoir
fait part à ses sujets de sa nouvelle union, passa les Monts
pour venir au-devant de la future reine. Le 26 mars 1737,
il arriva en chaise-poste à Chambéry. La ville lui fit une
réception digne de sa haute dignité et de la circonstance.
Les corps constitués et une grande partie des habitants se
porièrent à sa rencontre jusqu’à une grande distance de
l'enceinte. Charles-Emmanuel passa d’abord cinq jours au
milieu des ovations et de la joie de ses fidèles sujets.
« Le 31 mars, comme la princesse s’approchait de la
frontière de ses États, il alla coucher aux Échelles, et le
lendemain matin, 4er avril, il se rendit au Pont-de-Beau-
voisin, d'où il revint avec elle à Chambéry, à 6 heures du
soir. |
« Celle-ci avait été accompagnée jusque-là par le prince
Amédée de Carignan, qui avait été député à Nancy pour
célébrer les fiançailles.
« Pendant les jours suivants, les fêtes continuèrent encore
avec plus d'enthousiasme et de splendeur. La ville et les
TRAVAUX DE L'ACADËMIE | LVII
faubourgs déployèrent le jour et la nuit tout ce qui pou-
vait le plus charmer les yeux et honorer ses hôtes royaux.
« La relation de toutes ces diverses circonstances se
trouve exprimée en ces termes, dans un vieux sommaire
des archives de la ville de Chambéry :
BR RAR A SLR OR A
Re & AR
RAR FR 8
« Charles-Emmanuel 3°, roy de Sardaigne, etc., après
une paix glorieuse, s’est remarié, pour la 3e fois, avec la
princesse de Lorraine ; le mariage s’est fait dans sa
capitale deçà les monts. Il fit part de son mariage à
toutes les villes, est arrivé à Chambéry, le 26 mars
4737, dans une chaise de poste. La bourgeoisie sous les
armes, la compagnie des Enfants de ville est allée à sa
rencontre à la Croix des Ambassadeurs. Lesdits Enfants
de ville étaient au nombre de quarante, habillés d’écar-
late, un collet de velours vert, aïant à leur tête Mrs De-
vieux et de Ville. Ils avoient une housse verte et cape
de pistolet de même, avec un galon d'argent que la ville
leur avoit donné. Ils avoient deux trompettes et une
paire de timballes qu’ils avaient fait venir de Lyon, et
qu'ils ont païées à leurs frais.
« Le 31 mars, le roy est allé coucher aux Echelles, chez
le Sr Dhuet, et la Compagnie des bourgeois au Pont, où
ils ont eu l’avoine et le fourrage. Le premier d'avril, le
roy est allé au Pont recevoir la princesse, l’a amenée
« diner aux Échelles, et sont arrivés à Chambéry à six
LS
heures du soir.
« La ville avait fait dépens de 200 grosses lanternes,
appelées globes, posées depuis le dessus de Maché jus-
ques au-delà du moulin de M. de Ville, éloignées, en
échiquier, de dix en dix toises, y aïant trois chandelles
dedans, qui n’ont servi à rien. Le poste avancé de Maché
était orné d’une forte porte en architecture fort jolie,
Lo
LVIII | COMPTE-RENDU DES
« relevée par des lampions. Tout le faubourg de Maché
« était illuminé par une égalité, jusques au bas, par des
« chandelles mises dans des lanternes. La porte d’entrée
« étoit embellie par une autre architecture. Ce fut M. le
« comte Picon, gouverneur de la Savoie, qui présenta les
« clefs. La ville a été illuminée quatre jours, et le roy est
« parti pour Turin le sept, et est allé à la Vénérie, et fait
« Son entrée dans la ville le 24, jour de Pâques. »
« Parmi les détails des fêtes que Turin fit alors en l’hon-
neur du mariage du roi, nous citerons ce fait curieux du
Père Olivétain Zucchi qui, après avoir improvisé à la Cour,
à la plus ou moins grande joie de Charles-Emmanuel, qui
n'aimait pas la poésie, des pièces de vers sur des sujets
proposés par le jeune duc de Savoie, les chanta ensuite en
s’accompagnant d’un violon, au milieu d’un concours in-
croyable de peuple, dans l’église del Carmine.
« Cette union de Charles-Emmanuel avec Élisabeth-
Thérèse de Lorraine n’eut pas plus de durée que les deux
précédentes. La nouvelle reine mourut à la Vénérie, le
3 juillet 1741, à l’âge de vingt-neuf ans. Lui-même décéda
à minuit, du 19 au 20 février 14773. »
Dans la séance du 15 décembre, le même membre de
l’Académie, M. Morand, a donné lecture de son rapport
sur le journal d’une famille de Bessans, en ces termes :
Journal d'une famille de Bessans.
« Notre siècle est, comme on l’a dit, le siècle de la
critique. Mais si toutes les sciences ont été de nos jours
agrandies et éclairées, l’histoire est peut-être celle qui a
reçu les plus utiles, les meilleurs développements. On ne
se contente plus aujourd’hui de documents de seconde et
TRAVAUX DE L’ACADÉMIE LIX
de troisième main ; on veut remonter aux sources. Excel-
lente tendance, mais souvent difficile à satisfaire. Aussi
doit-on louer sincèrement les chercheurs zélés qui réussis-
sent à découvrir quelque pièce nouvelle où le récit du passé
est en quelque sorte tracé sur le vif.
« Nous devons particulièrement, nous les fils de la vieille
et glorieuse terre de Savoie, une vive reconnaissance à nos
braves officiers alpins, qui, cantonnés pendant l'été dans la
haute Maurienne, ne se contentent pas d'y éludier les
postes avantageux de la défense, d'y faire des manœuvres
souvent périlleuses, mais qui emploient aussi leurs heures
de loisir à recueillir à leur source les témoignages irrécusa-
bles des événements antérieurs et marquants du pays.
M. Bourgoignon, capitaine au 13° bataillon des Chasseurs à
pied, à qui l’Académie doit déjà plusieurs communications
remarquables, a rapporté de l’une de ses dernières campa-
gnes à Lansiebourg un manuscrit plein d'intérêt sous
beaucoups de rapports.
« Cette pièce, d'environ cent pages, commencée par un
paysan de Bessans et continuée par ses enfants et ses
petits-enfants, relate jour par jour, à mesure qu’ils se
produisent, les faits politiques, militaires, administratifs,
atmosphériques et autres qui, de 1792 à 1881, ont le plus
vivement frappé les populations de la région.
« Assurément, l'exposé de la plupart de ces divers
événements ne répand, pour les érudits, que dans une
faible proportion un jour nouveau sur cette partie de
l'histoire générale de la Savoie ; en outre, on ne saurait
s'étonner d’y rencontrer quelques outrages à la langue et à
l'orthographe ; mais quelle abondance de détails dans
l'exposé des faits et quelle éloquence dans le narrateur!
Le lecteur a de cette manière la double satisfaction de
LX COMPTE-RENDU DES
revoir lui-même la scène avec toutes ses circonstances, et
de reconnaitre la véritable impression de ceux qui pouvaient
redire avec Virgile : Quorum pars magna fui.
« Nous regrettons de n'avoir, pour les personnes igno-
rantes de nos annales, la faculté de reproduire ici, en
entier, ce curieux document. Le peu que nous en citerons
suffira néanmoins, nous l’espérons, à en donner une juste
idée. Nous choisirons plus particulièrement, comme la plus
intéressante et la plus dramatique, la partie qui se rap-
porte à la période de la Révolution, de 1792 à 1800.
« An 1792. Les événements dans lesquels la Savoie fut
enveloppée pendant vingt-trois ans en dehors de la domi-
nation de ses rois légitimes, commencèrent réellement le
22 septembre 1792. Ce jour-là, les troupes françaises,
embusquées à Chapareillan, envahirent brusquement notre
pays, pendant la nuit. De leur côté, les troupes sardes,
mal dirigées et ne se croyant pas en force, se retirèrent à
la hâte par les montagnes des Bauges, les vallées de Taren-
taise et de Maurienne et allèrent se cantonner à l'extrémité
de ces deux dernières vallées, les unes sur le petit Saint-
Bernard, les autres sur le Montcenis. Les deux adversaires
ne tardèrent pas à se rejoindre sur ces points, où on les
verra batailler de longues années avec des succès alterna-
tifs. C'est ainsi que l’auteur du journal dont nous parlons
raconte leur premier contact au pied du Montcenis : « Le 6
« octobre 1792 sont arrivées à Lanslevillard les troupes
françaises, sans y faire aucun mal, et s’en sont retour-
nées à Lanslebourg le mème jour pour y rester. Le
« lendemain, ils firent faire par les deux communes une
« fourniture de foin et d'avoine. »
€ 1793. — Mais, le régime révolutionnaire de la France,
appliqué officiellement à la Savoie par la Convention en
FR
TRAVAUX DE L’ACADÉMIE LXI
même temps qu'était votée l’incorporation de notre pays à
la République, n’entra en vigueur, à proprement parler,
que dans les premiers mois de l’année suivante. La pro-
clamation du 8 février, des commissaires conventionnels
Simond, Héraud de Séchelles, Grégoire et Jagot, produisit
tout aussitôt, même dans le coin reculé des Alpes dont
nous parlons, son effet en ce qui regardait le culte et ses
ministres : « Au commencement de mars suivant, le révé-
« rend curé, ainsi que tous les autres prêtres de cette
« paroisse (Bessans), se sontévadés après bien des menaces
« qui leur ont été faites, aussi bien qu’à la municipalité.
« Tous sont partis munis de passeports. Après leur départ,
€ la municipalité fut obligée par ordre de dresser l’inven-
« taire des meubles, effets, ornements, biens-fonds, créan-
« ces quelconques de l’église, de ses chapelles, de ses
« confréries, de la cure, des chapellenies, du vicariat.
« Ledit inventaire ne fut pas achevé et n’a point été envoyé
« hors de la paroisse. » |
« On fut, en effet, distrait de ce soin par l’action militaire
qui était engagée dans cette partie de la haute Maurienne,
de Termignon à Bonneval, et qui concentrait principale-
ment l’attention des populations, aussi bien que celle des
chefs du gouvernement. Toute l’année se passa de part et
d'autre, entre les adversaires, en observations, en manœu-
vres, en escarmouches et en combats, sans avantages
décisifs pour aucun parti.
« Les deux faits les plus marquants de cette date furent
d’abord les pointes offensives que les troupes sardes firent,
dans les mois d'août et de septembre, à Moûtiers et à
Argentine ; ensuite la retraite qu’elles durent opérer devant
les renforts reçus par les troupes françaises.
« Dans les premiers jours d'octobre, les adversaires se
LS
LXII COMPTE-RENDU DES
retrouvèrent exactement dans les mêmes positions qu’aupa-
ravant : les Sardes sur le plateau du Montcenis et les
Français à Lanslebourg.
« 1794. — L'année 1794, sauf un acte, sinon inouï, du
moins rare dans les annales de la guerre, ne fit guère que
reproduire les faits de l’année précédente. Les parties
belligérantes continuèrent à s’observer, à se rechercher,
à se surprendre et à se livrer quelques combats, tantôt sur.
un point de la région, tantôt sur un autre. Le dimanche
de la Passion, 6 avril, les Français, ayant résolu de marquer
la fin de leur quartier d'hiver par un coup de main, prirent
le plateau du Montcenis pour leur objectif. Dès l’aube du
jour, on les vit s’avancer mystérieusement vers la Mez en
grimpant sur les Solairs ; mais, prévenus à temps par
leurs sentinelles et aussi, il faut le dire, par les gens de
Lanslebourg et de Bessans qui n'avaient cessé de se mon-
trer favorables à leur cause, les Sardes les reçurent brave-
ment et les rejetérent bientôt vers le bas des monts.
« Furieux de cetéchec, et bien plus encore de la sympathie
que les populations avaient pour l'ennemi, le commandant
français accomplit un acte extraordinaire dont nous laissons
à l’auteur du journal raconter le mode et la brutalité :
« Le 7 mai, de grand malin, ceux qui étaient rentrés
« dans leurs maisons, entendant frapper les portes, sor-
« tirent et virent avec surprise plus de trois mille hommes
« de troupes dans la commune (de Lanslebourg), qui se
« permirent déjà de piller ce qu’ils trouvèrent dans les
« maisons où il n'y avait personne. Ils établirent de suite
« des corps de garde tout autour de la commune, savoir :
« à Saint-Pierre, sur le Molard, à Bergan, à la Tourne,
« à Notre-Dame, à Sainte-Anne, à la Roche, sur les Rocs.
__« Les Piémontais, trouvant cela extraordinaire, envoyè-
AL RP SO MA
2 A
BR BR RAR BR RAR A M
TRAVAUX DE L’ACADÉMIE LXIII
rent en bas des obus et des boulets : mais ils ne poin-
tèrent pas juste. Les uns tomhèrent du côté de l’Adroit
et les autres aux prés de la Casse ; il n’y en eut peut-être
pas dix qui tombèrent dans la paroisse. Au bruit du
canon, les soldats français disaient que ce n’était que
pour les tenir éveillés que les Piémontais faisaient cela,
et ils ne cessèrent pas de prendre tout ce qu’ils trouvaient
de mangeable. » | |
« Vers les trois heures du soir, ils ramassèrent tous les
habitants, les malades exceptés, et les enfermèrent tous
dans l’église parmi la fumée d’un grand feu que l’on
faisait au vestibule. Deux heures après on leur permit de
retourner chacun chez soi pour y prendre ce dont il
“avait besoin, mais tous accompagnés d’un.soldat qui les
ramena ensuite dans leur prison. La plupart ne trou-
vèrent plus rien chez eux ; tout était déjà pillé.
« Vers les six heures du soir, le commandant donna
ordre de les faire partir. C’est alors que l’église retentis-
sait des cris et des pleurs. Après avoir pris les noms de
tous, on les fit mettre deux à deux, et on plaça deux
soldats, avec leurs bayonnettes au bout des fusils, au
milieu et en avant, et puis il fallut marcher. Au dehors
de l’église, sur le cimetière, la troupe se trouvait sous
les armes avec le commandant : « Citoyens, dit celui-ci,
je vous ordonne que le premier b..…. de pékin qui
s’écartera de vous autres, vous n'avez qu’à lui fourrer
de la bayonnette dans le ventre, ou lui faire feu dessus,
s’il est à plus de dix pas. »
« On laisse juger si, après de pareils ordres, il ne fallait
pas marcher droit. Tous les soldats disaient aux prisonniers
qu’on les menait en Vendée.
« On marcha dans cet ordre jusqu'à Thermignon. La
LXIV COMPTE-RENDU DES
«
pluie, la faiblesse des femmes et des enfants ne permirent
pas d'y arriver avant onze heures. À minuit, on les fit
entrer dans une grange ; ensuite, on leur fit donner à
chacun un morceau de pain. À l'instant arriva le général
qui leur fit un petit discours bien consolant et finit par
leur dire qu'ils resteraient ici jusqu’à nouvel ordre, et
que la municipalité prendrait soin d'eux. On peut bien
louer les gens de Thermignon, car ils se sont bien mon-
trés charitables en faveur de ces pauvres malheureux.
« Le général leur fit donner le pain. La douceur de cet
homme, sa manière de parler, son extérieur, fit juger
que c’était un ci-devant évêque. »
« Dans ce temps-là, la population de Lanslebourg était
composée de #40 âmes. Au moins cent furent déportés
au fort de Barrau, et autant à Thermignon. Une dizaine
est restée dans la commune, y compris les vieillards et
les malades. Deux cent trente furent errants, voyant
qu’ils ne pouvaient plus s’approcher de leur maisons, la
plupart de ceux-ci passèrent en Piémont, avec leurs
bestiaux, et les autres, à Bessans. La troupe était entière-
ment maîtresse de la commune. Les soldats n'épargnèrent
rien ; ils se sont permis de tout faire, à l'exception de
mettre le feu. »
« Toutefois, le plateau du Montcenis fut conquis dans
une seconde attaque, le 14 mai. Quatre colonnes s'étaient
avancées par quatre points différents, l’une par les Neuvets,
l'autre par la Ramasse, la troisième par le plan de la
Combaz et la quatrième par le prè de Lerelle-Vieille. Les
Piémontais, trahis, suivant notre journaliste, par leurs
chefs, ou plus vraisemblablement surpris, furent vaincus,
abandonnèrent leurs canons et leurs munitions ; près de
cinq cents furent faits prisonniers, les autres s’enfuirent
précipitamment jusqu’à Suze.
TRAVAUX DE L’ACADÉMIE LXV
« Quant aux déportés de Lanslebourg, qui étaient restés
à Termignon, on leur rendit la liberté bientôt après cet
heureux fait d'armes.
« Les autres, qui se trouvaient au fort de Barraux, obtin-
rent leur liberté de la manière suivante :
2 LR RAR À Æ
BR RAR Æ
« Pendant qu’on labourait les terres (vers le commen-
cement de juin), les détenus à Barrau tâchèrent d’obte-
nir leur liberté ; ils firent deux députés. L’un fut le
même dont il est parlé ci-devant, l’autre était de Lans-
lebourg. Tous deux présentèrent une pétition au dépar-
tement, qui fut sans effet. On leur conseilla alors d'aller
trouver le citoyen Albitte (commissaire de la Convention
pour le département) qui était pour lors à Briançon.
Comme, pour y aller, il fallait avoir de bons passeports,
ils s’adressèrent à Chambéry, à Barrau et à Grenoble,
mais ce fut en vain. Dans ce temps-là, la terreur était
si grande, que chacun craignait de se compromettre.
Néanmoins, considérant que la vermine les dévorait et
que les maladies commençaient à les attaquer, ils
n’épargnèrent rien pour sortir de là.
« Lesdits députés se hasardèrent à aller à Briançon sans
passeports. Comme ils étaient arrivés tout près, ils virent
qu'il y avait une garde à la porte de la ville qu’on ne
pouvait éviter. Ils firent alors semblant de jouer aux
palets, avancèrent contre la dite garde, et reculèrent
jusqu’à ce qu’on l’ait changée. |
« La garde qui vint après, croyant que c’élait des gens
de la ville qui s’amusaient ainsi à jouer, ceux-ci s’ap-
prochèrent de Ia porte toujours en jouant. Etant tout à
fait près, l’un d'eux donna un coup de poing sur les
épaules de l’autre et se sauva dans la ville. L'autre fit
V
LX VI COMPTE-RENDU DES
\(Q
semblant de vouloir se venger, courut aussitôt après lui,
et, par ce stratagème, ils entrèrent sans passeport.
« L’un d’eux connaissait le domestique du Représentant.
Lui ayant remis pour son maitre une pétition qu’ils
firent dresser, ce domestique s’est employé pour eux si
bien, qu’ils ont obtenu un arrêté favorable pour leur
élargissement et pour la restitution de leurs meubles el
de leurs hbestiaux. Tous les détenus de Barrau arrivèrent
ainsi à Lanslebourg vers le 10 juillet, tous en bonne
santé ; une seule fille d’une huitaine d'année était morte
pendant la captivité. »
« De leur côté, les émigrés en Piémont eurent beaucoup
plus de difficulté pour leur rentrée. C'est encore le jour-
naliste qui nous dit leur misère et la manière dont ils S y
prirent : « Les trois quarts de la population étaient déjà
(
(
«
«
«
revenus dans la commune ; il ne manquait plus que
ceux qui avaient passé en Piémont. Mais ils n'avaient
pas la liberté de revenir. Ils n'étaient pas des plus heu-
reux. Presque tous ont été malades, plusieurs sont morts:
On a fait toul ce qu’on a pu pour les faire rentrer, On à
fait des cadeaux aux gouverneurs du Montcenis, qui
promettaient toujours. On leur à donné l’état de tous les
émigrés ; malgré cela, ceux-ci ne sont rentrés que très
difficilement. Les uns ont passé par Roche-Melon avec
la crainte d'être pris par la garde qui était à Ribon ;
d'autres se mélèrent aux patrouilles qui descendaient à
la Ferrière ; la plupart sont sortis du Piémont, dans le
mois d'octobre, après avoir découvert un passage au-
dessus de la Ferrière. Ils s'avancèrent par ce passage,
guidés par des gens de la l'errière et de Lanslebourg qui
savaient éviter les gardes. »
« Cependant, les bonnes dispositions que les députés
TRAVAUX DE L’ACADÉMIE LXVII
des prisonniers de Barraux et Briançon avaient oblenu
d'Albitte, en ce qui concernait les dommages causés aux
habitants de Lanslebourg et de Bessans, ne laissèrent pas
d’être réalisées.
« Par le favorable arrêté d’Albitte qu’on a obtenu à
Briançon, lisons-nous dans notre document, il est dit
d'évaluer les pertes que les deux communes ont souffertés
par leur translation au fort de Barrau. Le district a
nommé deux commissaires, qui furent les nommés
Tourna et Anselmier, de Modane, chargés de recevoir
la déclaration de chaque particulier et en dresser des
procès-verbaux, pour faire compter les pertes qu'on avait
essuyées.
« Depuis la moitié d'octobre jusqu'à la fin du mois de
« novembre, on y travailla sans relâche. On a fait et refait
« les états plusieurs fois. Enfin, on évalua le montant
« général des perles de cette commune (Lanslebourg), à
€ 728,000 francs en assignats. Quelque temps après, les
«€ communes (Lanslebourg et Bessans) firent deux députés
« pour parer aux fins de présenter aux ministres lesdits
«
«
«
€
Be RAR AR AR R M A
procès-verbaux susvisés des département et district. Le
résultat de cette déclaration fut d'avoir obtenu la somme
de 100,000 francs pour secourir provisoirement ni
habitants des deux communes. »
« Cette somme, ajoute tristement le narrateur, n’a pas
été suffisante pour payer les frais des députés. |
« Dans cette même année 1794, les rudes épreuves
qu'on vient de voir ne furent pas les seules qui éprouvèrent
les habitants de cette partie de la haute Maurienne. La
question religieuse en amena d’autres non moins dure
pour les âmes catholiques.
« Le mois de juin année susdite, dit notre journal, un
LX VIII COMPTE-RENDU DES
représentant du peuple, nommé Albitte, passa dans la
commune de Bessans et défendit de ne plus s’assembler
dans l’église pour réciter et chanter les offices divins, de
sorte qu'on fut obligé, tant à cause de la susdite défense
qu’à cause des irrévérences et profanations que la troupe
y aurait pu commettre, de tenir l’église fermée. Le jour
de saint Jean-Baptiste, patron principal de la paroisse, on:
n'a pu ouvrir l'église, et, depuis lors, on a tout à fait
cessé d'y aller, soit pour dire la messe, soit pour chanter
les offices. Des personnes étant mortes, ont fut obligé de
les enterrer, dans la nuit, secrètement, sans bruit, ni
cérémonies, ni le moindre son des cloches.
« Les prêtres qu'iétaient restés dans ladite commune et
dans celle de Bonneval, ont été obligés de se tenir cachés
dans les montagnes, tantôt d’un côté, tantôt d’un autre,
et de célébrer la messe dans des granges, à la Buffaz, à
Mottaux, à Audagne,à Vallon, aux Roches, ensuite
secrètement dans différentes maisons de Bessans, ainsi
que d'assister les malades et de faire les baptêmes et les
mariages, toujours dans la nuit, secrètement, sans bruit
et sans proclamations. »
« Quelque chose de plus triste encore s'était passé à
Lanslebourg, après la prise du Montcenis et la rentrée des
déportés dans leurs foyers. Ici, nous avons le regret de le
dire, ce furent les soldats qui se livrèrent à des profanations
insensées, à la grande douleur des habitants. Déjà, l’un
d'eux avait brisé d’un coup de pierre la belle châsse de
saint Landry. Quelque temps après, cinq ou six mille hom-
mes de troupes vinrent séjourner dans la localité, où,
suivant le document dont nous parlons, ils ne s'occupèrent
qu'à faire du mal.
€ Ils brülèrent premièrement tous les tableaux qu'ils
.
o
2
TRAVAUX DE L'ACADÉMIE LXIX
purent trouver. En outre, ils brülèrent celui qui représen-
tait la décollation de saint Jean-Baptiste qui était à la
chapelle de saint Sébastien et qui était curieux à voir.
Ils ont altéré les peintures dans la même chapelle,
partout où ils ont pu atteindre avec les mains. Ils ont
brûlé, en un mot, tout ce qui représentait des signes de
religion ; ils ont pénétré dans les caches les plus secrètes.
Il n’y a eu que le coffre caché chez Joseph Filliol, qui
n’ait pas été trouvé. La mappe, le cadastre, les bons des
fournitures faites jusqu'alors, les livres, la cire, les
ornements de l’église et des chapelles, tout à disparu. »
« Voici, en outre, comment l’auteur du journal raconte
les circonstances de la profanation des reliques de saint
Landry :
=
«
€ Turbil Bourlognin fut du nombre de ceux qui ont été
déportés à Thermignon. À son retour, allant voir à son
bûcher (où avaient été retirés la châsse de saint Landry
et le lustre de la chapelle), il trouva toutes les planches
sorties et en parties brûlées. L’on crut que l’on avait jeté
la châsse etle lustre dans la rivière, il n’en paraissait
aucun vestige. Il commença à s'occuper à réplacer ses
planches dans son bûcher, lorsqu'il trouva une carcasse.
Croyant que ce fut celle d'une bête, il la jeta loin dans
Son jardin, sans faire attention.
« Le lendemain, retournant débarrasser par là des
planches, des bois, des pierres, pour nettoyer la place,
il trouva des os enchaînés avec des fils jaune. Il se
persuada tout de suite que c'était les débris du corps du
saint. Sur l'instant, retournant à l'endroit où 1l avait jeté
ladite carcasse, il vit avec surprise tous ses os en partie
couverts de chair sèche, tous enchainés avec des fils
jaunes, qui forinaient tous ensemble la majeure partie
€ d’un corps humain.
LXX | COMPTE-RENDU DES
« Alors, il fut tout à fait assuré que c’était le corps de
saint Landry. Il ramassa soigneusement tout ce qu’il a
pu trouver, la nuit, dans un grand panier.
« 1lest hors de doute que ladite carcasse a été brisée et
_brülée au-devant dudit bûcher, et le curps saint dépouillé
de ses vêtements sacerdotaux. Il trouva même des mor-
ceaux de glaces et des échantillons de bois doré, vernis
en rouge, qu'il mit aussi dans le panier et retira dans un
coin de sa maison. On apprit par des soldats, qu'après
qu’on a eu découvert ladite châsse, la voyant si belle, on
se proposa de la retirer dans l’église. Pendant que l’on
parlait de cela, un guide de Ratel (commandant de la
troupe) fut là présent. Sans rien dire, il prit une grosse
pierre au mur dudit jardin, et la jeta de toutes ses forces
sur ladite chässe et la brisa ; et, les uns et les autres
dépouillèrent le corps et brülèrent la châsse.
« Le lustre, ils ne le brisèrent point, ils le portèrent
suspendu aux poutres du pailler de Jesn-Baptiste Benand
Rosa ; là, ils le voulaient vendre, ils l’offrirent pour six
« francs ; personne ne l’a accepté, persuadé qu'après que
2 9
«
les uns l'auraient vendu et en auraient tiré l’argent,
d’autres, après, l’auraient brisé. Alors, voyant que per-
sonne ne voulait l'acheter, ils le brisèrent avec des fléaux
et ne laissèrent que l'arbre dedans, qu'ils donnèrent au
premier qui ie leur demanda. »
« Pendant les années qui suivirent jusqu’en 1800, les
mêmes communes de Lanslebourg, de Lanslevillard, de
Bessans et de Bonncval furent constamment occupées par
des troupes de la République en plus ou moins grand
nombre. Nous terminerons cet extrait relativement court
du journal de notre paysan par le tableau navrant qu’il fait
=
TRAVAUX DE L’ACADÉNIE LXXI
du triste état dans lequel se trouvaient les soldats canton-
nés dans sa paroisse en 1799 :
« La plus grande partie était en un très mauvais état,
« avec des habillements et linges fort sales et déchirés.
« Plusieurs étaient sans bas et sans souliers. On à même
« observé qu'ils étaient sans culottes, ni pantalons, mais
« seulement recouverts d’une très mauvaise capote. La
« commune de Bessans et celle de Bonneval leur ont fourni
« le logement, le bois et la paille, et ont toujours fait le
« transport de leurs munitions de bouche depuis Lansle-
« bourg et Thermignon jusqu’à Bessans et Bonneval. II
« s’est trouvé plusieurs fois qu’il n’y avait point de muni-
« tions au magasin de l’armée. Les habitants furent
« obligés d'en fournir. La troupe n'avait ni légumes, ni
« sel, ni autre chose, sauf le pain et la viande, quand il y
« en avait dans le magasin. On à vu plusieurs fois des
« militaires demander la charité d’un morceau de pain aux
« portes des maisons, faute d'avoir de quoi vivre, se .plai-
« gnant qu'on ne leur donnait aucun argent. Cela fut cause
« que la troupe commit plusieurs larcins, tant dans les
€ maisons que dans les jardins et champs des particuliers,
« en emportant des pommes de terre, les choux et autres
« herbages potagers, au grand préjudice des habitants. »
« Nous n'avons pas à faire de réflexions sur ces divers
épisodes que nous venons de citer de la Révolution dans
cette région élevée de notre pays, où la fidélité à la religion
et à la patrie n’était pas considérée comme un vain sen-
liment. Bien souvent, dans les veillées, les Savoyards se
redisant ces faits d’une époque douloureuse, ont rendu
justice à ces braves montagnards. Mais nous dirons en
mode de conclusion générale à ce modeste aperçu du jour-
nal de la famille de Bessans : Il faut publier sans se lasser
LXXII | COMPTE-RENDU DES
ces documents et ces textes dont La Bruyère recomman-
dait déjà si judicieusement l’étude continuelle ; les originaux
sont plus sincères et plus féconds qu'aucune relation
travaillée et arrangée. Nous avons lu bien des récits, par
exemple, sur cette même Révolution. La plupart en font
un Nil large et profond dont les débordements ont fertilisé ;
ce n’est pas tout à fait la vérité. Dans les originaux, comme
celui dont nous venons de parler, on voit souvent un fleuve
de gémissements roulant son sang et sa boue. On écrirait,
croyons-nous, une admirable histoire d’un pays, d’une
ville, d'un bourg, d’une simple localité, avec de simples
pièces. Chaque événement serait classé par rang de dates,
dans son intégrité et sans autre glose que l'exposé. Ainsi
apparaîtraient les personnes et les choses dans leur nudité
et leur juste valeur. Les témoignages incorruptibles et
indéniables seraient de cette manière comptés et pesés, et
le jugement serait rendu par le lecteur sur évidence. En
attendant la réalisation de ce vœu, l’Académie ne saurait
ne pas se montrer vivement reconnaissante d'avoir pu
jouir du charme que procure la lecture du journal de ces
admirables paysans de nos Alpes. »
III. — Mouvement du personnel de l’Académie.
lo Félicitations décernées à un cinquantenaire.
Un fait bien rare dans les annales des Sociétés savantes
est celui d’un membre arrivant à sa cinquantième année
de participation aux travaux de quelqu'une de ces Compa-
gnies ; le fait est plus rare encore, quand ce membre est un
homme devenu illustre par sa fidélité aux nobles traditions
TRAVAUX DE L’ACADÉMIE LX XIII
de sa vieille famille, par son talent, par son activité, par
son travail, enfin par ses nombreuses découvertes répon-
dant presque à chacune des misères ou des souffrances de
la pauvre humanité.
Il y a quelques années, la France et même le monde en-
tier rendait un hommage mérité, à l’occasion du centième
anniversaire de sa naissance, à cet homme de vraie et
bonne science qui se nommait de Chevreul.
L’avant-veille de la séance du 2 février 1892, marquait
la fin du cinquantenaire de l'entrée de M. Joseph Bonjean,
pharmacien-chimiste de Chambéry, comme membre effectif
à l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Savoie.
La Compagnie a voulu célébrer cette heureuse circonstance
par un vote unanime de respectueuses et cordiales félici-
tations à son digne et vénéré doyen.
Nous n'avons pas ici à faire une biographie complète de
ce travailleur infatigable, à qui l'humanité souffrante doit,
entre autres précieux remèdes, l'Ergotine et lÉlixir Bon-
jean, et qui, plus que tout autre, a contribué à répandre et
à faire honorer au loin le nom de sa ville et de son pays.
Lui-même, dans une brochure écrite en 1886, à l’occasion
du cinquantenaire de sa réception comme pharmacien à
l’Université secondaire de Chambéry (30 août 1837) et
intitulée Mes Noces d’or, à fait l'exposé de ses nombreux
travaux et des diverses circonstances qui ont illustré sa
longue carrière.
Tout ce que nous rappellerons, c'est qu’il a publié plus
de soixante-neuf écrits très remarqués sur différents sujets
d'hygiène ou de chimie, qu’il est membre de trente-sept
Sociétés savantes, et qu'il est décoré de neuî ordres de
pays divers.
À cela, nous ajouterons que, dans le but d'encourager la
LXXIV COMPTE-RENDU DES
bonne conduite et le dévouement des jeunes filles de 18 à
35 ans de la classe pauvre de Chambéry pour leurs pères
et mères, ou pour leurs familles, si elles sont orphelines,
cet homme de bien autant que de science a fondé un prix
bisannuel de six cents francs en faveur de celle qui se serait
le plus distinguée sous ce rapport.
2 Réception de M. Joseph Révil, membre effectif résidant.
Pour combler les vides causés dans ses divers rangs par
les membres distingués dont nous déplorions tout à l’heure
la perte, l’Académie a dû faire appel à de nouveaux talents
doublés de bonne volonté. On verra, par les réceptions et
les nominations qui suivent, que ses choix ont été des plus
heureux.
La séancé du 31 mars offrait un attrait particulier par la
réception de M. Joseph Révil, pharmacien-chimiste à Cham-
béry, nommé membre effectif résidant de l’Académie.
Publique, elle avait attiré, outre les autres membres de la
Compagnie, un nombreux auditoire d'hommes distingués
par leur haute situation sociale et par leur savoir. Aussi,
pouvons-nous déjà dire que les deux discours prononcés à
cette occasion par le récipiendaire et par le président ont
été très goutés et vivement applaudis
M. Révil, après un éloge délicat à la Société qui le rece-
vait dans son sein, s’est attaché à retracer l’histoire des
péripéties et des progrès de la géologie dans nos Alpes,
pendant plus de cent vingt-trois ans, c'est-à-dire depuis la
première fois qu’on se mit à rechercher, en 1769, la for-
mation et la composition de cette grandiose et superbe
chaîne de montagne, jusqu’à l’année dernière, 4891. Natu-
raliste, dont la passion pour l’étude des choses de la na-
_
TRAVAUX DE L’ACADÉMIE LXXV
ture n’a d’égal que la sûreté de son discernement, nul ne
pouvait présenter avec plus de simplicité et de clarté, en
un mot, rendre plus compréhensibles des phénomènes que
la masse des hommes a constamment sous les yeux, mais
dont elle ne se rend pas compte et dont la terminologie sur-
tout s’écarte beaucoup du langage usuel.
La géologie, dirons-nous au risque de scandaliser les
faibles, est, en réalité, de toutes les sciences naturelles la
plus importante, la plus féconde en résultats utiles, la plus
sensible au cœur et à l'esprit, celle qui porte le plus l'homme
aux grands sentiments, aux grandes idées et aux grands
élans vers l’infini. La zoologie, la botanique, l’hydrologie,
la météorologie, la minéralogie elle-même sont ses subal-
ternes, ou plutôt la reconnaissent comme leur premier
fondement.
M. Révil nous rapporte les investigations de cette science
maitresse en notre pays, aux quatre époques qui se succè-
dent de 1769 à 1828, de 1828 à 1861, de 1861 à 1889,
et de cette dernière année à l’année qui vient de s’écouler.
Nous ne pouvons évidemment analyser ici un travail
aussi substantiel et aussi nourri de faits et de remarques
que l’est celui du savant récipiendaire. Nous espérons, du
reste, qu’il sera publié et que chacun pourra alors l’apprécier
à sa juste valeur. Qu'il nous suffise donc aujourd'hui de
citer simplement, avec quelques-uns de leurs travaux, les
principaux géologues célèbres qui se sont occupés jusqu'ici
de nos belles Alpes et dont l'honorable récipiendaire nous
a rapporté la puissante action dans la connaissance
de la constitution physique de ces monts admirables.
Tels furent :
Horace-Bénédict de Saussure, qui traversa quatorze fois
LXX VI COMPTE-RENDU DES
en des points divers cette chaîne et qui le premier fit, avec
Jacques Balmat, l'ascension du Mont-Blanc.
Dolomieu, qui, se disant élève de cet illustre initiateur,
explora de son côté les cols du Bonhomme, de la Seigne,
et l’Allée-Blanche. |
Hericart de Thury, qui fit la découverte d’une mine de
combustible à Chevalier-aux-Chalances, en Dauphiné, et
celle d’un gisement de titane à Saint-Jean de Belleville,
près de Moûtiers.
Le professeur Jurine, de Genève, qui proposa une nou-
velle nomenclature pour le classement des roches du Mont-
Blanc. | |
Brochart de Villers, qui, dans une étude sur la Tarentaise,
signala une troisième classe de terrains, celle des terrains
de transition, et qui, au point de vue pétrographique, divisa
les Alpes en deux grandes chaines, primitive et secondaire.
Alexandre Brongniart, qui, aux études des géologues
précédents sur la superposition des diverses espèces de
terrains, ajouta celle des débris des êtres organisés contenus
dans ces terrains, et jeta un nouveau jour sur les principes
de la classification géologique.
L'anglais Buckland, qui, après avoir comparé les cal-
caires des Alpes avec ceux de sa patrie, divisa les premiers
en anciens et en nouveaux.
Backwel, autre géologue anglais, qui, sur une étude des
roches de Tarentaise, conclut que les anthracites des vallées
alpines correspondaient à ceux d'Angleterre.
Necker, de Genève, qui publia un travail sur les filons
granitiques de Valorsine.
Ælie de Beaumont, qui, dans son étude de nos Alpes, prit
la Tarentaise pour point de départ, et dont la théorie donna
ensuile lieu à de vives polémiques.
TRAVAUX DE L'ACADÉMIE LXXVII
Woltz, qui s’insurgea nettement contre les appréciations
du précédent, particulièrement en ce qui concerne l'âge
des grés anthracites. |
B. Studer, de Berne, et Sismonda, de Turin, qui prirent
parti pour le savant français.
Alphonse Favre, de Genève, qui rejeta les explications
de la stratification des Alpes émises par les géologues pré-
cédents, et auquel on doit un grand ouvrage : Recherches
géologiques dans les parties de la Savoie, du Piémont et de.
la Suisse, voisines du Mont-Blanc.
Fournet, de Lyon, qui émit un système de soulèvement,
de sa conception, entre le Valais et l’Oisans,. et qui divisa
les roches cristallines en quatre groupes : micacées,
serpentines-talqueuses ou magnésiennes, porphyriques et
pyroxéniques. :
Mgr Billiet, qui, devant la Société géologique de France
réunie, en 1844, à Chambéry, esquissa à grands traits la
constitution géologique de la Savoie.
Le chanoine Chamousset, qui dirigea les courses de cette
Société dans nos vallées, et publia ensuite une étude sur nos
terrains jurassiques et néocomiens.
Mgr Rendu, qui donna le premier la théorie de la marche
des glaciers.
Gabriel de Mortillet, qui établit une distinction entre les
bélemnites des couches inférieures et ceux des couches
supérieures de Petit-Cœur, en Tarentaise, et à qui nous
devons l'ouvrage intitulé : La Géologie et la Minéralogie de
la Savoie. |
Charles Lory, professeur à la Faculté des sciences natu-
relles de Grenoble, dont les travaux, poursuivis avec autant
d’ardeur que d'intelligence pendant de longues années, ont
grandement contribué à faire mieux connaître la composition
LXX VIII COMPTE-RENDU DES
des Alpes, et qui, entre autres, dressa d’abord, à lui seul, la
carte géologique du Dauphiné, et ensuite, de concert avec
MM. Pillet et Vallet, la carte géologique de la Savoie.
Louis Pillet, qui publia, en 1860, un Mémoire sur les
Alpes de la Maurienne, un autre, en 1871, sur les fossiles
de la Table, qui dirigea, en 1875, les courses de la Société
géologique de France réunie pour la troisième fois à
Chambéry, et auquel on doit, depuis, plusieurs autres
-études importantes.
Oswald Heer, de Zurich, qui fit un travail sur le trias
d'Aime, en Tarentaise. |
L'abbé Vallet, qui explora, en 1863, la Tarentaise avec
M. Lory, et fut, comme il a été dit, l’un des auteurs de la
carte géologique de la Savoie.
Zaccagna, ingénieur des mines du Piémont, qui, en 1887,
rendit compte de ses recherches dans les Alpes maritimes,
cottiennes, graies et pennines.
Le docteur Hollande, professeur au Lycée de Chambéry,
qui a publié, entre un grand nombre d’autres, une étude
sur la dislocation des montagnes calcaires de la Savoie et
une autre sur le massif des Bauges.
Michel Lévy, auquel on doit un travail remarquable sur
les roches des environs du Mont-Blanc. |
Thermier, professeur à l’école des mines de‘ Saint-
Étienne, qui, en 1891, à donné une notice sur ni constitu-
tiou du massif de la Voie
Enfin, Kilian, professeur à la Faculté des sciences de
Grenoble, qui, en cette même année, a fait la description
de la parlie des Alpes françaises situées entre les hautes
vallées de l'Isère, la frontière italienne et la vallée de
l’'Ubaye.
Par le seul énoncé de ces noms et de ces travaux, on
TRAVAUX DE L’ACADÉNIE LXXIX
juge du prix que l’on a mis et que l’on met encore à con-
naître la composition de l’imposante chaîne des monts qui
séparent la France et la Suisse de l'Italie. Aux ombres et
aux tâtonnements du premier moment, presque chaque
jour est venu apporter une plus grande lumière et une plus
claire vue dans la solution de ce problème. Bénédict de
Saussure avait dit que, dans les Alpes, rien n’était constant
que léur variété. Les recherches et les découvertes posté-
rieures montrent, au contraire, l'unité indéniable du
système suivi dans leur formation. C’est par cette cons-
tatation que M. Révil termine son intéressant résumé
historique, et c’est avec lui que nous rappellerons les paroles
de M. de Lapparent : « Tout vient confirmer cette grande
idée d'ordre qui domine la science et dans laquelle tout
esprit non prévenu se plaît à reconnaitre l’évidente mani-
festation d’une intelligence suprême, qui a présidé à la
disposition de toutes choses. »
Mais ici, nous ferons observer que, dans la brillante
armée des hommes distingués qu’il nous a montrée à la
poursuite de la science géologique de nos Alpes, seul le
nom de l'honorable récipiendaire ne figure pas. Cet oubli,
qu’une trop grande modestie a fait commettre, a été heu-
reusement réparé par M. le président de l’Académie. Dans
sa réponse au beau discours que l’assemblée venait d'enten-
dre, celui-ci a rappelé, en un langage aussi véridique
qu’élégant, l’ardeur apportée depuis de longues années par
M. Révil à l'étude des sciences naturelles, et a fait ressortir
en même temps le mérite de ses nombreux travaux. Il n'est
besoin d'ajouter que l'auditoire, s'associant à l’orateur, à :
souligné ces éloges de ses plus vifs applaudissements.
LXXX COMPTE-RENDU DES
3° Réception de M. le général de division Borson,
membre effectif résidant.
De même, la réception de M. le général Borson, à titre
de membre effectif résidant, a donné lieu, le 5 mai, à l’une
des plus belles fêtes de l’Académie. La grande et belle salle
du Conseil général, prêtée gracieusement par M. le préfet
de la Savoie pour la circonstance, réunissait une assistance
aussi nombreuse que distinguée. Outre les membres effec-
tifs de la Compagnie au grand complet, ainsi qu'un grand
nombre de membres agrégés et correspondants, on remar-
quait principalement, entre autres personnages marquants,
M. le général Ménabréa, marquis de Valdora, ancien am-
bassadeur d'Italie à Paris, M. le général Béranger, com-
mandant la division de Chambéry, plusieurs officiers de
l'armée, parmi lesquels le commandant Poitevin, chef
d'état-major, M. le baron Francisque du Bourget, M. le
chevalier de Martinel, etc. |
L'éminent récipiendaire avait pris pour sujet de son
discours l'éloge de son ancien camarade dans l’armée sarde
etami, Ferdinand de Regard de Vars, frappé à mort, en
1849, sur le champ de bataille de Novare ; il a vivement
intéressé, pendant une heure et demie, ses auditeurs, et
surtout ceux d’entre eux qui, ayant vu ces temps déjà loin-
tains, avaient ardemment ressenti les émotions patriotiques
qui remuaient alors notre pays.
Dans un exorde plein de délicatesse, l’honorable réci-
piendaire adresse ses remerciments à l’Académie. Il rap-
pelle que sa première nomination de membre correspondant
remonte à 30 années en arrière, alors qu'il dirigeait les
travaux de la carte de France, entrepris en Savoie, après
TRAVAUX DE L’ACADÉMIE LXXXI
l'annexion. Nommé, en 1880, membre effectif non résidant,
et rentré aujourd’hui dans sa ville natale, après sa longue
carrière, il sera heureux de prendre place dans la Compagnie
d'hommes qui cultivent les sciences et les lettres et qui
cherchent, dans cette région sereine, une diversion aux
soucis et aux agitations de la vie.
Le général, faisant ensuite un retour vers le passé, rap-
pelle les noms des anciens académiciens qu'il a connus plus
particulièrement et dont les places sont vides. Plusieurs lui
ont laissé le souvenir de leur bienveillance et de leur amitié.
IL nomme en première ligne S. E. le cardinal Billiet et le
marquis Costa de Beauregard.
= Le premier a été l’un des illustres fondateurs de l’Aca-
démie, et sa vie tout entière, dont pas une minute, pour
ainsi dire, n’a été perdue, a été consacrée à l'Église et à la
science. Il apportait dans les recherches scientifiques et
particulièrement dans les observations météorologiques,
poursuivies chaque jour, pendant son épiscopat de vingt
ans à Saint-Jean de Maurienne, une patience et une exac-
titude sans égales.
Parlant de ses relations avec le marquis Costa de Beau-
regard, le général évoque le souvenir de 1848 en Lombar-
die où, jeune lieutenant d'état-major, il rencontrait sur les
champs de bataille l’écuyer du roi Charles-Albert qui lui
donnait avec bonté des nouvelles de Chambéry.
« Plus tard, ajoute-t-il, je fis partie de la phalange des .
députés savoyards que le marquis Costa guidait avec l’au-
torité, librement acceptée par tous, du talent, du caractère
et du dévouement aux intérêts qui nous étaient chers.
Gentilhomme, savant, patriote, il restera l’une des plus
nobles figures qu’ait vues notre génération. »
La famille de Regard de Vars était l'une des anciennes
VI
LXXXII COMPTE-RENDU DES
et plus illustres de Savoie. En même temps qu’elle donnait
naissance à un grand nombre d’autres maisons également
distinguées, elle avait produit des hommes remarquables par
leur mérite personnel et par le haut rang auquel ils étaient
parvenus dans l'Église el dans l’État. Le vaillant soldat, dont
il est ici question, réunissait toutes les belles qualités de ses
glorieux ancêtres. Caractère chevaleresque, esprit cultivé et
profond, cœur généreux et brave jusqu’à l’héroïsme, il a de
même grandement honoré son pays natal. Sa correspon-
dance, religieusement conservée par la pieuse affection
d'une sœur, se rapporte principalement aux années 1847,
1848 et 1849, qui ont vu la transformation de nos institu-
tions politiques et l’explosion du sentiment d'indépendance
de l'Italie, bientôt suivie de la guerre contre l’Autriche. On
y sent revivre non seulement l'enthousiasme et les pas-
sions généreuses qui ont marqué cette période, mais aussi
ses entrainements et ses illusions. C’est avec ces précieux
documents, autant qu'avec ses souvenirs personnels, que
son éminent et fidèle ami a retracé sa vie et rempli, lui
aussi, une œuvre de cœur et de justice ‘.
1 M. le comte Ferdinand de Vars appartenait à la famille de
Regard, qui vint dela Romagne s'établir à Clermont en Genevois,
au commencement du xv° siècle
Nicod de Regard, son fils, fit son testament le 26 décembre 1485.
D'après une tradition restée en honneur dans la famille, saint
Benoît, fondateur de l'ordre du Mont-Cassin, aurait appartenu,
par sa mère, à la famille de Regard, Aujourd'hui, seule, la bran-
che cadette dite de Regard de Chanay et de Villeneuve a des
représentants mâles.
Le comte de Vars fut le dernier de la branche aînée, qui avait
elle-même forméc les branches secondaires des Regard de Dison-
che, Regard de Ballon et Regard de Fétern, marquis de Lucinge.
La famille de Regard, qui s'est alliée à un grand nombre de
très anciennes familles, telles que les Compey de Fétern, les
Lucinge de Sallanches, les Gonzié, les Clermont-Mont-Saint-
Joan, les Bernox, etc., a produit des gontilshommes distingués,
TRAVAUX DE L'ACADÉMIE LXXXIII
Ferdinand de Vars naquit, en 1808, à Lyon. Son père
avait lui-même servi comme officier de cavalerie sous
Napoléon Ier. Sa mère appartenait à l'aristocratie lyonnaise
et comptait son père et son frère parmi les victimes de la
Terreur. De Vars, confié aux soins d’un précepteur, mon-
tra, de bonne heure, un goût très vif pour les études et
acquit des connaissances étendues en histoire, en économie
politique et dans les sciences exactes. Doué d'une grande
facilité d’élocution, le français et l'italien lui devinrent éga-
lement familiers, et il s’exprimait avec beaucoup d’agré-
ment dans ces deux langues. De haute stature, ses traits
étaient réguliers et plein de distinction ; la sévérité de la
physionomie était adoucie par la bonté du regard. Des
offres avantageuses lui ayant été faites au cours de sa
carrière par le comte de Sales, ambassadeur du roi à
Paris, ami de sa famille, pour entrer dans la diplomatie,
il les déclina pour rester fidèle à sa vocation de soldat.
Engagé à 17 ans comme cadet dans le régiment de
Savoie-Cavalerie, il ne fut nommé capitaine qu’à 37 ans,
tant l’avancement, dévolu uniquement à l’ancienneté, était
lent après une période de trente années de paix. Le trait
distinctif du caractère de de Vars était la grandeur d'âme
tels qu’Alexandre-Gaspard, seigneur de Morgenex, conseiller et
grand-voyer de Son Altesse Royale en Savoie, et Jean-Baptiste,
son fils, écuyer de Madame Royale Christine de France.
Gitons encore, parmi les membres de cette famille, Gallois de
Regard, évêque de Bagnera, commandataire perpétuel de
l'abbaye d'Entremont, des prieurés de Saint-Victor et de Saint-
Jean hors des murs de Genève et du prieuré de Lovagny,
chanoine de Genève et de Saint-Pierre de Rome, camérier d’hon-
neur du pape Paul IV. Il fut un canoniste profond et un diplomate
apprécié de son souverain. Retiré, sur ces vieux jours, dans le
vaste château de Clermont qu'il avait en partie reconstruit, il eut
l'honneur de conférer à saint François de Sales les ordres
mineurs. I1 mourut le 4 septembre 1582.
LXXXIV COMPTE-RENDU DES
et la noblesse des sentiments, qui forçaient pour ainsi dire
l'estime et l'affection de tous. Il unissait, par un heureux
contraste, l'énergie de l’âme à une sensibilité des plus
délicates.
Passionné pour son métier, observateur rigide de la
discipline, son esprit d'équité, sa libéralité, sa sollicitude
pour le bien-être du soldat le rendaient cher à ses subor-
donnés.
Ceci explique comment de Vars, gentilhomme savoyard
et officier de cavalerie, fut élu député au Parlement par la
ville de Vigevano, où il avait tenu garnison à trois reprises.
D'un esprit libéral et ouvert aux idées nouvelles, très en-
thousiaste de la cause de l'indépendance de l'Italie qui
agitait alors tous les esprits, mais en même temps simple,
abordable à tous, il avait conquis, sans la rechercher, une
popularité de bon aloi. Les conjonctures, d’ailleurs, étaient
graves. Après une campagne malheureuse, on élait en
armistice ; Vigevano touchait à la frontière et l’ennemi
était aux portes : l'heure n'était pas aux discours, mais à
l’action. Les électeurs, appartenant tous à la classe éclairée,
firent donc preuve de discernement politique, autant que
de sympathie pour sa personne, en lui confiant le mandat
de député. De Vars le reçut avec la simplicité qui était le
fond de son caractère. « La ville de Vigevano, dit-il, a
« toute sorte de droits à mes services. Je m'y emploierai
« de mon mieux. »
Sa mort, survenue bientôt après, l'empêcha de siéger à
la Chambre.
Les sentiments de de Vars, tels que nous les révèle sa
correspondance, peuvent nous paraître aujourd'hui un peu
exaltés ; mais pour les apprécier exactement, il faut re-
monter par la pensée le cours des événements qui, depuis
TRAVAUX DE L’ACADÉMIE LXXXV
45 ans, ont changé la face des choses, et se reporter à ce
qu'était l’état des esprits en 1847. C'était le moment où
les Réformes promulguées par le roi Charles-Albert étaient
venues donner satisfaction aux classes libérales, qui aspi-
raient à sortir de leur effacement politique et à concourir
à la gestion des affaires publiques. Quelques mois après,
la Révolution éclatait à Paris où la République était pro-
clamée, Milan se soulevait contre les Autrichiens et l’armée
sarde, franchissant le Tessin, entrait en libératrice sur le
territoire de la Lombardie. D’un bout à l’autre de la Pénin-
sule, on évoquait les souvenirs de la Ligue lombarde et l’on
faisait retentir le cri de guerre de Jules II : Ztalia a barbaris
hberanda.
« Malheureusement, ajoute le récipiendaire, cette phase
heureuse de l'accord des souverains et des peuples par la
revendication de l’indépendance nationale fut de courte
durée ; c'était une belle journée bientôt suivie de tempêtes
et de bouleversement. »
Quelques extraits de la correspondance de de Vars avec
sa famille serviront à la fois à le faire connaître et à peindre
l'impression que causaient ces événements.
Une lettre au comte de Vars, son père, du 8 mai 1848,
contient ce qu’on pourrait appeler sa profession de foi
politique : |
« Je puis me tromper, mais je suis de bonne Îoi; je
« crois que ma manière de voir est conforme à la justice
« et qu’il est d’une sage politique de tourner ses regards
« vers l'avenir au lieu de donner d'inutiles regrets à un
& passé qui n’a plus aucune chance de retour. C’est donc
« vers la consolidation et le perfectionnement de nos nou-
« velles institutions que doivent tendre tous nos efforts. »
Le 22 mars 1848, au moment d'entrer en campagne, il
écrit à son père :
LXXXVI COMPTE-RENDU DES
« Je vous assure, mon cher père, que je serais parfaite-
« ment heureux si ce sentiment n’était pas troublé par
« l’idée des inquiétudes que vous allez avoir pour moi ;
« mais, vous le savez, mon cher père, la guerre n’est pas
« aussi meurtrière que bien des gens se l’imaginent. Ayons
« d’ailleurs confiance en Dieu. »
Parlant de démonstrations auxquelles donnent lieu la
publication des Réformes, il écrit de Savigliano le 29 dé-
cembre 1847 :
« Une circonstance bien digne de remarque, c’est com-
bien le sentiment religieux s’est manifesté dans tout
« ceci. Partout les ovations populaires se sont terminées
« par aller spontanément dans les églises faire chanter des
& Te Deum, implorer les bénédictions du Ciel sur le pays
« et sur le nouvel ordre de choses, faire bénir les ban-
« nières, les drapeaux des villes et des corporations.
« Partout aussi, le clergé s’est uni au mouvement natio-
« nal et a pris part à l’esultanza universelle. »
A la même date, il écrit à sa sœur :
« Ne t'inquiète pas, ma chère enfant, nous avons de
grandes chances pour nous : c’est une guerre sainte, une
croisade : Dio à con noi, à dit notre immortel Pie IX.
IL faut que l’oppresseur, que létranger soit repoussé
hors de nos frontières ; ce n’est qu’alors que nous pour-
rons honorablement remettre l'épée au fourreau. »
La campagne de Lombardie vint le mettre dans son
véritable rôle et donner un champ d'activité à ses belles
qualités d'action. Ses lettres sont écrites d’un style vif et
coloré et tout empreintes d’ardeur militaire et d’enthou-
siasme pour la cause qui était en jeu. Esprit ouvert, Cœur
généreux, il saisit avec intelligence les opérations de
guerre, Sans sortir de sa sphère d'action, ni s’arroger le
AR
RAR RAR RAR A
TRAVAUX DE L’ACADÉMIE LXXXVIL
droit de critiquer les plans d'ensemble ; dévoué à son mé-
tier, il montre sa confiance dans le succès final. Ce sont
les traits distinctifs d’un bon et brave officier.
Le 8 mai 1848, il écrit à son père des bords du lac de
Garde :
RAA R RAR A
A
« Nous habitons un superbe pays, d'admirables collines,
bordant le côté sud du lac de Garde, près du débouché
de la vallée supérieure de l’Adige, avec les montagnes du
Tyrol pour fond du tableau. On jouit d’un coup d’œil
enchanteur ; l'horizon change à chaque instant ; l'air est
pur ; les collines plantées d'arbres fruitiers, d’oliviers et
de vignes, comme au temps de Virgile, dont la patrie,
Mantoue, n’est pas loin d'ici.
« Nos affaires vont bien ; nous sommes les maitres de la
rive gauche du Mincio jusqu’à Mantoue et d’une partie
importante de la rive droite de l’Adige, sur laquelle nous
avons un pont pour communiquer avec nos postes avan-
cés de la rive gauche. Notre armée est formée en ordre
de bataille convexe : notre gauche tient en échec Pes-
chiera, notre droite Mantoue, notre centre menacè
Vérone ; c’est une situation de manœuvre magnifique.
« Dimanche, des collines où nous sommes, nous avons
été spectateur d'un très beau combat ; c'est le corps
« d'armée de gauche, commandé par Hector de Sonnaz,
« qui a donné ct qui s’est fait beaucoup d'honneur. La
«
«
«
brigade de Savoie s’est signalée comme à l'ordinaire et
sans grandes pertes; sa conduite fait l'admiration de
l’armée, je vous prie bien de le dire. »
« Le 30 mai, il eut l'occasion de se distinguer à la
bataille de Goïto, où l’armée sarde, commandée par le roi
Charles-Albert en personne, repousse victorieusement l’ar-
mée autrichienne sous les ordres de Radezky qui débouchait
LXX XVII COMPTE-RENDU DES
de Mantoue. II fut décoré de la Médaille à la valeur militaire
instituée pour la campagne.
« Voici des termes pleins de modestie dans lesquels È en
informe son père :
« Je reçois du ministre un pli qui m’annonce en termes
très flatteurs que je suis décoré. Je désire que cela vous
« fasse plaisir. J’attribue cette distinction à une charge que
« j'ai faite avec mon escadron pour faire reculer un corps
ennemi qui venait assaillir une de nos batteries. Quatre
« pièces étaient sur le point d’être abandonnées par les
« Autrichiens et j'aurais pu m'en emparer, si j'avais reçu
« du renfort à temps ; mais je ne disposais que d'une
« soixantaine de chevaux. »
« Le général arrive à la malheureuse campagne LÉ 1849,
dont la durée ne fut que de six jours. Entrant personnel-
lement en scène, ilrappelle les circonstances où il rencontra
de Vars. La première lui fournit l’occasion de développer
au sujet du champ de bataille, si souvent disputé des bords
du Tessin, quelques réflexions militaires. Il rapproche la
campagne de 152% où mourut le preux chevalier Bayard au
passage de la Sesia, de celle de l'armée sarde en 1849 et
de celle de 1859, illustrée par la victoire de Magenta. Il
relève le rôle prépondérant que joue à la guerre l’état moral
des troupes qui dérive le plus souvent d’une offensive
hardie. Ce sentiment de la supériorité des armes peut
transformer en un trait audacieux de génie une manœuvre
qui parait hasardée au point de vue des principes de l’art.
Napoléon a donné à cette vérité une forme ingénieuse.
L'art de la guerre, a-t-il écrit quelque part, est person-
nifiée par Achille, fils de Thétis et de Pélée, d'une déesse
et d’un mortel. La partie terrestre est tout ce qui tient aux
éléments matériels et ce qu’on appellerait aujourd'hui
PS
RAR
TRAVAUX DE L'ACADÉMIE LXXXIX
techniques ; la partie divine est tout ce qui relève du moral
des troupes et de l'inspiration du champ de bataille.
« Le 23 mars 1849, dans la journée de Novare, de Vars
se montra des plus braves et des plus opiniâtres au combat.
Sur l’ordre du duc de Gênes, qui commandait une division
et qui eut ce jour-là trois chevaux tués sous lui, il chargea
à la tête de son escadron pour débusquer des chasseurs
tyroliens qui inquiétaient une batterie. Un des officiers sous
ses ordres, le comte de San Jorioz, rapporte dans des récits
militaires, publiés à Turin, les circonstances dans lesquelles
son vaillant capitaine tomba. Devançant sa troupe qu’il
excitait de la voix et du geste, de Vars fut frappé de deux
balles, dont l’une lui fracassa la jambe gauche et l’autre
atteignit son cheval qui s’abattit. Sa situation était critique ;
les hommes ne purent enlever leur commandant et le
mettre à l’abri hors de la mêlée. De Vars resta gisant sur
le champ de bataille et fut relevé par les Autrichiens qui le
firent transporter à Novare.
« La comtesse de Sonnaz, qui habitait le Piémont,
accourut au chevet de son frère et fut bientôt rejointe par
le comte de Vars, son père, venu de la Savoie. Les soins
les plus tendres furent prodigués au blessé, mais ils ne
réussirent pas à le conserver à la vie.
« Le 23 avril suivant, après trente jours de souffrances,
de Vars expira de la mort du guerrier et du chrétien. On
raconte qu'un visiteur peu prudent, lui ayant appris que la
citadelle d'Alexandrie avait été occupée par les Autrichiens,
il ressentit de cette nouvelle une impression vive et profonde
qui aggrava beaucoup son état, ce trait peint le patriote et
le soldat.
« Le général lit quelques passages dela lettre par laquelle
la comtesse de Sonnaz rend compte des derniers moments
XC COMPTE-RENDU DES
de son frère. La douleur touchante dont elle est empreinte
a ému l'auditoire :
« Pendant sa maladie, j'ai été témoin de l'intérêt, de
« l’estime, de l'amour que l’on avait pour lui... C'était de
« Vigevano, de Verceil, de Mortara que l’on venait prendre
« de ses nouvelles, et lorsqu'elles étaient alarmantes, c’est
« en versant des pleurs qu'on les recevait. Jamais personne
« ne s’est attiré autant de sympathie que ce pauvre Ferdi-
« nand et jamais mémoire n’a été si universellement louée
« et bénie ; c’est partout, dans toutes les classes de la
« société, dans tous les partis, dans tous les journaux, une
« unanimité d’admiration pour ses nobles qualités. Les
« Soldats l'ont pleuré comme un père ; il était si bon pour
« eux ! Le 43, on a célébré à Vigevano un service solen-
« nel ; son oraison funèbre à été prononcée en chaire
« par un des notables de la ville en présence de l’évêque,
« les autorités civiles et militaires ; la ville entière .y
« assistait. ».
Le récipiendaire termine ainsi son discours :
« La femme tendre et courageuse qui a écrit cette lettre
à sa mère douloureusement éprouvée était digne d’un tel
frère par l'élévation de son cœur ; son récit, éloquent dans
sa sincérité, est l'hommage le plus touchant rendu à sa
mémoire.
« Je n’y ajouterai rien.
« Parmi les rares survivants des campagnes de 1848 et
1849, ceux qui liront ces lignes donneront un souvenir à
Ferdinand de Vars, leur vaillant frère d'armes, et dans la
génération plus jeune, quelques-uns retiendront son nom.
Pour moi, je remercie l’Académie de m'avoir fourni l’occa-
sion d’acquitter en mon nom et au nom de son pays de
Savoie une dette qui me tenait au cœur. »
TRAVAUX DE L'ACADÉNIE XCI
Le vifs applaudissements saluent la lecture de ce beau
discours dont nous regrettons de ne pouvoir donner qu’une
trop courte analyse.
Le président de l’Académie, M. Pillet, a répondu, selon
l'usage, au discours du récipiendaire.
L'Académie se félicite de voir M. le général Borson,
depuis longtemps membre de notre Société, venir prendre
possession de son siège.
Notre éminent collègue appartient par ses traditions de
famille à la science autant qu'à la noble profession des
armes. Un de ses oncles, M. Borson, colonel d'artillerie,
a servi la France de 1792 à 1815, dans les immortelles
légions qui ont porté si haut sa gloire.
Un autre, M. l'abbé Borson, savant naturaliste, fut l’un
des créateurs de la minéralogie et de la paléontologie jus-
que-là dans un état rudimentaire; membre de plusieurs
Sociétés, professeur à l'Université de Turin, auteur de
nombreux écrits, il a laissé de l’autre côté des Alpes une
mémoire toujours en honneur.
M. le général Borson, né à Chambéry en 1895, fils d'un
médecin des plus distingués, a eu l'occasion, très rare pour
un sujet du roi de Sardaigne, d’être admis à l'École poly-
technique. Lieutenant d'état-major dans l’armée sarde à
l'âge de 21 ans, nommé capitaine à 23 ans, à la suite de
la campagne de 1848 contre l’Autriche, où sa valeur lui
conquit une première décoration, le jeune officier a été le
témoin à cette époque d'événements dont il a entretenu
l’Académie avec la haute et impartiale raison du philo-
sophe, avec la sagacité de l’homme de guerre, dans un
style qui a fait trouver trop courtes les pages de son intéres-
sant discours.
À trente ans, devenu éligible, il prenait place à la
XCII COMPTE-RENDU DES
Chambre des députés de Turin, dans le groupe des repré-
sentants de la Savoie qui, sous la conduite du marquis
Léon Costa de Beauregard, garda toute sa loyauté en mon-
trant un entière et noble indépendance au milieu des graves
et délicates conjonctures qui ont ouvert à la Maison de
Savoie de nouveaux horizons. Plusieurs fois sa parole s’est
fait entendre dans les débats du Parlement subalpin.
Après la campagne de 1859, où M. Borson, promu
depuis longtemps au grade d'officier supérieur, eut de
nouveau l’occasion de se distinguer, vint l'heure de l'an-
nexion. Le brillant officier n’hésita pas un instant; il
s'arracha à l'estime que lui avaient vouée ses chefs, aux
souvenirs et aux liens d'affection qui depuis quinze ans
l’attachaient à ses compagnons d'armes ; il déclina les
offres les plus avantageuses pour sa carrière. Son cœur et
son épée désormais appartenaient à la France.
Tour à tour chargé de missions topographiques, chef
d'état-major, commandant de troupes actives, M. le général
Borson a occupé tous ces emplois avec un égal talent et un
égal succès. Attaché, en 1870, à l'état-major du maréchal
Canrobert qui, on le sait, ne se ménageait pas au feu, notre
compatriote a assisté, à ses côtés, aux héroïques et san-
glants combats qui, autour de Metz, ont paru un instant
changer la fortune et ramener la victoire sous nos drapeaux.
À la paix, M. Borson a repris, dans les heures de loisir
que lui laissait le service, les travaux qui ont été le charme
de sa vie. De sa plume sont sorties d’utiles et intéressantes
études sur la défense de la frontière des Alpes, sur les
délicates questions que soulève la neutralité militaire
d’une partie de la Savoie, ardu et important problème que
nul n’a mieux élucidé, sur d’autres et nombreux sujets où
toujours on retrouve le penseur convaincu et l’homme de
lettres.
TRAVAUX DE L'ACADÉMIE XCIIL
On ne saurait taire dans ce trop rapide éloge la prudente
fermeté avec laquelle l'officier général sut, à Decazeville,
dans des jours difficiles, maintenir la paix au milieu de
populations émues et assurer le respect de la loi sans avoir
à faire usage des armes dont l’honneur lui était confié.
Le vaillant soldat, général de division, grand-officier de
la Légion d’honneur, est rentré dans sa ville natale, heu-
reuse et fière de le posséder, et où la France le retrouvera
avec sou patriotisme, son talent et ses vertus militaires,
prêt à commander de nouveau si, ce qu’à Dieu ne plaise,
elle avait de nouveaux combats à soutenir.
&o Nomination de nouveaux membres.
En dehors de la réception des deux membres précé-
dents, l’Académie a procédé à la nomination de plusieurs
autres membres dans ses divers rangs. Tels sont : Membre
effectif résidant, M. le chanoine Joseph Mailland, aumô-
nier des Hospices civils de Chambéry ; membre effectif
non résidant, M. le chanoine Séraphin Truchet, président
de la Société d'histoire de Maurienne ; membre agrégé,
M. l'avocat Emmanuel Denarié, de Chambéry ; membres
correspondants, MM. Arthur-Paul Bourgoignon, capitaine
au 43° Chasseurs à pied, en résidence à Chambéry, l’avo-
cat Michel Revon, professeur de droit à l’Université de
leddo, au Japon, le docteur Vulliet, professeur à la Faculté
de médecine de Genève, l’abbé Henri Monachon, aumônier
de l’Orphelinat et de la Providence des jeunes filles de
Chambéry, Albert Metzger, homme de lettres, domicilié
à Chambéry, Paul Fournier, professeur à la Faculté de
droit de Grenoble, l'abbé Gonthier, aumônier des Hospices
civils d'Annecy, l’abbé Joseph Burlet, professeur au Grand-
XCIV COMPTE-RENDU DES
Séminaire de Chambéry, l'abbé Frédéric Marchand, curé
de Varembon (Ain), le comte Joseph de Regard de Ville-
neuve, président du syndicat agricole et vice-président de la
Société centrale d'agriculture de la Savoie, le R. P. Joachim
Berthier, dominicain, recteur de l’Université de Fribourg
(Suisse). Les uns et les autres de ces élus méritaient par
leurs talents, comme par leurs travaux, cette haute distinc-
tion dont ils ont été l’objet.
IV. Bibliographie.
Suivant la généreuse coutume pratiquée par les auteurs
savoyards, l’Académie a reçu en don un grand nombre
d'ouvrages. Nous nous faisons un devoir d'en citer ici les
principaux.
Lettre pastorale de Monseigneur l'Évêque de Maurienne
concernant la translation des reliques du Bienheureux le
29 septembre 1891.
Dans le premier de ces écrits, Monseigneur l’Évêque de
Maurienne, après avoir retracé en quelques mots, dans sa
Lettre pastorale, les principaux traits de la vie de son saint
prédécesseur, passe successivement en revue les qualités
que doit revêtir celui que Dieu a appelé aux fonctions
élevées de l’épiscopat et qui distinguèérent entre tous le
pontife dont il invite ses fidèles diocésains à honorer les
reliques. À ce sujet, il fait ensuite un tableau saisissant des
fêtes chrétiennes opposées aux perturbations et aux violen-
ces sacrilèges d’un temps malheureux, où les restes du
Bienheureux Ayrald ne furent sauvés qu’avec peine de la
profanation et de la destruction. Nous n’avons besoin de
TRAVAUX DE L'ACADÉMIE XCV
faire ressortir toute l’élévation et la douce éloquence de ces
nouvelles et belles pages de Monseigneur Rosset. Il suffit
de dire que le vénéré prélat vient d’ajouter à l’écrin déjà
si riche de ses publications une œuvre magistrale dont le
diocèse de Maurienne a raison d’être fier et dont l'Église
le remercie.
Lettre pastorale et Mandement du même pour le Caréme
de 1892.
La seconde Lettre pastorale du vénérable prélat est plus
remarquable encore.
On peut appeler Mer Rosset le docteur de l’Eucharistie,
comme on a nommé saint François de Sales le docteur de
l'Amour de Dieu. Le pieux et savant évêque de Maurienne
ne s'est pas contenté d'écrire deux gros volumes sur le
Sacrement par excellence -pour l'instruction des jeunes
lévites et des prêtres, mais encore il a voulu procurer l’édi-
fication des simples fidèles de son diocèse en mettant ses
profondes méditations à leur portée. La Lettre pastorale
pour le présent Carême est la suite de deux précédentes
sur le même sujet. Aucune lecture ne peut être plus
agréable et donner plus de courage aux vrais chrétiens, qui
sont si rudement éprouvés en ce moment, et qui appren-
“dront mieux encore où ils pourront puiser l'élévation des
sentiments et la force de résister au mal.
Le Bienheureux Ayrald, chartreux, évêque de Maurienne,
sa vie, ses reliques et son culte, par l’abbé Truchet, cha-
noine, président de la Société d'histoire et d'archéologie
de Maurienne, 1891.
La brochure de M. le chanoine Truchet est le complément
historique de la lettre évangélique de Monseigneur l'évêque
XGVI COMPTE-RENDU DES
de Maurienne aux fidèles de son diocèse. Elle comprend de
son côté cinq parties : La fête — Le saint — Le tombeau et
les reliques — Quelques témoignages — Les enquêtes et les
décrets. Mer Rosset a daigné lui-même féliciter l'auteur en
_ ces termes : « .…. Ce livre contribuera, j’en ai la confiance,
à ranimer la dévotion envers cet homme de Dieu, qui fut
aussi grand évêque que saint religieux, et que nos ancêtres
ont si justement appelé l’honneur des pontifes, la lumière
de l’Église, l'appui des pauvres... Vous avez été préparé
à ce travail par vos savantes et laborieuses recherches sur
l'histoire de Maurienne, et vous avez fait un judicieux
emploi des documents qui ont échappé aux invasions et aux
perturbations que notre Maurienne a subies depuis la mort
du Bienheureux. » Tout autre éloge, après un témoignage
aussi autorisé, serait faible et superflu.
Quelques détails sur la carte d'Afrique au 200.000e,
à propos de la question de l'élaboration d’une carte de la
Terre à l'échelle de 1.000.000°, par M. le commandant de
Lannoy de Bissy.
M. le commandant de Lannoy de Bissy est un de ces
hommes méritants qui portent haut le nom Savoyard
dans la mère-patrie et jusqu’à l'étranger. A tous ses nom-
breux talents intellectuels, il joint celui d'être un géographe,
qui a certainement des émules dans les divers pays de
notre Europe, mais qui a peu de pairs. S’étant rendu au
Congrès international des sciences géographiques, tenu à
Berne au mois d’août dernier, il fut apprécié à sa juste
valeur et nommé membre du jury des récompenses, ainsi
que de la commission d'examen de la carte de la Terre.
C’est à l’occasion de ce dernier projet qu’il fit la commu-
nication contenue dans sa présente brochure. L'auteur, qui
l
TRAVAUX DE L'ACADÉMIE XCVII
a travaillé quatorze ans à dresser la carte grandiose de
l'Afrique qu'on connaît, et qui l’a terminée il y a deux ans
seulement, pouvait en toute autorité donner ici son avis,
en le basant sur les résultats de sa propre expérience.
Tout en expliquant l’économie de son œuvre admirable et
_ les moyens employés pour l’exécuter, il montre ce qu’il y
aurait également à faire sur chaque point du travail plus
considérable de la carie du monde, tels que l’échelle, la
proportion, l'orthographe des noms, les signes convention-
nels, le mode de composition et l’impression. Il n’y a pas
de doute que, si le projet émis au Congrès se réalise, ces
enseignements du commandant de Lannoy de Bissy ne
soient mis en pratique et ne lui valent aussi la gloire
d'attacher son nom à cet autre monument de la science
humaine.
Philippe-sans-Terre, drame historique, par J. Conversel.
M. J. Converset est Chablaisien et lieutenant dans un de
nos régiments. Mais il est aussi poète et écrit élégamment
la langue du Parnasse. Son drame, tiré du roman de
M. Charles Buet, Philippe Monsieur, représente la lutle des
nationaux conduits par Philippe, quatrième fils du duc
Louis de Savoie, contre les cypriotes partisans de la
duchesse Anne de Lusignan. Assurément, si cette œuvre
était jouée, la critique et le public des grandes scènes
théâtrales trouveraient quelques défauts dans la facture et
dans le langage ; mais, malgré cela, on ne peut nier qu'elle
ne soit une composition saine et forte, qui mérite d’être
accueillie.
Introduction historique à l'inventaire sommaire des
archives de la Haute-Savoie, antérieures à 1792, par
C.-A. Ducis, archiviste départemental.
VII
XCVIII .. COMPTE-RENDU DES
M. le chanoine Ducis, depuis plus de trente ans à la tête
des archives départementales de la Haute-Savoie, s’est
acquis une vive reconnaissance des personnes de ce beau
département qui s'intéressent à l'histoire de leur pays et
qui croient que le monde n’a pas commencé avec elles.
Non seulement, par ses sollicitations réitérées et sur ses
_indications éclairées, il a obtenu de ladministration un
local commode et admirablement aménagé, mais encore,
grâce à ses recherches incessanies, à <es courses sans
nombre, à son esprit judicieux et méthodique, il a créé ces
mêmes archives qui n'’existaient guère avant lui, et qui
surpassent maintenant de beaucoup ce qu’on trouve dans
d’autres départements. Son introduction historique ou sa
préface à l'inventaire, qu'il ne manquera pas de publier
aussi bientôt et que les travailleurs attendent avec impa-
tience, nous montre déjà la richesse et la variété des
documents qu’il a réunis avec amour et classés avec soin.
C'est ainsi que, sous les cinq premières lettres de l’alpha-
bet désignant autant de séries différentes, on trouvera :
À. Les actes provenant ou attestant l'autorité des chefs
de la Maison souveraine de Savoie ;
B. Les actes provenant des comtes de Genève, des barons
du Faucigny, des dauphins viennois et des princes de
Savoie dans leurs terres respectives ;
C. Les actes de gouvernement et d'administration de ces
mêmes terres par leurs possesseurs, spécialement les im-
pôts, les affranchissements, la commission de comptabilité,
les confins d'État, les magistrats de santé, le commis-
sariat des guerres et les commissaires d’extentes.;
D. Les actes qui se rapportent à l'instruction publique ;
E. Les actes qui concernent les titres de familles féodales
et autres, ceux qui regardent l’exercice du notariat, et enfin
TRAVAUX DE L’ACADÉMIE XCIX
. ceux qui ont trait à l’origine, à l’état et à l'administration
des communes. | |
_ Le Royaume d'Arles et de Vienne (1138-1378), par
Paul Fournier, professeur à la Faculté de droit de Grenoble.
Les amateurs de l’histoire de notre pays prendront un
vif intérêt à la lecture du livre de M. Paul Fournier. On
sait que la Savoie formait tine partie considérable du
royaume qu'il décrit. Les autres provinces étaient, outre
le Val d'Aoste et la moitié occidentale de la Suisse, la
portion de la France moderne qui répond au comté de
Bourgogne, au Lyonnais, au Dauphiné, au Vivarais, au
Comtat et à la Provence.
L'auteur commence son récit au moment où ce vaste
État passa, en vertu du testament du roi de Bourgogne
Rodolphe III, sous la domination des empereurs d’Alle-
magne, et le poursuit jusqu’à la réunion du Dauphiné à la
France, qui marque à peu près la fin de cette domination.
« Quels furent les efforts des empereurs pendant plus de
deux siècles pour maintenir en Bourgogne leur souverai-
neté nominale ou pour la transformer en souveraineté
réelle, » tel est, dit-il, tout l’objet de son livre. Parmi les
faits qui se sont rapportés, plusieurs, il est vrai, avaient
déjà été mis en lumière par nos historiens, mais beaucoup
d’autres étaient encore dans l’ombre. Le mérite de M. Paul
Fournier est d'avoir réuni les uns aux autres en un tableau
dont on ne sait ce qu’on doit le plus admirer, de la sol-
licitude qui l’a préparé ou du talent qui l'a exécuté. Nous
ne saurions, du reste, mieux faire comprendre la valeur
de ce beau travail qu'en rappelant la haute distinction du
premier prix Gobert qu’il a reçue de l’Académie de Inscrip-
tions et Belles-Lettres de Paris. |
C COMPTE-RENDU DES
Essai sur les jetons de la Chambre des Comptes du
Dauphiné et Numismatique du Parlement de Grenoble,
1879 et 1887, par M. Gustave Vallier.
Les Peintures murales des Loives de Montfalcon, 1891,
par le même.
M. Gustave Vallier est membre agrégé de l’Académie de
Savoie. Malgré ses quatre-vingts ans, il est vert, alerte, et
ne cesse, au prix même des plus longues courses et des
plus dures fatigues, de composer de volumineux ouvrages
sur l'histoire et l’archéologie. En 1886, il faisait paraitre
les Inscriptions campanaires du département de l'Isère.
Il y a un mois à peine, il livrait au public savant cet autre
travail de bénédiclin : Sigillographie de l'Ordre des Char-
treux el Numismatique de saint Bruno.
Les ouvrages qu’il a offerts à l’Académie, quoique moins
étendus que ces derniers, n’ont pas moins de mérite ni
moins d'intérêt. On sait qu’on appelait autrefois jetons des
pièces de cuivre ou de tout autre métal dont on se servait
pour calculer. Chaque administration publique et même
chaque calculateur avait les siens propres, distingués par
des signes, des armoiries ou des légendes. M. Vallier en
décrit ainsi plus de quarante-cinq qui ont appartenu à la
Chambre même des Comptes du Dauphiné.
La numismatique du Parlement de Grenoble comprend
les médailles qui appartiennent à quelques-uns des mem-
bres de cette haute magistrature et qui furent frappées à
l'occasion de certaines circonstances marquantes de leur
vie ou simplement pour une satisfaction personnelle. On
remarque ici plus de seize de ces pièces, parmi lesquelles
figurent celles de Jacques Cujas et de Claude Expilly.
Les peintures dont nous parle M. Vallier se voient dans
une ancienne habitation ou propriété rurale, ornée d’une
TRAVAUX DE L’ACADÉMIE CI
grosse tour carrée, à quatre kilomètres au-dessous de
Roybon (Isère), au lieu dit Loives. Elles ont ceci d’intéres-
sant pour nous que l’écusson armorié du comte de Savoie
s’y trouve associé en première ligne à ceux du dauphin, du
comte de Forez, d’un membre de la branche d’Achaïe-
Savoie, du prince d'Orange, du comte de Chalon et du
comte de Genève.
Les Possessions françaises de la Méditerranée au Soudan
(Niger), 1891, conférence par M. de Lannoy, chef de
bataillon.
On se rappelle que M. le chef de bataillon de Lannoy a
été longtemps le directeur de la grande carte d'Afrique,
publiée en ces dernières années ‘par le gouvernement
français. Nul mieux que lui ne pouvait donc décrire les
possessions de la France sur le continent africain et faire
avec l’histoire de leurs conquêtes la biographie de leurs
conquérants. Sa conférence, extrêmement instructive sous
ce triple rapport, aura autant de succès auprès des lectenrs
quelle en a eu auprès des auditeurs.
Monographie des directions des douanes en France,
2 volumes, 1890, par M. V. Barbier.
L'ouvrage considérable de M. V. Barbier sur les direc-
tions des douanes en France vient se joindre avec avantage
à tous les autres nombreux travaux que l’auteur a publiés
jusqu'ici. L'historique de cette partie de l'administration
française, non seulement y est aussi complet que possible,
mais de plus il comporte des descriptions de villes, de pays,
de mœurs, etc., qui enlèvent la sécheresse que l’on pour-
rait supposer au livre et qui en rendent la lecture attrayante.
CII COMPTE-RENDU DES
Les Savoyards liront avec plaisir et profit ce qui concerne
particulièrement la direction de Chambéry.
Pratique des Vertus, méthode pour travailler à la
perfection au moyen d'un exercice de vertu chaque jour,
t. Ier, par le Père F. Bouchage, rédemptoriste.
Le nouvel ouvrage du R. P. Bouchage comprendra
trois volumes. Le premier, que l'auteur vient d'offrir à
l’Académie, décèle une profonde connaissance des besoins
de l'âme, ainsi que des moyens qui peuvent la relever. En
même temps, il fait pressentir ce que seront les deux autres.
La vertu que prisaient si fort les anciens, c’est-à-dire, le
combat et le triomphe de ses mauvais penchants, n'est pas
généralement ce qui distingue les hommes de ce temps.
En soumettant à nos méditations de chaque jour sa nature
et ses fondements, comme en indiquant les moyens de la
pratiquer, le savant et pieux religieux a donc fait une
œuvre éminemment utile. Sous ce rapport, la littérature
est assez court2 ; à part les traités ex professo, les ouvrages
de ce genre, qui se lisent et que l’on peut faire lire avec
fruit, n'abondent guère. Le livre du R. P. Bouchage con-
vient à tout le monde. Il est non seulement proportionné à
la moyenne d'instruction parmi ceux qui sont engagés dans
le chemin de la piété, soit au milieu du monde, soit au sein
des communautés religieuses, mais il répond aussi aux
aspirations élevées des âmes plus avancées. En présence de
ces précieuses qualités, nous n’avons besoin d'ajouter que
son succès est assuré.
Le Droit de la guerre, première partie : les Hostilités,
conférences faites aux officiers de la garnison de Grenoble,
pendant l'année 1891-1892, par A. Pillet, DIRIFSSQUE à la
Faculté de droit de Grenoble.
TRAVAUX DE L’ACADÉMIE CII
La presse a déjà rapporté le vif intérêt que les conféren-
ces de M. A. Pillet avaient excité dans leurs auditeurs de
Grenoble. Le livre que nous avons sous les yeux ne fait que
montrer davantage leur valeur. Dans ce temps où, malgré
la paix dont on jouit et que chaque nation jure à sa voisine
de ne point troubler, l’on peut à chaque instant se réveiller
sous le bruit formidable du canon de toutes les armées
européennes aux prises les unes avec les autres. Il est à
propos de rappeler qu’il y a des règles d'humanité et
d'honneur à observer même envers l’ennemi et que la
guerre à aussi son code de lois qu’il n’est pas permis de
violer, sans se mettre au ban des peuples civilisés. On
comprend dés lors, avec quelle vive attention l’orateur du
cercle des officiers de Grenoble a été écouté. Pour faire
apprécier l’importance de ces premières conférences, au
nombre de dix, qu'il suffise d'exposer ici simplement le
titre des questions traitées : De la guerre. — Des causes
légitimes de la guerre. — De la déclaration de guerre. —
Des belligérants. — Des moyens de nuire à l’ennemi. —
Des sièges d'autrefois et de ceux d’aujourd’hui. — Des
prisonniers de guerre. — Des blessés et des malades. —
De la nécessité des rapports entre belligérants au cours des
hostilités. — De la sanction des lois de la guerre.
La Porte de Sainte-Sabine à Rome, par le R. P. Joachim
Berthier, dominicain, recteur de l'Université de Fribourg
(Suisse).
Las
..
LES CAPRONI
(CAPRONY, CAPPRONY, CAPERONY)
FABRICANTS DE PAPIER
A LA SERRAZ (BourGET-Du-LAc) ET À DIVONNE
AUX XVII‘ ET XVIII‘ SIÉCLES
LEURS MARQUES ET FILIGRANES
Par A. PERRIN
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LES CAPRONTI
LEURS MARQUES ET FILIGRANES
Les fabricants de papier ont un rôle important dans
l'industrie du livre, mais plus modeste et moins connu que
celui des imprimeurs. Depuis quelques années, l’étude de
leurs marques et de leurs filigranes, pour la période qui a
précédé la fabrication mécanique du papier, a appelé l’at-
tention sur eux. Les filigranes employés par chacun d’eux
peuvent fournir d’utiles indications et permettre de ré-
soudre certaines difficultés relatives à la date et au lieu
d'impression de livres publiés sans ces indications. De là
l'intérêt de rechercher les ouvriers qui ont employé ces
filigranes et les localités dans lesquelles ils ont travaillé.
Ayant eu la bonne fortune de réunir des marques, des
filigranes et divers renseignements se rapportant à une
famille qui a travaillé pendant plus d’un siècle et demi
dans le même atelier, nous détachons aujourd’hui cette
étude particulière de l’histoire des fabricants de papier de
la Savoie.
Il s’agit d’une famille Caproni établie à la Serraz, dont
une branche alla s'installer à Divonne où elle exerça la
même industrie.
Re —
Depuis que nous avions cherché à réunir les divers fili-
granes des papiers employés en Savoie, le nom de Caproni,
assez fréquemment placé sur le joug de cloches et accom-
pagné de différentes initiales, avait attiré notre attention.
A côté de ce nom et aux mêmes époques nous trouvions
en grand nombre des initiales, placées dans des cercles,
au-dessus ou au-dessous de raisins, dont le classement
et l'attribution seraient restés difficiles si le moyen de les
déterminer ne nous avait été fourni par un signe particu-
lier : un croissant qui figurait fréquemment dans ces fili-
granes.
Le croissant était la marque particulière de la famille
Caproni, qui en avait trois dans ses armes, placés deux et
un. Leur écu figure dans la marque d’André et de Jacques
Caproni, associés, imprimée en rouge Sur une feuille de
papier, ayant pour filigrane les initiales À C placées au-
dessus de trois raisins, qui servait d’enveloppe à un dos-
sier de procédure daté de 1687.
M. le marquis de la Serraz a bien voulu nous communi-
quer cinq de ces marques, trois originales gravées sur bois,
deux imprimées sur des feuilles que des notaires écono-
mes ont sauvées en les utilisant ; une sixième avait élé
recueillie par nous sur la garde d’un livre. Ces marques
étaient destinées a être empreintes sur les première et
dernière feuilles et sur les enveloppes des rames de
papier. Toutes appartiennent à Ja fabrique de la Serraz,
une seule est d’une époque postérieure à sa direction par
la famille Caproni. Quelques-unes sont datées et portent le
nom de la fabrique, celui du fabricant et l'indication de la
qualité du papier ; celles sur papier ont, en outre, le fili-
grane du prédécesseur. Les données qu’elles nous procu-
raient nous permirent d'attribuer d’une manière certaine
- Va 5 er
une partie des filigranes que nous possédions, à divers
membres de la famille Caproni. Nous en augmentämes le
nombre en dépouillant les comptes de la ville de Cham-
béry, les registres du Sénat de Savoie, les minutes des
notaires et les registres paroissiaux de diverses com-
munes !.
Les registres du Bourget-du-Lac étaient écrits presque
exclusivement sur du papier fabriqué à la Serraz, et les
filigranes se succédaient dans l’ordre même de leur fabri-
cation. Ils nous fournirent un grand nombre d'actes
relatifs aux Caproni ou dans lesquels ceux - ci étaient
intervenus comme témoins. Grâce à l'aide obligeante de
M. l'abbé Picollet, curé-archiprêtre du Bourget, nous
pûmes dresser la généalogie presque complète de cette
famille et établir l’ordre de succession de ceux de ses
membres qui ont travaillé aux battoirs de la Serraz.
M. C.-M. Briquet, de Genève, à qui sont dues d’impor-
tantes publications relatives aux filigranes, avait indiqué
dans l’une d’elles le nom de Caproni, rencontré par lui sur
divers papiers. Je lui adressai une copie de mes filigranes,
il voulut bien m'en faire connaitre de nouveaux se rappor-
tant principalement à une branche de la famille Caproni
établie à Divonne, ainsi que divers actes relatifs aux fabri-
ques de la Serraz et de Divonne.
1 Chambéry, Bissy, le Bourget-du-Lac, Cognin, Dullin, la
Motte-Servolex, Montmélian, Nances, Novalaise, Saint-Joeoire,
Saint-Sigismond.
Aux archives de la ville, les mandats de payement du tréso-
rier sont écrits sur des feuilles aux filigranes des Caproni à dater
de 1630. Le nom seul est placé sur le joug d’une cloche ; en 1631,
les initiales B C dans un cercle surmonté d'une croix; ensuite se
succèdent plus nombreux les divers filigranes que nous avons
reproduits. À dater de 1684, toutes les factures et mandats, sauf
cinq ou six exceptions, sont sur du papier aux initiales À, C;
G,G;S, C; B. CAPRONI.
Papeteries de la Serraz.
Trois fabriques de papier ont existé à la Serraz et sub-
sistent encore, deux d’entre elles sont peu importantes
aujourd’hui. Il est assez probable que les deux fabriques
qui avoisinent le château ont élé établies et exploitées par
les Caproni; les filigranes différents que nous avons ren-
contrés à des époques contemporaines l’indiquent.
Les fabricants dont nous avons les marques peuvent
seuls être considérés comme ayant travaillé à la papeterie
plus rapprochée du château. Les bâtiments sont situés à
gauche de la route avant d'arriver au pont qui précède
l'avenue. Rien dans ces constructions n’attire l'attention
des nombreux visiteurs, dont les regards se portent sur la
merveilleuse cascade qui descend de la montagne par
bonds successifs, la blancheur de ses eaux faisant ressortir
l'éclatante verdure des branches qui s’entre-croisent au-
dessus. Gracieux tableau d'aspect toujours varié, suivant
la saison, l’état de l'atmosphère et l'heure à laquelle on le
voit. Une partie de ses eaux, qui ont mis en mouvement les
artifices de la seconde papeterie, placée sur le plateau
supérieur, est détournée pour servir de moteur à celle
située au-dessous de la cascade.
Les Caproni se sont établis à la Serraz vers la fin du
xvie siècle. L'acte le plus ancien, relatif à cette famille,
inscrit sur les registres paroissiaux du Bourget, est le ma-
riage de Sébastien Caproni avec Gabrielle Pomaris, en
1599. L'année suivante, à la date du 29 mai, figure l’acte
de naissance de leur fils Jean. Ce sont les seuls renseigne-
ments que nous ayons sur eux, les registres des trente
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premières années du xvie siècle faisant défaut, nous n'avons
pu établir leurs liens de parenté avec d’autres membres de
celte famille, dont l'existence entre 14640 et 1650 est cons-
tatée par divers filigranes.
Sébastien paraît avoir été le créateur de la papeterie de
la Serraz ; nous lui avons attribué les filigranes au nom de
Caproni seul, qui sont les plus anciens dont nous ayons
constaté l'emploi de 1630 à 1633. Ils se trouvent dans les
pièces comptables du trésorier de la ville de Chambéry et
sur deux copies des articles de la capitulation accordée à la
même ville par Louis XIII en 1630 (pl. I, n° 1).
De 1636 à 1650, des initiales accompagnent le nom de
famille placé sur le joug des cloches; parfois des diffé-
rentes initiales figurent sur les cloches. Tels sont pour cette
période : L. CAPRONI, avec les initiales C C (pl. E, ne 2),
1636; CAPRONI et les initiales À C sur la cloche (pl. I,
n° 3), 1640-1642 ; B. CAPRONI (pl. I, ne 4), 1641-1642 ;
B C entre deux traits, dans un cercle surmonté d’une croix
(pl. I, n°5), 1632-1646 ; CAPRONI et les initiales C P sur
la cloche (pl. [, n° 6), 1650 ; CAPRONI seul (pl. I, n° 7),
en 4660’. Nous n'avons pu que classer ces divers filigra-
nes par ordre de date, faute de renseignements sur ceux
qui les ont employé.
L. CAPRONI peut avoir appartenu à un Louis Caproni,
établi plus tard à Chambéry comme marchand de papier.
En 1648, il achetait, pour son compte ou pour la fabrique
de la Serraz, des colles à Genève : « Loys Cartier et con-
sorts, maîtres chamoiseurs, vendent à Ls Capprouni, march
papetier à Chambéry, 12 quintaux et plus de colle de mou-
{ Les dates indiquées sont celles des actes écrits sur les papiers
dont nous avons relevé les filigranes ; leur fabrication est donc
toujours antérieure et parfois de plusieurs années.
à —
ton, chèvre, veau et chevreau, à rendre aux Halles de la
ville, à 44 florins p. p. le quintal!. » Il fut adjudicataire
de la gabelle du commun du vin en 1639 et en 1641, malgré
l'opposition du Conseil de ville pour n’avoir pas rempli les
conditions du contrat en présentant une caution solvable ;
le Sénat lui donna raison. Le réglement de ses comptes
donna lieu à un procès, continué pendant nombre d’années
par la ville de Chambéry contre ses répondants et sa famille,
afin d'obtenir le payement de quartiers de sa cense qu’il
avait retenus, prétextant que la peste l’avait empêché de
recouvrer les droits pendant une partie de ses deux années
de gestion. De 1669, après son décès, jusqu’en 1673, se
succédèrent des assignations, comparutions, jugements,
etc., qui forment un volumineux dossier contenu dans deux
cartons. Ces écritures interminables ne contiennent ni la
solution du procès, ni, ce qui nous eût intéressé davantage,
la moindre indication sur les membres de sa famille.
À partir de 1636, les registres paroissiaux du Bourget
n'offrent plus que de rares lacunes et nous avons pu, dès
cette date, établir la généalogie presque complète de la
famille Caproni.
Quatre noms paraissent d'abord fréquemment, ceux
d'Hercule, de Louis, de Pierre et de Gabriel Caproni. Les
deux premiers étaient probablement frères et associés pour
la fabrication du papier. Ils épousèrent, la même année
1636, deux sœurs de la famille Janon, du Bourget, et furent
les chefs des deux branches de maitres papetiers des fabri-
ques de la Serraz et de Divonne. Gabriel et Pierre étaient
leurs frères ou tout au moins leurs proches parents, puis-
qu'ils figurent tous deux comme parrains d'enfants ou de
1 Archives de Genève, Actes de M° Est. Demonthoux, deuxièmo
du nom, vol. V, fol. 1485. (Extrait par M. Briquet.)
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petits-enfants d'Hercule ou de Louis, ou avec leurs
femmes, d'enfants de leurs ouvriers ou d'habitants du
Bourget.
Les filigranes d’Hercule et de Louis (pl. I, nes 8, 9, 10 et
11), qui devaient avoir chacun un battoir, se rencontrent
simultanément de 1660 à 1672, et jusqu'en 1679 pour
Louis (pl. III, n° 27) ; ils sont de deux espèces comprenant :
leurs noms placés sur le joug d’une cloche ou leurs initiales
dans un cercle surmonté d’une croix. Ils différent en ce
que : l’'H initiale d’Hercule est formé d’un double trait, et
le joug de la cloche, pour Louis, est surmonté d’une cou-
ronne ; ce dernier a de plus placé un croissant au-dessous
de ses initiales, il y figure pour la première fois en 1660.
Deux des fils de Louis, Pierre et Jacques, acquirent et
créèrent des papeteries à Divonne. A leur départ, leur
fabrique dut passer à André, fils de Guillaume, notaire
ducal au Bourget ; ses filigranes sont accompagnés du
croissant placé au-dessous de raisins (pl. I, n° 13 ; pl. I,
n° 44 ; pl. II, nes 28, 38, 39, 45, 46, 47, 48 ; pl. V, nes 52,
53, 54, 56, 59, 63; pl. VI, nos 70, 74, 72, 73; pl. VII,
n° 80) et parfois entre ses deux initiales. Il employa d’abord
les deux filigranes de Louis, la cloche ornée de traits et
le cercle crucigère (pl. 1, n° 12; pl. IT, nes 15, 17, 22).
Sa marque, la plus ancienne que nous connaissions pour
la Serraz, est d’un dessin et d'une exécution très primitifs.
Un écu aux armes de la Maison de Savoie, surmonté d’une
couronne écrasée, ayant deux lions pour supports, en
occupe les deux tiers ; au-dessous, une branche de vigne
supportant trois raisins et les inscriptions qu’elle sépare :
André Caprony à la Serraz et Papier fin au raisin. Elle
est antérieure à 1671, le filigrane du papier sur lequel elle
est empreinte se composant de trois raisins surmontés des
— 410 —
initiales À C (pl. II, n° 18), marque d'Antoine, qui parait
dès 1670.
André s’associa, en 1680, à Jacques, dont nous n'avons
pu établir la parenté; leur marque est d’une gravure peu
supérieure à la précédente, bien que le dessin en soit plus
artistique. L’écu aux armes de la famille Caproni, trois
croissants placés deux et un, est entouré d’un motif d'or-
nementation comprenant deux croissants, des branches et
des grappes de feuillages et de fruits. Au-dessous, on lit :
André et Jacques Caprony à la Serraz, et sur une ban-
derolle, coupée au milieu par une branche de vigne por-
tant trois raisins, Papier fin au raisin. La feuille sur
laquelle elle est imprimée porte un filigrane de trois rai-
sins avec les initiales À C, semblable, moins le croissant,
au n° 39 de la planche III, employé dès 1679.
Ils développèrent leur industrie et produisirent des pa-
piers de plus grand format, l’un ayant pour filigrane l'ini-
tiale d'André et le nom séparés par un cœur et surmontés
d’une couronne, un raisin au-dessous d’un dessin (pl. IV,
nes 40 et 41); l’autre, où ses initiales seules, séparées par
un cœur, sont surmontées d’une petite couronne, un raisin
au-dessous. |
Cette extension donnée à leur fabrication fut sans doute
due à Jacques dont nous n’avons trouvé l’initiale que sur
une seule espèce de papier très fort et de grande dimension,
fabriqué par lui avant son association avec André. Les
comptes du trésorier de la ville de Chambéry, de 1670 à
1680, et les actes du Sénat, de 1673 à 1682, sont écrits sur
ce papier marqué d’un curieux filigrane (pl. IT, n° 20). Son
nom /. CAPRONI, entouré d’un filet, est surmonté d’un
écusson portant au centre un lion, entouré d’un double
cercle renfermant le nom de Claude Bourgo et d'une gra-
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cieuse ornementation. Ce nom, dont l'épaisseur du papier
rendait la lecture difficile (et qui nous parut d'abord Bourget-
du-Lac), est celui d’un habile ouvrier appelé à la Serraz par
les Caproni, pour perfectionner leur outillage et leur fabri-
cation. À la mort d'André, en 1688, il n’est plus question
de Jacques. |
Des quatre fils d'Hercule, Antoine lui succéda, Guillaume
devint notaire au Bourget, Claude et Sigismond prirent la
suite de la fabrique après la mort d'Antoine, en 1679. Les
filigranes d'Antoine apparaissent à partir de 1665, ses ini-
tiales à traits simples ou doubles figurent aux côtés d’un
seul raisin (pl. II, n° 23) ou au-dessus de trois ou quatre
raisins (pl. IL, nes 16, 18, 24, 25; pl. III, nes 29, 30, 37;
pl. V, nes 614, 62, et pl. VI, nes 66 et 69), non accompagnés
du croissant, marque distinctive d'André.
Nous ne savons à qui attribuer le filigrane (pl. III, n° 34)
portant une couronne au-dessous de trois raisins surmontés
des initiales À C. |
Le papier aux filigranes À G au-dessus ou au-dessous de
raisins, avec ou Sans croissant, est pendant nombre d’an-
nées d'un emploi presque exclusif à Chambéry et dans une
grande partie de la Savoie. De 1678 à 1695, presque toutes
les factures des comptes de la ville sont écrites sur du
papier à cette marque, et les filigranes de fabricants étran-
gers sont devenus extrêmement rares.
Les registres de délibérations de la ville, de 1683 à 1693,
quelques-uns des registres du Sénat et la plupart des re-
gistres paroissiaux des communes sont écrits sur du papier
aux mêmes filigranes. Nous les avons également retrouvés
sur les feuilles de volumes imprimés à cette époque : À C
sur trois raisins, un croissant au-dessous, dans l’édit de
S. A. R. réglant l'autorité des gouverneurs du château de
— 12 —
Montmélian, imprimé en 1683 chez L. Dufour et J. Gorin ;
À C à doubles traits sur trois raisins, dans le traité des
subastations de Bailly, imprimé chez Micoullier (Estienne
Riondet), en 1679.
Contemporainement, mais beaucoup plus rares (de 1670
à 1679), existent des filigranes aux initiales P C, qui ap-
partiennent bien à un atelier de la Serraz, placées au-dessus
de trois ou quatre raisins avec tiges (pl. X, nos 115 et 116),
et encore dans un cercle surmonté d'une croix, avec un
croissant au-dessous (pl. III, n° 32), et avec le nom entier
P. CAPRONI sur le joug d’une cloche, surmonté d’une cou-
ronne, en 1731 (registres paroissiaux de Chambéry). Ils
peuvent appartenir à Pierre, fils de Louis, sur lequel nous
n'avons pu recueillir aucun renseignement.
Claude et Sigismond succédèrent à leur frère Antoine.
Comme leurs marques et leurs filigranes diffèrent, bien que
ces derniers paraissent être sortis des mains du même
ouvrier, il est certain qu’ils travaillèrent séparément.
Quoique les produits au filigrane de Claude nous soient
connus dès 4684, sa marque porte seulement la date de
1689. Elle se compose de l’écu de Savoie surmonté de la
couronne royale ayant deux lions pour supports ; on lit au-
dessous en deux lignes : Claude Caprony, la Serraz —
Papier fin à la croix blanche. La gravure du bois est bonne,
le dessin largement tracé est d’une exécution remarquable,
aussi avions-nous pensé qu'il pouvait être, ainsi que celui
de la marque de Sigismond, attribué à Cuenot. Notre sup-
position est devenue une certitude lorsque nous avons su
que le fils Cuenot avait épousé Die Hélène Caproni, par
1 MM. Durour et Ragur ( L'Imprimerte, les imprimeurs et les
libraires en Savoie) mentionnent la fourniture de papier faite
par Antoine Caproni à Jean-François Rubellin, imprimeur à
Rumilly avant 1679.
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son acte de décés, retrouvé par nous dans les registres
paroissiaux de Saint-Pierre de Maché, à la date du 18 dé-
cembre 1749, à l’âge de 65 ans : « Sépulture, à Saint-
Pierre sous le Château, de D'l Hélène Caperony, femme
de M: André Cuenot. »
En reproduisant cette marque d’après le bois, nous avons
rétabli le nom de Claude, que l’un de ses successeurs avait
enlevé au ciseau afin de l'utiliser en plaçant son prénom
dans le vide ainsi obtenu. Heureusement le creux n'avait
pas été approfondi et le nom se lit encore facilement.
Ses filigranes, assez irréguliers et parfois déformés, se
composent de trois et aussi de quatre raisins, surmontés
des initiales C C, séparées pour quelques-uns par une fleur
de lis ou une croix alaisée (pl. IV, nos 42, 4h, 49, 51 ;
pl. V, n° 55; pl. VI, nes 65, 68, 75). De 1709 à 1740, sur
un papier plus grand que le raisin, figure une cloche por-
tant sur le joug, surmonté d’une couronne fantaisiste, ses
initiales séparées par trois points et un cœur (pl. VII,
no 92).
Sigismond s’est borné à placer ses initiales au-dessus de
trois raisins sur les papiers qu’il a fabriqués de 1686 à
1690 ; à partir de cette dernière date, il ajoute un croissant
au-dessous des raisins (pl. IV, n° 50; pl. V, nes 57, 60;
pl. VI, ne 64). En 1710, il fabrique du papier à la cloche
dont le filigrane se rapproche, comme forme, de celui de
Claude : ses initiales S C, placées sur le joug, sont séparées
seulement par un cœur (pl. VIIL, n° 93).
Nous avons de lui le bois d’une marque qui s’imprimait
sur les deux faces de l’enveloppe de chaque ramette de petit
papier à lettre, dont il avait entrepris la fabrication. D'un
côté, dans une couronne de clochettes aboutées, formant
quatre cornes d’abondance liées par des nœuds de rubans
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en haut et en bas, est une grande fleur de lis accostée
d’une étoile et d’un croissant ; on lit au bas : Papier à la
croix de Malte fait à la Serraz par Sigismond Caprony,
au-dessous est un cœur percé de deux flèches ; de l’autre,
une croix de Malte est suspendue par une chaïnette à une
double branche de lauriers qui l'entoure.
Louis (fils de Claude, deuxième du nom) succéda à André
et à Jacques; il fit économie de formes en utilisant celles
de ses prédécesseurs, en transformant l'A en L à double
filet, l'exécution peu soignée rend leur forme assez irrégu-
lière. Ce travail d'appropriation se reconnait même sur les
filigranes sans croissant, ceux-ci par suite de l'inversion
des lettres sont toujours au-dessus, les pointes tournées en
bas (pl. VE, nes 67, 73; pl. VII, nes 76, 77, 78, 79, 82). Les
plus récents ont été faits de toutes pièces, cadre et filigranes,
les raisins sont plus grands et plus réguliers, le croissant
est placé entre les initiales (pl. VIE, n° 84 ; pl. VIII, ne 94).
L'on trouve encore ses deux initiales séparées par un cœur
sur le joug d’une cloche (pl. VIE, n° 81).
Sa marque, qui était empreinte sur la garde d’un livre,
ayant le filigrane À C sur trois raisins, est beaucoup plus
simple que celles de ses prédécesseurs ; elle reproduit, en
plus grand, le cercle crucigère des premiers Caproni, dans
lequel sont ses initiales avec un croissant au-dessous, ac-
costé de deux branches de laurier.
Contemporainement et un peu après Louis, on trouve des
papiers aux filigranes ayant les initiales A C jusqu’en 1698,
et les initiales P C jusqu’en 1709. Les premières appartien-
nent très probablement à un André, fils d'Antoine, qui ne
nous est connu que par son second mariage, célébré à
Saint-Pierre sous le Château, le 25 août 1695 : « Caperoni
André, fils d'Antoine, du Bourget, veuf, et Gasparde Per-
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rian, veuve. » Les témoins sont deux de ses cousins, Gabriel
el Antoine. |
Ses initiales sont placées sur le joug d’une cloche, sépa-
rées par un cœur (pl. VII, n° 81), au-dessus de trois ou
quatre raisins, un croissant inversé entre deux (pl. VIE,
ns 85, 86; pl. VIIT, n° 97), au bas de quatre raisins (pl.
VIIE, n° 96), ou seules, séparées par un cœur, et un grand
raisin sur l’autre côté de la feuille (pl. VIEIL, ne 83).
Nous n'avons aucun renseignement sur le Pierre ? dont
les initiales figurent au-dessus de trois raisins avec un
croissant au-dessous (pl. VIIE, nes 88, 89, 90), son initiale
et son nom séparés par un cœur sur le joug d’une cloche
(pl. VIIT, nc 97 ; pl. IX, n° 98).
Le filigrane le plus récent est de 1742 : I. CAPRONI
séparé par un cœur sur un joug de cloche, il peut être
attribué à Jean Caproni, né en 1700.
L'emploi du papier timbré, rendu obligatoire au milieu
du xviue siècle, rendit plus rare l’emploi du papier ne
portant pas la marque officielle, les filigranes ne figurent
presque plus dans les pièces publiques. Les fabriques de la
Serraz durent produire des papiers à la marque officielle
et réduire la fabrication du papier.
Dimensions des papiers fabriqués à la Serraz.
Pendant les premières années de leur établissement aux
papeteries de la Serraz, les Caproni paraissent avoir borné
leur fabrication à deux formats seulement, qui ont pris
les noms des filigranes usités pour distinguer chacun
. d’eux : la cloche et la couronne. Les dimensions de la
2. A0: = -
première s’écartent peu de 27 ‘/2 X 38 ‘Js à 29 x 40, et
celles de la seconde de 26 X 35. Le format raisin vient un
peu plus tard et est bientôt produit en plus grande quantité
que les deux autres ; son filigrane se compose de un, deux,
trois et quatre raisins, dont il prit le nom. Les dimensions
sont un peu plus variables entre 34 X 44 et 33 ‘/: X 48,
pendant que les membres de la famille Caproni se succèdent
aux battoirs de la Serraz. |
En outre de ces trois formats qui constituaient la base
de la fabrication courante, il en exista d’autres faits sans
doute en moins grande quantité que nous n’avons pas re-
trouvés, et de plus grands et plus forts, comme celui à la
marque de Claude Bourgo, qui mesurait 57 x 44 ‘Je.
Établie à la Serraz et au Bourget, à la fin du xvre siècle,
la famille Caproni se multiplia rapidement de 1600, où
nous trouvons deux membres seulement de cette famille,
à 1637, où les actes paroissiaux nous en font connaître un
nombre considérable. Dès cette époque, une partie de ses
membres dut chercher au dehors un emploi à son activité.
Louis s'établit à Chambéry marchand de papier, Pierre et
Jacques allérent créer des fabriques de papier à Divonne.
Un certain nombre va former des alliances au dehors, prin-
cipalement à Chambéry, où les rapports d’affaires avec les
papetiers, les imprimeurs et les libraires les rendaient plus
faciles ; citons Claudine, fille de Claude Caproni, mariée
à Jean Bonjean, bourgeois de Chambéry, en 1680, et
Hélène Caproni à André Cuenot.
Très considérés au Bourget, où leur obligeance était pro-
verbiale, les Caproni acceptaient volontiers de tenir, sur les
&
ne A7 =
fonts baptismaux, les enfants des familles du Bourget et
d'assister comme témoins aux mariages. À ces divers titres,
ils figurent à chaque instant sur les registres paroissiaux.
L'assistance aux baptêmes se rencontre à des dates très
rapprochées, lorsque ce commérage servait de point de
départ à des liaisons plus intimes : Gabriel Capront est
parrain avec Etiennette Coutibert, le 6 décembre 1687 et
le 7 juillet 1688, et ils se marient le 17 août de la même
année. Antoine Caproni est parrain avec Françoise Bertier,
les 10 et 20 mai 1689, et leur mariage se célèbre en juin.
La famille de Seyssel acceptait volontiers de remplir les
mêmes offices en faveur des Caproni; noble Sigismond de
la Serraz est parrain de Sigismond, fils d'Hercule, le 10
janvier 1641 ; Joseph de Seyssel et noble de Seyssel, sa
femme ou sa fille ? tiennent, sur les fonts baptismaux, Jo-
seph, fils de Sigismond, le 25 août 1664 ; Victor-Amé de
Seyssel est parrain de Thérèse, fille de Louis, le 20 janvier
1703. Ils sont également témoins aux mariages qui, dans
ces cas, se célèbrent dans la chapelle publique de la Serraz.
Les Caproni ne possédèrent pas une sépulture particu-
lière, bien que plusieurs membres de cette famille aient été
ensevelis dans l’église du Bourget, mention qui ne se trouve
que sur deux actes. Le 27 septembre 1685, Joseph est
enterré devant la chapelle de Saint-Sébastien, et, le 4 jan-
vier 1706, Antoine est enterré dans l’église du Bourget.
La maison habitée par les Caproni est encore connue, et
une locution conservée par quelques vieillards, prendre du
tabac à la Caproni, rappelle Fhabitude d’un des derniers
membres de cette famille d'offrir du tabac, non pas dans
une tabatière, mais dans une feuille de papier. En exami-
nant le tableau généalogique, placé à la fin de ces notes,
l'on s'explique la disparition de ce nom de famille par le
IVe SÉRIE. — ToME IV. | R
— 18 —
grand nombre de filles, nées des mariages des derniers
Caproni, tandis que les garçons étaient en majorité dans
les soixante premières années qui suivirent son établisse-
ment au Bourget.
Fabrication du papier à la main.
La fabrication du papier continu, à l’aide de machines,
a fait diminuer rapidement les nombreux ateliers où il se
faisait à la main; aussi croyons-nous utile d'indiquer ce
procédé de fabrication que peu de personnes connaissent
aujourd'hui.
La pâte, pilée au battoir et préparée, était versée dans
des cuves ; l’ouvrier trempait dans la pâte un cadre, ou
forme, sur lequel il recueillait une certaine quantité de
pâte qu’il répartissait également sur toute la surface, en
agitant le cadre’, répétant l'opération quand le papier devait
être plus fort. La feuille, après avoir été égoutée, était
couchée sur un molleton et, lorsqu'elle avait pris assez de
consistance, suspendue pour sécher à l'air libre.
Le cadre en bois était garni de fils de cuivre, tendus
parallèlement et très rapprochés, supportés par d’autres
fils plus forts, placés au-dessous perpendiculairement aux
premiers et régulièrement espacés. Cette disposition facili-
tait l'écoulement d'une partie de l’eau.
Les vides existant entre les premiers fils produisaient la
vergeure du papier, et, les seconds, les traits perpendicu-
laires appelés pontuceaux. Ceux-ci variaient en nombre et
en écartement; ceux placés aux bords de la forme n'étaient
séparés que par un demi espace et s appelaient tranche-fil.
— 19 — |
Les pontuceaux font défaut quelquefois dans les papiers
les plus anciens, très rarement à la Serraz.
Le filigrane, ou marque particulière de la fabrique ou du
maitre papetier, S’obtenait au moyen de fils fixés au-dessus
de la vergeure reproduisant les noms, les initiales ou les
dessins dont on voulait obtenir la reproduction sur la
feuille. Le plus souvent, il est placé au centre du feuillet,
quelquefois au bord, ou à un coin, perpendiculairement aux
vergeures Ou aux pontuceaux. Au commencement du x1v®
siècle, le filigrane est placé quelquefois sur chacun des
feuillets ; ce système, usité à Venise à la fin du xve et au
commencement du xvie siècle, fut repris au xvue siècle,
comme on le voit sur les papiers timbrés des États Sardes,
sur lesquels les armes de Savoie, les initiales, les portraits
et les noms des princes sont répétés sur chaque feuillet. Le
filigrane indique le format : pot, cloche, coquille, raisin,
jésus, colombier, grand-monde, nom de l’objet représenté
sur chacun d'eux; la qualité : fin, moyen, bulle venant
gros, bon; le fabricant, la papeterie, et, plus récemment
enfin, l’année de la fabrication.
Dans la reproduction des filigranes, nous avons suivi la
méthode employée par M. Briquet, indiquant les pontu-
ceaux et, pour la vergeure, le degré de rapprochement des
fils, par des points comprenant l'espace occupé par vingt
traits. Les variantes, en dehors des motifs et des lettres,
sont peu sensibles, mais pourront servir pour classer les
filigranes douteux ou pour comparer entre eux les produits
des différentes fabriques de la Savoie et des pays voisins.
Législation.
Les dispositions légales, relatives à l'établissement et à
l'exercice des papeteries dans les anciens États Sardes, sont
peu connues, celles que nous possédons sont de la fin du
XVIIe siècle.
L'établissement d’une fabrique sur un cours d'eau, trans-
mettant la force motrice aux pilons et servant au lavage et
au délayage de la pâte, ne pouvait avoir lieu qu'avec la
permission du propriétaire et moyennant redevance. Il
nécessitait ensuite l’obtention d’une autorisation de l'État
et d’un privilège pour la collecte des chiffons et des colles
dans une région déterminée. Des règles assuraient la bonne
fabrication du papier, de là l'obligation d'employer des fili-
granes et des marques garantissant la qualité par l’indica-
tion du fabricant.
Les rares documents reproduits dans la Raccolla de
Duboin se rapportent tous au Piémont, ils devaient être
identiques pour la Savoie; nous en donnons une simple
analyse.
Tout fabricant devait conster de la propriété de la pa-
peterie et du droit d’user du cours d'eau, indiquer l'im-
portance de sa fabrication et si elle était continue ou non.
Chaque papeterie devait recueillir les chiffons dans un
rayon déterminé et les payer au prix fixé, aussi bien que
les linges et les colles employés à la fabrication du papier.
La sortie de ces matières premières était prohibée dans le
but de favoriser l'industrie locale. Au xvire siècle, ces
matières premières étaient frappées d'un droit à la sortie
et exemptes à l'entrée. Les papiers importés du dehors
—
étaient frappés d’un droit prohibitif. La fabrication s'étant
développée de 1815 à 1833, les droits furent réduits à la
sortie, la production dépassant les besoins; elle se ralentit
de 1833 à 1848, et quelques établissements cessèrent de
travailler dès cette époque.
Papeteries de Divonne.
M. Briquet publiait en 1844, dans l’Union de la Pape-
terie, des notices sur les plus anciennes papeteries suisses ;
il a bien voulu nous autoriser à reproduire les parties de ce
travail relatives aux établissements tenus par la famille
Caproni à Divonne.
Les sources de Divonne, utilisées aujourd'hui par l’éta-
blissement hydrothérapique, mettaient autrefois en mouve-
ment les roues de plusieurs industries, au nombre des-
quelles cinq papeteries au moins existaient avant le xviie
siècle.
L’une d'elles, possédée par la famille Piney ou Penet,
de 1556 à 1640, passa aux mains des frères Pierre et
Jacques Caproni, fils de Louis, dans la seconde moitié du
xviie siècle. Ils étendirent leur industrie, et eux ou leurs
descendants possédèérent deux et même trois papeteries à
Divonne, pendant le xvure siècle.
Un acte de partage du 5 juillet 1686, entre les deux
frères, attribue à Pierre le moulin provenant des hoirs de
Jaquette Piney et à Jacques celui provenant du sieur Des-
confin, soit de sa femme, et antérieurement de Gratien Bel,
citoyen de Genève. Un troisième battoir, situé en Nevé ou
en Nevi, mentionné pour la première fois en 1616, passa
VU
Le 99 ————
des mains d’une famille genevoise aux Caproni. Une recon-
naissance féodale de 1700, le mentionne comme exploité
par Jean, fils de Jacques Caprony.
En 1750, le sieur Gilbert Caprony, maïtre fabricant de
papier à Divonne, obtient Ja « permission, pour une fois
seulement (sauf à obtenir une nouvelle permission, s’il y a
lieu, plus tard), d'exporter la quantité de 800 rames de
papier appelé & la main, 400 rames de papier fin appelé
à l’écu, 500 rames de celui appelé grand carré, 400 rames
de celui appelé petit carré, et 200 rames de celui appelé
cartier ‘. »
La main, remplaçant le raisin, était usitée à Genève,
d’où je crois l’origine du nom de papier à la main ; dans
les filigranes des Caproni de Divonne, que nous avons
reproduits (pl. IX, nes 1400 et 105), deux ou trois mains
remplacent les raisins usités à la Serraz.
Les sieurs Caprony et Pignolat, fabricants de papier à
Divonne, et Gaspard-Joseph Caprony acceptèrent, en 1751,
l'ordonnance de l’intendant de Bourgogne sur les drilles à
tirer du royaume *.
Un rapport du subdélégué Fabri à l’intendant de Bour-
gogne, en 1784, ne mentionne plus que trois papeteries à
Divonne; une avait cessé de fonctionner à cette époque, et
peut-être comptait-il pour un seul les deux établissements
de Pierre Caprony. Deux des trois batioirs possédés par la
famille Caprony subsistaient seulement en 1785, et passè-
rent à cette époque entre les mains de P.-A.-Albert de
Vennes. C’est sur leur emplacement qu’existe aujourd’hui
l'établissement hydrothérapique fondé, en 1848, par le
docteur Vidart.
1 Archives do la Côte-d'Or, à Dijon. Extrait de la liasse C, 44.
3 Gex, 15 février 1751.
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Nous devons à l’obligeance de M. Briquet la plupart des
filigranes employés par les Caproni établis à Divonne
(pl. IT, nes 33, 34, 35, 36; pl. IX, nes 100, 101, 102, 103,
104, 405 ; pl. X, nos 116, 117). Le petit nombre retrouvé
par nous ne figurait point sur du papier vendu ou employé
en Savoie, mais sur les papiers d’actes relatifs à Aulph el
à Thonon, trouvés dans les archives de l'Académie de
Savoie et à la cure de Saint-Jeoire, autrefois prieuré dé-
pendant de la Sainte-Maison de Thonon. Ils sont, sans
exception, aux initiales P C et doivent appartenir à la fabri-
cation de deux membres de cette famille ayant le nom et
le prénom de Pierre. Deux types bien différents les distin-
guent ; le plus ancien a les deux initiales placées sur trois
ou quatre raisins (pl. IE, n° 26, et pl. IT, nes 32, 33, 34,
35, 36); il se rencontre fréquemment aux archives de Ge-
nève de 1678 à 1700. Il se rapproche beaucoup du filigrane
de la Serraz à la même époque. Le plus récent a les deux
mêmes initiales séparées le plus souvent par une fleur à six
pétales, placées au-dessus de deux ou trois mains (pl. IX,
nos 400 à 105). Le nombre de mains se rapportait à l’in-
dication du format : papier double main, triple main, dési-
gnation qui paraît établie dès 1700 et encore usitée à
Genève dans le même sens, tandis que, dans l'usage cou-
rant, le nom de main s'applique à un cahier de vingt-cinq
feuilles, quel qu’en soil le format.
Filigranes n’appartenant pas à la fabrique
de la Serraz.
Nous avons reproduit à la troisième colonne de la plan-
che IX et sur la planche X, un certain nombre de filigranes,
moins les nes 4146 et 117 qui doivent appartenir aux Caproni
de Divonne, provenant de papeteries de Savoie. Nous les
avons trouvés en grand nombre aux archives de la ville,
dans les minutes des notaires de Chambéry et dans divers
registres paroissiaux, les feuilles portant ces filigranes
étaient mêlées à celles aux filigranes des Caproni. Quelques-
uns, tels que les nos 106, 108, 111 et 112, peuvent leur
être attribués, mais il ne nous à pas été possible de le faire
d’une manière certaine. Les écus de Savoie (nes 107 et 115)
se rencontrent très fréquemment avec de nombreuses va-
riantes de dessins d’ornementation. Le dernier, ne 419,
représente les armes de la ville de Chambéry ; malgré la
date qui est au bas, le dépouillement des comptes de la
ville pour les années 1686 à 1690 ne nous a fourni aucun
renseignement sur la papeterie où il a été fabriqué et sur le
motif qui l’a fait employer.
— 9 —
Description des planches de filigranes.
Tableau généalogique.
Nous terminons notre étude par un tableau des filigranes
que nous avons reproduits, avec l'indication du nom du
fabricant, des dates extrêmes des actes sur lesquels nous
les avons rencontrés et des archives ou registres dans les-
quels nous les avons recueillis. Le nom de Chambéry indi-
que les archives de la ville; Saint-Léger, placé à la suite,
les registres paroissiaux déposés à la cure de la Cathédrale;
les autres noms de communes, les registres paroissiaux.
Vient ensuite une généalogie de la famille Caproni, telle
que les registres paroissiaux du Bourget et quelques indi-
cations retrouvées dans divers actes nous ont permis de
l'établir.
DESCRIPTION DES FILIGRANES
Noms et Initiales
Cloche avec battant, coupée par deux traits en croix,
CAPRONI Sur le joug. à
Cloche avec c c entre deux traits et battant, L. GAPRONI l
OUT IC TOUS Russie ce es dreiierenubedalssensel
Cloche avec À c entre deux traits, GAPRONI sur le joug.|.
Cloche, B. capRonI sur le joug...................,....1
Cercle surmonté d’une croix aux branches terminées|
par des ronds, 8 c entre deux traits à l'intérieur.....|!
Cloche avec c P entre deux traits, caPRoNI sur le joug. |
Cloche, cAPRONI sur lé ous
Cloche avec - c entre deux traits et battant, H. CAPRONT La
sur le joug......... ee
Cercle surmonté d’ une croix aux branches terminées] |
par des ronds, x c entre deux traits à l'intérieur....
Cercle, z c et croissant au-dessous...........,.,...,..:
Cloche avec battant, L. CAPRONI surmonté d’une cou-
ronne sur le joug. A
Cercle surmonté d’une croix aux quatre branches ter-
minées par des ronds, 4 ©, croissant au-dessous....,
Trois raisins surmontés des initiales 4 G, Un croissant
JU ACSSOUS. 2 se een es doter eee sos
IT 14 | Trois raisins surmontés des initiales À G, un croissant l
INVOPSO AU-AOSSUS. semences ete sacoonsanenclii
Cercle déformé sans croix au-dessus, À c entre deux
traits, croissant au-dessous........... . es
Quatre raisins surmontés des initiales À « à double trait,
Cercle surmonté d'une croix aux bras supérieurs termi-\,
nés par des ronds, v c entre deux traits, croissant au-
déSSOUS si SR ren cnndeu ses ioesaracaetes carole
Trois raisins à gros grains surmontés des initiales À c.!
Cloche ornée avec battant, À <% capRoNIsur le joug sur-
monté d'UNE COUTONNE... sr eusesers one eee
99 ( Lion entouré du nom de Claude Bourgo, dans un double
et. cercle entouré d’un motif d’ornementation, I. CAPRONI
20 bis (au-dessous ; sur l’autre feuillet, un gros raisin... ...
21 | Trois raisins irréguliers surmontés des initiales À c. |
22 | Cercle surmonté d’une croix aux bras terminés par des! ; |
ronds, À c entre deux traits, un croissant au-dessous.i |
98 | Grand raisin accosté des initiales À G....ssss.. ...... |
24 | Trois raisins surmontés des initiales À Ca ns
25 | Trois grands raisins surmontés des initiales À c.......
26 | Trois petits raisins surmontés des initiales c P....,...l
——_——_—
FABRICANTS| PÂTES
DES ACTES
Sébastien......| 1630-1633
Louis (?)....... 1636-1637
André (?)......| 1640-1643
Barthélemy (?).| 1641-1642
lib serses 1639-1654
Pierre (?)...... 1644-1656
PRE nous 46
Hercule.......| 1635-1647
A r 1649-1660
Louise ses 1659-1671
À À PR 1660-1678
André......... 1661-1675
Frs Racine 1667
ds = 1668
FE CR 1669
Antoine,...... 1665-1668
André..... .…, 1666-1694
Antoine ....... 1670
André...., 1 1670-1695
Jacques ....... 1670-1678
Antoine....... 4655-1670
André........, 1668-1672
Antoine....... 1671-1672
id... es ..11664-75-78
dissous 1664-1673
Pierre..... 4670
OT
ARCHIVES
REGISTRES PAROISSIAUX, COLLECTIONS
Chambéry, le Bourget, Perrin.
Le Bourget, Montmélian.
Actes de notaires.
Actes de notaires.
Chambéry, Cognin.
Saint-Jeoire.
Saint-Jeoire.
Chambéry, le Bourget, Montmélian.
Chambéry, S'-Léger, Perrin, Cognin.
Chambéry, Cognin, Nances, Nova-
Haise.
Chambéry.
Chambéry, Saint- Léger, Dullin, la
Motte, Saint-Sigismond. |
Actes de notaires.
Actes de notaires.
Le Bourget, la Motte (sans pontuceaur).
Perrin.
Le Bourget, Nances, Novalaise.
Chambéry.
Chambéry.
Chambéry, Sénat. |
Montmélian. |
Montmélian (et un plus grand croissant écrasé).
Perrin.
Chambéry, Dullin, Montmélian.
(Marque d'André.) Montmélian. |
Aulph.
| PLANCHES
III
IV
DESCRIPTION DES FILIGRANES
Noms et Initiales
Cloche ornée de deux traits, L. CAPRONI sur le joug sur-
monté d'uné COUFONNB: sue dote ass desas est
Trois raisins surmontés des initiales À c, un croissant
AU=AEBSOUS . +. seems seveson ra Sin ass
Trois raisins surmontés des initales à a..............
Trois raisins surmontés des initiales À c..............
Trois raisins surmontés des initiales 4 c,une couronne
AURAS OUR ee en en on een eee
Cercle surmonté d'une croix à bras terminés par des
ronds, à l'intérieur : P c entre deux traits, un crois-
SANTA -DOSSOUS sense ent de es seine niet
Quatre raisins surmontés des initiales Pia ae
Trois raisins surmontés des initiales P c............,
Trois raisins surmontés des initiales : c sur le raisin
du milieu, P à droite, avec rond au-dessous........
Trois raisins surmontés des initiales cP.............
Trois raisins surmontés des initiales À c............
Trois gros raisins surmontés des initiales : À sur celui
du milieu, c sur le suivant, un croissant au-dessous.
Trois gros raisins surmontés ‘des initiales 4 C, un crois-
SANL AU-OSSONS iseshesssanaii anses res sarees
Raisin, A. GAPRONI, un Cœur entre l’initiale et le nom,
grande couronne QU-AESSUS. «rss 7
Raisin, À c, un cœur entre deux, surmonté d’une cou-
SO A de dt ce de
Trois raisins surmontés des initiales c c placées entre
OUR Re ee a en nas nn a Cl
Cloche ornée, B °5° CAPRONI sur le joug surmonté
d’une COUTONNE. rue notions a
Trois gros raisins irréguliers surmontés des initiales
T'rois raisins surmontés des initiales A c, un croissant
aU-deSSOUS .....,,...... essor so
Trois raisins surmontés des initiales À c, un croissant
irrégulier au-dESSOUS......................e. tee
Trois raisins avec les initiales À c, l'A placé entre le
2m et Le 3°, le c au-dessus de ce dernier, un croissant
QU-AESSOUS . sen enssseseneneseee rene eseneeer se.
Trois gros raisins surmontés des initiales À c, un crois-
sant entre deux............,,...,....,.......,.,..
Trois gros raisins surmontés des initiales a c.........
Trois gros raisins surmontés des initiales s c.........
st 0 hu PE, Éd
ARR a
DATES
DES ACTES | REGISTRES PAROISSIAUX, COLLECTIONS
FABRICANTS
LOUIS: eus
André......... 1678
Antoine....... 1678
LAS see. 4679
André......... 16738
Pierre......... 14677
Eds 1678
DU ER 1679
Ve Re 1679
Éd: ss: 1679
Antoine ..... | 4679-1694
André......... 1679
Id....,.........11668-76-92
[d::,5:4388. 1680
À Ne PP 1680
Claude......., 1684
Barthélemy....| 1685-1699
Claude........ 1682-1686
André......... 1683-1691
1diss Prose 1685
145 0. 1685
Id a 1680-1685
Claude........ 1684-1685
Sigismond..... 1686
ARCHIVES
1672-1679 | Chambéry, le Bourget.
Dullin. |
Chambéry, Perrin. |
Chambéry, la Motte (marque d'André et Jacques).
Les Bauges.
Lyon.
Aulph.
Perrin.
Chambéry, Perrin.
Aulph.
Nances.
Chambéry, Cognin (c 4).
Montmélian, Novalaise.
Nyon (arch. de Lausanne, comptes du bailliage de Nyon).
Chambéry.
Perrin.
Cognin, Nances.
Cognin, la Motte (sans pontuceaux).
Chambéry, la Motte.
La Motte.
Chambéry.
Chambéry, Montmélian.
Chambéry, la Motte, les Carmélites.
Chambéry, Dullin, St-Léger, Genève.
VI
— 90 —
DESCRIPTION DES FILIGRANES |
|
|
|
18
Noms et JInitiales
Trois raisins surmontés des initiales c ©, une fleur de
lis entre deUX.... esse seeseesee bal
Trois raisins surmontés des initiales 4 c, un croissant:
AU-AOSSOUS LL enr ne da doc ie TC Tea dre
Trois raisins surmontés des initiales À c, un croissant
de face au-dessous... ess eseseocronssnee _
Trois petits raisins surmontés des initiales 4 ©, un
croissant au-dessous..........,,.............. ne
Trois raisins surmontés des initiales € c, une fleur de
lis entre deux....................,...,......,,.....
Trois raisins surm. des init. À ©, croissant au-dessous.’
lrois petits raisins surmontés des initiales s & ...... e
Jrois petits raisins surmontés des initiales À G........
Trois raisins surmontés des initiales 4 c, un croissant
AUUESSOUNS us ce sde deeipuetosoieseselau dos
Trois raisins surmontés des initiales 20............. À
Trois raisins surmontés des initiales À c à trait double...
Trois raisins surmontés de l’initiale A le « manque
(en-dehors).........,...........,.,4...es.s sus.
Trois raisirs surmontés des initiales À c, un croissant
AU AOSSONS sida dire Mar eds ee a
Trois raisins surmontés des initiales S C, un croissant
au-deSsSOUS...... ses
Trois gros raisins surmontés des initiales c C, une croix
aldisée entre deux. Susan ae
Trois raisins surmontés des initiales À c à doubletrait.….
Quatre raisins, au-dessous les initiales 1 c, la première
'AOUDIC EITALL. ner sa ns de te den pese ou
Quatre raisins, au-dessous les initiales c c............
Trois raisins surmontés des initiales 4 c, à double filet.
Trois raisins surmontés des initiales 4 c, à double filet,
un croissant au-dessous......,.....,.,.........,...
Quatre raisins surmontés des initiales : À placé au mi-
lieu, « sur le dernier raisin, un croissant au- ee
Trois raisins à gros grains surmontés des initiales 4 c
Un croissant AU-dESSOUS.. .e serres. —.
Trois raisins ayant au-dessous les initiales À ©, la 4" à
double trait, dessus un croissant abaissé et déformé.
Trois raisins ayant dessus l'initialc À (c manque), un
croissant au-dessous .......,..............,...,,.,)
Trois raisins ayant dessus les initiales c c, séparées |
par une eur AC IIS enr ersdetiéoesasecl
2.250005. #5 + , © © »
FABRICANTS DATES
DES ACTES
Claude ........ 1685
André......... 1685-1754
1 Ne PR 1680-1688
10 sine 1685-1691
Claude ........ 1685
André......... 658
Sigismond. .... 1633-1689
Antoine ...,... 1690
André......... 1688
Sigismond..... 1690
Antoine ....... 1690
Éd. 4689-1690
André......... 1688-1692
Sigismond..... 4690
Claude .......,. 1690
Antoine ....... 4691
Louis ......... 1691
Claude ........ 1693-1694
Antoine ....... 1692-1705
André......... 1698
Be CR 1691-1704
Id 2e 1693
Ts. 50 1695
Id ee ce 4695
Claude........ 1695
ARCHIVES
REGISTRES PAROISSIAUX, COLLECTIONS
Chambéry, Perrin.
Chambéry, la Motte.
Chambéry.
La Motte.
Chambéry.
Chambéry, Cognin (c N
Chambéry, Montmélian.
Chambéry.
Chambéry, Bissy.
Chambéry, Saint-Léger.
Chambéry, Perrin.
Montmélian.
Chambéry,i-Léger, Dullin, Novalaise. ;
Chambéry.
Chambery, la Motte.
Chambéry.
Chambéry.
Chambéry.
Novalaise.
Chambéry, Saint-Lécer. |
Chambéry, Cognin, la Motte (sans croissant). |
Chambéry. |
Chambéry.
Chambéry.
Chambéry, Perrin.
ITR
- | PLANCHES
VIII
EH Y à Res
0
DESCRIPTION DES FILIGRANES
Noms et Initiales
Quatre raisins ayant dessous les initiales L c, la pre-
inièro.à double fFAIt..45.. ci si suueussedensesst
Trois raisins ayant dessous les initiales L c, la Does
_ mière à double trait, dessus un croissant abaissé.…
Trois raisins ayant dessous les initiales L c, la pre-
mièro à double Trail... ses. soutenus. cut
Quatre raisins ayant dessous les initiales L c, la pre-
mièré à double trait. ss... sses suce
Trois raisins ayant dessus les initiales 4 c, et très bas
au-dessous un croissant.................,..........
Cloche avec les initiales À c sur le joug, un cœur entre
deux, surmonté d'une couronne (le même avec L c).
Trois raisins ayant dessous les initiales L c, au-dessus
un:éroissant ADAÏSSÉ. 5e dis or esnrineisssus
Les initiales À c, un cœur entre deux, entourées d’un
filet, et sur }” autre feuillet un grand raisin......
Trois grands raisins ayant au-dessous les initiales L ©
séparées par un croissant.......................s..
Trois raisins ayant au-dessus les initiales à c« à double
trait, la seconde déformée, séparées par un croissant
DDaÏSSÉ ess... :
Trois raisins ayant au-dessous les initiales à c, ‘la 4e à
double trait, séparées par un croissant abaissé......
Quatre grands raisins ayant au-dessous les initiales À ©,
la 1 plus grande et à double trait, et au-dessus un
croissant abaissé..... Méta ee ae dos dee ais
Trois grands raisins ayant au-dessus les initiales P c,
et au-dessous un croissant... ....,..,..............
Quatre raisins ayant au-dessus les initiales P c, au-
dessous un croissant ......,..................s...,
Trois raisins ayant au-dessus les initiales P ©, au-
dessous un croissant de biais ......................
Quatre raisins ayant au-dessus les initiales À c à double
trait, la 1" plus grande, au-dessus un croissant abaissé.
Cloche avec battant,ayantsur le jouglesinitiales Go 0,
un cœur avant le c, au-dessus une couronne......
Cloche avec battant ayant sur le joug les initiales s c,
un cœur entre ceux au- en une couronne .......
DIGELFAIE eus ses ni sida scout
Trois raisins ayant au-dessus l’initiale a (4 manque
probablement)..... ,,.,.., eau TR
Î
—
|
|
l
\
FABRICANTS
Isis ,..| 1695-1715
Id..... (Louis).
ARCHIVES
REGISTRES PAROISSIAUX, COLLECTIONS
Saint-Jeoire, les Carmélites.
Chambéry.
ner online k
Chambéry, Saint-Léger.
Chambéry.
Chambéry, Perrin. (Chambéry, Bissy, 1723-1734.)
Chambéry.
Chambéry.
Chambéry.
Chambéry.
Chambéry.
Chambéry.
Chambéry.
Chambéry.
Chambéry.
Chambéry, la Motte (sans croissant).
Cognin (sans ,%), Novalaise, S'-Jeoire.
Chambéry, répertoire du Sénat.
Chambéry, Cognin.
Chambéry.
VIe SÉRIE. — TOME IV. 3
_ 34 —
DESCRIPTION DES FILIGRANES
Noms et Initiales
VIIL| 96 | Quatre raisins ayant au-dessous les initiales À c......
97 | Cloche ayant sur le joug P. GAPRONY, un cœur entre
l’initiale et le nom, au-dessus une couronne........
IX 98 | Cloche avec les mêmes détails que ci-dessus......,....
99 | Cloche avec battant ayant sur le joug I. CAPRONY, un
cœur entre l’initiale et le nom, au-dessus une cou-
TONNES sue drone Da eV Sas ee Pan ee
400 | Deux mains ouvertes surmontées des initiales P c, sé-
parées par une fleur à cinq pétales......,.....,..,..
401 | Deux mains avec les mêmes détails que ci-dessus.....
102 | Trois mains ouvertes surmontées des initiales P c, le
a à double trait, séparées par une fleur à cinq pétales.
403 | Trois mains ouvertes surmontées des initiales p c à
double trait, séparées par une fleur à six pétales...
104 | Deux mains ouvertes surmontées des initiales P c.... .
405 | Deux mains ouvertes surmontées des initiales P c, sé-
parées par une fleur à cinq pétales.....,..........,,
406 | Trois raisins avec À à double trait sur le premier .....
107 | :Ecu de Savoie COUTONNÉ:..: sers esce sers use
408 | Petit cercle surmonté d’un trois-feuilles, à l'intérieur
les initiales À c entre deux traits...........,,....,..
409 | Petit cercle surmonté d’un trois-feuilles, à l'intérieur |
les initiales À P c P séparées par des traits.........,
110 | Trois raisins réunis par un pampre de vigne enfer-
MAnL ICS INIHAIGS E D La ten eus dois echec
X | 111 | Raisin avec pandeloque à trois pans au-dessous, ac-
costé de deux, au-dessus les initiales c À entourées
d'u HILL Seule ae aies
412 | Raisin avec pandeloque à trois pans au-dessous, ac-
costé de deux, au-dessus les initiales À c entourées
d'un filet . Vue onde ;
4148 | Raisin, au- -dessous les initiales ç 1 entourées d'un filet,
un cœur entre deux, surmontées d’une couronne....
414 | Grand raisin à pédoncule.................. bee
415 | Ecu de Savoie surmonté d’un ornement fantaisiste. due
116 | Trois raisins à pédoncules, entr’eux les initiales a P..,
417 | Quatre raisins à pédoncules, au-dessus des deux du
milieu les initiales p c, un cœur entre deux, entourées
CAE à PU
118 | Les armes de la ville de Ghambéry avec ses chiens, et
au-dessous la date 1689 entourée d'un filet.....,....
x
e
|
204000. 0e + ee
N - . —
DATES ARCHIVES
DES ACTES | REGISTRES PAROISSIAUX, COLLECTIONS
FABRICANTS
Antoine ....... 1694-1705 | Cognin, Novalaise, S'-Jeoire (AC dessus),
[la Motte.
Pierre......... 1700-1709 | Chambéry, répertoire du Sénat.
loisirs 17274781 | Chambéry, Cognin (cloche avec battant et deux traits).
Jacques ....... 1742 Chambéry.
Pierre......... 1668 Thonon.
dissous 1668 Thonon.
à Ce PR 1706 Genève (Bibl. publ., papier ecclés.).
dissous 1721 Genève (Bibl. publ., papier ecclés.).
Lis isssmes 1723 Thonon.
LÉ PAR 1737 Genève (Bibl. publ., papier ecclés.).
Antoine....... 1631 Chambéry.
R 1640 Chambéry, Bissy.
sheet bent 1642 Chambéry.
PT TT 1644 Le Bourget.
soins ses 1678 Aulph.
a 1658-1690 | Chambéry, Cognin, Saint-Sigismond.
fes dose .1:..| 4658-1690 | Chambéry, Sénat, Cognin, S'-Sigis-
[mond.
Te 1668 Chambéry, le Bourget.
dose ist 1684 Chambéry.
etes 1687 Chambéry.
Pierre......,.. 1699 Chambéry.
VC PR Tr 1703 Nyon (areù, de Lausanne), filigrane posé ea haut de la page.
— essosocel 14689 | Chambéry.
Généalogie de la famille CAPRONI
OPER OS, mm
Sébastien CAPRONI
à GABRIELLE POMARIS (1599)
|
JEAN (29 mai 1600)
MADELEINE
à Claude Bor&Go&xo
HERCULE
maitre papetier
PIERRE
(parrain en 1638
(GABRIEL
(parrain en 1662)
LOUIS
maître papetier
MADELEINE
àOSSET, de Chambéry
| à Marouerite JANON à Benoîte JANON |
JEAN-GASPARD (18 mars 1637) (530 janvier 1679) | PHILIBERTE (1665)
|
| _ | | |
| |
à Antoine
CLAUDE (27 décembre 4635) GUILLAUME, notaire ducal SIGISMOND (10 janvier 1641) FRANÇOIS ANTOINE (11 février 1647) FRANÇGOISE PIERRE (7 janvier 1637) CLAUDE FRANÇGOISE JACGQUES (8 juillet 1645) GUIGONNE
à Catherine PÉRINET à Madeleine CHApPpAz maitre papetier (+22 décembre 1710) (11 février 1644) à Jeanne VICHAT (43 juillet 14653) à Guillarme CURTILLET (27 décembre 1637) (6 mars 1639) maitre papetier à Aymé CHAVASSE
(veuve en 1712) (F 27 juin 1674) à Marie SoRLin (+ 17 février 1691) | (T 12 septembre 1716) (26 janvier 1669) à Honorée CHAVASSE à Claudine DOMENGET | | __—
| | ANDRÉ, veuf [établi à Divonne] [établi à Divonne] | |
CT | | | | | |
| à Gasparde PERRIAN, veuve LÉ Re : . AO
ANDRÉK [ANDREVAN] CLAUDINE MARGUERITE JOSEPH (25 août 166%) LOUIS (1° septembre 1669) (à Chambéry, 93 août 1695) | | |
maitre papetier à Etiennette COUTIBERT 24 septembre 4682) à J.-C. BorsEAU, châtelain (20 avril 1662 ) maitre papetier à Barbe MALoz JEANNE JEAN
(+ 4 janvier 1706) (17 août 1655) à Honnorade CHAVASSE du prieuré du Bourget (F 27 septembre 1685) |
PHILIBERTE
(4 mai 1665)
(f 28 juin 41671)
PERNETTE ANTOINE (18 mars 4609)
(13 juin 1662)
FRANCOISE
GABRIEL (31 juillet 1668)
(24 novembre1666)
ANNE
(26 janvier 1679) à Divonne
à Françoise BerTrer (7 juin 1689) |
| MADELEINE
(45 juillet 1672)
(4 septembre 1677)
à Claire Droz, de Chambéry
JEANNE (1712)
| fé | : ; (31 décembre 1670)
JOSEPH (29 mai 1659)
CHARLES
MADELEINE LOUIS {1# septembre 1669)
|
CLAUDINE
(en 1700)
dr | "Et DRE JE _— 5 nl. É ns Des " L se 7 D (1 septemb'e 1568) à Pierrette SULPICE (46 janvier 1662) maitre papetier à Jean BONJEAN me — (se
| | à Marcel AR CD | | | | | | | (marraine en 1683) à Louise Beurp* notaire . | : |
LOUISE MARIE (1: février 1717) PHILIBERTE (24 avril 4659) MARIE MICHEL JEANNE (décembre 1686) CLAUDE LAURENT CLAUDE (6 avril 1680) | | GILBERT ŒASPARD-JOSE AE
à TrRucHET, d'Annecy à Jean-Louis NAVET | RE ra à Joseph PAccARD (12 juillet 14671) (7 février 1686) (517 décembre 1761, au Reclus) (29 avril 1687) (24septembre 1702) (+ 13 septembre 4701) THérèse (20 janvier 1703) JEANNE (en 1750) (en 1751)
(4707) (18 septembre 1717) GABRIEL (19 1évrier 1718) Gnterréo à S-Dominique (1742) à Louis TRUCHET (+ 9 avril 4707) Fe e
Maxime (41 avril 4720)
!
(24 septembre 1702)
CLAUDE-FRANGOIS
45 octobre 1721
à Claude GurcHaRrD
de St-Alban (9 juin 1722)
(21 mai 1681)
? ? ? ! ? ! ? ? ?
CATHERINE CATHERINE À TUIGONNE ANNE ANTOINE PÉRONXNE HERCULE Lours, marchand papetier ANDRÉ (+ avant 1689)
\ César Porna, de Chambéry a Claude HEURTEUR ù DE CROZO ù Amédée CITAVASSE
U 460Dc .Itids LAS Tone
(7 janvier 1702) (+ 6 décembre 4713)
|
DIGISMOND (17 avril 4687
(10 juillet 1664)
à Hélène FRANGOIS
|
à Antoine GUILLOT
de Nantua
à Marie SOBLIN
(+ 1668, à Chambéry)
“
à Jeanne FRANCOIS
HÉLÈNE (1684)
(+18 décembre 1749)
RES De | | (+ 27 février 4697) à k | s à André CuExoT
enterrée à Saint-Dominiqu FRANGOIS (6 noyembre 1780) | | | | . enterrée à St-Pierre s/ le Château
| | MADELEINE (9 juin 4648) MARGUERITE PHILIBERTE MADELEINE JAGQUELINE
— ——*
JACQUES (7 avril 1720)
JOSEPH (20 mai 1722)
à René CATTON (24 avril 1679)
(20novembre1681)
(27 mai 168)
LES
ANCIENNES CORPORATIONS
D'ARTS & DE MÉTIERS
DE LA VILLE DE CHAMBERY
ET DE :
QUELQUES AUTRES LOCALITÉS DES ÉTATS
DE LA MAISON DE SAVOIE EN DEÇA DES MONTS
Par L. MORAND
mr PO MÉ D
INTRODUCTION
ORIGINE, NATURE, MULTIPLICITÉ ET ORGANISATION INTÉRIEURE
DES ANCIENNES CORPORATIONS D'ARTS ET DE MÉTIERS
Les associations de certaines classes d'hommes pour la
défense et la protection de leurs intérêts ont une origine
très ancienne. On les trouve déjà parfaitement organisées
et jouissant d'importants privilèges, soit à Rome, dès les
premiers moments de sa fondation, soit chez les peuples
qui, vers le commencement de l’ère chrétienne, habitaient
les rives septentrionales et les iles de la mer du Nord.
Depuis la chute du célèbre empire romain sous les assauts
répétés des barbares, jusque vers la fin du dix-huitième
siècle, elles n'ont aussi cessé de s'affirmer, et même de
tenir en un certain temps, sous des modifications acces-
soires plus ou moins profondes, une place marquante au
sein des populations urbaines.
Avant d'entrer dans le sujet de ce livre, je crois donc
utile, pour l'intelligence des lecteurs à qui ces sortes de
questions ne sont pas familières, de donner quelques détails
sur l'origine, la nature, la multiplicité, l'organisation inté-
==. =
rieure et la vie sociale de ces anciennes associations, au-
jourd’hui malheureusement disparues ‘.
%
*X *X
À Rome, cette superbe reine du monde, on ne s’adonna
jamais aux sciences que nous nommons économiques. Le
travail mercenaire y était réputé indigne de la qualité de
fils de Romulus. Tout citoyen romain, quelque pauvre qu’il
fût, dédaignait l'exercice d'aucun art. Il préférait n’avoir
pour vêtement qu'un manteau en haillons, vivre avec deux
as par jour, passer son temps au Forum, dormir sous un
portique aux environs de la porte de Trigemina ou coucher
sur Ja paille au pied d'un arbre de la forêt d’Aricie. En
général, ce qui se rapportait au commerce, à l'industrie,
aux ouvrages manuels, était laissé aux plébéiens.
Cependant, pour obvier, autant que possible, à l'antago-
nisme qui menaçait d'éclater entre ces deux classes de la
population, les hommes de la cité et les hommes de la plèbe,
Numa, dont l’histoire a célébré le génie législateur, em-
ploya un moyen aussi heureux dans ses résultats qu’habile
1 Je me suis servi, pour ce court aperçu, des travaux de plu-
sieurs écrivains renommés, dont on reconnaîtra même, bien
qu'elles ne soient pas chaque fois indiquées, les propres paroles.
Tels sont, entre autres : Louis CiBRARI0, Économie politique du
Moyen-Age ; Fusrez DE CouLances, La Cité antique; Albert
BaBeau, Les Artisans et les Domestiques d'autrefois ; Hippolyte
BLanc, Les Corporations de métiers, etc. — Je dois aussi plusieurs
renseignements à MM. Fr. Mugnier, conseiller-doyen à la Cour
d'appel de Chambéry, Marie Girod, agent technique des Hospices
de Chambéry, Claudius Blanchard, avocat, greffier de la Cour
d'appel de Chambéry, A. Perrin, libraire, De Jussieu, ancien
archiviste du département de la Savoie, Jules Vernier, archi-
viste actuel du même département, le chanoine Ducis, archivisto
du départemont de la Haute-Savoie, Édouard de Buttet. Je leur
en adresse ici toute ma reconnaissance.
= HA
dans sa conception. Comprenant l’avantage de rompre sa
force et de rendre ainsi plus faciles ses rapports avec la
première de ces classes, il fractionna la seconde en autant
de groupes indépendants et distincts qu’elle renfermait de
professions diverses.
Suivant Plutarque, son biographe, ce roi sage s’acquit
par là une très grande admiration. La répartition qu’il fit
d'abord des artisans comprit, entre autres, les musiciens,
les orfévres, les architectes, les teinturiers, les cordonniers,
les tanneurs, les chaudronniers, les potiers'.
Plus tard, à ces premières sociétés vinrent s’en joindre
de nouvelles du même genre, qu’on trouve également men-
tionnées dans d’autres auteurs. Tels furent les capitolins?,
qui avaient pour fonctions de présider les jeux en l’honneur
du Jupiter de ce nom, les mercuriaux*, ainsi appelés du
dieu Mercure qu’ils s'appliquaient à honorer d’une manière
1 « Inter reliqua ejus statuta, distributio multitudinis secundum
artificia meruit summam admirationem. Cum enim Urbs ex dua-
bus gentibus constare videretur, re autem ipsA dissideret ac in
unum coalescere nullo modo vellet, ne diversitatem et differen-
tiam liceret abolere, sed essent perpctuæ inter partes offensæ
atque contentiones; cum animo suo reputans ea corpora, quæ
suapte natura difficulter aliis ob duritiem misceri possent, con-
tracta in particulas, propter harum exiguitatem inter se demum
coire atque commisceri posse, statuit universam multitudinem
in plures portiones partiri atque ita primum illud et magnum
discriminem in minora tributum e medio tollere. Divisit autem
secundum artifieia, ut suum peculiare corpus haberent tibicines
suum, aurifices, architecti, tinctores, sutores, coriarii, fabri æra-
ri, figuli : reliquas artes etiam singulas omnes in unum suum
quoque corpus redegit. Porro unicuique generi suos peculiares
conventus et religiones prescribens, tum primum, ita ex Urbe
sustulit eam diversitatem qua alii Romani, alii Sabini, hi Romuli,
illi Tatii, cives censebantur, suaque divisione id consecutus est,
ut omnibus cum omnibus convenire commercia intercederent. »
— PLUTARQUE, Vie des Hommes illustres.
1 CicÉRON, lib. II, Epist. ad Quintum fratrem.
3 P. SERvVILIUS Coss. Livius, lib. II.
—_ 2 —
toute particulière, les voyageurs", les boulangers, les nau-
loniers, les armuriers*.
Chacune de ces diverses corporations Ronnie le nom
générique de collège, collegium, et ses membres celui de
compagnons, sodales. Les unes et les autres jouissaient de
certains privilèges qui en faisaient, pour ainsi dire, autant
de républiques dans la République. Outre la faculté de tenir
librement leurs assemblées et de s'imposer à elles-mêmes
des règlements, pourvu qu'ils ne fussent point en opposi-
tion avec les lois d'ordre public, elles pouvaient recevoir
des legs, posséder des biens et avoir un trésor commun,
en même temps que se faire représenter, dans la gestion de
leurs intérêts, par des agents ou syndics de leur choix®.
Pourtant leurs membres ne furent point relevés entière-
ment de la condition inférieure qu'ils tenaient de leur
origine. L'opinion publique et les lois elles-mêmes ne
cessérent de les considérer comme des êtres au-dessous des
membres de la cité proprement dite, et de donner à leur
mariage le nom méprisant de contubernium, qui était celui
de l’union des individus sans dieux domestiques ‘, au lieu
* AGELLIUS, lib. XII, cap. 111.
3? Pandectes et Code Justinien.
3 « Collegia Romæ certa sunt, quorum corpus senatus consulto
et constitutionibus principalibus confirmatum est, veluti pisto-
rum, et quorumdam aliorum, et naviculariornm, qui et in pro-
vinciis sunt. Quibus autem permissum est corpus habere collegii
vel societatis, vel cujuscumque efasreias nomine, eorum pro-
prium est, ad exemplar Reipublicæ, habere res communes,
arcam communem, ct actorem sive syndicum, per quem tanquam
in Republica, quod communiter agi, fieri oporteat, agatur, fiat,
etc. » — Gaius, in lib. I M : Quod cujusque universitatis nomine.
— ScævoLa, lib. III ff : Pater filium, de legatis.
4 Contubernia promiscua habent more ferarum. — « À Rome
(du moins dans les premiers temps), la différence originelle
entre les deux populations est frappante..…. Le mariage sacré
n'existe pas pour eux; ils n’en connaissent pas les rites. N'ayant
pas de foyer, l'union que le foyer établit lour ost interdite. » —
FusTez DE CouLANGES, La Cité antique, pp. 28 et suiv.
id =
de celui de matrimonium qui était réservé exclusivement à
l’union des patriciens. |
De plus, il n’était permis en aucun cas aux artisans, sous
les peines les plus graves, de quitter leurs collèges res-
pectifs et de changer d'état. Chacun devait vivre et mourir
dans sa profession primitive. Par exemple, un forgeron
était tenu de rester toujours forgeron, un monnayeur tou-
jours monnayeur, un corroyeur toujours corroyeur, un
teinturier toujours teinturier, un pêcheur de murènes
toujours pêcheur de murènes. Dans les derniers temps de
l'empire romain, une loi d'Arcade et Honorius alla même
jusqu’à faire une obligation de marquer les armuriers au
bras, afin qu'on put les reconnaitre à ce signe.
*
* *
Chez les anciens Scandinaves, les associations que for-
mèrent un certain nombre d'hommes pour la sauvegarde
de leurs intérêts portaient généralement le nom de güildes,
mot qui, à proprement parler, signifie banquets à frais
communs. Elles se recrutaient dans toutes les classes, et
elles n'étaient, pour ainsi dire, que des sociétés d’assurance
mutuelle contre les pertes de biens, entre des individus
d'une même cité ou d'une même région. Chacune d'elles
était sous le patronage d’un dieu ou d’un héros. Du reste,
elles avaient, semblablement à ce qui se voyait à Rome,
des statuts particuliers, un trésor commun et des chefs élus.
Toutefois, il existait, à ce sujet, une différence entre ce
qui avait lieu sur les rives de la mer du Nord et ce qui se
passait sur les bords du Tibre. La gilde comprenait indis-
tinctement des membres de tout état et de toute condition,
tandis que le collège romain, visant exclusivement le point
NL
de vue professionnel, n’admettait que des personnes du
même art ou du même métier.
%k
+ %*
Le résultat de l'invasion des provinces romaines par les
barbares fut, en quelque sorte, d’amalgamer les deux prin-
cipes des sociétés que l’on vient de voir. La première ins-
pira l'esprit, la seconde fournit la matière aux corporations
ouvrières qui se créèrent dans la suite.
Il est prouvé d’ailleurs que, sous les conquérants ger-
mains, depuis l'instant où l'Europe longtemps divisée en
provinces romaines échappa au gouvernement de Rome,
sans cependant se soustraire à ses lois el à ses usages, les
sociétés d’artisans ne cessèrent en aucun temps d'exister.
Il suffira que j'en cite quelques exemples.
Au cinquième siècle, l’histoire de l’ermite Ampelius,
dans la Légende des Saints, mentionne des consuls ou chefs
des serruriers. La corporation des orfévres apparaît déjà
sous la première race des rois de France. Les boulangers
sont nommés collectivement, en 630, dans les ordonnances
de Dagobert. Nous voyons de même Charlemagne, dans
plusieurs de ses capitulaires, prendre des mesures pour
que le nombre de ses artisans fût partout conforme aux
besoins de la consommation.
Au delà des Alpes, en Lombardie, on remarque aussi
de bonne heure des collèges de travailleurs, qui ne sont
qu'une imitation des anciens collèges romains. En 943,
Ravenne possédait une corporation de pêcheurs, et, dix
ans après cette date, les annales de cette ville citent un
chef de la corporation des négociants.
Enfin, dès le règne de Louis VIE, vers 1162, on trouve
>
encore en vigueur d'anciennes coutumes des bouchers de
France, et l’on voit que ce roi accorda à la femme d’un
nommé Laccobre et à ses héritiers les perceptions fiscales,
auxquelles étaient soumis les métiers de mégissier, de
boursier, de corroyeur, de savetier et de cordonnier.
%
* :*X
Cependant, il faut l'avouer, durant les six ou sept siècles
qui s’étendirent de la chute de l’empire romain à l’établis-
sement définitif de la féodalité, ces sortes de sociétés furent
loin de présenter un état florissant. En réalité, les quel-
ques exemples que je viens de rappeler attestent plus leur
persistance que leur vitalité. Ce ne fut guère qu’à partir de
la création des communes libres, au douzième et au trei-
zième siècles, qu'elles prirent, sous un souflle puissant qui
en éleva le caractère, une extension considérable et une
importance incontestée dans la société.
Leur forme constitutionnelle s’écarta dès lors presque en-
tièérement de celle de la gilde, pour imiter plus fidèlement
celle des collèges romains. Elles représentèrent à peu près
la même classification des ouvriers qu’on avait vu jadis sur
les rives du Tibre. C’est ainsi que, suivant les genres de
commerce qui prévalaient dans telle ou telle province, on
distingua les lainiers, les mouliniers, les drapiers, les tail-
leurs, les cordonniers, les forgerons et autres semblables
corps d'artisans.
Quant au nombre de ces associalions, il atteignait sou-
vent, dans certaines villes, un chiffre considérable. Au trei-
zième siècle, sous le roi saint Louis, on en comptait, suivant
Etienne Boileau, plus de cent cinquante à Paris. Six cents
ans plus tard, les annales de Troyes en Champagne, ville
de vingt mille âmes, en énuméraient soixante-neuf existant
= AG Le
dans son sein, et dont plusieurs, comme celles des mar-
chands et des tisserands, comprenaient de deux cents à
trois cents membres.
Au delà des Monts, le même spectacle se reproduisait.
Bologne, dans les Romagnes, renfermait, en 1228, vingt-
une corporations d'arts et de métiers, sans compter plus de
vingt-deux autres compagnies formées d'étrangers et de
gens d'armes, qui ne participaient point aux charges publi-
ques. À Parme, ce nombre était, en 1331, de dix-huit,
dont les quatre premières se composaient des juges ou avo-
cats, des marchands, des notaires et des taverniers.
En présence de ce qui se passait ainsi chez les autres
nations, il est aussi bon de remarquer, dès à présent, que
les États des princes de Savoie, tant au delà qu’en deçà
des Alpes, n'étaient pas moins favorisés sous ce rapport.
Turin, pour me borner à ce seul exemple en Piémont,
contenait, en 1375, si l’on en croit les registres des conseils
de la cité, les vingt-cinq confréries suivantes : Des dames et
demoiselles, des scribes, des marchands, des tailleurs, des
bêcheurs, des taverniers, des vignerons, des scieurs, des
serruriers , des cardeurs, des charpentiers, des lainiers, des
laboureurs, des pêcheurs, des boulangers, des épiciers, des
mégissiers, des cordonniers, des ânes (société burlesque
appelée ailleurs des fous, des désespérés de la mère folle),
des fourniers, des potiers, des meuniers, des bergers, des
bücherons, des barbiers !.
1 — 1. Dominarum et domicellarum. — 2. Scribarum. — 8. Mer--
catorum. — 4. Sartorum. — 5.:Bechariorum. — 6. Tabernariorum.
— 7. Vignolandorum.— 8. Sechatorum. — 9. Serariorum. — 40.
Magistrorum cardarum. — 11. Carpentariorum. — 142. Lanaterio-
rum. — 43. Laboratorum. — 14. Piscatorum. — 15. Panatarie. —
16. Speciarium. — 17. Pellipariorum. — 18. Scholarium.— 19. Asi-
norum. — 20. Fornariorum. — 21. Testorum. — 22. Molandino-
rum. — 93. Bergeriorum. — 24. Bebulchorum. — 25. Barbitonso-
rum. (CIBRARIO, Economie politique du moyen âge.)
Le principe essentiel qui distinguail surtout ces diverses
sociétés, tant dans la première partie du moyen âge, que
dans la seconde et dans les temps postérieurs, résidait dans
le double caractère religieux et professionnel qu'elles revê-
taient généralement. Sous l'influence des idées chrétien-
nes, les saints de l'Église avaient été substitués depuis
longtemps, comme protecteurs des diverses associations,
aux héros ou aux faux dieux du paganisme. Cette union de
Ja religion à la profession des arls et métiers était même
devenue si intime et tellement conforme à l’esprit public,
que, depuis lors, la corporation fut le plus communément
appelée confrérie.
Déjà Charlemagne, dans ses lois De Geldoniis vel Cite
fratriis, consacrait cet état, lorsqu'il disait : « Pour tout
devoir religieux, à savoir, pour loblation du saint sacri-
fice, pour le luminaire, pour les offrandes mutuelles, pour
les funérailles des défunts, pour les aumônes et autres
offices de piété, que l’assemblée des confréries se réunisse.
Qu'il soit surtout fait de même, lorsque la présence du prê-
tre et des autres membres sera absolument nécessaire pour
éteindre l’inimitié persistante de deux confrères. Alors le
prêtre, après avoir honoré Dieu et accompli les offices reli-
gieux qui conviennent, fera les admonitions qui sont dues
et donnera la bénédiction à ceux qui la voudront ‘. »
1 In omni obsequio religionis conjungantur, videlicet in obla-
tione, in luminaribus, in oblationibus mutuis, in exequiis defunc-
torum, in eleemosynis et cœteris pietatis officiis, conventus
talium confratrum, si necesse fuerit, ut simul conveniant, ut si
forte aliquis contra parem suum discordiam habuerit, quem
reconciliari necesse sit, et sine conventu presbyteri et cæœterorum
esse non possit, post peracta illa quæ Dei sunt, et christianæ
religioni conveniunt, et post debitas admonitiones, qui voluerint
eulogias à presbytero accipiant.
= AQ
Par le double élément qui concourait ainsi à les animer,
les associations ouvrières contribuèrent, d'un côté, au pro-
grès des arts, et d’un autre côté, ce qui n'était pas moins
précieux, à l’entretien et au développement des sentiments
de piété, de charité et de fraternité parmi leurs membres.
Les unes et les autres se dirigèrent, sous le rapport profes-
sionnel, suivant des principes universellement les mêmes.
On remarqua chez toutes :
La hiérarchie déterminée dans le métier, véritable ga-
rantie du savoir professionnel et du gouvernement pacifi-
que de l'atelier.
L’avancement proportionné à la capacité, qui stimulait le
travailleur et prouvait au consommateur sa science techni-
que.
L’hérédité facultative en faveur des enfants, parce qu’on
Supposalt avec raison que ce serait assurer la conservation
et les traditions du métier, le père ayant intérêt à donner
à son fils une instruction technique aussi complète que
possible.
Les institutions de prévoyance en faveur des membres de
l'atelier et de leurs familles, qui, en leur donnant la sécu-
rité aux jours mauvais, excitaient le dévouement.
Enfin, la stabilité du travail, qui, en maintenant la mo-
dération dans la fabrication, se refusait à la coalition des
capitaux, source de superproduction et par conséquent de
chômage, de même qu’elle prévenait l’âpreté au gain,
source de fraude et de déloyauté dans le travail.
À raison de leur caractère religieux, les corporations
d'artisans avaient aussi inscrit dans leurs statuts des arti-
cles spéciaux fixant leurs devoirs envers Dieu. Élever de la
terre vers le ciel le cœur de leurs membres, en même
1 IT. Banc, Les Corporations de métiers.
— 49 —
temps que leur représenter le travail sous un aspect de
grandeur, telle était le noble but qu'elles poursuivaient.
Leur réunion principale, qu'annonçait à l’avance un crieur
spécial ou le carillon des églises, avait lieu le jour de la
fête de leur saint patron. Ordinairement, dès la veille au
_ soir, les maitres, avec leurs femmes, leurs compagnons et
leurs apprentis, s’en allaient solenniser les premières vé-
pres dans leur chapelle. La fête elle-même était célébrée
avec une pompe extraordinaire. Tous les ateliers demeu-
raient fermés. Le matin, les conirères, vêlus de leurs plus
beaux habits, successivement faisaient une procession en
grand apparat, assistaient à une messe en musique, avec
diacre et sous-diacre, et entendaient le panégyrique du
saint ; le soir, ils revenaient aux vêpres et procédaient à
l'inslallation de leur nouveau prieur. Le plus souvent ces
cérémonies étaient suivies d’un banquet, auquel les veuves
des maîtres étaient admises gratuitement.
Mais là ne se bornait point la piété des artisans. Outre
celui qui avait lieu au décès de chaque membre en parlicu-
lier, les corps de métiers faisaient célébrer, le lendemain
de la fête patronale, un service funèbre commémoratif pour
tous leurs membres défunts en général.
Du reste, ce qui n’est pas moins digne d’être noté, c’est
Ja place honorable qui était attribuée aux corporations dans
les cérémonies publiques, tant civiles que religieuses. On
les voyait surtout figurer avec fierté, soit à la procession
annuelle de la Fête-Dieu, soit aux réceptions solennelles
faites, en certaines circonstances, au souverain ou à quel-
ques hauts dignitaires de l’Etat.
+
* *
Quant à l’organisation intérieure de ces sociétés, les
principaux points peuvent s’en résumer ainsi :
IVe SÉRIE. — TOME IV. #
F2
né
4° D'ordinaire, pour rendre plus faciles leurs rapports
muluels, ainsi que la surveillance du métier, les artisans
d'une même profession habitaient un même quartier, sinon
une même rue de la ville.
2° Toutes les corporations de cette sorte avaient leurs
privilèges et leurs règlements. Outre le droit de discuter
librement leurs intérêts généraux et celui de modifier même
leurs statuts, elles avaient la faculté de posséder, d’admi-
nistrer leurs biens, et d’avoir pour leurs besoins une caisse
commune alimentée de legs, de donations, ainsi que par les
amendes et les cotisations périodiques De plus, elles exer-
çaient, par leurs jurés, une juridiction de police sur tous
leurs membres ; elles constataient les contraventions et
intervenaient, non seulement dans les discussions de mai-
tres à ouvriers, mais encore dans les querelles où les par-
ties adverses avaient recours à la violence.
3° Le bureau de ces mêmes communautés se composait
d'officiers désignés sous les noms de rois, de surintendants,
de doyens, de prieurs, de jurés, de procureurs ou syndics.
Il représentait en quelque sorte, dans la corporalion, ce que
nous nommons aujourd'hui dans l’État le pouvoir exécutif.
Toutefois il était plus ou moins nombreux suivant l'impor-
tance des sociétés ; on voyait même, dans beaucoup d'entre
elles, l'un de ses membres remplir à Imi seul plusieurs
fonctions.
&o Naturellement, comme il en avait été chez les Romains
et chez les Barbares, les gouvernements chrétiens posté-
rieurs ne manquèrent pas de s'intéresser aux associations
d'artisans qui s’établirent dans les pays de leur domination.
On sait déjà les lois qu'après quelques rois mérovingiens,
Charlemagne porta à cet égard. Dans la suite, saint Louis
édicta en France des règlements spéciaux sur le même
— ÿl —
sujet, et statua que toute corporation d'arts ou de métiers
serait désormais approuvée par le souverain.
Il en fut de même de lautorité religieuse, qui, à raison
des pratiques du culte divin et des œuvres de charité en
usage dans les confréries de cette sorte, leur accorda, avec
son appui, de nombreuses et importantes faveurs spiri-
tuelles.
Mais, pour ne parler que du pouvoir civil, son ingérence
dans la direction des corps ouvriers ne se borna pas à une
simple approbation. Dans ce même royaume de France, le
souverain ne tarda pas à les considérer, sinon tous, du
moins les plus importants, comme autant de sources
fécondes de revenus, et à les inféoder, suivant la coutume
du temps, aux grands de la cour qui les affermèrent, à leur
tour, à d'autres personnages plus ou moins élevés. C'est
ainsi, par exemple, que le grand chambrier reçut sous sa
juridiction les drapiers, les merciers, les pelletiers, les
fripiers, les tapissiers ; le grand panetier, les boulangers ;
le mareschal de la Cour, les charrons, les forgerons, les
serruriers ; l'échanson, les marchands de vin, etc.
Le rot el le surintendant, indiqués plus haut en tête des
personnes qui composaient le bureau des corporations,
n'étaient qu’un seul et même officier, appelé de l’un ou de
l’autre nom suivant les temps ou les pays. Ils n'étaient,
non plus, autres que les individus subalternes à qui les
grands feudataires cités précédemment, et, en certains cas,
le souverain lui-même, avaient transmis leurs droits.
Leur juridiction s’étendait sur toutes les sociétés d'arts
et de métiers du même genre répandues, si ce n’est dans
le royaume entier, du moins dans une province ou région
déterminée. Elle comprenait, en général, la charge de les
représenter auprès des dépositaires de l’autorité publique,
— 9 —
en même temps que de veiller à la garde de leurs privilèges
et de leurs règlements.
D'ailleurs, pour citer un exemple des attributions des
officiers de cette classe, aucun négociant, lisons-nous dans
le livre de M. Hippolyte Blanc, ne pouvait, en France,
mettre ses marchandises en vente sans que le roi des mer-
ciers ou ses lieutenants n'en eussent vérifié la qualité et
la provenance; il administrait la caisse commune ; il sié-
geait en qualité de juge dans les procès concernant le com-
merce de la mercerie et même dans les actions intentées à
tout particulier pour atteinte à l'honneur de la corporation ;
il percevait un droit sur les foires et marchés nouvellement
établis ; il avait seul autorité pour recevoir les nouveaux
confrères, et l'acte public, qui leur conférait le titre pom-
peux de chevaliers ou chevalières de la milice militaire de
la mercerie, était revêtu de son sceau.
En Savoie, où l’on se servit successivement des dénomi-
nations de rois et de surintendants pour désigner les chefs
des divers corps de métiers, on ne voit pas non plus qu'il y
eut, au sujet de leurs attributions, une grande différence
avec ce qui précède. Je citerai plus loin, à propos des so-
ciélés d'arts et de métiers de Chambéry, les noms et les
attributions de plusieurs surintendants pour la partie des
États de Savoie dépendant du souverain.
M. le conseiller Fr. Mugnier, dans une communication
faite au congrès des sociétés savantes de Savoie en 1890,
a déjà révélé lui-même l'existence de deux autres person-
nages de celle sorte, Antoine Quiblat, roi des merciers en
1498, et Loys Quex, roi des cordonniers en 1560.
Le premier, « après avoir indiqué lorigine de ses pou-
voirs, déclare qu’il enrôle, dans le corps du métier de mer-
cier, Jean Greîfi, bourgcois de Rumilly, qui accepte avec
HR.
actions de grâces. Le roi lui donne la faculté d'acheter et
vendre dans toute la patrie savoisienne et autres domaines
du duc de Savoie; il prie en droit et requiert les autres
rois des corporations de regarder Greffi comme associé et
de le traiter comme ils voudraient l’être eux-mêmes par le
roi des merciers. À son tour, Greffi jure sur les Saints
Évangiles, et sous l'obligation de tous ses biens, qu’il ob-
servera loyalement les statuts de la corporation et ne se
livrera jamais à des actes malhonnêtes. » Quiblat tenait
lui-même sa nomination du duc Philibert II de Savoie.
Loys Quex était d'Annecy. Il reçut son privilège de Jac-
ques de Savoie-Nemours, et ne l’exerçca que sur le seul
territoire du Genevois, dont ce seigneur était alors l’apa-
nagiste'.
ÿ Le prieur ou doyen était le chef particulier de la cor-
poration. Il était chargé de prévenir les abus qui pourraient
se commettre et de veiller à l’observation du règlement,
tant en ce qui concernait les marchandises et les travaux,
qu'en ce qui regardait la réception des candidats à la
maitrise et la comptabilité financière. On le nommait ordi-
nairement à l'élection huit ou quinze jours avant la fête
patronale de la confrérie, et on l’installait à sa charge
pendant les secondes vêpres de cette solennité. Au verset
Deposuit potentes de sede du Magnificat, l'ancien prieur ou
doyen déposait les insignes de son autorité et regagnait le
banc commun des confrères, tandis que le nouvel élu com-
mençait son gouvernement. Cette cérémonie portait le nom
de deposuit.
Ge Les jurés, dont le nom venait du serment qu'ils prê-
taient de remplir loyalement et scrupuleusement leurs
fonctions, assistaient le prieur à titre d’aides ou de con-
t Fr. MUGNIER, Patentes de mercies juré, Rumilly, janvier 1500.
— 35% —
seillers. Ils avaient pour devoirs particuliers de recueillir
les voix dans les élections, de visiter les boutiques et les
ateliers, de juger de la capacité des aspirants à la maitrise
et de leur assigner le chef-d'œuvre à faire. Leur nombre
variait, suivant les corporations, entre deux, quatre ou six.
Ils étaient aussi ordinairement nommés à l'élection, cha-
que année, en même temps que le prieur.
7e Comme le nom l'indique, le procureur ou syndic était
Pofficier spécialement chargé des intérêts matériels de la
société, de faire les recettes et les dépenses qui la concer-
naient et de la représenter dans toutes les contestations et
réclamations à ce sujet. Souvent cet office n'avait pas un
titulaire distinct, et était rempli par l’un des maitres jurés
ou par le prieur lui-même.
8° Les membres de l’association se divisaient en trois
classes distinctes : les maîtres, les compagnons (ouvriers
gagnants) et les apprentis.
Les maîtres élaient les chefs de boutique ou d’atelier en
possession du privilège d'exercer un art, un métier ou un
commerce. Leur nombre en était quelquefois limité, dans
certaines localités. On ne pouvait être reçu en cette qualité
qu'après un certain nombre d'années d'apprentissage et un
autre certain nombre d’annés de compagnonnage. L’aspi-
rant devait, en outre, justifier de sa capacité par un exa-
men oral et par l’exécution satisfaisante d'un travail profes-
sionnel appelé chef-d'œuvre.
L'art, le métier ou le commerce constituaient pour le
maître une véritable propriété sur laquelle l'État n'avait
que le droit commun de surveillance.
Toute coalition entre patrons pour l'exercice de leur pro-
fession à profits communs était interdite, sous peine de
déchéance. Dans plusieurs corps de métiers, chaque chef
ER —
avait sa marque particulière, qu’il était défendu à tout au-
tre, sous la même peine, de contrefaire. Enfin, le maître
qui, après de mauvaises affaires, s'engageait au service d’un
autre, n’était plus considéré comme tel, ni convoqué aux
assemblées de ses anciens pairs.
9 On nommait compagnons les ouvriers qui, après avoir
fait leur apprentissage, étaient admis à travailler, moyen-
nant rétribution, chez les chefs d’atelier ou maîtres. Ceux
d’entre eux qui faisaient partie de la confrérie vivaient et
étaient logés ordinairement dans les maisons des patrons.
C’est, du moins, ce que l’on remarque jusqu’au dix-huitié-
me siècle. Ces ouvriers ne pouvaient alors être renvoyés sans
cause légitime, comme ils ne pouvaient quitter l'atelier
d’un patron et aller servir dans celui d'un autre du même
endroit, avant un intervalle de trois mois passés hors de la
localité. Lorsqu'ils étaient étrangers, ils devaient, à leur
entrée chez un maitre de la ville, se faire inscrire au greffe
de la police et prouver par un livret renfermant des certi-
ficats authentiques qu'ils étaient de bonnes vie et mœurs.
Quels qu'ils fussent, lorsqu'ils prétendaient à la maitrise,
ils étaient aussi tenus, en outre des conditions d'examen,
de fournir de semblables attestations et de prêter serment
sur les Saints Évangiles de garder « bien et loyalement les
us et coutumes du métier. »
10° Les apprentis, qui formaient le premier degré des
corporations, avaient pour devoir, comme leur nom l'indi-
que, d'apprendre dans toutes ses parties et avec la plus
grande perfection Part ou le raélier auquel ils se desti-
naient. Ils ne pouvaient être reçus, comme tels, qu'après
avoir justifié de leur naissance légitime. En débutant, ils
versaient à la boite ou caisse commune de la confrérie une
colisation plus ou moins élevée, qui leur donnait droit,
— 56 —
suivant l’expression usitée, « de toucher au métier. » Les
maitres étaient, sous ce rapport, responsables de leurs
élèves. Ceux-ci travaillaient gratuitement durant le temps de
leur éducation professionnelle, et même souvent payaient,
en outre, une somme convenue. En retour, comme il a été
dit des compagnons, les apprentis étaient nourris et logés
dans la maison des patrons, qui devaient « les entretenir
honorablement, comme fils de preudomes. »
L'apprentissage durait au moins deux ans, et s’étendait,
.dans certaines corporalions, beaucoup au delà de ce terme.
Les fils de maîtres étaient exempts de faire la preuve de leur
apprentissage et de leur compagnonnage. Par la même
raison, lorsqu'ils devenaient maitres eux-mêmes, ils n’é-
taient point tenus au chef-d'œuvre.
41° Cependant, il convient de faire observer que tous les
compagnons, tous les apprentis, et même, si ce n’est par-
tout, du moins dans quelques villes, tous les maitres, ne
faisaient pas partie de la confrérie. Un nombre plus ou
moins grand vivait, livré à lui-même, dans des quartiers
particuliers et reculés. À la vérité, cette classe d'artisans
n’était pas réputée la meilleure et n’avait pas à beaucoup
près, au point de vue professionnel, la valeur de celle qui
composait le corps de métier. Si une partie se conduisait
honnêtement, l’autre menait très souvent une vie irrégu-
lière. On y remarquait particulièrement des compagnons
et des apprentis incapables et qu'on appellerait aujourd’hui
fruits secs de la corporation, des compagnons et des ap-
prentis qui, par caprice, s'étaient séparés de leurs patrons
et avaient déserté la communauté, enfin des compagnons
et des apprentis débauchés que l'association avait elle-
même rejetés de son sein. Une certaine fraction de cette
population trouvait, malgré cela, un travail suivi dans les
—
ateliers où elle était admise ; mais le reste se rendait cha-
que matin à différentes places assignées pour la « louée, »
et ne se recommandait guère que par des actes de muti-
nerie en attendant l’embauchage ‘.
12 Souvent les statuts des corporations jurées, après
avoir fixé dans le moindre détail les conditions de la main-
d'œuvre, réglaient les jours et les heures de travail, les
dimensions des objets fabriqués, la qualité de leurs ma-
tières et le prix auquel ils devaient être vendus.
Le travail de nuit était généralement interdit, comme ne
pouvant donner que des produits imparfaits. Dans la
seconde moitié du moyen âge, les ordonnances des souve-
rains et des municipes défendaient de travailler avant le
lever et après le coucher du soleil. Dans certaines villes de
France, l’heure du commencement et de la fin du travail,
ainsi que celle du repas principal, était sonnée par la cloche
du beffroi municipal. « Pour ceux qui obtenaient la per-
mission de continuer leur tâche à la chandelle, ils devaient,
dit Albert Babeau, éteindre leurs lumières au signal du
couvre-feu. »
Au troisième coup des vêpres, la veille des fêtes et des
dimanches, les compagnons cessaient leur travail, pour ne
le reprendre que le matin du surlendemain. De plus, il
était aussi généralement commandé aux membres des
sociétés de chômer le jour du décès d’un de leurs confrères,
ainsi que d'assister à ses funérailles.
Mais, à partir du seizième siècle, il faut le dire, cette sage
réglementation de la durée du travail des ouvriers fut pro-
fondément modifiée par suite de l’affaiblissement des pou-
voirs municipaux. Les limites de temps fixées antérieure-
ment dans leur intérêt furent considérablement étendues.
1 Albert BaBEau, Les Artisans et les domestiques d'autrefois.
= SN —
Des statuts rédigés sous linflience des maitres permirent
d'élever jusqu’à dix-sept heures, sauf les heures de repas,
la durée du travail.
13° Enfin, dans le but de prévenir ies fraudes et les
falsifications, les maîtres, dans la plupart des métiers,
étaient tenus d’apposer sur leurs ouvrages la marque de
fabrique ou seing particulier dont j'ai déjà parlé, et qui
devait être à la fois une garantie pour l’acheteur et un
témoignage contre le vendeur.
Il
VIE SOCIALE DES ANCIENNES CORPORATIONS D'ART
ET DE MÉTIERS
À tous ces divers détails qu'on vient de lire sur l’origine,
la nature, la multiplicité et l’organisation intérieure des
jurandes, j'ajouterai maintenant quelques autres courtes
remarques sur leur influence pour le progrès industriel,
sur leur rôle dans là commune, enfin sur la vie intellec-
tuelle, morale et matérielle de leurs membres.
Quelques érudits et littérateurs trouveront peut-être inu-
tiles ou inopportunes ces nouvelles explications, comme
plusieurs de celles qu'on vient de lire. Je ne suis pas de cet
avis. Je crois, au contraire, que l'intérêt du lecteur, autant
que le respect de l'art d'écrire, demande que, par une
représentation préliminaire de la physionomie générale des
anciennes corporations ouvrières, je mette Île lecteur à
méme de saisir aussitôt et sans autres explications le véri-
table état de celles qui font l'objet particulier de cet ouvrage.
© — 59 —
Quoique ces anciennes sociétés d’artisans jouissaient d’un
véritable monopole et qu’elles se laissaient souvent entrai-
ner dans les agitations de la politique, elles ne contribuë-
rent pas moins à faire progresser et à élever l’industrie
jusqu’à un très haut degré de perfection. Afin de combat-
tre victorieusement la double concurrence étrangère et
locale, chaque maître mettait un grand soin, non seulement
à conserver à ses produits leur ancienne réputation, mais
encore à l’augmenter par un travail plus consciencieux et
plus artistique. On a une preuve manifeste de cette solli-
citude professionnelle dans les admirables objets de tout
genre qui nous ont été conservés des six derniers siècles.
D'ailleurs, il était rigoureusement prescrit par les statuts
des corporations aux maitres de « faire bon et loyal. » Nul
ne pouvait fabriquer et vendre que des marchandises de
bonne qualité. Il y avait même délit, lorsque la perfection
du travail faisäit défaut.
*%
* *
Une autre circonstance qui n’est pas moins remarquable
dans la réglementation des corps de métiers, c’est l’inter-
diction aux patrons, afin d'empêcher l’écrasement des petits
par les gros, de se coaliser pour l'exploitation de leur in-
dustrie et d'employer à leur service particulier un personnel
trop nombreux.
Il en est de même de la grande place que les diverses
corporations tenaient dans la société et des privilèges civils
qu'elles en retiraient. Chacun imagine aisément la haute
prépondérance dans la conduite des affaires municipales que
devait donner aux maîtres leur union basée sur la pour-
suite d'intérêts identiques. Paris et les autres grandes villes
hi
+:
— 69 —
de France ont leurs annales remplies des agissements plus
ou moins réguliers, ou plus ou moins révolutionnaires de
ces sortes d'associations. De même, à certains moments,
leur puissance, dans certaines villes d'Italie, fut aussi for-
midable. Au quinzième et au seizième siècles, en particu-
lier, les plus grands personnages, non seulement à Flo-
rence où la démocratie dominait, mais encore dans beau-
coup d’autres cités également renommées, se faisaient eux-
mêmes inscrire parmi les membres des confréries. C’est
ainsi, par exemple, qu’on vit à Milan, sur les registres des
arts de cette époque, les noms des Adda, des Archinti, des
Castiglioni, des Crivelli, des Lampugnani, des Melzi, des
Visconti, des Vimercati et de beaucoup d’autres familles de
la plus haute noblesse !.
Cet état tout à la fois humble et honorable des artisans,
comme les services rendus à l’industrie, leur valut, si ce
n’est à tous, du moins à ceux des classes inférieures, avec
de hautes sympathies, de précieux privilèges. Les ouvriers
proprement dits étaient généralement exemptés des char-
ges de la commune et de l'État. Dans les villes où les tailles
n’existaient pas, ils n'étaient soumis à aucune contribution
directe et ne payaient qu’un droit de capitation, qui était
très modique. Les taxes pour le loyer, comme pour les
portes et fenêtres, le logement des soldats, l'obligation de
se fournir d'armes et de monter le guct, leur étaient égale-
ment épargnés.
*
* *
Mais, en même temps que cet adoucissement à leur rude
condition, les travailleurs trouvaient dans l’ancienne société :
‘ Louis CIBRARIO, Économie politique du moyen ge.
= GE —
des avantages encore plus importants : une éducation mo-
rale, une instruction intellectuelle et une aisance matérielle
que la société d'aujourd'hui est loin de leur procurer sur
beaucoup de points. |
Pour se faire une idée des vertus morales et profession-
nelles qui rayonnaient de ces sortes d'associations, il faut
non seulement se rappeler leur organisation qui en faisait
des confréries religieuses en même temps que des corpo-
rations civiles ; il faut non seulement se remémorer aussi
les articles des statuts qui prononçaient l'exclusion de
tout membre indigne, mais encore considérer que l'atelier
n'était autre que le foyer du patron où le compagnon et
l'apprenti partageaient la vie de sa propre famille. Un tel
intérieur était, en réalité, l’école des grandes pensées et des
grands sentiments qui éclairent la vie et lui impriment sa
vraie direction. Chaque jour et à chaque heure, le chef s’y
montrait pour la plus grande édification de ses subalternes,
avec ses attributs les plus touchants : la bonté, la douceur,
la prévoyance, l'autorité qui régit sagement, le souci de
former ses subordonnés à la vertu et à l'excellence du tra-
vail, le soin de donner à son atelier une haute réputation
d'honneur et d'habileté.
Cependant, le compagnon et l'apprenti répondaient de
leur côté à la sollicitude du patron en lui vouant une obéis-
sance filiale et en lui témoignant à chaque occasion autant
de déférence que de respect. Les uns et les autres s’appli-
quaient ainsi avec une égale ardeur à procurer la prospérité
de leur industrie.
L'union fait la force, dit un vieux proverbe. Rien ne
le prouve mieux que ce qui se voyait alors dans ce foyer
d'artisans. Pratiques de la religion, travail, délassemenits,
joies, peines, épreuves de la vie, intérêts moraux, intérêts
— (62 —
matériels, tout y était commun, accompli et supporté vail-
lamment. |
Ce n’est pas à dire pourtant que l'esprit frondeur naturel
et bénignemnent toléré chez les gens de la classe inférieure
contre ce qui leur est supérieur, perdit toujours de ses
droits, surtout en deçà des Monts. Le goùût des conversa-
tions piquantes dont les autorités fournissaient souvent la
matière, régnait assez généralement parmi les ouvriers et
_Jes artisans. Un poète satirique du temps de Henri IL, roi
de France, disait du « populaire » de Paris, ce qui était
aussi vrai du populaire de beaucoup d’autres villes :
Il veult estre veu tout, et veult tout gouverner...
Il parle de tous faicts et ne scait rien du tout...
Il corrige les grands et de son seul babil
I1 sçait tous les moyens d’éviter tout péril...
Bref, est si raisonnable en sa diverse teste
Qu’en tous ses jugements il se trouve une beste*,
Ce n’est pas à dire, non plus, qu'il ne se soit produit
jamais des défaillances plus répréhensibles parmi ces mê-
mes ouvriers. Dans le dix-huitième siècle surtout, les liens
de respect et de soumission qui unissaient les compa-
gnons aux patrons se relâchèrent considérablement, et l'on
vit alors s’introduire dans les corporations, par les muti-
neries de leurs membres, certains désordres où ceux-ci
perdirent les premiers, de leur considération et de leur
habileté professionnelle.
%
*X *
Malgré ces quelques ombres dans le tableau des anciennes
corporations ouvrières, €’est à tort que l’on représenterait
1 V. Albort BaBeau, Les Artisans et les domestiques d'autrefois.
— Balthasar Barzzy, De l’Importunité et malheur de nos ans.
— 63 —
les siècles passés, et même le dernier siècle, comme des
temps de crasse ignorance pour la classe inférieure de la
société en général, et pour la classe des travailleurs en
particulier. Non seulement la science technique était portée
à un haut degré chez ceux-ci, mais encore l'instruction
utile y était instamment recommandée et largement répan-
due. Les ordonnances de police de certaines villes de France
eujoignaient rigoureusement aux gens de métiers d'envoyer
leurs enfants, dès l’âge de six ans, aux écoles, et défendaient
d'admettre à la maitrise aucun aspirant qui ne sut lire et
écrire. Les nombreux travaux qui ont été publiés récem-
ment sur ce sujet, par des auteurs consciencieux, montrent
particulièrement qu’en Savoie, non seulement Chambéry et
les autres villes, mais encore la plupart des paroisses
rurales étaient dotées d'établissements scolaires, où la jeu-
nesse ouvrière apprenait la lecture, l’écriture, le calcul et
tout le savoir nécessaire à sa condition.
Bien plus, on voit aussi fréquemment, dans les annales
des municipalités, que beaucoup de ces fils d'artisans s’a-
donnaient aux études secondaires et devenaient ensuite des
hommes distingués.
Le nombre des personnages qui, sortis de simples ate-
liers, s’élevèrent de cette manière à un haut rang d’illustra-
tion dans la société, est considérable. Pour ne citer que
quelques-uns des exemples les plus connus, fournis par la
France, je ferai remarquer que Fléchier était fils d’un épi-
cier ; Molière, d’un tapissier ; Quinault, d’un boulanger ;
Jean-Baptiste Rousseau, d’un cordonnier ; Lamotte, d'un
chapelier ; Lemierre, d'un fondeur ; Greuze, d’un maitre
couvreur ; le financier Paris, d’un cabaretier ; Peirenc de
Moras, d'un.perruquier.
Pour ce qui concerne Chambéry et la Savoie, on sait
a
qu'entre autres, Jean Fraczon, cardinal de Brogny, était fils
d’un pauvre paysan ; Jean-Baptiste Bally, né à Grésy-sur-
Aix, évêque d’Aoste et l’un des premiers membres de
l'Académie de Turin, fils d’un laboüreur ; François-Domi-
nique Lange, né à Annecy, célèbre peintre de l’école de
Bologne, fils d’un aubergiste ; le poète Ducis, l’un des
quarante de l’Académie de Paris, fils d’un négociant.
%
*%X *
Ici, je ferai observer qu’en comparant les statuts des
unes et des autres, en France et en Savoie, il devient ma-
nifeste que l’organisation des corporations d'arts et de
métiers ne présenta pas de différence sensible dans les.
deux pays.
Il en fut de même, si l’on en juge par ce qui se voit
encore aujourd'hui, de la manière d’être et de vivre des
artisans. Les mœurs privées de cette classe du peuple, sauf
quelques légères variantes en certaines localités particu-
lières, étaient à peu près les mêmes des Alpes à l'Océan.
Aussi peut-on dire avec justesse que ce que d'érudits et
judicieux auteurs ont écrit, dans ces derniers temps, sur
diverses contrées de cette immense région, reproduit assez
exactement ce qui existait autrefois chez nous.
Les artisans résidaient pour la plupart dans les quartiers
sombres et retirés des villes. Les maîtres possédaient géné-
ralement leur maison en toute propriété et avaient ordinai-
rement chacun, avec son enseigne distincte, sa façade et
son pignon sur rue.
Malgré quelques dissemblances dans l'installation sui-
vant la nature de l'industrie, ces habitations se rappro-
chaient par un grand nombre de points communs. La
== 05 —
boutique, l'atelier, et quelquefois une petite cuisine atte-
nant à la première, composaient le rez-de-chaussée, tandis
que les chambres à coucher occupaient l'étage supérieur.
Il n’y avait ni salle à manger, ni salon de réception; dans
ce temps, on travaillait, commerçait, conversait, vivait
beaucoup dans Ia rue‘.
L’ameublement des pièces habitées n’était pas assuré-
ment très riche. Des lits contre les murs, un buffet, une
armoire, quelques estampes, quelques images pieuses,
une table de moyenne grandeur, des escabelles, des chaises,
un fauteuil raide et grossier, tels en étaient ordinairement
les principaux objets. |
*
* *
En général, jusqu à la fin du dix-septième siècle, le cos-
tume des gens d'arts et de métiers resta de couleur terne
et sombre, et ne s’éleva pas en richesse au-dessus de leur
logement. Comme celui-ci, il était confortable mais non
luxueux. Sous Louis XIV, le compagnon français jetait un
manteau de drap gris ou brun-marron sur son pourpoint
de serge violette, et avait également ses hauts et ses bas
de chausses en drap de Minimes.
Les vêtements des femmes étaient, à cette même époque,
en harmonie avec ceux des hommes. Les cottes se faisaient
de drap violet, de serge noire ou rose sèche ; quelques-unes
étaient de couleur blanche ou bleue.
Mais, au dix-huitième siècle, cette simplicité dans les
vêtements des deux sexes disparut. Aux jours de fête sur-
tout, les couleurs vives remplacérent les couleurs sombres.
Par exemple, les charpentiers étalaient, sous leur veste de
1 Marino GIUSTINIANO, ambassadeur de Venise, Relation, 1535.
IVe SÉRIE. — TOME IV. 5
bi ::,
dt. %
DU
=, (66 —
droguet, un gilet de bouge blanc et une culotte de panne
rouge. Un ouvrier cordonnier se promenait en justaucorps
bleu ; un papetier en habit bouracan gris-bleu, en culottes
de panne ciselée à petits carreaux. Il semble que les com-
pagnons cherchassent alors à se rapprocher de plus en
plus, par l'apparence, du marchand ou du bourgeois.
Il en fut de même des femmes. En 1760, on trouve, dans
la garde-robe des ouvrières, des cottes de crêpe jaspé, de
basin rayé, de velours de gueux blanc et de satin piqué. Il
n'était pas, non plus, rare de rencontrer quelques-unes
d’entre elles parées de pendants d'oreilles à faux diamants,
de roses de la même substance, de croix d’or uni ou émaillé.
C’est ce qui faisait dire au poète burlesque Vadé, en 1776 :
On n’estime que l’apparence,
Et c’est ce qui cause l’abus
Des états, des rangs confondus ;
C’est ce qui cause que Françoise
Vient de se donner un jupon
De satin rayé sur coton,
Que Margot vient de faire emplette
D'une croix d’or, d’une grisette,
Et que Nicole, en s’endettant,
Vient à peu près d’en faire autant!.
+
* *
Comme on l’imagine, la nourriture des ménages ouvriers
suivit, dans sa nature et dans sa qualité, la variation du
costume. Les mets ordinaires furent d’abord peut-être plus
grossiers, mais non moins abondants que de nos jours. Bien
qu'on rencontrât chez quelques artisans des broches et des
saloirs, on consommait moins de viande autrefois, et il est
à noter que l’usage fréquent de cette dernière sorte d'ali-
1 La Pipe cassée.
67 =
ment ne s’est répandu dans les classes inférieures des villes
qu’au milieu du siècle actuel ; mais la quantité compensait
le défaut de qualité, et l'habitude de faire quatre repas par
jour fut longtemps générale.
Toutefois, il arrivait que cet ordinaire des ouvriers était
singulièrement outrepassé, du moins en certains jours.
Forcément sobre pendant la semaine, le compagnon se
rattrapait, les jours de dimanche et de fête, par des repas
plus copieux et plus délicats. C'était là son tort. Il dissipait
de cette façon tout ce qu'il avait gagné, et recommençait, à
la manière de Sysiphe, sa vie de labeur et de privation,
sans jamais aboutir à l’aisance. L’ambassadeur vénitien à
la Cour de Paris, Lippomano, faisait déjà remarquer à ce
sujet, au seizième siècle : « Qu’on trouvait des pâtissiers
même dans les simples villages de France, et que la gour-
mandise en ce pays élait telle que tout ouvrier, tout mar-
chand, quelque chétif qu’il fût, voulait manger, les jours
gras, du mouton, du chevreuil, de la perdrix, aussi bien
que les riches, et, les jours maigres, du saumon, de la
morue, des harengs salés. »
#4
Mais il est temps de terminer ce tableau, où j'ai tâché de
retracer la condition sociale et la manière de vivre des arti-
sans d'autrefois. Quelque imparfait qu’il soit, j’ose espérer
qu'il suffira à donner une idée générale d’un état de cho-
ses aujourd'hui ardemment éludié et vivement discuté.
Seulement, il me reste une réponse à faire à ceux de
mes lecteurs qui pourraient demander ce qu’il faut penser,
au point de vue des intérêts de l’industrie et des ouvriers,
du régime ancien des corporations et du régime actuel.
1 Albert BABEAU, Les Artisans et les domestiques d'autrefois.
— 68 —
Assurément, tout he fut pas parfait autrefois, et il serait
injuste de dire que tout est mauvais aujourd’hui. Il y eut
souvent des défaillances et des misères dans le corps des
travailleurs des siècles passés, et on peut compter de nom-
breux adoucissements à la dure condition des ouvriers du
temps présent. Néanmoins, après un mûr examen, il ne
m'apparait pas que la situation des artisans modernes soit
supérieure ou même égale à celle de leurs devanciers. Ce
sentiment, du reste, ne m’appartient pas exclusivement. Il
a été exprimé par de nombreux écrivains autorisés, entre
autres par M. Albert Babeau, dont j'ai déjà si souvent cité
les paroles, et dont on ne saurait suspecter ni le savoir,
ni l'impartialité.
« Si maintenant, dit ce dernier auteur, nous portons un
regard d'ensemble sur la condition de l’ouvrier d'autrefois,
nous sommes frappés par les similitudes, non moins que
par les différences que présente cette condition avec celle
des ouvriers d'aujourd'hui. A coup sûr, elle s’est améliorée
sous le rapport matériel et social, et il serait injuste de
méconnaitre les efforts, suivis de succès, que les pouvoirs
publics, d’accord avec l’opinion, ont fait pour la relever.
La vérité historique ne consiste pas en des formules géné-
rales et absolues ; elle se compose de faits qui, dans leur
ensemble, comportent des restrictions, des exceptions, et
même des contradictions relatives.
« Ainsi l’ouvrier habite parfois des appartements plus
sains qu’autrefois ; mais ces logements sont toujours dans des
quartiers reculés, et leur mobilier ne dépasse pas le strict
nécessaire. Il se rapproche davantage, les jours de fête, par
son vêtement, des classes riches ; mais il s’en distingue
davantage, les jours ouvrables, par la blouse, qui n’était
pas plus en usage au dernier siècle dans les villes que dans
|
_ gg —
les campagnes. Il a des salaires beaucoup plus élevés, il peut
faire des placements plus sûrs et plus à sa portée, il trou-
vera dans l’assurance des moyens de garantir sa vieillesse
de la misère, son âge mür des accidents et du chômage, les
sociétés de secours mutuels le soulageront dans la maladie ;
mais en présence de ces concentrations industrielles que
produit l’emploi des moteurs à vapeur, il lui est de plus en
plus difficile de cesser d’être salarié pour devenir maitre.
« Il célèbre moins de fêtes religieuses ; mais le lundi,
quelquefois le mardi, sont plus que jamais observés par lui.
Il est plus instruit, il sait mieux la géographie et l’arithmé-
tique ; mais le sentiment religieux s’est affaibli dans son
esprit, et avec lui s’est raréfiée une des sources les plus
fécondes des sentiments moraux qui peuvent élever le cœur
de l’homme au-dessus de sa condition matérielle. Le com-
pagnonnage n’a plus la même puissance qu’à la fin du
dix-huitième siècle ; mais les associations syndicales en au-
ront bientôt davantage. L’ouvrier a obtenu de grands avan-
tages sous le rapport de la liberté du travail et de légalité
politique, il est devenu citoyen, et son vote pèse autant que
celui d’un membre de l’Institut ; mais, même avec les pri-
vilèges dont il jouit à Paris et dans certaines villes, il paye
plus d'impôts qu’autrefois, il donne trois ou cinq années de
sa vie, les plus vigoureuses et les plus fécondes à coup sùr,
pour le service de l’État, qui ne lui demandait rien sous
ce rapport avant la fin du règne de Louis XIV, et qui, à
partir de l’établissement des milices, ne réclama de lui
qu’un service restreint par un tirage au sort qui levait à
peine par an six mille hommes, recrutés surtout dans les
campagnes. |
« Si l’on veut enfin examiner la question de savoir s’il
est plus heureux qu’autrefois, on pourra répondre que la
D —
source du bonheur n’est pas dans la satisfaction de jouis-
sances matérielles plus grandes, ni dans la possession de
droits sociaux et politiques plus étendus, mais dans la réa-
lisation de désirs qui savent se modérer et dans le contente-
ment de son sort. Les sentiments que l’ouvrier d’aujour-
d’hui éprouve à l’égard des patrons sont analogues à ceux
que l’ouvrier de l’ancien régime ressentait à l'égard des
maitres, avec cette différence que ce dernier était moins
disposé à s'élever contre une classe d'hommes à laquelle il
avait l'espérance d’appartenir un jour. L'égalité politique
n'est pas tout, elle ne saurait procurer l'égalité sociale et
pécuniaire, qu'aucune constitution bumaine n’a jamais su
donner. Il n’y a qu’une seule égalité qui n’ait jamais causé
de déception ici-bas, c’est l'égalité après la mort dans une
vie supérieure, que la religion promettait à l'ouvrier d’au-
trefois, et dont l'espérance le soutenait dans les épreuves
de la vie. »
III
CILAMBÉRY, ANNECY ET MOUTIERS AU XVIIC SIÈCLE
Les diverses considérations qui précèdent ne s’appliquent,
comme on l’a remarqué, qu'aux anciennes corporations
ouvrières, indépendamment des milieux dans lesquels elles
se murent. Pour éclairer encore d’un jour plus net les
associations de cette sorte qui sont particulièrement envi-
sagées dans ce livre, il me paraît aussi utile, avant de ter-
1 Albert BABEAU, Les Artisans et les domestiques d'autrefois,
p. 66 et suiv.
=
miner ces pages préliminaires, de donner une brève idée
des principales localités qui les renfermaient, Chambéry,
Annecy et Moütiers. Dans ce but, comme la plupart de ces
sociétés se créèrent ou se réformèrent au dix-septième
siècle, je citerai simplement la description qu'a faite de
ces villes en 1655, dans sa Couronne Royale de Savoie,
François-Augustin della Chiesa.
1
Chambéry. — « Chambéry est situé dans une plaine
d’un climat très heureux, au milieu de collines charmantes,
recouvertes de vignes et de châtaigniers. Les deux torrents
de la Leysse et de l’Albanne qui y affluent, et particulière-
ment les eaux de ce dernier qui coulent à découvert dans
des canaux le long des rues, en font un séjour délicieux et
commode pour les habilants, en même temps qu'ils en
fécondent les terrains. Au dehors, à quelques pas de son
enceinte, se trouve un bosquet appelé Verney, qui, planté
d'arbres en lignes droites et renfermant des allées spacieu-
ses, offre un très grand agrément et sert de lieu de pro-
menade aux citadins pendant l’été.
« Bien que les murailles de cette ville n’aient pas plus d’un
mille de circuit, elle se prolonge extérieurement par trois
gros bourgs, qui lui apportent un tel accroissement d’éten-
due et de population qu'elle n’a rien à envier, sous ce rap-
port, à beaucoup d’autres cités des Etats. Quoi qu’il en soit
des allégations de certains auteurs sur son origine, il est
certain que c’est aujourd'hui une ville très importante,
peuplée de plus de quinze mille habitants, et à laquelle il
ne manque qu’un évêque.
« Tandis que ses murs, épaulés par de fortes tours et
autres fortifications, s'ouvrent par quatre portes, on remar-
Hs 0
que, à l’intérieur, une longue et large rue flanquée de porti-
ques, où sont aménagées des boutiques pour les nombreux
marchands et artisans de toute sorte qui s’y trouvent.
« Chambéry possède d’ailleurs, sur un mamelon d’où il
en est dominé, un magnifique et vaste château qui n’a
jamais été armé, et qui sert plutôt de demeure commode
à ses princes et à leurs lieutenants, que de forteresse. De
fait, les sérénissimes comtes et ducs de Savoie l’ont habité
de nombreuses années, avant de fixer leur résidence à
Turin, et depuis, ils l'ont assigné pour siège à leur Chambre
des comptes.
« Pareillement, on voit dans ce manoir une chapelle royale
bâtie par ces mêmes princes, où fut conservé pendant
longtemps le très saint Suaire de Notre Seigneur Jésus-
Christ, présent de Marguerite de Charny au sérénissime duc
_ Louis de Savoie. D'origine française, cette noble dame,
dont Pierre de Saint-Julien dans ses Mélanges historiques,
et Samuel Guichenon dans son Histoire de la Bresse et du
Bugey, parlent de la famille en termes honorables, était
fille du chevalier bourguignon Godefroy de Charny, seigneur
de Lirieu et de Montfort, et de Marguerite de Poitiers.
Devenue veuve de Humbert de Villard-Sexel, comte de la
Roche en Montagne et chevalier de l'Ordre du Collier, elle
s'était retirée en Savoie avec la sainte relique. Pour le
service de cette chapelle, ces mêmes princes religieux
établirent un chapitre de vingt-cinq chanoines sous la
direction d'un doyen qui, après avoir rempli souvent les
fonctions de vicaire de l’évêque de Grenoble, a été ensuite
reconnu comme chef de tout le clergé de Savoie relevant
de ce diocèse. |
« Il se trouve, en outre, tant dans la ville que dans ses
faubourgs, un grand nombre d’églises tenues, soit par des
a —
Réguliers de l’un ou de l’autre sexe, soit par des prètres
séculiers. Parmi ces différentes églises, trois sont paroissia-
les, à savoir : Saint-Léger, au milieu de la ville, Saint-
Pierre (sous le Château), l’une et l’autre desservies par des
prêtres séculiers, et Saint-Pierre de Lémenc, jadis siège
d’un prieuré de Bénédictins, et maintenant d’un prieuré de
moines Bernardins réformés. Dans cette église, on honore
le corps de Saint Concord, évêque d’Armagh en Angleterre,
qui y mourut en se rendant à Rome ; on y voit aussi les
restes du duc Philippe de Savoie.
Les autres églises sont : Saint-Antoine, noble commende
de cette religion ; Saint-Dominique et Saint-François, la
première remarquable par ses cloîtres spacieux et logeant
le Sénat dans son couvent, l’une et l’autre desservies par
des religieux de leurs ordres respectifs et offrant de très
beaux édifices comparativement à ceux des maisons de ces
religieux en France ; Sainte-Marie-Egyptienne, tenue par
les Mineurs Franciscains de l’Observance ; les églises de
Saint-François des Capucins, et de Saint-Thomas des Au-
gustins déchaussés, celle-ci située sur le grand chemin qui
conduit de Chambéry à Montmélian et illustrée par le loge-
ment qu'elle fournit en son couvent au sérénissime Thomas
de Savoie, pendant que ce prince remplissait les fonctions
de lieutenant de son frère au delà des Monts ; celle des
Pères du Carmel, située à peu de distance de celle Saint-
Thomas, et fondée par Madame Christine de France, mère
de S. A. Charles-Emmanuel II, actuellement régnant, en
1639, pendant que cette princesse se trouvait en Savoie.
« D'un autre côté, le collège des Pères Jésuites, que fit
construire à ses frais le duc Charles-Emmanuel Ier, d’heu-
reuse mémoire, ne saurait rien envier, pour la beauté de
son église et la magnificence de l'habitation de ses religieux,
ee,
à aucun autre établissement de la même compagnie au delà
des Monts.
« Les monastères de religieuses sont au nombre de sept,
à savoir : deux de l’ordre de Sainte-Claire ; un de l’ordre
. de l’Annonciade ; un de l’ordre de Saint-Bernard, abbé, ou
de Citeaux ; un de l’ordre de Sainte-Ursule; un de Garmé-
lites, fondé par Madame de Ventadour ; enfin un de la
Visitation, où, d’après les constitutions de Mgr François
de Sales, fondateur de la congrégation, peuvent être reçues
les veuves honnêtes qui désirent s’y retirer pour servir
Dieu.
« Il existe, en outre, tant à l’intérieur de la ville qu’au
dehors, la commende des chevaliers de Saint-Jean de
Jérusalem, divers oratoires de disciplinés, divers lieux de
piété et diverses chapelles de dévotion.
« Cependant, ce qui donne à Chambéry son plus grand
éclat, est la résidence continuelle qu’y tiennent, non seule-
ment le gouverneur général de Savoie et une grande partie
des nobles châtelains du voisinage, mais encore le Sénat et
la Chambre des comptes qui y furent établis bien longtemps
avant que ceux de Turin fussent créés. Le premier de ces
corps se compose de quatre présidents et de quinze conseil-
lers ou sénateurs ; le second, d'autant de présidents, de
plus de seize maitres des comptes, d’un général des Finan-
ces, d’un trésorier général, et de tous les autres officiers
qu’on remarque dans la Chambre des comptes de Piémont.
« Chacune de ces magistratures est souveraine dans ses
décisions et ne reconnait pour supérieur que Son Altesse
Royale à qui les causes peuvent être portées en dernier
ressort. Dans les questions qui intéressent le patrimoine
royal, toutes les populations de Savoie, sujettes médiates
ou immédiates du souverain, peuvent recourir à son juge-
à —
ment. Il existe pareillement un juge mage pour la connais-
sance des causes en premier appel. »
*
* *
Annecy. — « Le principal bourg du Genevois est
Annecy, qui a le titre de cité et se trouve situé à l’extrémité
d'écoulement d’un lac du même nom. Celui-ci a six milles
de longueur, deux milles de largeur, et abonde en truites,
lottes, perches et carpes. Les habitants de cette ville tirent
un grand avantage de quelques canaux qui donnent passage
aux eaux du lac le long de ses rues. Son étendue, bien
qu’assez restreinte actuellement, fut beaucoup plus grande
dans les siècles passés. Les médailles, les inscriptions
romaines, les fragments de chapiteaux de colonnes en
marbre qu’on retire de temps en temps d’anciennes ruines
enfouies dans le sol de son territoire, sont une preuve
irrécusable de son état primitif. |
« Toutefois, elle est en ce moment ceinte de murs
et pourvue d’un très beau château. Elle est aussi le
siège d’un conseil présidial composé d'un président et de
deux conseillers, en même temps que d'une Chambre des
comptes, d'un juge mage et d’autres officiers, que les
ducs de Nemours, apanagistes du duché de Genevois et de
la baronie de Faucigny, y entretiennent pour la gestion de
leurs intérêts et le bien de leurs sujets.
« La ville renferme des personnes de toute condition et,
par conséquent, est pleine de constructions de fort belle
apparence, tant publiques que privées.
« On y remarque principalement les églises et les
monastères, dont le nombre, bien que cette ville n’ait pas
d’évêque particulier, est très grand, suivant ce qui à lieu
= 70 =
dans le duché, où se trouvent une multitude d'anciens mo-
nastères et de riches abbayes, la plupart fondés et libérale-
ment dotés par ses comtes. Ainsi, on voit à Annecy : l’église
de Notre-Dame, desservie par un venérable chapitre de
chanoines présidé par un doyen, et dans laquelle s’ense-
velissent les ducs de Nemours et de Genevois ; Saint-
Maurice, qui est la principale église paroissiale ; Saint-
Dominique, fondée par le cardinal d'Embrun et tenue par
les Frères Prêcheurs ; Saint-François, où les religieux de
cet ordre et les chanoines de Saint-Pierre de Genève font
séparément leurs offices, depuis que ces derniers, chassés
de leur siège par les hérétiques, se sont transportés en cet
endroit avec leur évêque ; un collège de Barnabites, ou
clercs réguliers de Saint-Paul ; l’église et le monastère des
Pères Capucins de Saint-François, ainsi que l’ancienne
commende ou prieuré du Saint-Sépulchre.
« En outre, il existe dans cette ville six monastères de
religieuses : Un de Sainte-Claire, deux maisons sous le
titre de la Visitation de la Bienheureuse Vierge, créées par
Monseigneur François de Sales, évêque de Genève, de glo-
rieuse mémoire, dont le corps est renfermé dans celle située
à l’intérieur des murs ; un de religieuses Cisterciennes, émi-
grées de l’antique monastère de Bonlieu ; un de Bernardi-
nes réformées, érigé de nos temps, et un de l’Annonciade,
dont les religieuses sont venues, il y a peu d’années, du
comté de Bourgogne. »
*
* *
Moûtiers. — « La capitale de la Tarentaise est Moüûtiers,
en latin Musterium, ou, suivant Josias Simler, Monaste-
rium, ainsi appelé de ce que ses chanoines, en vertu des
statuts de Saint Pierre, leur archevêque, vivaient comme
== (77
autant de moines. Ptolémée lui donna le nom de Forum
de Claude, Forum Claudii, mais elle fut appelée depuis
Tarentaise, Tarentasia ou Darentasia, ainsi qu’on le voit
dans l'itinéraire d'Antonin et dans les vieilles chroniques
des provinces et des cités de la Gaule.
« Les Sarrasins, suivant un acte de donation de 996, en
faveur de l'archevêque Amizon, acte qui, avec la bulle
d’or, se conserve à Chambéry, ruinèrent cette ville, lorsque,
de leur camp du Fraxinet, près de Nice, ils se répandirent
dans les Alpes maritimes, cottiennes et graies, et y mirent
tout à feu et à sang. Toutefois, devenue la métropole, non
seulement des Centrons, auxquels elle donna son nom de
Tarentaise, mais aussi du Valais et de la Val d'Aoste par la
suprématie de ses archevêques sur les évêques de ces pays,
on Ja vit en peu de temps, depuis qu'elle fut soumise aux
comtes de Savoie, se remplir de constructions et d’habi-
tants. D'ailleurs, elle avait reçu un grand éclat destrois saints
du nom de Pierre, qui, de religieux, étaient devenus ses
archevêques, mais surtout de celui d’entre eux qui fut élevé
au souverain pontificat, en 1276, sous le nom d'Innocent V.
« L’Isère divise Moûtiers en deux parties, que relie un
pont de pierre. À peu de distance des habitations de la rive
gauche, se trouvent les salines, qui sont d’un grand avan-
tage pour les populations de cette vallée et d’une non
moindre utilité pour les intérêts du prince. Outre la cathé-
drale, la ville renferme un couvent de Capucins, et quelques
autres églises qui attestent plus leur antiquité que la ma-
gnificence de leur construction ‘. »
1 Me Francesco Agostino DELLA CHiIEsA, Corona Reale di Sa-
voia, parte I. — On trouvera, en outre, insérées hors texte, dans
les pages suivantes, plusieurs phototypies représentant les plans
et certains points anciens de ces mêmes villes.
PA
= 78 —
ANCIENNES CORPORATIONS DES ARTS ET MÉTIERS
DE CHAMBERY
|
CORPORATION DES TAILLEURS
nn
I
SOMMAIRE HISTORIQUE
Les anciennes corporations ou confréries d’arts et de
métiers de la ville de Chambéry, dont j'ai pu retrouver des
traces sûres el importantes, s'élèvent au nombre de quinze.
Ce sont, en suivant l’ordre de date de leur institution ou
de leur réforme, celles :
4o Des tailleurs. — 2 Des menuisiers. — 3° Des maçons.
— ko Des chirurgiens. — 5° Des tisserands. — 6° Des
serruriers, chaudronniers, ferblantiers, lanterniers, selliers,
maréchaux-ferrants, taillandiers, couteliers, armuriers,
fourbisseurs, éperonniers, épingliers. — 7° Des charpen-
tiers. — 8° Des cordonniers, tanneurs et corroyeurs. —
9 Des boulangers et pâtissiers. — 40° Des apothicaires. —
41° Des blanchisseurs, chamoiseurs, ganticrs et pelletiers.
— 19 Des médecins. — 13° Des meuniers. — 44° Des cier-
giers, confiseurs, épiciers, droguistes. — 15° Des perru-
quiers.
Chacune de ces diverses corporations ou confréries avait
pour patrons :
Les TAILLEURS. — Notre-Dame de l’Assomption.
Les MENUISIERS. — Sainte Anne.
70
Les MAGÇONS. — Les Quatre Couronnés.
LES CHIRURGIENS. — Saint Côme et saint Damien.
LES TISSERANDS. — Notre-Dame de Grâce.
LES SERRURIERS, CHAUDRONNIERS, FERBLANTIERS, LANTER-
NIERS, SELLIERS, MARÉCHAUX-FERRANTS, TAILLANDIERS,
COUTELIERS, ARMURIERS, FOURBISSEURS, ÉPERONNIERS ET
EPINGLIERS. — Saint Eloi.
LES CHARPENTIERS. — Saint Joseph.
LES CORDONNIERS, TANNEURS ET CORROYEURS. — Saint
Crépin et saint Crépinien.
LES BOULANGERS ET PATISSIERS. — Saint Honoré.
LES APOTHICAIRES. — Sainte Marie-Madeleine.
LES BLANCHISSEURS, CHAMOISEURS, GANTIERS ET PELLE-
TIERS. -— Saint André.
LES MÉDECINS. — Saint Luc.
LES MEUNIERS. — Saint Martin.
LES CIERGIERS, CONFISEURS, EPICIERS ET DROGUISTES. — .
Sainte Geneviève.
LES PERRUQUIERS. — Le Bienheureux Amédée de Savoie.
D’après ce qui m'a été rapporté par MM. le chanoine
Truchet, de Saint-Jean de Maurienne, et le notaire Croisol-
let, de Rumilly, il ne paraît pas qu’il ait existé de semblables
sociétés dans ces deux villes de Savoie.
Au contraire, on en comptait sept à Annecy, et quatre à
Moûtiers, vers le même temps. Tels furent, ainsi que leurs
patrons, dans la première de ces localités :
LES MOULINIERS EN SOIE. — Notre-Dame de Pitié.
" LES SERRURIERS, COUTELIERS, ARQUEBUSIERS, MARÉCHAUX,
TAILLANDIERS, FERBLANTIERS, FOURBISSEURS, SELLIERS,
BOURRELIERS, EPERONNIERS, CLOUTIERS, AIGUISEURS, HORLO-
GERS, VITRIERS, CHAUDRONNIERS. — Saint Eloi.
LES CORDONNIERS. — Saint Crépin et saint Crépinien.
— 80 —
LES T'AILLEURS D’HABITS ET CHAUSSETIERS,— Sainte Maric-
Madeleine.
LES MERCIERS-DRAPIERS. — ............
LES MINEURS DE CARRIÈRES DE PIERRE. — Sainte Barbe.
LES CHARPENTIERS ET MENUISIERS, — .......
Les principales sociétés du même genre que renfermait
Moütiers, étaient et avaient pour patrons :
LES MARÉCHAUX-FERRANTS. — Saint Eloi.
LES CORDONNIERS. — Saint Crépin.
LES BOULANGERS. — Saint Honoré.
LES AVOCATS, PROCUREURS, NOTAIRES ET PRATICIENS. —
Saint Yves. |
De même, on voit dans les registres du Sénat de Cham-
béry, que la ville de Bourg, en Bresse, au temps où elle
faisait encore partie des Etats des princes de Savoie, possé-
dait, entre autres, une corporation de tailleurs.
La plupart de ces associations, tant celles de Chambéry,
que celles d'Annecy, de Moûtiers et de Bourg, avaient une
origine très ancienne, dont la date certaine ne nous est
malheureusement pas toujours connue, mais qui est expres-
sément mentionnée dans les actes de réformation survenus
dans la suite.
*
* *
La corporation des tailleurs de la première de ces villes
existait elle-même depuis longtemps, quand le 20 octobre
1569, en présence de nombreux abus commis et sur les
plaintes répétées du public, le duc de Savoie Emmanuel-
Philibert créa, pour réprimer plus efficacement les uns et
faire droit aux autres, l'office de surintendant, ou plutôt
plaça sous ce nom un maître juré à la tête des gens de cette
profession. |
= ST —
Le premier, qui fut investi de cette charge, se nommait
Pierre Janin, de Chambéry. Ses deux successeurs immé-
diats furent Blaise Pontelly, bourgeois de la même ville, et
François Cartier, institués, l’un le 4er novembre 1589, et
l’autre le 20 juillet 1641.
Suivant les lettres-patentes du duc Emmanuel-Philibert,
du 20 octobre 1569, et l’arrêt du Sénat du 44 février 1578,
les droits et les devoirs de ces officiers étaient de connaitre
des abus et des délits commis par les tailleurs dans l’exer-
cice de leur profession, d'exécuter les réformes jugées
nécessaires dans la corporation, d'autoriser à ouvrir bouti-
que de maître ceux qui seraient reconnus instruits de leur
art, de repousser et même d'empêcher de travailler secrè-
tement en chambre ceux qui ne seraient pas suffisamment
appris, enfin de visiter le travail de chaque atelier et de
dresser procès-verbal contre tout contrevenant ‘.
Pourtant, vingt-un ans après les lettres ducales et douze
ans après leur entérinement par le Sénat, le 16 août 1590,
les maîtres tailleurs entreprirent de réformer la corporation.
Réunis au nombre de dix-huit, sous la présidence du surin-
tendant Blaise Pontelly, ils firent rédiger par le notaire
requis à cet effet, Guillaume Rondet, les nouveaux statuts
dont ils étaient convenus. ;
Dans ce réglement, comme il en est de tous ceux des
autres sociétés qu’on verra ci-après, une partie des articles
est consacrée aux devoirs religieux des sociétaires.
La patronne de la confrérie sera Notre-Dame de l’Assomp-
lion, et sa chapelle, celle de ce vocable dans l’église de
Saint-Léger. |
Chaque année, le dimanche qui précèdera le quinze août,
1 Archives du Sénat, vol. XIX bis, fol. 8, 15771579; — vol.
XXVILI, fol. 87 v°, 1589-1597.
IVe SÉRIE. — TOME IV. 6
— g2 —
jour de la fête patronale, il sera élu, après la messe, au
même lieu, deux prieurs à la majorité des voix.
Le jour de la fête de Notre-Dame de l’Assomption
sera célébré par une procession, une prédication et une
messe solennelle avec diacre, sous-diacre et musique. Tous
les confrères, quels qu’ils soient, devront assister à ces
offices, sauf le cas de légitime empêchement. Les prieurs
nouvellement nommés auront Pobligation de veiller à ce que,
pendant ce même jour, une lampe demeure constamment
ardente devant l’image de la Sainte Vierge. Ils seront
également tenus d'offrir un « beau » pain bénit, compre-
pant la farine d'environ un demi-vaissel de bon froment.
Le pain, après avoir été apporté en procession el exposé
devant la chapelle pendant la messe, sera distribué aux
confrères assistants. En outre, il sera remis aux pauvres,
en aumône, un demi-vaissel de semblable froment, ou sa
valeur vénale. |
Le lendemain de la fête patronale, la confrérie fera célé-
brer aussi un service funèbre, avec diacre et sous-diacre,
pour tous ses membres défunts, avec obligation rigoureuse
à tous les membres vivants d’y assister.
Chaque dimanche de l’année, le recteur dira, dans la
chapelle de la confrérie, une messe basse à l’usage des
sociétaires. À cette occasion, chacun de ceux-ci aura le
devoir d'offrir, à tour de rôle, un pain bénit, avec une ou
deux chandelles de bonne cire pour le luminaire des offices
du culte.
Les honoraires à payer pour la célébration des services
religieux seront : au célébrant de la fête patronale, six
florins, aux musiciens également six florins, au recteur,
pour la messe du dimanche, quinze florins, en outre des
droits qui pourront lui revenir d’ailleurs.
Quant aux prieurs sortants, ils seront tenus de représen-
ter el remettre à leurs successeurs, trois torches et deux
Chandelles de cire blanche, pour servir dans les grandes
cérémonies religieuses où ceux-ci auront à figurer pendant
l’année.
Enfin, pour subvenir aux frais nécessités, - tant par la
Célébration des offices divins, que par l'entretien de la
chapelle, chaque maïtre tailleur, tenant boutique dans la
ville ou ses faubourgs, devra payer annuellement, entre les
mains des prieurs, un florin de Savoie.
Les prescriptions qui, dans ce même règlement, concer-
nent l'exercice purement professionnel, peuvent également
se résumer ainsi : |
Tout maître qui se trouve déjà, ou qui entrera désormais
en boutique, sera tenu de payer, à titre de droit d'entrée,
deux écus d’or ou leur valeur en monnaie de Savoie, sauf
les fils de maîtres, qui seront exempts d’une telle redevance
et qui auront la liberté d'offrir seulement ce que bon leur
semblera.
Chaque apprenti, en commençant son apprentissage,
aura, SOUS la responsabilité de son patron, à remettre, une
fois pour toutes, aux prieurs, une hvre de cire « bonne et
pure » ou Sa vraie valeur en argent !,
= D'ailleurs, pour obvier aux abus du défaut de Capacité
chez les tailleurs, aucun d'eux ne pourra ouvrir boutique
de maître, s’il n’a été examiné auparavant par un maitre
juré assisté des prieurs ou de maitres anciens, et s’il n’a
Subi aussi avec succès l'épreuve du chef-d'œuvre ©.
! Généralement, dans les statuts des corporations de Cham-
béry, la livre de cire 4 offrir est estimée trente sous.
* Archives de la Société (Livre des marchands tailleurs d’habits
de Chambéry, 1633). — Au frontispice de ce livre, on lit, en
grandes capitales : Notre-Daine de l’Assomption, intercédez votre
per r
— $h —
L'Église ne laissa pas, de son côté, d’entourer la nouvelle
confrérie de sa sollicitude maternelle. Le 20 mars 1646, le .
pape Innocent X Jui donna une bulle d'approbation par
laquelle il accordait en même temps plusieurs indulgences,
entre autres: une indulgence plénière à tous les confrères
confessés et communiés, à leur entrée dans la confrérie, et
une autre à tous les membres qui, repentis de leurs pé-
chés, invoqueraient, à l’article de la mort, le nom de Jésus.
Les divers prieurs qui régirent la corporation de 1578 à
1593 inclusivement, furent : Pierre Jacquier et Anselme
. Blanchet. — Louis Ruffier et Jean Tressard. — Humbert
Baston et Henri Vulliet dit Girit. — Antoine Brun dit Berrut
et Philippe Jotty. — Claude Prentet et Claude Capitan. —
Hugues Monselin et Pierre Dagand.
Le nombre des confrères, dès l'origine de la confrérie
jusqu’en 1590, s’éleva à cent quarante-cinq, et de l’an 1591
à l'an 1633, à deux cent quarante-six, ainsi qu’on le voit
par les noms suivants :
1578-1590. — Honneste Pierre Jacquier, prieur. —-
_Honneste Claude Bonjean dit Pain-Blanc. — Claude Le
More. — Dune Mongella. — Anthoine Brun dict Berrut. —
Sire Claude Picollet. — Sire Hugues Combe. — Sire Fran-
çois Clairet. — Sire Benoist Gihlan. — Sire Jacques Fran-
çois Pillaret. — Jehan Meunier dit Thavas. — Sire Claude
Bize, le fils. — Gabriel Pallatin. — Laurent Bellon. —
Humbert Challard. — Louys Ruîfier. — Jehan Jenand. —
Henry Perre. — Gabriel Gallet. — Michaud Louvat. —
Humbert Grosjean. — Pierre du Pinier. — Jacques Du-
rant.
fils Jésus en faveur des membres de l'association.-- Maria: O no-
men Sub quo nemini desperandum. (S. Augustin.) — Sur le troi-
sième feuillet se trouve une vieille image de l’Assomption de la
Sainte Vierge, éditée par Crépy le fils, à Paris.
= 05 —
Claude Davied. — Le sire Jehan Mourier. — François,
son fils, et Jean Anthoine et Jehan François, ses fils. —
Urbain Perret. — Guillaume Pioget. — Jehan Descostes.
— Le sire Claude Lefevre. — Honneste André de Bruxel-
les. — Le sire Gervais Dupart. — Le sire Jean Pierre Mi-
chel. — François Bertet. — Le sire Jacques François Mas-
son. —- Le sire François Laplanche. — Le sire Asoy Bon-
nevie. — Jehan Lavassot. — Le sire Claude Merlin. —
Pierre de Lafontaine. — Arnault Severat. — Claude Bron-
del. — Pierre Ancerme. — François Barrier. — Georges
Favier. — Michel de Fernex. — Jacques Durant. — Claude
Juris. — Jehan Guy. — Morice Blardet Latuille. — Jehan
Tressart. — Barthelemy Baudin la Goathe. — Humbert
Guillet. — Le sire Jehan Guibart dit Goillet. — Loys
Buodinet.
Anthoine Favier. — Hugues Pille. — Le sire Pillière.
— Le sire Jacques Latard. — Hugues Pullat. — Louis
Lastard. — François Miége. — Laurent Couppe. — Le
sire Jerosme Pitit. — Odde Triguet. — Le sire Jehan
Cattel. — Jehan Janon. — Pierre Brunet. — Estienne
Monsellin. — Le sire Jehan Lombart. — Jacques Compai-
gny. — Anthoine Lagoane. — Gaboul Balmont. — Guil-
laume Fallet. — Phellippes Jouttier. — Magio Pelligrini.
— Louis Button. — Jehan Bourdon. — Henry Perillart.
— Claude Courrier. — Francois Maistre. — Cherdord
Chambon. — Michel de Pernex. — Pierre de la Maison et
son fils. — Pierre Chabod. — Jehan Rey. — Estienne Mer-
lingervais. — Jehan Cornu. — Guillaume Perrot. — Pierre
Guiget. — Le sire Jacques Pajet. — Claude Poncier. —
Pierre Dullant. — Claude Marienne. — Jehan de Cons-
tance.
Jehan Michellier. — André Sonnet. — Le sire Gouyin
— 86 —
Carron. — Jacquemotz Gaul. — Domenge Micat. — Le sire
Jacques Duret. — Le sire Marin Pic dit Marin, son frère.
— Ayimé Jacquier. — Le sire Claude Moujon. — Jacquemos
Demeurs. — Jacques Querras. — Pierre Dufour. — Jehan
Coste. — Sire Claude Jacob. — Jacques Michel. — Aymé
Michel. — Léonnard Michel. — Claude Michel. — Jehan
Lois Poypon. — Pierre Cartier. — Sire Benedict Gisland.
Le sire Angelin Genest. — Sire Jehan de Monbel. —
Gabriel Curte. — François Apoin. — Nicolas Apoin. —
Bonnas Bergier. — Jehan de la Ruelle. — Anthoine de
Mellye. — Le sire Jacques Cortilla. — Georges Pollier. —
Guillaume Rondet. — François Quinard. — Astagne Du-
puis. — Phihbert Gachet. — Claude Phelibert. — Claude
Fontaine — François Thomassin. — Le sire François
Nicolas Noyray. — Le sire Claude Desoz. — Le sire Claude
Laurens. — Bastien Dupuys. — Jehan Anthoine Bonaud.
— Jacques Avoy. — Benoist Varinard. — Pierre Chappuy.
— Benoist Pasquier. — Pierre Rambert.
1591. — Honneste André Cartier. — Messire Fascioz
Capitan, recteur. — Claude Gallay. — Amed Mongella. —
Antoine Blanchet. — Michel Priete. — Gabriel Charpene.
— Pierre Paris. — Guillaume Fallat. —— Laurence de
Basset. — Gaboul Coste — Humbert Charton. — Louis
Charton. — Jehan Tressard. — Claude Cappitan. —- Jehan
Tressart Bourget. — Eustache Favier. — Humbert Girod
dict Baston. — Ilenry Villien du Gay. — Jehan Coste du
Bourdon. — Jehan Vincent Langeville.
1593. — Hugues Brochet. — Pierre Duc. — Blaise Pon-
terly, tailleur de S. A., maitre juré deçà les Monts audit
art. — Jehan Cartier. —- Hugues Montallin. — François
Tallabart l’aisné. — Jehan Michellier. -— Claude Buysson.
— Blaise Dagan. — Pierre Giffart.
OO
nu QT —
‘4894. — André Defresne. — Pierre Bally. — Jehan
Buysson.
4595. — Benedict Ruffier. — François Vichet.
4596. — Anthoine Martin. — Jacques Brun.
1597. — Claude Besson. — Claude Missat. — Odde
Catini. — Jullien Morier.
4598. — Jehan Genody. — François Roux. — Surpis
Curtet.
4599. — Barthollomé Revil. — Gaspard Billion. — Mar-
tin Geignier. — Claude Brun. :
1600. — Claude Lanternier. — Claude de Meurs. —
Pierre Berthollier. — Pierre de Lisle. |
1601. — Claude Grand dit Grellier. — Jehan Vergain.
— Bon Pierre Capris.
1602. — Mathieu Chamoux. — Bertrand Derivo. —
Guigue Ambron. — Anthoine Plantin.
4603. — Pierre Rey. — Bernard Genin. — Pierre
Morel. — Humbert Laussart. — Gabriel Morel. — Fran-
çois Genet. — Eustache Bollart.
160%. — Luppient Sanset dit Champagne. — Laurent
Pugin. — Pierre Picollet. — Huchissier Morant. — Lau-
rent Lafont. — Humbert Pollant.
1605. — Jean Bollart. — Amé Gaignon dit Laborde. —
François Jouvenseau dit Daruaz.
1606. — Pierre Moncelin dict Dargan. — Pierre Dagan.
— André Pissenin Cordelier. — François Roux.
4607.— Nicolas Moujon. — Claude Moudurat. — An-
thoine Charpeine. — Guillaume Corbet.
14608. — Benoist Rebouton. — Claude Monet. — Noël
Charpène. — François Tallabart. — Claude Chappuis. —
Jehan Anthoine Fontaine.
1609. — Jehan François Pagnaux. — Jehan Ramel. —
Jehan Dunant. — Claude Cuidex. — Jehan Monichon. —
+ fre
— 88 —
Claude More dit Fleuvoy. — Louis Buquet. — Bernard
Jehan. — Jacques Chouda.
4610. — Esnable de Léaval. — Jacques Vilherme. —
Gonin Corbet. — Hugues Bouvier. — Jacques Pamoz. —-
Augustin Guillon. — Jehan Claude Suavet. — Claude
Gonnet. — Claude Moyron dit L'Amour. — Jacques Batail-
lard. — Georges Peyssel. — Geoffroy Granet.
4611. — Jacques Granet. — Claude Bovier. — Urbin
Saint Marcel. — François Miège. — Pierre Fargat. — Ma-
thieu Mentet. — Nicolas Nicod. — Jehan Sabatier.— Pierre
Gistari dit Goz. — Thomas Galley. — Jehan Tressart Bo-
quet le fils. — Humbert Tressart son frère. — Bernard
Viollet. — Estienne Jacquemin. — Bernard Cartivat. —
Louis Tressier dit Vogue. — Hugues Chabert. — Jehan
Peruclant. — Pierre Clergeot. — Pierre Juillart. — Es-
tienne Pullioz. — Pierre Chesse. — Jacques Philbert. —
Michel Besluard. — Claude Jolly. — Anthoine Rey.
1617. — Jehan Dominique Duport. — Baltazar Decor.
— Claude Brunet. — Claude Nicollet. — François Challet.
4618. — Estienne Challet. — Louis Brunet. — Ilumbert
Cartier. — Jehan Boquet. — Mauris Vallet. — Pierre Bu-
quier. — Louis Raymodat. — Jehan Rollet.
1619. — Noël Chozeland. — Laurent Muzel. — Pierre
Chargoct. — Humbert Dunant.
1620. — Claude Petit. — Jehan Bergera. — Claude Le-
guin. — Jehan Claude Lapiagua. — Claude Pierre. — Odde
Girard dit Baron. — Jehan Genevois. — Claude Grilliet. —
Dominique Gaguy. — Jacques Montfrain. — Pierre Phil-
lippon. — Pierre Naty. — Baptiste Dreyton. — Pierre
Jeorges. — Jehan Barton.
1633. — François Cartier, maistre juré ct superinten-
dant en l’art des tailleurs établi par S. A. en l’année mil
FN
— 89 —
six cent trente trois. — Laurent Gagnier. — Ascagne Tray-
sart dit Boquet. — Claude Amblart. — Baptiste Bastardin.
— Anthoine Callod. — Pierre Rebotion. — Michel Moran.
— Claude Martin. — Gragne Lutrin. — Anthoine Rey dit
Gillet. — Guillaume Guiïllet. — Jacques Monicin.
4627. — Claude, fils de François Golliet. — Gilles Le-
faure du Vuallon. — Bertrand Petit dit le Dauphiné. —
Pierre Gobert. — Noël Besluard. — Claude Charvet. —
Jehan Claude Jacquin. — Christophle Brianson. — Jehan
Drevet. — Gabriel Crisan. — Jacques Montgella. — An-
thoine Monin. — Guillaume Legier. — François Caillat. —
Hugues Bontemps. — André Alsias, du comté de Nice. — -
Pierre Real. — Jehan Claude Rullier. — Claude Ropie. —
Pierre Revillon. — Benoist Gardin. — Mavoix Pollet. —
Louys Ynrard. — Jacques Court. — André Berru. —
François Bovier. — Pierre Poncet. — Joachim Rey. —
Guillaume Peuillet. — Guillaume Guillet. — Guillaume
Droge. — Jehan Baptiste Janet.
Claude Ducat. — Claude Petit. — Claude Vallier. —
Jean Gillet. — Humbert Chaboud. — Anthoine Odin. —
Nycolas Baud. — Jacques Mullet. — Estienne Puthod. —
Pierre Alliod. — Claude Rolin. — Jean Gay. — Hugue
Berlion. — Anthoine Gachet. — Philibert Pugin. — Jean
Georges. — Michel Dagan. — Claude Chambet. — Estienne
Vichard. — Philibert Choselland. — Charles Villard. —
Girard Vaginet. — Guillaume Morel. — André Vigneron.
— Estienne Cavoret. — Michel Veycolle. — Pierre Pernon.
— Jean Roppio. — Humbert Pernet. — Jacques Peche-
raud. — Aymé Petit. — Pierre Maillet. — Claude Connecy.
— Jean Louis Marchandon. — Humbert Courtois. — Es-
tienne Brunet. — Jacques Mantel. — Pierre Martin *.
1 Archives de la Société (Registre des taillcurs de Chambéry).
— 90 —
Pendant les quatre-vingt-treize ans qui suivirent cette
dernière date, la corporation passa, au sujet de ses élec-
tions et de son régime intérieur, plusieurs autres actes qui
nous sont aussi parvenus.
En 1646, comme il s'agissait de femplacer François Car-
tier, maitre juré décédé, et de prévenir en même temps
certains abus qui s'étaient introduits, les maîtres tailleurs,
réunis en assemblée générale au nombre de cinquante-neuf,
à la Grenette, lieu ordinaire de leurs séances, élurent les
quatre jurés qui suivent : Jean Genevois et Thomas Gallet
pour les hommes, Philibert Pugin et Odde Girard pour les
femmes. Il est à remarquer que les suffrages furent ici
exprimés successivement de vive voix par chaque électeur,
sur l’appel nominal qu’en fit le notaire ducal Claude Va-
chier, commis pour présider lélection.
Le 4cr avril 1671, une assemblée du même genre eut
lieu dans l'endroit accoutumé de la Grenette. Composée de
quarante-trois membres, parmi lesquels se trouvaient le
prieur Claude Raîfin, les procureurs François Charpenne
et François Bouvier, elle procéda d’abord à l'élection d’un
maitre juré pour les hommes et de deux maitres jurés pour
. les femmes, nommant ainsi, d’un côté, François Char -
penne, de l’autre, Jean-Pierre Dunant et Annibal Machet.
Elle prit ensuite les décisions suivantes :
4° Qu'à l'avenir les aspirants à la maîtrise seraient exa-
minés, en présence de leurs parrains, par les quatre maitres
jurés, le prieur, le procureur et huit autres maitres, les
plus capables de la corporation ;
2 Que les parrains, en cas d’insuccès de leurs proté-
gés, seraient passibles d'amende à merci des examinateurs ;
3° Que, dans le cas contraire, les aspirants reçus paic-
raient vingt-deux florins, valeur de deux écus d’or, pour la
— 9 —
chapelle, quatre ducatons pour les maitres jurés, une messe
pour les défunts de la confrérie et cinq florins pour les
lettres d’admission ;
&o Que le garçon, ou compagnon tailleur, qui épouserait
la fille d’un maître serait de même soumis aux formalités
ordinaires de l’examen oral et du chef-d'œuvre, mais qu’il
ne serait tenu qu'aux droits accoutumés de la chapelle ;
So Que les maitres jurés seraient remplacés tous les trois
ans ;
Go Qu'il serait interdit à tout tailleur, qui n'aurait pas
été reçu maitre en la forme expliquée précédemment, de
travailler de sa profession, non seulement en boutique,
mais encore secrètement en chambre ‘.
En 1682 et en 1698 eurent lieu, avec le même cérémo-
nial, les élections du maïître Valentin Raffin, comme juré
pour les femmes, en subrogation de son père Jean-Claude
Raffin, et du maître Jean Lambert, comme juré pour les
hommes. Je n’ai besoin de rappeler que les maitres appelés
jurés tiraient ce qualificatif du serment qu'ils prêtaient
d'accomplir loyalement et fidèlement leurs offices. Les uns
et les autres des officiers de cette sorte, dont il vient d’être
parlé, remplirent, aussitôt après leur nomination, cette for-
malité par-devant le souverain Sénat de Savoie ?.
*
* *%
Cependant, une certaine modification fut apportée, en
1726, à ce régime de la société par lPautorité civile, qui,
1 Archives du Sénat, vol. XLV, fol. 203, 1672-1681.
? Archives du Sénat, vol. XLVIII, fol. 72, 1680-1683; — vol. LIIIT,
fol. 45, 1698-1701.
l’année précédente, avait ordonné de réviser les statuts de
tous les corps de métiers des États de Savoie !.
Déjà, comme on l’a remarqué, les femmes pouvaient faire
partie de la corporation des tailleurs ; elles continuèrent
dès lors à jouir de cette faculté. En même temps les chaus-
setiers furent compris dans l'association *. |
Au fond, il ne fut guère ici question que de la société au
point de vue professionnel. Sous l'empire du nouveau rè-
glement, tous les maîtres tailleurs devaient s’assembler,- le
dimanche précédant la fête de l’Assomption, et nommer
comme précédemment un prieur, deux jurés pour les hom-
mes et deux jurés pour les femmes. Les élus ne pouvaient,
sous peine de deux livres d’or d'amende en faveur de la
confrérie, refuser la charge qui leur avait été imposée, si
ce n'est dans le cas où ils l’auraient déjà remplie l’année
précédente. |
Quiconque, homme ou femme, voulait exercer Part de
tailleur, devait auparavant avoir travaillé pendant cinq
ans, comme apprenti et comme compagnon, subir présen-
tement avec succès un examen de capacité devant les deux
jurés, et posséder, en outre, au moins cent livres de biens
stables. Le droit d'entrée du nouveau maitre, outre trois
1 Lettres-Patentes du roi Victor-Amédée II, du 9 novembre
1725.
? Los chaussetiers étaient des ouvriers fabriquant des chaus-
ses, vêtements qui enveloppaient les jambes et représentaient ce
que l’on nommo aujourd'hui bas et culottes ou caleçons. La partie
inférieure s'appelait bas de chausses, et la supérieure haut de
chausses. Ces deux parties varièrent souvent de grandeur et de
forme. Dans tous les cas, au lieu d’être en mailles, comme main-
tonant nos bas, elles étaient alors confectionnées entièrement en
serge, on toile, en feutre, en soie, en drap, en laine, etc. Toute-
fois, il était interdit aux simples chaussetiers, du moins à Cham-
béry, de faire des habits do drap fin, et même de drap grossior
du pays.
— 93 —
livres payées à chacun des jurés, s'élevait à dix livres, s’il
était du pays, et seulement à une livre de cire ou à sa valeur :
vénale, s’il était fils de maître. Celui qui réunissait, dans
sa profession, le travail pour les femmes au travail pour
les hommes, payait le double des sommes précédentes.
Le maître était responsable des gens de sa famille, de
son compagnon et de son apprenti.
Tout tailleur qui gâtait l’étoffe qui lui avait été confiée, ou
qui manquait la taille d’un vêtement, était tenu à des dom-
mages-intérêts envers le client. Les jurés, juges du diffé-
rend, tout en condamnant le malhabile à refaire l’habit ou
à payer sa valeur, lui infligeaient ensuite une amende du
quart de celle-ci en faveur de la confrérie. Une telle sen-
tence entrainait de droit la suspension de tout exercice de
la profession, jusqu’à ce qu’elle fut entièrement purgée.
_ Bien plus, celui qui était convaincu trois fois d’une pareille
faute ne pouvait plus pratiquer son art comme maitre, ni
dans la ville, ni dans ses faubourgs, sous peine de cin-
quante livres d'amende pour chaque contravention.
Toute plainte par un client, contre un tailleur, devait
être présentée dans les cinq jours qui suivaient la remise
des habillements, si l’inculpé habitait la ville, et dans les
huit jours, s’il était étranger. Passé ce délai, elle n’était
plus recevable.
1! était même infligé une correction à celui qui aurait
exigé plus d’étoffe qu’il n’en fallait pour un vêtement, ou
qui, chargé lui-même de choisir cette étoffe, l'aurait prise
de qualité inférieure, sans en avoir averti le client. Dans le
premier cas, le contrevenant devait payer tout à la fois, et
la valeur de ce qu’il avait pris de trop à la personne lésée,
et une amende d’égale somme à la confrérie. Dans le second
Ji-
C0 =
cas, il gardait à sa charge le prix de l’étoffe. Le litige était
aussi porté devant les jurés et réglé par eux.
Tout tailleur qui, sans un empêchement légitime et dü-
ment justifié, n’avait point remis, dans le délai convenu,
l'habit qu’il s'était engagé à faire, était passible de cinq
livres d'amende, en outre des dommages-intérêts que pour-
rait lui réclamer la partie frustrée.
Le sarron!, ou autrement dit le compagnon, qui avait
commencé à travailler chez un maitre, après s’être engagé
pour un teinps déterminé, ne pouvait se retirer avant l'ex-
piration de ce terme. Dans le cas où il n’y aurait aucun
engagement semblable, il était néanmoins tenu de prévenir
de son départ, au moins huit jours à l'avance. À défaut d’un
tel avertissement, aucun patron ne pouvait le recevoir à
son arrivée, sous peine de vingt livres d'amende.
‘Tout apprenti, dans les quinze jours qui suivaient son
entrée en apprentissage, devait, sous la responsabilité de
son patron, se faire inscrire chez le prieur et payer une
livre.
Enfin, il était dit, dans ce même règlement de 1726,
que tous ceux qui, quinze jours après sa publication, excr-
ceraient la profession de tailleurs, soit en boutique, soit en
chambre, sans avoir reçu l’approbation, juré d'observer les
statuts et fourni une caution, payeraient vingt livres, pour
être employées, ainsi que les autres amendes de l’année,
tant aux réparations de la chapelle qu'à la célébration des
offices religieux de la confrérie ?.
Cependant, malgré la netteté et la rigueur de toutes les
prescriptions qu’on vient de lire, il ne manqua pas de s’éle-
ver de temps à autre, dans la société, des contestations au
1 Locution locale.
2 Archives municipales de Chambéry, n° 988.
ns 0
sujet de quelques-unes d’entre elles. Par exemple, le 6
juillet d’une année dont le millésime a disparu dans le
document original, par suite de l’usure du papier, mais qui
n’exprime pas assurément une date antérieure à 1726, les
maîtres tailleurs adressèrent au roi de Sardaigne une sup-
plique pour se plaindre d’un nommé Broissan qui, à son
métier de chaussetier, avait joint indûment celui de tailleur
d’habits.
La peinture qu'ils commencent à faire de cet artisan n’est
pas flatteuse. C’est un homme, disent-ils, « qui n'a jamais
travaillé de la profession de tailleur, ni fait apprentissage,
et qui est notoirement reconnu pour savoir à peine enfiler
une aiguille. » Après cela, comme l'accusé prétendait avoir
le droit, sinon de confectionner des habits de drap fin, au
moins de faire des habits de drap grossier ou drap du pays,
ils répondent que jamais, à Chambéry, cette distinction
n'a été faite, et que de tout temps les tailleurs proprement
dits ont eu le monopole exclusif de ces deux sortes de tra-
vaux.
La conclusion des suppliants est que, pour éviter à
l’avenir toute fausse interprétation du règlement, il plaise
à Sa Majesté d'approuver les deux articles suivants à insérer’,
l’un après Particle dixième, et l'autre après l’article douziè-
me de ce même règlement :
« Art. 41. — Nul ne pourra être admis à l'examen dans
la ville et les franchises de Chambéry, qu'il ne conste, par
l'exhibition de son contrat ou d’une autre manière légiti-
me, d’avoir fait trois années d'apprentissage chez un maitre,
et qu’il n’en rapporte les contentes.
« Art. 43. — Il est inhibé à tous ceux qui ne sont pas
reçus maîtres tailleurs et chaussetiers de fabriquer, vendre,
exposer en vente des habits, surtouts, pelisses et autres
— 96 —
vêtements neufs, sous peine de confiscation et de trente
livres d'amende applicables, un tiers à la caisse du consulat,
un tiers à la boîte de la confrérie des maitres tailleurs, et
un tiers au dénonciateur ‘. »
Tels sont les grands traits de l'existence de cette corpo-
ration, pendant deux cent vingt-trois ans, depuis 1569
jusqu'en 1792, où la Révolution importée de France vint
proclamer sa dissolution et s'emparer de ses revenus *.
%
*%X *%
Néanmoins, treize ans après ce terrible orage, qui sema
tant de ruines sur notre pays, l’ancienne société des tail-
leurs de Chambéry entreprit de rejeter la pierre du tom-
beau dont on l'avait recouverte et de reprendre sa vie au
soleil. Le 48 août 1805, les maitres de cette profession se
réunirent chez l’un d’eux et élaborèrent un nouveau règle-
ment, où se remarque encore le même esprit religieux des
temps passés, mais où certaines dispositions se ressentent
aussi d’un esprit nouveau.
Le métier, est-il dit, sera libre désormais. Chacun pourra
s'établir maître à sa volonté, sans caution comme sans exa-
men et sans approbation. De même, tout patron pourra
avoir le nombre d'ouvriers et d'apprentis qu'il lui plaira,
convenir amiablement du salaire avec les premiers et des
conditions d'apprentissage avec les seconds.
1 Archives départementales de la Savoie, série C, n° 718.
à Outre le produit annuel des cotisations des membres ct des
amendes, la corporation avait, entre autres, par obligation de
4733, André Marquet notaire, sur Pierre Beyvin, de Ragcet, une
créance de 129 1. 18 s. 9 d., qui, en 1756, sous Etienne Beyvin,
fils du précédent, s'était élevée au capital de 200 1. 9. d. (Archives,
À. PERRIN.)
FN
re
La fête patronale de la corporation restera la même
qu'autrefois, et sera célébrée solennellement, le 45 août,
dans l’une des églises paroissiales de la ville, suivant l’an-
cienne coutume, par une procession et par une grand’messe
à diacre et sous-diacre. Le lendemain, il sera également
chanté une messe de Requiem pour le repos de l'âme des
membres défunts.
La société sera présidée par un prieur et un sous-prieur.
Ce dernier, nommé chaque année à l’élection, succédera de
plein droit au prieur, dont la charge sera aussi annuelle.
La veuve d’un maître tailleur pourra elle-même présider
la corporation. La femme d’un prieur portera le nom de
prieure. Dans le cas où le chef de l’association, homme ou
femme, ne serait pas marié, il sera tenu de se choisir un
prieur ou une prieure parmi les membres de la Société.
Le prieur ou la prieure, conjointement avec le sous-
prieur, devra faire parer l’autel où sera solennisée la fête
de l’Assomption, recueillir chaque année auprès des tail-
leurs et des tailleuses les rétributions et les offrandes né-
cessaires pour cette ornementalion, et rendre, le premier
dimanche qui suivra le 45 août, compte de toutes les recelt-
tes et dépenses de l’année.
D'ailleurs, quatre conseillers experts, nommés aussi à
l'élection pour quatre ans, seront adjoints aux prieurs et
aux sous-prieurs, afin de mieux assurer les intérêts de la
confrérie. Leur signature sera nécessaire pour rendre vala-
ble toute délibération et tout acte de la corporation. Ils de-
vront spécialement, en outre, visiter les confrères malades.
Lorsqu'un des sociétaires de l’un ou de l’autre sexe sera
décédé, tous les autres seront rigoureusement tenus d’as-
sister à sa sépulture. Quatre d’entre eux serviront de por-
teurs de la maison mortuaire au lieu d'imhumation.
IVe SÉRIE. — ToME IV. f
ui, samsk- ns
= 08 =
Chaque année, le jour du rendement de compte des
recettes et des dépenses de la confrérie par le prieur, il y
aura un banquet à frais communs entre les confrères, au-
quel chacun pourra amener sa femme ou une personne du
sexe jouissant de son estime.
_ La corporation avait pris pour devise : Adhüc stat lux.
En cette année 1805, le chef élu fut une dame veuve
Rebotion, qui choisit de son côté, pour son prieur, son fils
François Rebotton. Après lui se rangeaient le sous-prieur
Philibert Guiguet, les conseillers experts Joseph Burdet,
George Vernaz, Jean-Jacques Geniaz, Hyacinthe Perrin, le
clerc Étienne Labouret dit Clermont. Le nombre des autres
membres se composait alors de dix, et, de l’année 4806 à
1846, il s’éleva à environ cinquante-six.
%
+ *
À cette dernière date, la confrérie subit une nouvelle
éclipse et ne s’affirma guère d'une manière marquante
qu’en 4871, où, après une tentative de reconstitution res-
tée infructueuse en 1869, elle se convertit purement et
simplement en une société de secours mutuels. Les statuts
de la nouvelle association furent approuvés par le préfet de
la Savoie, le 20 janvier 4872. Ses chefs furent Philibert
Hortoland, président, Antoine Brison, vice-président, Jean
Curtet, secrétaire, Marie Bessolaz, secrétaire-adjoint,
Claude Menoud, Jean Mantel, Jean Ambrois, commissaires
de sections.
En dehors de ces officiers, la société comprenait vingt-
huit membres: Cavallero père. — Auguste Ferrier. —
Viviand dit Neuville. — Benoît Besson. — Charles Made-
lon. — Pierre Mennetan. — Angèle Gavioli. — Jacques
== 00 —
Kuntz. — Claude George. — Pierre Blondin. — Dionnet.
— Pierre Carron. — Joseph Aval. — Antoine Perrier. —
François Dejay. — Louis Bauer. — Félix Cavallero. —
— Joseph Cavallero. — Barbier. — Caviglia. — Palatier.
— François Trouillet. — Barberis. — Gressaud. — Mathil.
— Corneglia. — Fleuret. — Jean Catelin.
Mais cet essai de restauration n’eut qu’un succès éphé-
mère, et une nouvelle désagrégation, qui n’a point encore
été réparée, s’ensuivit bientôt.
CORPORATION DES MENUISIERS
SOMMAIRE HISTORIQUE
La confrérie ou corporation des menuisiers fut établie
presque en même lemps que celle des taïlleurs par les mai-
tres de cette profession, Claude Jallier, Pierre Massonnat,
Rémi Prussane, Charles Fora, Nicolas Brignet, Amédée
Champrond, Nicolas Collomb.
Ces artisans, réunis le 29 juillet 4576, en présence de
Mre Claude Buisson, curial de Chambéry, et se faisant forts
des autres maîtres absents, dressérent et firent rédiger par
le notaire ducal Jacques Bellin les statuts qui devaient désor-
mais régir la Société, au double point de vue religieux et
professionnel.
La patronne qu'ils ont choisie pour la confrérie est sainte
Anne, et la chapelle, dans l'église de Saint-Dominique.
Il sera célébré le plus solennellement possible, le jour de
la fête patronale, dans cette chapelle, une grand'messe,
pendant laquelle brüleront constamment deux flambeaux ct
deux cierges. Le lendemain, aura lieu un chantal (service
funèbre) pour les défunts de la corporation, et, chaque
premier dimanche des mois, une basse messe à l'usage des
confrères.
Chaque année, le même jour de la fête de sainte Anne
(26 juillet), il sera offert aussi pompeusement un pain bénit.
Tous les maitres, leurs femmes et les compagnons, sous
peine de douze sous d'amende, sauf les cas de maladie ou
— A01 —
d'éloignement de la ville de plus d’une journée de marche,
devront assister à la procession du transport qui en sera fait
à l’église de Saint-Dominique. De plus, il sera élu deux
prieurs, qui, outre la prérogative de présider la corporation
et le devoir de veiller à la stricte observation des statuts,
auront la charge de se rendre, chaque samedi, chez les
maitres avec la boîte de la confrérie, où chacun, ainsi
qu’eux-mêmes, devra déposer deux sous.
Chaque maître ou maîtresse sera tenu également de
mettre dans la boite un sou de Savoie, lorsqu'un confrère
viendra à décéder.
Quiconque voudra lever boutique de menuisier dans la
ville, ses faubourgs ou ses franchises, aura à payer à la
confrérie un écu d’or, s’il est étranger, et seulement la
moitié de cette somme, s’il est natif de la ville, de ses
faubourgs ou de ses franchises. En outre, l’aspirant étran-
ger devra justifier qu’il est catholique, de bonne réputation
et de bonnes mœurs.
Tout maître qui prendra un compagnon à son service
sera tenu de lui donner lecture du règlement de la Société,
afin que celui-ci ne prétende, en aucun cas, opposer son
ignorance. D'ailleurs, nul maitre ne pourra recevoir chez
lui, en la même qualité, l'apprenti d’un autre, sous peine
de dommages-intérêts envers ce dernier, et d’un écu d’or
d'amende en faveur de la confrérie.
Enfin, l'apprenti qui « touchera au métier, » et à son
défaut le patron, devra payer préalablement à la même
confrérie une livre de cire blanche.
Je n'ai découvert aucun autre fait concernant l’existence
de cette corporation.
lArchires du Sénat, Yol. XVIII, fol. 150, 1574-1977.
— 102 —
CORPORATION DES MAÇONS
SOMMAIRE HISTORIQUE
La confrérie des maçons, sous le patronage des Quatre-
Couronnés, avait sa chapelle dans l’église paroissiale de
Lémenc. Les traces que je suis parvenu à découvrir de cette
Société, ne sont guère plus marquantes et plus nombreuses
que celles qu'à laissées la précédente.
Etablie dès un temps antérieur, que je ne saurais préci-
ser, elle était tombée dans une déchéance déplorable vers
1613. Le 20 janvier de cette année, les prieurs Claude
Guilliet et Jeannet Favier, ainsi que les maîtres François
Buront, Claude Bally et François Gaudin, convoquèrent une
assemblée générale des artisans de ce:te profession par-
devant le notaire Paris, afin de réformer les anciens statuts
de la Société et de la rétablir sur des bases plus solides.
Ils furent assistés et soutenus en cela par le lieutenant de
la châtellenie de Chambéry Claude Rolet et le curial de la
même ville Pierre Josserand. Les autres maçons qui prirent
part à cette réunion furent Benoit Bornardel, François
Bonnard, Pierre Roussin, Claude Bassat, Jean Clapasson,
Claude Baudin, Romain Gaudin, Aimé Naveson, Cathelin
Ogier, Antoine Coendat, Christophe Dalyet, Claude pi
et Antoine Bamel.
Suivant le règlement qui fut consenti et dressé, la Cor po-
ration fut dès lors gouvernée par deux prieurs, élus annuel-
lement le jour de la fête des Quatre-Couronnés (8 novembre).
ET
— 103 —
La partie qui concernait les devoirs religieux des confrères
occupait une grande place dans ces mêmes ordonnances.
Chaque année, la fête des saints patrons était solennisée
avec la plus grande pompe dans l’église de Lémenc. Une
grand’ messe était chantée au maïître-autel pour la corpora-
tion, en même temps qu'était bénit un gros pain apporté
processionnellement. Tous les confrères devaient prendre
part au cortège de cette dernière cérémonie, sous peine
d'un florin d'amende pour les manquants, non empêchés
par la maladie ou par un éloignement de plus d’une journée
de marche de la ville.
Les dimanches étaient célébrés par une messe basse et
par un petit pain bénit, que chacun des membres était tenu
d'offrir à tour de rôle.
Les défunts ne manquaient pas d’être aussi l’objet de
souvenirs pieux. Tout maïtre de l’un ou l’autre sexe avait
l'obligation d’assister à la sépulture de son confrère ou de
sa femme décédée Deux gros et six petits cierges devaient
accompagner le convoi, quatre des confrères avaient la
charge de tenir les coins du drap mortuaire et tous devaient
verser chacun un écu d’or dans la boîte de la confrérie. De
plus, suivant l’état de cette même boite, il était célébré,
chaque année, pour les défunts de la corporation un service
solennel, pour lequel chaque membre avait encore à payer
un Sou.
D'ailleurs, comme on vient de le voir pour les pratiques
religieuses, il n’y avait pas, non plus, une grande différence,
pour ce qui regardait l'exercice professionnel, entre la cor-
poration des maçons et celle des menuisiers. Quiconque
voulait lever boutique de maitre maçon dans Chambéry,
ses faubourgs ou ses franchises, était tenu de payer à la
confrérie un écu d'or, S'il était étranger, el seulement la
— 108 —
moitié de cette somme, s’il était natif de la ville ou de ses
franchises.
Aucun maçon étranger ne pouvait s'établir maître qu’il
n’eût auparavant prouvé par de bonnes et authentiques
attestations son lieu d’origine, sa bonne réputation et sa
qualité de catholique romain.
Aucun compagnon, ni aucun apprenti, sortant, contre
leur engagement formel ou contre les dispositions admises
par la coutume, du service d'un maitre, ne pouvait être
employé ou reçu par un autre maitre sans le consentement
du premier, à moins d’un écu d'or d'amende.
Tout apprenti devait, en entrant en apprentissage, remet-
tre une livre de cire à la confrérie.
Enfin une dernière prescription du règlement portait que,
lorsqu'un compagnon nécessiteux de la même profession
traverserait la ville, la corporation lui ferait don de cinq
sous pour « la passade. » |
Ces diverses ordonnances furent approuvées et entérinées
par le Sénat de Savoie, le 48 novembre 1643 !.
x%
* *
Je ne sais à quelle occasion, ni à quelle année précise,
la confrérie abandonna, pour ses offices religieux, l’église
de Lémenc et se transporta à celle des Dominicains ; mais
ce changement est expressément indiqué dans une conven-
ton, du 11 novembre 1635, passée avec ces derniers, où
se trouvent les conditions du nouvel albergement.
Les religieux qui figurérent dans cet acte, furent le
Rä Père Dominique Nostroz, docteur en théologie, frère
Delalas, sous-prieur, frère Malibraz, frère Jacques Amard,
1 Archives du Sénat, vol. XXXII, fol, 60, 1612-1615.
— 105 —
sacristain, frère François Delorme, frère Claude Légier,
frère Girard Bonnefoy, frère Charléaz Gaud, tous profès.
Du côté des maçons, on remarquait Louis Lacrosaz et.
Jean Châtelain, tous deux prieurs, — Claude Viviand —
Claude Gaudin — Pierre Légier — César Vessieu — Benoît
Légier — François Pollien — Félix Rolland dit Bornier —
Etienne Perret — Pierre Lassiaz — Michel Mirel — Michel
Blanc — Claude Perret — Claude de Lulia — Etienne
Vernay — Pierre Goy — Amédée Destra — Antoine Cohen-
doz — Pierre Mavod — Claude Besson, tous maitres.
Les premiers s’engagèrent : 4° à dire chaque dimanche, au
grand autel, une messe basse ; 2° à sonner la grande clo-
che du couvent, la veille de la fête des Quatre-Couronnés,
aux vêpres et après les complies de la solennité ; 3° à célé-
brer le plus solennellement possible, le jour de cette même
fête, au grand autel, une grand’messe avec diacre et sous-
diacre ; 4° à chanter le même jour les vêpres des Morts, et,
le lendemain, une grand’messe, suivie de l’absoute, pour
tous les défunts de la confrérie ; 5° à assister à la proces-
sion accoutumée de celle-ci, dans la ville, le jour de la fête
des Quatre-Couronnés ; 6° à sonner le glas avec la grande
cloche, le lendemain de cette fête, pour le chantal des Morts.
Les maçons s'obligèrent, de leur côté ; 1° à payer aux
religieux trente florins, le lendemain de la fête des Quatre-
Couronnés ; 2 à fournir le luminaire pour leurs offices
religieux, pendant l’année ; 3° à payer un florin à l’orga-
niste ; 4° à payer un autre florin au carillonneur de la veille
el du jour de la fête patronale de la confrérie, ainsi qu’à
fournir des hommes pour sonner ; 5° à planer et blanchir
le chœur, depuis la balustrade jusque derrière le chœur,
et à faire repeindre les armes de son Altesse Royale.
En ce qui concerne ces deux dernières réparations, il fut
— 106 —
aussi convenu que les religieux fourniraient eux-mêmes le
bois et les cordages pour les échafaudages *.
%
*+* *
Quinze ans après cette première convention, le 9 novem-
bre 4650, les maçons fondèrent, dans la même église des
Dominicains, une messe de Requiem pour les défunts de la
confrérie, et une autre messe à dire tous les vendredis de
l'année, à leur autel, entre sept et huit heures du matin en
hiver, et six et sept heures en été.
Les contractants furent cette fois, du côté des maçons :
Michel Blanc — Pierre Lassiaz —- Louis Crosaz — Etienne
Perret — Etienne Tardy — Claude Châtellain — Romain
Favre — César Viddet — Michel Etienne, précédemment
prieur — Jean Louis, prieur moderne — François Baltha-
zard, second prieur — Antoine Maurier — George Bellod —
Claude Pasquier — Bernard Perrier.
Du côté des religieux, se trouvèrent les Révérends Pères
Christophe Crochon, docteur en théologie, sous-prieur —
François Delorme — Ambroise de Guibergue — Antoine
Grenier — Dominique Thorombert — Jacques Pellin —
Hyacinthe Histoire — Maxime Gaymoz — Gervais Granier,
tous profès.
*
* *
D'après l'état qui en fut demandé par le roi Victor-Aimé-
dée IE, le 20 avril 1733, la confrérie des maçons, outre les
intérêts d’un certain nombre d'anciennes fondations et
‘ L'entreprise des travaux fut donnée, le 11 novombre 1635, à
Louis Crosaz pour le prix do 90 florins.
— 107 —
rentes constituées, percevait annuellement en revenus :
1° tous les dimanches, de celui qui offrait le pain bénit,
douze sous ; 2 toutes les années, de chaque maitre douze
sous, de chaque compagnon six sous ; 3° de chaque mai-
tre natif de Chambéry, levant boutique, un demi écu d’or,
soit trois livres trois sous ; 4° de chaque maître étranger,
levant boutique, un écu d'or, soit six livres six sous ;
ÿ° d'une obligation du 10 février 1714, trente-neuf livres ;
6° d’une autre obligation du 22 décembre 1671, au capital
de cent florins, trois livres seize sous.
Les dépenses annuelles de la même confrérie compre-
naient les aumônes et les honoraires payés, savoir: à
chaque compagnon nécessiteux de passage dans la ville,
ce qui arrivait souvent, dit la pièce que j'ai sous les yeux,
cinq sous ; aux Dominicains, pour le service religieux de
la confrérie, quarante-trois livres seize sous ; aux mêmes,
pour le service de décès de chaque maitre, trois livres
seize sous ; pour le luminaire de la chapelle, vingt livres.
Enfin, il était aussi donné un honoraire au curé et aux
clercs de Saint-Léger, pour la sonnerie et le port de la
croix, dans les processions solennelles de la confrérie qui
se faisaient en ville *.
1 Archives du Sénat (Dossicrs divers).
CORPORATION DES CHIRURGIENS
SOMMAIRE HISTORIQUE
Le plus ancien document officiel que j'ai découvert sur
l’ancienne corporation des chirurgiens de Chambéry remonte
au 27 juillet 4625. C'est l’acte même de la constitution que
la confrérie se donna, après avoir assisté à la messe et
imploré le Saint-Esprit. Les chirurgiens, qui figurent au bas
de cette pièce, sont au nombre de dix et se nomment
Brondel, F. de La Fontaine, J. Balle, Longy, C. Bizet,
J. Laurent, Vespre, J.-F. Vizet, Truittat, J.-F. Doncel.
Comme on l’a vu pour les corporations qui précèdent, les
chirurgiens ne séparent point l'exercice de leur profession
de l'honneur à rendre à Dieu. C'est au nom de la Très
Sainte et Indivise Trinité, de la Très Glorieuse Vierge, et
au nom des saints Côme et Damien, qu'ils forment leur
Société ; c’est Dieu, auteur de tout, qu'ils se proposent
d’avoir toujours en leur pensée, afin de mieux régler leurs
actions en vue du plus grand honneur de leur profession et
du meilleur profit du public. La devise qu’ils adoptent est :
Initium sapientiæ timor Domini.
Comme preuve de ces sentiments religieux et élévés, tous
les confrères devront assister, le jour de la fête des saints
Côme et Damien, à la grand'messe et aux autres offices
divins qui seront célébrés dans la chapelle de la confrérie.
Le lendemain, ils ne manqueront, non plus, d’être pré-
sents au service funèbre et aux autres prières, qui se feront
pour tous les défunts de la corporation. En outre, lorsque
quelque membre ou sa femme tomberont malades, le prieur
SE TT IS Qi — fc à
— 109 —
sera tenu particulièrement de les visiter et de les secourir
en bon chrétien et en bon confrère.
Les ordonnances, en ce qui concerne la conduite de la
Société au point de vue professionnel, sont ensuite très
détaillées.
La corporation sera présidée à tour de rôle, pendant une
année, par chaque membre, suivant l'ordre d’ancienneté.
Aucun chirurgien ne pourra se substituer à celui qui aura
commencé un pansement, sans avoir obtenu préalable-
ment le consentement de ce dernier. Dans le cas où, devant
le défaut du premier chirurgien empêché de lui continuer
ses soins, ou par simple caprice, un malade en requiert
d'urgence un autre, celui-ci, avant de s’interposer effective-
ment, devra faire payer ou payer lui-même les honoraires
de celui qui l’a précédé.
Tout chirurgien, qui aspirera à la maitrise, de obtenir
le consentement de l'autorité supérieure, être reconnu capa-
ble par tous les maîtres jurés et payer une pistole au profit
de la chapelle de la confrérie.
Tout apprenti, à son entrée en apprentissage, et, à son
défaut, le maître qui l'aura reçu, sera tenu de remettre au
prieur deux florins pour les dépenses de la même chapelle.
Le jour de la fête patronale de la confrérie (27 septem-
bre), il y aura une assemblée générale des maitres, où il
sera successivement rendu compte des recettes et des dé-
penses de l’année, réglé les différends entre les confrères,
et statué sur les contraventions au règlement. Lorsqu'il y
aura urgence à traiter quelque question importante inté-
ressant la Société tout entière, ou seulement quelques-uns
de ses membres, les quatre maîtres plus anciens devront
d'abord tâcher de la résoudre. S'ils ne peuvent y parvenir,
ils convoqueront l’assemblée générale, qui prononcera en
dernier ressort.
J' |
D
— A0 —
Chaque chirurgien devra surtout considérer, dans ses
actions, l'honneur de la corporation, vivre en bonne har-
monie avec ses confrères, et les aider de ses services et de
ses conseils en toute occasion.
Aucun maitre ne pourra recevoir à Son service un compa-
gnon qui aura été employé chez un autre maitre, sans le
consentement de celui-ci, ou, tout au moins, avant un inter-
valle de trois mois pendant lesquels le compagnon aura vécu
hors de la ville.
Le jour du service funèbre pour les trépassés de la con-
frérie, les apprentis seront tenus de prêter leur concours,
s’il est nécessaire, pour sonner les cloches.
Lorsqu'un membre de la Société sera décédé, il sera
célébré, le lendemain ou le jour qui conviendra le mieux,
un service funèbre pour le repos de son âme.
L'infortune des confrères ne devra point aussi être négli-
gée. S'il arrivait que quelqu’un d’entre eux tombât dans la
nécessité, le prieur en avertirait les autres maîtres et s’adres-
serait à leur bonne confraternité pour lui porter secours '.
%
*X *
Toutefois, une modification de ces statuts eut lieu en
1676, et fut présentée à l'approbation du Sénat, le 44 février
de cette même année, par les chirurgiens Duchesne, Histoire,
Alphonse, Grillict, Robert, Citre, Degalle, Vespre et Vallet.
Les offices religieux du jour de la fête patronale des saints
Côme et Damien, ainsi que ceux du lendemain, spécialement
célébrés pour les défunts de la confrérie, furent maintenus.
Chaque maître chirurgien, ou veuve de maitre continuant
d'exercer la profession de son mari, devait payer annuel-
1 Archives du Sénat, vol. XL, fol. 305, 1639-1646.
— Al —
lement pour ces offices religieux deux florins. Tous devaient
y assister, sauf empêchement pour cause de maladie, sous
peine d’un quart d’écu d'amende.
Le roulement par rang d’ancienneté ne fut plus suivi
pour la présidence de la corporation. Désormais, le prieur
serait élu par l'assemblée générale des maitres, le jour de
la fête patronale, et, en même temps, l’ancien prieur ren-
drait ses comptes.
Comme il était déjà recommandé anciennement, le chef
de la Société avait principalement, parmi ses autres devoirs,
celui de maintenir les bons rapports entre les confrères.
Dès que la mésintelligence venait rompre l’harmonie qui
devait régner parmi eux, il était de sa charge de faire tous
ses efforts pour la faire disparaitre à l'amiable, et, au besoin,
de condamner, par un jugement exécutoire sous peine de
deux quarts d’écus d’amende, le coupable à donner satis-
faction à son adversaire.
Les conditions pour arriver à la maitrise, ainsi que les
obligations des membres de la corporation, en ce qui con-
cernait l'exercice de leur profession, étaient aussi réglées
de la manière suivante.
Nul ne pourra lever boutique qu’il n’ait subi, à des inter-
valles plus ou moins longs, trois examens oraux devant les
maîtres assistés d’un délégué du Sénat et du procureur géné-
ral, et qu’il n’ait fait avec succès une opération chirurgicale
sur un corps humain, telle qu’elle aura été proposée par
les mêmes examinateurs. Toutefois, avant d’être admis à
ces diverses épreuves, l’aspirant devait avoir payé, le jour
précédent, entre les mains du prieur, le droit fixé pour
chacun des actes. Après sa réception, il était tenu de payer
une pistole pour la chapelle, et de prêter serment entre les
mains du même prieur. Une faveur était cependant accordée
— 112 —
aux veuves, elles pouvaient, à l’aide d'un garçon, continuer
à tenir la boutique de leurs maris, pourvu que ce garçon
eût été examiné et approuvé par les maîtres.
La profession de chirurgien était privilégiée, à peu près
comme toutes les autres dont il est question dans ce travail.
Nul ne pouvait l’exercer dans la ville ou ses faubourgs,
même secrètement en chambre, s’il n'avait été reçu à la
maitrise dans les formes qui viennent d’être expliquées. Il
était aussi interdit à quiconque de pratiquer la chirurgie
dans un périmètre de la ville moindre d’une lieue, s’il
n'avait, non plus, subi avec succès, au moins l'examen requis
des garçons des veuves.
La même défense qui existait anciennement, au sujet de
la concurrence de deux chirurgiens auprès d'un malade,
continua à subsister. Il n’était permis à aucun d'eux, même
sur la demande instante de celui-ci, de se substituer l’un à
l'autre, pour un pansement déjà commencé, à moins que le
premier n’eût été à l'avance entièrement désintéressé de
ses Soins.
Je ferai remarquer, en terminant cet exposé du nouveau
reglement de 1676, que, quiconque était admis à lever bou-
tique de maître, devait, pendant les six mois suivants, servir
gratuitement à l’hospice de la Charité. Quant aux apprentis,
ils étaient tenus, sous la responsabilité de leurs patrons, de
payer deux florins pour le droit « de toucher au métier. »
Ces statuts furent effectivement entérinés pe le Sénat de
Savoie, le 5 mars 1676.
%
*X *
Le règlement dressé en 1726, conformément aux ordon-
nances royales de 4725, tout en conservant l'esprit et les
1 Archives du Sénat, vol. XLVII, fol. 116, 1678-1680.
a
principales dispositions qui viennent d’être rapportées, ap-
porta encore en certains points, comme on va le voir, quel-
ques modifications nécessilées par les circonstances.
Le prieur devra être nommé, à la majorité des suffrages,
par l'assemblée générale des maitres, le dimanche qui pré-
cèdera la fête patronale des saints Côme et Damien, et ne
verra pas son mandat s'étendre au delà d’une année. Le
nouvel élu ne pourra refuser l'office qui lui aura été ainsi
conféré, sous peine d’un écu d’or d’amende. Aussitôt après
son élection, assisté de deux maîtres députés à cet effet, il
receyra de son prédécesseur le compte-rendu des recettes
et des dépenses de l’année écoulée, ainsi que tous les titres
intéressant la confrérie. Il sera tenu, en outre, le lendemain
de son élection, de prêter, entre les mains du vicaire de
police, serment de veiller à l’observance des statuts et de
donner avis des abus qui pourraient être commis par les
membres de l'association.
Aucun chirurgien ne sera admis à exercer sa profession
dans Chambéry et ses dépendances, à peine de vingt livres
d'amende, s’il n’est catholique romain, et s’il n’a subi aupa-
ravant un examen de capacité, et fait avec succès le chef-
d'œuvre proposé par les maîtres. L'examen devra se passer
en présence du vicaire de police‘, qui en sera avisé par le
1 On nommaït de ce nom l'officier qui fut institué, le 12 mai
4725, par le roi Victor-Amédée II, pour remédier au mauvais état
dans lequel étaient tombées la surveillance de la police et l’admi-
nistration des revenus de Chambéry. En présence de l'améliora-
tion qui s'était produite par ses soins, il fut supprimé par Char-
les-Emmanuel III, le 2 juillet 1737, et les attributions qui lui
avaient été transportées, telles que la juridiction sur la police,
l'administration des revenus communaux et l'inspection des bâti-
ments, furent restituécs à la ville. En même temps, le nombre
des conseillers municipaux, qui était auparavant de quarante, fut
réduit à trente-deux, dont huit gentilshommes, huit avocats, huit
procureurs et huit bourgeois. Tous les ans, le conseil devait
désormais élire un syndic de chacune de ces quatre classes.
IVe SÉRIE. — TOME IV. 8
— 114 —
prieur et qui en fixera le jour. L’aspirant qui se présentera
à cetle épreuve sera tenu aussi de justifier qu’il a déjà pra-
tiqué l'art de la chirurgie, au moins trois ans comme compa-
gnon, en dehors du temps d'apprentissage. Il sera interrogé,
à commencer par le plus récent, successivement par tous
les maîtres, qui voteront ensuite sur son admission. Quant
aux redevances qu’il aura à payer préalablement, à cette
occasion, elles seront d'un écu d'or pour chaque acte au
vicaire de police, et deux livres dix sous à chaque maître.
Aucun sarron, soit compagnon étranger, ne pourra, à
peine de dix livres d'amende, entrer au service d’un maitre
de la ville, qu’il n’ait prouvé sa qualité de catholique romain
et qu'il a accompli son temps d'apprentissage.
Tout maître qui aura manqué trois fois gravement, dans
l'exercice de sa profession, sera déchu et ne pourra plus
pratiquer la chirurgie, sous peine de cent livres d’amende
en faveur de la corporation .
%k
*% *X
Je n’ai besoin de rappeler que la chirurgie? s’occupe en
général des maladies externes, de leur traitement, et parti-
culièrement des procédés manuels qui servent à leur gué-
rison. Depuis la chute de l'empire romain, elle fut pratiquée
pendant longtemps, dans l'Europe chrétienne, par le clergé.
Mais, en 1163, le concile de Tours layant interdite aux
ecclésiastiques, elle se trouva livrée à l'ignorance et au char-
latanisme. On vit alors naître les renoueurs, les rebouieurs,
et au-dessus d'eux la corporation des chirurgiens-barbiers,
dont l’existence se maintint jusqu'en 1789.
1 Archives municipales de Chambéry, n° 1050.
? Mot provenant du grec, cheir, main, et ergon, travail.
— 115 —
Toutefois, à partir du seizième siècle, cet art commença
à se relever, et prit ensuite, sous l'impulsion d'hommes
célèbres, un essor qui l’amena au très haut rang de perfec-
tion où nous le voyons aujourd'hui.
Parmi les noms des anciens chirurgiens de Chambéry, en
dehors de ceux que l’on à déjà vus précédemment, je citerai
principalement, d’après les érudits qui les ont recueillis ! :
4535, Thomas de Anzo — 1715, Virginé — 1730, Mar-
michon — 1:38, François Blanc — 1743, Claude Mugnier
— 1747-60, Louis Belly — 1748, Guillaume Pugin — 1776,
Mermet — 1784, Jean-Baptiste Trepied.
Depuis la réorganisation des études en 1795, et surtout
depuis la loi de ventôse an xt, la chirurgie ne fut plus
séparée de la médecine pour les diplômes de docteur, et,
dès lors, on ne désigne plus ceux qui ont ainsi acquis le
droit de soigner les maladies internes et externes que sous
le nom générique de médecins.
1 Voy. Les Médecins, notes recueillies par feu le docteur Louis
GuitLLAND, mises en ordre et précédées d’une introduction par
François RaBurT, professeur d'histoire (Société savoisienne d'his-
toire et d'archéologie, vol. XKVIÏI).
— 116 —
CORPORATION DES TISSERANDS
SOMMAIRE HISTORIQUE
La confrérie ou corporation des tisserands de Chambéry
existait déjà depuis longtemps et était gouvernée par d’an-
ciens statuts « conformes aux saints décrets et sanctions
ecclésiastiques, » lorsqu'il fut apporté quelques modifica-
tions à ces statuts, dans le commencement du dix-septième
siècle. |
Un arrêt du Sénat de Savoie du 15 janvier 1637, un acte
d'enlérinement consenti par ce même tribunal souverain,
le 49 juillet 1641, et une bulle du pape Alexandre VIE, du
10 septembre 1661, sont les principaux documents qui
m'ont fourni quelques détails sur cette société.
La confrérie des tisserands portait le nom de Notre-Dame
de Grâce, et avait sa chapelle dans l’église des révérends
Pères Cordeliers (aujourd'hui cathédrale).
De graves abus professionnels s'y étaient introduits,
paraît-il, avant la date des actes sénatoriaux que j'ai cités.
Déjà, un procès avait été nécessité contre un nommé Jean
Malinjou, maitre tisserand, qui prétendait se soustraire au
devoir des maitres étrangers levant boutique, de payer
trente florins, et le Sénat avait été obligé d'intervenir pour
faire respecter la coutume. Sur l'initiative et la requête d'un
certain nombre de confrères, il fut apporté remède à cet
élat malheureux de la manière suivante :
Aucun tisserand ne pourra lever houtique sans le consen-
— 117 —
tement et l'approbation de deux maîtres jurés élus, dans
ce but, par la majorité des confrères.
Tout maitre qui aura manqué à ses obligations profes-
sionnelles envers un particulier, sera passible d’un écu d’or
d'amende au profit de la chapelle, et des dommages-intérêts
envers la partie lésée.
Aucun étranger ne sera admis à. exercer l’art de tisserand
dans la ville et ses faubourgs, qu’il n'ait fourni des preuves
irrécusables du lieu de son origine, de ses bonnes mœurs
et de sa fidélité constante à la religion catholique romaine.
Enfin, tout étranger qui sera admis à lever boutique dans
la ville de Chambéry ou dans ses faubourgs devra payer
trente florins entre les mains des prieurs, et les fils de
maitres, seulement la moitié de cette somme ‘.
%k
# *
L'autorité ecclésiastique apporta, à son tour, à la confré-
rie, un appui moral non moins puissant, par les précieuses
faveurs spirituelles dont elle la combla. Comme le pape
Innocent X l'avait fait pour les tailleurs, le pape Alexandre
VII accorda aux tisserands, moyennant les conditions ordi-
naires, en outre d’autres de moindre étendue, une indul-
gence plénière le jour de leur entrée dans la confrérie ; une
autre indulgence plénière à l’article de la mort ; une troi-
sième indulgence de même nature à ceux qui visiteront
leur chapelle le jour de la fête de Notre-Dame de Grâce ;
une quatrième à ceux qui visiteront la même chapelle aux
quatre jours de fête qué la confrérie aura choisis et fait
approuver par l'ordinaire *.
1 Archives du Sénat, vol. XI,, 1639-1646.
3 {Archives du Sénnt (Dossiers divers).
D
On voit en outre, dans un autre document postérieur,
qu’il fut apporté certaines modifications à ces ordonnances.
Le 30 juillet 1702, les maitres tisserands, réunis par-devant
le notaire Chaffardon, délibérèrent de nouveau sur la
réforme de leurs précédents statuts, et arrétèrent ce qui
suit : 4° Chaque maitre et chaque compagnon payeront
annuellement entre les mains de celui qui sera élu pour cette
perception, le premier un florin, et le second six sous, pour
l'entretien et les offices de la chapelle ; 2 les apprentis ne
paieront, pour droit d’introge, que deux florins ; 3e les
maitres étrangers qui lèveront boutique dans Chambéry ou
dans ses faubourgs, seront tenus à trente florins, et les fils
de maîtres à quinze florins seulement.
Cette délibération fut homologuée par le Sénat de Savoie,
le 48 novembre de la même année 1702, sauf la dernière
disposition au sujet des droits à payer par les tisserands
étrangers. Ceux-ci furent réduits par la Cour souveraine à
six florins pour les maitres, et à trois florins pour les fils
de maîtres.
%
*X *
La requête présentée au Sénat pour l'approbation des
statuts de 1641 porte la signature d’un nommé Rey.
Les noms des maitres tisserands contenus dans l'acte de
1702 sont Louis Chasset, Jean Jacquemoz, Gabriel Bour-
geois, François Vincendet, Balthazard Ancelin, Antoine
Sosset, François Bellemin, François Montillier, Jean Lau-
rent, Peyreret, Louis Dalby, Pierre Jacquemoz et Jacques
1 Hrchires du Sénat, vol. LVII, fol. 150, 1701-1505.
— 119 —
Bosson, « tous ensemble, est-il dit, représentant les deux
tiers de la confrérie. »
En 1733, les sources de revenus de la confrérie étaient :
1° le droit payé par chaque maitre étranger levant boutique,
vingt livres ; 2 le droit de chaque fils de maître passant au
même rang, dix livres ; 3° la cotisation annuelle de chaque
maitre établi, treize sous ; de chaque compagnon, six sous
six deniers ; 4° le droit d'entrée de chaque apprenti, une livre
six sous huit deniers ; ÿ° une obligation des frères Claude
et Charles Pilliot, du faubourg Montmélian, neuf livres.
Sur cela, dix-huit livres étaient payées annuecllemènt aux
religieux de Saint-François pour les offices divins ; deux
livres deux sous, au curé et au clerc de Saint-Léger pour
le port de la croix et le carillon dans les processions. Le
reste élait employé à l'entretien et aux réparations de la
chapelle, des ornements, des linges, ainsi que des vases et
des bouquets .
Depuis un assez grand nombre d’aunées, il n’existe plus,
je crois, à Chambéry, d'artisans de cette sorte.
1 Archives du Sénat (Dossiers divers).
— 120 —
CORPORATION DES SERRURIERS
CHAUDRONNIERS, FERBLANTIERS, LANTERNIERS
SELLIERS, MARÉCHAUX - FERRANTS
TAILLANDIERS, COUTELIERS, ARMURIERS
ÉPINGLIERS
FOURBISSEURS , ÉPERONNIERS
SOMMAIRE HISTORIQUE
Cette corporation comprenait, en général, tous ceux qui
se livraient au travail du fer ou du cuivre.
Les serruriers S’occupaient non seulement de tout ce qui
concernait la clôture, au moyen d'appareils de fer, des
meubles, des appartements et des habitations, mais encore
de tous les ouvrages en fer qui entraient dans la construc-
tion des machines, des instruments et outils de toute
espèce.
On nommait chaudronniers les artisans qui employaient
le cuivre ou le laiton dans leurs ouvrages. Il y avait les
chaudronniers proprement dits, qui fabriquaient la grosse
chaudronnerie, les chaudrons, les marmites et autres usten-
siles de ménage de l’une ou l’autre de ces substances, qu'on
désigne sous le nom commun de batterie de cuisine ; les
chaudronniers planeurs qui dressaient, planaient, polis-
saient et enfin brunissaient les planches de cuivre rouge des-
tinées à la peinture ou à la gravure ; les chaudronniers fabri-
cants d'instruments de musique, qui préparaient le métal
— 121 —
dont on fait les cors, les trombonnes, les cymbales, elc., et
lui donnaient ensuite la forme de ces instruments.
Comme aujourd'hui, les ferblantiers d'autrefois confec-
tionnaient, entre autres objets, la plupart des ustensiles de
ménage, telles que casseroles, cafetières, passoires, écu-
moires, boîtes, etc., et tiraient leur nom du fer-blanc (tôle
mince, recouverte sur ses deux faces d’une couche d’étain),
qu’ils employaient à cet effet.
Les lanterniers avaient la spécialité de fabriquer des
lanternes, ainsi que leur nom l'indique, soit pour l'usage
des particuliers, soit pour l'éclairage public des rues.
L'industrie des selliers comprenait particulièrement la
confection des selles, bâts, brides, colliers, et s’élendait, en
général, à tout ce qui regardait les harnais des chevaux.
Elle s’unissait ordinairement à celle du carrossier,
11 n’est besoin de dire que l’occupation des maréchaux-
ferrants était anciennement la même que maintenant.
Les taillandiers fabriquaient toutes sortes d'outils pour
les charpentiers, les charrons, les tonneliers, les laboureurs,
eic., et particulièrement les instruments tranchants qui
servent à failler, comme haches, cognées, serpes, doloires,
coutres, faux, cisailles, pics, pioches, bêches, houes, etc.
Les couteliers fabriquaient, de leur côté, des couteaux et
toutes sortes d'instruments de chirurgie.
On appelait du nom d’armuriers les ouvriers qui faisaient
et vendaient des armes défensives ou offensives, comme
casques, cuirasses, épées, piques, armes à jet et armes
à feu.
Les fourbisseurs avaient une grande affinité avec les ar-
muriers et s'occupaient particulièrement de polir les armes
et de les monter.
Enfin, devant la claire signification de leurs noms, il est
— 12 —
à peine nécessaire de dire qu’on appelait éperonniers et
épingliers ceux qui fabriquaient ou vendaient des éperons
pour les cavaliers ou des épingles.
La confrérie qui réunissait, à Chambéry, toutes ces diver-
ses sortes d'artisans, invoquait pour patron saint Éloi, et
avait sa chapelle dans l’église du couvent de Saint-Domini-
que. Elle existait déjà depuis un temps plus ou moins long,
quand certains désordres ou abus, qui s'étaient glissés dans
son sein, engagèrent quelques-uns de ses membres à les
prévenir et à les faire disparaître.
Les deux initiateurs de cette pieuse réforme furent les
deux prieurs de ce temps, Pierre Lhospital et George Morel.
Ils furent aussitôt suivis par les maîtres Cathelin Charguet,
éperonnier et marqueur général de Son Altesse Royale en
deçà des Monts, Claude Charguet, serrurier, Claude Sauge,
serrurier, Jean Rigaud, Antoine Larderat, George Calliard,
Paul Mareschal, Gilles Bidal, Jean Cormayeur, sellier, Jean
de la Fort dit la Violette, François Deshimbet, Daniel Pres-
tout, sellier, Édouard, Pierre et Gaspard Simon, Claude
Roisserand, armuriers.
Le 20 juin 1638, ces artisans se réunirent par-devant le
notaire ducal Vachier, où, après avoir considéré la dé-
chéance de la Société, ils dressèrent de nouveaux statuts
qui devaient la relever et lui donner une nouvelle vitalité.
La corporation fut, dès lors, présidée par deux prieurs,
qui, élus chaque année, trois semaines avant la fête patro-
nale, n’entraient cependant en fonction que le lendemain de
cette solennité.
Chargés particulièrement de mettre fin aux abus et de
procurer, le plus possible, le bien de la confrérie, ces deux
chefs avaient surtout pour mission d'entretenir la pratique
de la religion et de la charité parmi ses mombres.
— 123 —
Ils étaient tenus de veiller spécialement à ce que chaque
dimanche il füt dit à la chapelle une messe basse pour les
confrères, et d’exiger rigoureusement, pour cela, la cotisa-
tion que chacun d’eux devait payer, en même temps qu’il
offrait le pain bénit.
Leur soin devait, en outre, s'étendre à faire orner avec le
plus de magnificence possible la même chapelle, aux jours
de fêtes solennelles, et principalement à celui de la fête
patronale de saint Éloi.
Celle-ci se célébrait le 25 juin, et était annoncée, dès la
veille, par le carillon des cloches de Saint-Dominique et de
celles d’une autre église de la ville choisie à cet effet.
En cette même veille, les compagnons élaient tenus eux-
mêmes d'aller saluer chacun des maîtres, au son des instru-
ments de musique.
Le lendemain de cette fête, il en était ici comme on l’a
déjà vu pour les autres confréries dont j'ai parlé. Un service,
auquel tous les confrères étaient convoqués, se célébrait
avec la plus grande solennité pour le repos de l'âme de tous
les membres défunts de l’association.
Cependant, entre toutes les prescriptions concernant les
pratiques du service divin, celles qui se rapportaient au
pain bénit tenaient la plus grande place dans le réglement.
Chaque maître, à tour de rôle, était tenu d'offrir, le
dimanche, un pain de ce genre. Il était averti de cette obli-
gation par la remise du crochon, que lui faisait celui qui
s'était acquitté de ce devoir, le dimanche précédent.
Les prieurs faisaient eux-mêmes une semblable offrande,
le jour de la fête de saint Éloi, avec cette différence qu’au
lieu d’un seul, elle comprenait, en réalité, quatre pains dis-
posés en pyramide et ayant chacun sa destination parti-
culière. Le premier, en commençant par la base, était remis
_. 12% —
aux prieurs nouvellement élus, qui le parlageaient avec les
maitres de leur convenance. Le second était divisé en trois
parties, dont l’une se remettait au prieur offrant, l’autre,
prise au milieu, aux prieures pour être distribuée aux mai-
tresses, et la dernière, à tous les maitres présents, qui en
recevaient leur part au sortir de la messe. Le troisième pain
était donné aux compagnons qui avaient concouru la veille
à l’aubade des maîtres. Enfin, le quatrième revenait tout
entier aux prêtres qui desservaient la chapelle.
… L'offrande de ce pain extraordinaire, le jour de la fête de
saint Éloi, se faisait avec la plus grande solennité. Toutes
les femmes, appartenant à la confrérie, étaient invitées à
prêter leur concours pour l’orner, en apportant les unes
des fleurs, les autres divers objets de décor. Dès la sortie de
la maison de l'offrant, les maîtres et les compagnons se
formaient en cortège et recevaient des femmes des prieurs,
chacun un bouquet. A l'entrée de l’église, il leur était remis,
en outre, un petit cierge de cire blanche. On s’avançait
ainsi jusqu'au maître-autel, où la pieuse et symbolique of-
frande était déposée.
C'est ici que se produisaient surtout les abus que les
statuts recommandaient de réprimer. Aussitôt que le pain
était bénit et allait être distribué, les femmes et les com-
pagnons se précipitaient pour le dépouiller et s'approprier
chacun une part de ses ornements. 11 fut enjoint aux com-
pagnons d'empêcher d’abord une pareille irruption. Les
prieurs devaient ensuite enlever eux-mêmes les décors et
les confier à des personnes sages. Toute tentative de renou-
veler l’ancien désordre devenait punissable d’une ariende
de dix florins.
Le maitre qui refusait d'offrir, à son tour, le pain bénit
du dimanche, ou qui n'assistait pas à la procession de celui
— 125 —
de la fête de saint Eloi, encourait lui-même une amende de
cinq florins dans le premier cas, et de trente sous dans le
second.
Toutes les peines pécuniaires étaient soldées entre les
mains des prieurs, qui devaient en inscrire aussitôt le paie-
ment sur un registre spécial, en faisant suivre le nom du
débiteur du mot solvit.
Tout étranger qui levait boutique dans la ville ou ses
faubourgs, avait à payer un droit de dix florins. Les fils de
maitres de la ville n'étaient tenus, en pareille occasion, qu’à
une livre de cire blanche. |
Les œuvres de charité faisaient l’objet de la sollicitude
particulière de la confrérie. Chaque année, la veille de la
fête de saint Éloi, les compagnons, outre l’aubade donnée
aux maîtres, avaient l'habitude de faire, tant auprès du
public qu’auprès des confrères, une quête à leur profit. Les
maîtres, de leur côté, s’adressaient aux personnes chari-
tables, afin de venir en aide à ceux d’entre eux qui étaient
tombés dans le malheur. De plus, lorsqu'un confrère malade
devait recevoir les derniers sacrements, les prieurs dési-
gnaient quatre maitres pour porter le dais du prêtre, et
suivaient eux-mêmes le cortège en portant, à la main,
chacun un flambeau allumé. Enfin, si la mort survenait, les
mêmes prieurs étaient tenus d’en avertir aussitôt les autres
maitres. Tous ceux-ci avaient l'obligation rigoureuse d’as-
sister à la sépulture ; les prieurs devaient eux-mêmes
accompagner le convoi avec un flambeau ‘.
*X
* *
Pendant les vingt-un ans qui suivirent la réforme dont il
vient d'être parlé, la confrérie des serruriers avait repris sa
1 Archives du Sénat, vol. XL, fol. 147, 1639-1646.
— 4126 —
voie d’ordre et de sagesse. Pour assurer encore davantage
le service religieux et lui donner aussi plus d'éclat, les
confrères passèrent, le 20 juillet 1659, avec les religieux de
Saint-Dominique, une convention, par laquelle ceux-ci
cédaient aux premiers, en albergement perpétuel, la chapelle
de leur église désignée jusqu'alors sous le vocable de Sainte
Marie-Madeleine.
Les contractants furent, du côté des dominicains, Îles
Pères Charles Gaud, prieur, Hugues-Noël Marchand, sous-
prieur, Louis Dunant, Boniface Vachellot, Joseph Gaime,
Jacques Pellin et le frère Charles Dalmac. .
Du côté des confrères, on remarquait George Vibert,
sellier, François Court, maréchal-ferrant, Pierre Deville,
chaudronnier, Charles Cheron, fourbisseur, tous quatre
habitant le faubourg Montmélian, Claude Blanchard, maré-
chal, du même faubourg Montmélian, Antoine Constable,
lanternier, Claude Chaffardon, maréchal, du faubourg
Reclus, Lazare Bouchetan et Antoine Carcollet, du faubourg
Maché, tous anciens ou modernes prieurs de la confrérie.
Les concessions consenties par les religieux furent :
4 De céder la chapelle de Sainte Marie-Madeleine, pour
y célébrer les messes et autres offices de la confrérie de
Saint-Éloi, tout en se réservant d’user, à leur convenance,
de cette même chapelle dans les temps libres.
20 D’abandonner aux confrères l'usage de l'une des deux
portes de la grille de fer de la chapelle, en ne conservant
pour eux-mêmes que l'usage de l’autre.
3° De dire chaque dimanche une messe basse pour la
confrérie, de célébrer une grand’messe après la procession
du pain bénit, ainsi que les vêpres, le jour de la fête de
saint Eloi, de faire un service solennel pour tous les défunts
de la confrérie, le lendemain de cette fête, et un autre pour
chaque confrère, après son décès.
Un
— 127 —
£° De fournir les ornements nécessaires au célébrant, el
de parer convenablement la chapelle et l’autel, dans ces
diverses circonstances.
5° De sonner à la volée la grande cloche du couvent,
ainsi que le carillon, à midi et à huit heures du soir de la
veille, aux matines, pendant la procession du pain bénit,
et aux vêpres du jour de la fête patronale ; en outre, de
sonner des glas, soit avec les grandes, soit avec les petites
cloches, à huit heures du soir de la veille, avant la messe
ct pendant l’absoute, tant du service commémoratif des
défunts de la corporation que de celui de chaque membre
décédé.
G° De sépulturer dans le cimetière du couvent ceux des
membres de la corporation qui ne possèderaient pas de
tombeau ou qui n’auraient pas le moyen de s’en procurer
un, dans d’autres églises de la ville.
De son côté, la confrérie Ss’engagea envers le couvent :
1° À payer tout d’abord quatre cents florins d’introge,
ou droit de prise de possession.
20 À faire pour l'autel de la chapelle, en même temps
qu'un rélable convenable, un tableau dont le projet serait
soumis à l’approbation des religieux.
3° À faire aux fenêtres et à la toiture de la même cha-
pelle les réparations occurentes et nécessaires.
&o À donner aux religieux un des quatre petits pains
bénits de la fête patronale de saint Éloi.
ÿ° À payer annuellement, le lendemain de cette même
fête, quarante florins, monnaie de Savoie, tant pour les
messes et services funébres, des dimanches, du jour de la
fête patronale et du lendemain, que pour la fourniture des
ornements sacerdotaux et le décor de la chapelle ; et aussi
trois florins pour chaque service funèbre célébré dans
— 12% —
l’année, à l'occasion de la mort de l'un des membres de la
confrérie.
6° À payer trois florins pour chaque sépulture de confrère
dans le cimetière du couvent.
7e A fournir, en outre, le luminaire nécessaire à toutes
les cérémonies religieuses.
*
* *X
Cependant, bien que les statuts précédents et la conven-
tion que je viens de rapporter, eussent été mis aussitôt en
vigueur, ils ne furent approuvés et homologués que long-
temps après par le Sénat. Ce ne fut que la trente et unième
année, le 20 mai 1690, qui suivit ce dernier acte, que la Cour
souveraine, sur la requête de la confrérie assemblée le 22
du même mois, remplit cette formalité.
Les membres de la corporation qui prirent part à cette
motion furent, Maurice Forrat, prieur, André Clerau, Fran-
çois Martin, Jean Revol dit Carcollet, Louis Challendier,
Claude Roux dit Fontaine, Claude Richard, Claude Joly-
temps, Louis Fricquet, Théodore Viollet, Antoine Verney,
tous serruriers, Etienne et Jean Guy, chaudronniers, Jean-
Pierre et Antoine Pocta, ferblantiers, Guillaume Vignolle et
Claude Mouchet, selliers, Germain Flambert, Claude Bou-
" chet, Jean Tardy, Thomas Beccu, Antoine Rey dit Loyseau,
Claude Turin, mareschaux-ferrants et taillandiers, Claude
Gabet, Claude Boisset et François Vullien, couteliers, André-
Laurent et Jacques Simon, armuriers, Grégoire Girod, bâtier,
Jean Razet, épinglier.
En dehors de la demande d'homologation des actes qui
précèdent, tous convinrent d'ajouter aux anciens statuts que
quiconque refuserait, soit d'accepter la charge de prieur,
— 129 —
lorsqu'il aurait été régulièrement élu, soit de faire le pain
bénit à son tour, soit de payer la cotisation annuelle de
quatorze sous pour la célébration des offices religieux de la
fête patronale, serait passible de vingt-cinq livres d’amende
pour chacun de ses manquements !.
En 1733, suivant le rapport de Chiron, prieur, et Poitan,
procureur, la confrérie de Saint-Éloi n'avait aucune autre
source de revenus que la cotisation annuelle de ses mem-
bres *.
‘ Archives du Sénat, vol. L, fol. 105, 1687-1691.
1 Archives départementales de la Savoie, série G, n° 718.
IVe SÉRIE, — TOME IV. | 9
CORPORATION DES CHARPENTIERS
SOMMAIRE HISTORIQUE
La corporation des charpentiers avait pour patron saint
Joseph, et pour chapelle le maiître-autel de l’église de Saint-
Léger. Déjà, dès une date antérieure à celle dont il s’agit
ici, date que je ne saurais préciser, il existait un semblable
corps de métier, dans lequel la mésintelligence -entre les
membres et des abus de toutes sortes avaient fini par s’in-
troduire. Pour remédier à cet état déplorable, comme pour
poser les bases d’un avenir plus riant, le 8 mars 1645, les
charpentiers de la ville et de ses faubourgs, réunis en assem-
blée générale au nombre de quinze, convinrent d’un règle-
ment qui fut ensuite approuvé par le Sénat, en 1646.
Les noms de ces nouveaux fondateurs furent Benoit
Champroud, Étienne Châtelain, François-Claude Modurat,
Jacques Baudevin, Claude Cottard, Jean Périer, Claude
Champroud l'ainé, Claude André, Benoît Galliardin, Laurent
Mochon, Claude Deviyne, Étienne Belley, Jean Nicod, Pierre
Janin et Jean Greffe.
Ces honnêtes artisans étaient doublés de bons chrétiens.
Is unirent aussi la religion à teur profession et jugèrent sai-
nement que la première devait les soutenir et les guider
dans l’exercice de la seconde.
Suivant les ordonnances qu'ils adoptèrent dans leur réu-
nion du 8 mars 1646, il y aura, le jour de Ia fête patronale
de la confrérie, outre les autres offices religieux, une proces-
— 131 — |
sion solennelle, à laquelle tous les confrères, maitres,
compagnons et apprentis, sauf empêchement légitime,
devront assister, sous peine de six sous d'amende.
Le lendemain de cette même fête patronale, les défunts
de la corporation recevront, de leur part, un témoignage de
bon souvenir. Il sera célébré pour le repos de leur âme une
grand’'messe, à laquelle tous leurs frères vivants, quels qu'ils
soient, seront tenus d’être présents.
Le chef de la confrérie aura l'obligation d'offrir, à ses
frais, un pain bénit en la fête patronale, suivant l’ancienne
coutume, de prendre toutes les mesures nécessaires pour
la célébration des autres offices religieux en ce même jour,
ainsi que pour la célébration de la messe dominicale et des
autres services divins pendant l’année.
Pour subvenir aux frais de ces diverses cérémonies reli-
gieuses, tous les maitres devront verser annuellement dans
la boite de la confrérie un florin, les compagnons huit sous,
et les apprentis, une lois seulement pour toutes, deux livres
de cire. 5 |
Nul compagnon de la ville ou de ses faubourgs ne pourra
devenir maître, qu'il n'ait auparavant subi avec succès un
examen de capacité devant les quatre plus anciens maîtres
de la corporation. Le compagnon étranger qui aspirera à
la même dignité devra, en outre, prouver, par des attesta-
tions authentiques, son lieu de naissance, qu'il appartient
à une famille honorable, qu'il est de bonnes mœurs, qu'il
jouit de l'estime publique et qu'il est chrétien catholique
romain. En tout cas, les nouveaux maitres seront tenus de
payer, comme droit d'introge, un écu d'or au soleil. Qnant
aux fils de maitres, ils ne seront soumis qu’à l’examen de
capacité et au paiement d’un florin.
-" Il sera inlerdit, sous peine de dix florins, en cas de con-
— 132 —
travention, à tout compagnon charpeñtier de travailler de
son métier, à prix fait, pour le compte d’un particulier,
dans la ville ou dans ses alentours, jusqu’à la distance d'une
lieue.
Enfin, aucun apprenti, avant d'avoir achevé son temps
d'apprentissage, comme aucun compagnon, avant l'expira-
tion de la durée de son engagement, ne pourra prendre du
service chez un autre maître que celui chez qui il se trouve,
sous peine d’un écu d'or au soleil d'amende. |
Le 2 septembre 1660, par une bulle qui fut ensuite
publiée par l’official Dufour, le 6 mars 1670, le pape
Clément IX dota la confrérie des charpentiers, dans des
termes à peu près identiques, des mêmes faveurs spirituel-
les qui avaient déjà été accordées par ses prédécesseurs
aux confréries des tailleurs et des tisserands. La seule dif-
férence légère qui y fut apportée est dans l’assignation des
fêtes de la Conception, de la Purification, de l’Annoncia-
tion et de la Nativité de la Sainte Vierge, à la visite de la
chapelle pour gagner l’une de ces indulgences.
*
* *
En 1727, les charpentiers firent construire un rétable et
placer une statue de leur patron, dans cette même chapelle,
pour le prix de cent cinquante livres.
Outre le produit des cotisations annuelles et autres droits
réglementaires, ils avaient, en 1733, deux titres de rente,
l’un au capital de cinq cent quatre-vingt-dix florins sur Jean-
Louis Bizet dit Morand, de Chambéry, et, l’autre au capital
de cinq cent quarante florins sur les nommés Pierre et
Victor Voiron, père et fils, de Thoiry.
Enfin, suivant un acte de 4790, le personnel de la con-
D
— 133 —
frérie comprenait, à cette date, les maitres suivants : Pierre
Bovagnet, natif d'Oncin, prieur ; Claude Bouchet, natif de
Saint-Ombre, sous-prieur ; Antome Bouchet, natif de cette
même localité ; Aimé Vachet, natif de Chambéry ; Pierre
Tardy, natif de Cognin; Antoine Brun, natif de Ja même
paroisse ; Jean Berthet, natif de Chambéry ; Benoît Perrotin,
natif de Conjux ; François Pire, natif de St-Ombre ; Claude
Tardy, natif de Montagnole ; Claude Bret, natif de Tresserve ;
Joseph Lauger, natif d’Albens ; Alexandre Duporaz, natif
de Cognin ; Jean Perret, natif de Billième ; Jean-Claude
Pache, natif de Saint-Alban ; Claude Philippe, natif de
Conjux, conseillers.
— 194 —
CORPORATION DES CORDONNIERS, TANNEURS
ET CORROYEURS
SOMMAIRE HISTORIQUE
Les cordonniers, tanneurs et corroyeurs formaient une
“seule et même confrérie.
Avant tout autre détail à leur sujet, il convient de dire
que, comme on l’a vu précédemment pour les tailleurs, ils
furent d’abord soumis à l'autorité d'un surintendant, nom-
mé par le due de Savoie pour toute la partie de ses États en
deçà des Monts. Cet officier avait pour attribution d’entre-
tenir l’émulation et la probité dans le corps de métier, et de
veiller à ce qu'il ne se commit point de fraude, ni dans la
qualité de la marchandise, ni dans sa fabrication, ni dans sa
vente. Il Jui était aussi ordonné d'interdire la maitrise à tous
ceux qui n'auraient pas donné des preuves suffisantes de
capacité, dans l'examen que leur feraient subir des maitres
nommés par lui-même à cet effet.
Au nombre des divers personnages qui remplirent cette
charge auprès des cordonniers, tanneurs et corroyeurs de
Savoie, un document du 6 février 1674 en cite principale-
ment trois, qui se succédèrent les uns aux autres et occu-
pèrent fort longtemps cetle place : Me Blard, maitre cordon-
nicr, d'Annecy, François Bérenger et Claude Deschaux dit
Brizet, l'un et l’autre maitres cordonniers, de Chambéry.
La nomination du dernier remonte à cette même date du
6 février 4671. En 1679, il lui fut adjoint, par leltres
— 135 —
patentes du duc Emmanuel-Philibert, son fils François
Deschaux.
Le nombre des artisans qui firent, à certains moments,
partie de la confrérie des cordonniers, tanneurs et cor-
royeurs de Chambéry, fut considérable. Il s'élevait, en
‘1669, à près de quatre-vingt-dix, comprenant particulière-
ment les noms suivants :
Pierre Guillet, Philibert Francoz, Jean Rousseau, Pierre
Desgranges, René Vulliod, Claude Campet, Pierre Cugnet,
Antoine Chambon, Rolet Bergeret, Claude Merle, Louis
Chappaz, André Campet, Claude Deschaux, Jean Méritel,
Félix Galliard, Jean Excoffon, Joseph Ferragus, Pierre
Pacoret, Pierre Ricard, Catherin Sautet, Antoine Rollet,
Claude Rebotton, Francois Viraud, Jean-Claude Rossillion,
Pierre Bourg, Barthélemy Miguet, Claude Jonnard, Claude
Collomb, Jean-Claude Mattel, Claude Dumollin, Claude
Jance, Antoine Bertrand, Pierre Vincent, Pierre Dupraz,
Nicolas Bally, Claude Vulliod, Antoine Jacquiat, Pierre Des-
granges l'aîné, Pierre Blanchet, Claude Blanc, Claude
Pulvin, Jean Crotel, Maurice Sattet, André Favre dit Reglaz,
Antoine La Racine, Jean Jeanthon dit La Marche, Claude
Vibod, Pierre Ronjon, Charles Bellet, Pierre Gaidioz, Louis
Favre dit Reglaz l’ainé, Jean Santet, Claude Pichon, Jacques
Richard, César Dupraz, Antoine Dupraz, François Bally,
Martin Bardin, Claude Martin, Catherin Simond.
Les offices de la corporation comprenaient, au-dessous du
surintendant dont il a été parlé, deux prieurs et quatre
maitres assistants.
D'un autre côté, la confrérie, dont les patrons étaient
saint Crépin et saint Crépinien, avait sa chapelle dans
l'église de Saint-Léger.
— 136 —
Le 25 juillet 1669, les confrères que j'ai cités, considérant
l'impossibilité de subvenir, avec leurs seuls revenus anté-
rieurs, aux frais nouveaux provenant, tant des indulgences
obtenues de Rome pour cinq des fêtes solennelles de l’année,
que pour les réparations de la chapelle tombée dans un
délabrement complet, décidèrent d'augmenter le taux de
certains droits et convinrent des dispositions suivantes à
ajouter au précédent règlement.
Tout garçon ou compagnon, qui désormais passerait mai-
tres, devait payer vingt florins. Le fils de maitre, en sem-
blable cas, et l'apprenti, à son entrée en apprentissage,
paieraient deux florins.
Un autre acte passé devant le notaire Bellin, le 20 octo-
bre 1675, vint encore ajouter à ces prescriptions, Il y fu
stipulé spécialement que les maitres ne seraient tenus
désormais à donner des crochons et à offrir des collations
qu’à leur bonne volonté et convenance.
#4
La corporation vécut encore de cette manière cinquante
et un ans, de 1675 à 1726. Les principales ordonnances
du nouveau règlement, qui fut dressé à cette dernière date,
sous l'inspiration de l'autorité civile, peuvent se résumer
en ces termes:
Il est interdit à toute personne, sauf le maitre approuvé,
de vendre des souliers dans la ville de Chambéry et dans
toute l'étendue de ses franchises, sous peine de la confis-
cation de la marchandise et d’un écu d’or d'amende au
préjudice du contrevenant. Toutefois, cette interdiction
— 137 —
n’aura pas lieu, les jours des foires franches établies par
les édits des souverains et notamment par celui du 9 juil-
Jet 1677.
La corporation s’assemblera chaque année, le dimanche
qui précèdera la fête des patrons saint Crépin et saint Cré-
pinien, afin d’élire un prieur qui sera, à tour de rôle, tantôt
un cordonnier, et tantôt un tanneur ou un corroyeur. Elle
nommera également à la pluralité des voix, dans cette même
réunion, quatre jurés, dont deux seront cordonniers et les
deux autres tanneurs ou corroyeurs. Aucun des élus, à
l'exception de ceux qui les auront déjà remplies l’année
précédente, ne pourra refuser les fonctions qui lui auront
été dévolues, sous peine de deux écus d’or d'amende.
L'ancien prieur devra offrir un pain bénit de la grosseur
qui lui conviendra, le jour de la fête patronale des saints
Crépin et Crépinien (25 octobre).
Chaque maître sera tenu de payer lui-même, dans la
quinzaine qui précèdera cette fête, une cotisation de dix
sous. D'ailleurs tout compagnon qui, après examen, sera
reçu maître, payera huit livres d'entrée à la confrérie, s’il
est du pays, dix livres, s’il est étranger, la moitié de ces
droits, S'il est devenu le mari de la fille d’un maitre, et une
livre seulement, s’il est fils de maître. Les examinateurs
recevront, pour leur part, chacun deux livres. |
Nul, à peine de deux écus d’or d'amende et de la confis-
cation des marchandises trouvées chez lui, ne pourra
travailler comme maitre, soit en boutique, soit en chambre,
qu'il n’ait fait auparavant deux années d'apprentissage et
deux années de compagnonnage, et, de plus, qu’il n’ait été
examiné ensuite et approuvé par le prieur et les jurés.
Le maitre qui se sera mal acquitté de son métier au
détriment d'un client, sera contraint de dédommager ce
— 138 —
dernier, suivant l'expertise qui sera faite par les jurés, et
de payer quatorze livres d'amende à la confrérie.
L’apprenti devra faire deux années complètes d'appren-
tissage, et ne pourra être reçu compagnon chez un maitre,
qu'il n’ait prouvé d'avoir rempli cette obligation.
Le compagnon qui se sera engagé avec un maitre pour
un temps déterminé, ou qui même n'aurait passé aucun
contrat de ce genre, ne pourra sortir du service de ce mai-
tre, ni avant l’expiration du temps convenu, dans le pre-
mier cas, ni sans un avertissement préalable de huit jours,
dans le second cas. |
Pour éviter les abus qui pourraient se commettre au
détriment des compagnons sans travail, il sera nommé par
la confrérie un maitre, appelé embaucheur, qui servira
d'intermédiaire obligé entre les maîtres à servir et les
compagnons à embaucher. Tout maitre qui croira pouvoir
se soustraire à cette formalité pour ses ouvriers, sera pas-
sible de six livres d'amende pour chaque individu.
Les veuves de maîtres auront le privilège de continuer à
tenir la boutique de leurs maris, d'avoir des compagnons à
leur service, et même de garder les anciens apprentis ; mais
il leur sera interdit de prendre de leur propre autorité
aucun nouveau sujet de cette derniére sorte.
%k
* %
Près de cinquante ans après la publication de ce nouveau
règlement, en 1778, la vie intérieure de la corporation fut
légèrement troublée par un procès qu'elle eut à soutenir
contre l’un de ses membres cordonniers, au sujet d'un
empiètement de droits que celui-ci avait commis.
On distinguait alors, dans l'exercice de la cordounerie,
— 139 —
trois sortes de souliers, les uns dits grossiers, les autres
bâtards, et les troisièmes fins. Les premiers, suivant la
définition qu’en donnèrent des experts, étaient ceux dont
se servaient ordinairement les gens de la campagne, lourds,
gros, à empeigne de vache, joints en dehors et à double
semelle garnie de deux ou trois rangées de clous. Les
seconds étaient à empeigne de vache ou de génisse, cirés et
joints en dehors, à deux semelles capables de supporter un
rang de clous, et cousus à gros fil, mais plus légers et
mieux travaillés que les précédents. Les derniers étaient
d’une seule semelle de veau tourné, sans clous, avec joints
en dedans.
La coutume, sinon le texte même du règlement, exigeait
pour chacune de ces sortes de chaussures des maitres par-
ticuliers, de telle sorte que celui qui avait le droit de confec-
lionner et de vendre seulement des souliers grossiers ou
bâtards ne pouvait en user de même pour des souliers fins.
C’est une pareille distinction que le nommé Jacques-Louis
Forestier avait oubliée, ou n’avait pas assez comprise.
Comme cet artisan, qui n’était approuvé que pour les
souliers des deux premières espèces, avait exposé au
Verney, un jour de foire franche, sa marchandise, il s'en
vit confisquer une partie par le maitre syndic, qui la déclara
appartenir à la catégorie des souliers fins. En vain appela-
t-il successivement de cet acte devant le juge du consulat et
devant le Sénat, en alléguant qu'il y avait eu erreur de la
part du saisissant, et que les objets confisqués étaient réel-
lement des souliers bâtards. Il ne put réussir à se justifier.
Après comparutions sur comparutions, écrits sur écrits, no-
mination et rapport d'experts étrangers, le procès, qui avait
duré quatre ans, se termina par la condamnation de Jac-
ques-Louis Forestier et par la ruine complète de cet artisan,
— 140 —
Les membres qui composaient alors le conseil de la
corporation étaient Noël Duvivier et Pierre Marthe, syndics,
Antoine Chappuis, Octavien Francoz, Claude Cartannas et
Félix Collet, conseillers *.
%
*k *
Déjà, à la suite de la démolition de l'église de Saint-
Léger, vers 1760, et du transfert des offices paroissiaux à
l’église de Saint-François, il s'était produit une autre petite
agitation parmi les confrères cordonniers, tanneurs et cor-
royeurs. Les uns, ayant à leur tête Jean-Baptiste Culac,
Marc Lavigne, Antoine Chiron, Balthazard Carret et Benoit
Galliard, voulaient transporter aussi leur chapelle en cette
dernière église ; les autres, représentés par Alexis Arbé et
Jean-Baptiste Montellon, proposaient, au contraire, à cette
fin, l’église de Saint-Dominique. Comme on ne put s’en-
tendre, on en vint aux voix. Sur cent trente-huit votants,
soixante-quinze optèrent pour Saint-François, et soixante-
trois pour Saint- Dominique. Tels furent :
Pour Saint-Dominique : François Benoit. — Claude
Domenget. — François Petit. — Benoît Martin. — Pierre
Ract. — françois Pignier. — Claude Carron. — Domini-
que Cabuat. — François Roissard. — Pierre Navier. —
Antoine Acé. — Claude Simond. — Silvestre Dijoud. —
Pierre Pierre Marthe. — Denis Veuillet. — Claude Donjon.
— Antoine Lambert. — Benoît Goguet. — Antoine Coud.
— Jacques Vernaz. — Jean-Louis Laperrière. — Claude
Flutat. — Jean-Antoine Rosset. — Jean Martin. — Claude
Cartannas.
François Vichet. - — Jean-Baptiste Quey. — Joseph Ol-
1 Archives départementales de la Sarote, sèrio C, n° 718,
— All —
bery. — Charles Duvivier. — François Burgot. — Jacques
Milliand. — Octavian Froment. — Claude Chabord. —
Aimable Pollet. — Félix Collet. — Antoine Dijoud. —
Benoît Maloz. — André Reglaz. — Claude Pellin. — Claude
Cadregat. — Jean Vincent. — Claude Cantin. — Philippe
Rivière. — Joseph Fayard. — François Denat. — Antoine
Goguet. — Aimé Domenget. — Pierre Bellemin. — Pierre
Pollet. — Jean-Baptiste Culaz.
Vincent Sulpice. — Balthazard Carret. — Pierre Ber-
trand. — Benoit Carron. — Claude Vauteret. — Gaspard
Amand. — Jean-Claude Dunand. — Guillaume Luguet.—
François Bruère. — Antoine Chiron. — Benoît Galliand. —
Marc Lavigne. — François Couty.
Pour Saint-François : Henri Tête, bedeau. — Hyerosme
Jacquemard. — Joseph Morens. — Jacques Plantard. —
Jacques Piraud. — Thomas Jacquemard. — Joseph Roullet.
— Claude Garnier. — Charles Lempereur. — Claude
Pierron. — Benoît Tête. — Claude Denat. — Guillaume
Pierron. — Joseph Degrange. — Jacques Grumel. — An-
toine Bellemin. — Joseph Pavy. — François Bollon. —
Jean-Baptiste Lazard. — Claude Lefèvre. — Claude Pollet.
— Antoine Degrange. — Louis Poncet. — Philippe Marsat.
— Claude Combepine. — Etienne Ballardin. — Joseph
Dunand. — Jean-Baptiste Dunand. — Ignace Yvrod. —
Claude Benaud.
Joseph Boulle. — Antoine Blanc. — Claude Chapperon.
— Jacques Bonjean. — Antoine Chappuis. — François
Benoit. — François Avanie. — Hyacinthe Monlfalcon. —
Benoît Venat. — Jean Berthollet. — Alexis Benoît. — Pierre
Proven. — Pierre Manche. — François Bal. — Antoine
Verdun. — Benoit Lacroix. — Jean-Claude Petit. — Pierre
Thomas. — Claude Ponçon. — Jean Martin. — Claude
— 142 —
Gay. — Bernard Tête. — Joseph Michellon. — Joseph
Duvivier. — Joseph Lebrun. — Claude Grantet. — Claude
Marcellard. — Coudrat Rome. — Jean-Baptiste Montmas-
son. — Jacques Renaud. — André Porrat. — Joseph Gon-
tier. — Jean-Antoine Nozier. — Jacques Chavasse. —
George Bernard. — Claude Regard. — Anthelme Vagnon.
— Claude Marjollet. — GCatherin Dunand. — Etienne Curt.
— Etienne Actué. — Alix Arlée. — François Caille. —
Antoine Lefèvre. — Guillaume Treppier.
*
+: *
Comme la plupart des autres anciennes corporations de
Chambéry, celle des cordonniers, tanneurs et corroyeurs,
subsista, sous les constitutions que l’on vient de voir, jus-
qu'en 1792. Depuis l'affreuse tourmente révolutionnaire,
celle-ci s’est réformée avec un caractère purement spirituel
et s’est maintenue avec plus ou moins d'éclat jusqu'en ces
dernières années. |
— 143 —
CORPORATION DES BOULANGERS
ET DES PATISSIERS
SOMMAIRE HISTORIQUE
La corporation des houlangers et des pâlissiers renou-
vela ses statuts par-devant le notaire Plattet, le 22 avril
4674, et obtint leur approbation du Sénat, le 27 avril de la
même année.
Ceux de ces industriels, qu’on voit figurer en cette cir-
constance, sont : Claude Rollin, Pierre Sonnet, Joseph
Bernard, Claude Bossu, François Vallin, Mathieu Chaboud,
Germain Fermier, Thomas Christien, Michel Chapperon,
Benoit Chanterel, Jacques Voiron, Henri Gagnère, Claude
Thevenet, Octavien Mantel, Jean Drouz, Bernard Chiron,
François Chavonex, Joseph Tevenel, François Rollin, Guil-
laume Domenget. |
Les dispositions du nouveau règlement sont, quant au
fond, assez analogues aux statuts des autres corporations
d'arts et métiers qu’on à vues jusqu'ici, et n'en différent
guère que sur les points essentiellement particuliers. Elles
envisagent successivement les devoirs des sociétaires, sous
les deux points de vue ordinaires de Ja religion et de la
profession.
La confrérie aura pour patron saint Honoré, et sa cha-
pelle sera dans l’église des religieux de Saint-François.
Le prieur sera élu chaque année en cette dernière église,
quinze jours avant la fête patronale, dans une assemblée
— 444 —
générale, à laquelle tous les membres de la Corporation
devront prendre part, sous peine de deux livres d'amende,
et d'où tout étranger sera rigoureusement repoussé.
Outre la messe solennelle qui sera célébrée le jour de la
fête de saint Honoré (16 mai), il y aura le lendemain, dans
la chapelle de la confrérie, un chantal aussi solennel pour
tous les membres défunts. De plus, chaque dimanche, il
sera dit pour les confrères, une messe basse, à six heures
du matin en été, suivant l’ancienne coutume, et à sept
heures en hiver.
Le prieur sera tenu principalement de prendre soin du
luminaire et des ornements destinés à la célébration des
Saints offices — d'offrir à ses frais, chaque dimanche, avant
la messe, un pain bénit, qui sera ensuite distribué aux
confrères — d'envoyer deux flambeaux , avec leurs écussons,
Pour accompagner le Saint Sacrement porté à quelque
membre malade, lorsqu'il sera de la confrérie — de faire
parvenir également à la maison mortuaire, pour la sépul-
ture d’un sociétaire, les mêmes écussons destinés aux
flambeaux, qui figureront au convoi — de fournir, à ses
frais, une livre de cire blanche formant autant de petits
cierges qu'il y aura de maitres, et une demi-livre de même
matière divisée également en autant de petits cierges qu’il y
aura de maïîtresses — de se pourvoir lui-même, à ses
dépens, d’un gros flambeau dont il se servira dans les pro-
cessions et dans les autres cérémonies religieuses — enfin,
de donner, suivant ses moyens, le jour de son entrée en
charge, une collation à ses confrères.
Il sera de même obligé de donner avis, à chaque membre,
des assemblées qui auront lieu, et de faire, huit jours avant
la fêle patronale, en compagnie de son prédécesseur, une
quête auprès de tous les maitres de la confrérie et de ses
— 145 —
bienfaiteurs, tant de la ville que de ses faubourgs. Le len-
demain de cette même fête, après le chantal des morts, il
rendra compte à tous les maitres assemblés de sa gestion
pendant l’année.
Mais, ce qu'il y a de plus saillant et à quoi il semble être
donné la plus grande importance, dans ce règlement des
boulangers et des pâtissiers, c’est naturellement ce qui
regarde le pain bénit de la fête patronale.
La cérémonie était des plus solennelles.
Tous les maitres, à tour de rôle, étaient obligés de faire
une semblable offrande. Le dernier qui s’acquittait de ce
devoir, escorté de tous les maîtres et maîtresses, portait en
grande pompe le crochon à celui qui devait lui succéder
l’année suivante. Celui-ci le retenait alors à collation, ainsi
que sa suite. Dans le cas où il venait à mourir avant d’avoir
fait son offrande, sa veuve devait le remplacer.
Le pain à faire bénir comprenait quatre grosses tourtes
en pâtisserie, et était préparé deux jours à l'avance, pen-
dant lesquels les maîtresses s’appliquaient elles-mêmes à
l'orner de fleurs, d'images et de bouquets.
Le jour de la solennité, il était porté de la maison de
l'offrant à l'église, en une procession aussi curieuse qu'ori-
ginale, ayant en avant de lui l’offrant avec un flambeau, et
à sa suite tous les maitres et maitresses, ainsi qu’une
« bande de violons. »
La bénédiction faite, quatre maîtres choisis à l’avance
et munis de serviettes s'employaient à le distribuer aux
assistants.
Quant à ce qui concernait le côté purement professionnel
de la corporation, tout garçon, qui était admis à lever bou-
tique, devait, à sa réception parmi les maitres, payer cinq
livres de cire blanche pour le luminaire, ou dix florins pour
IVe SÉRIE. — ToME IV. 10
— 146 —
les réparations de la chapelle, sanf les fils de maîtres qui
étaient exempts de cette contribution.
De même, tout maitre qui recevait un apprenti, était tenu
de payer, pour la première année d'apprentissage de ce
dernier, une livre de cire blanche ou un quart d’écu, et
pour chacune des années suivantes, six sous pour la messe.
En outre, chaque maitre boulanger, et chaque cuisinier
ou cabaretier ayant four et faisant de la pâtisserie, était
redevable annuellement, le premier de quinze sous pour la
messe, et le second de cinq livres de cire blanche ou de dix
florins, pour l'entretien de la chapelle.
sr
À ces divers détails sur l’ancienne corporation des bou-
angers et des pâtissicrs de Chambéry, j'ajouterai mainte-
nant quelques renseignements sur les conditions dans
lesquelles ils exerçaient leur profession, et sur leur dis-
tinction respective.
Soixante ans avant la date des statuts que je viens d'ana-
lyser, c'est-à-dire le 26 août 161%, les syndics et conseillers
de cette ville avaient eux-mêmes établi, conformément à
l'ordonnance de Son Altesse Royale le due Charles-Em-
manuel Ier, une réglementation sur le trafic du blé et
du pain.
D'après ce réglement qui subsista longtemps depuis, il
fut défendu généralement à quiconque de faire des provi-
sions de blé au delà de son nécessaire, de vendre, d'acheter
et même d’arrher aucune espèce de céréales, en dehors de
la grenette, où le vendeur, du reîte, était tenu de déclarer
préalablement sur un registre le prix de sa marchandise,
sans pouvoir ensuite laugmenter. |
— 147 —
Les revendeurs, les pâtissiers, les boulangers de la ville,
et les étrangers ne pouvaient, à peine de vingt-cinq livres
d'amende, entrer dans la grenette, les jours de marché,
avant trois heures du soir.
Quant aux boulangers et aux pâtissiers, cn particulier,
ils étaient soumis à des ordonnances qu'ils ne pouvaient
impunément transgresser.
En premier lieu, ils devaient être reconnus par l’autorité
municipale et inscrits sur le registre des approbations. Nul
autre ne pouvait exercer leur industrie dans la ville, sous
peine, outre la confiscation de la marchandise, de vingt-
Cinq livres d'amende, s’il était solvable, ou du banissement,
s'il ne pouvait payer.
Les boulangers se distinguaient des pâtissiers en ce que
les premiers ne pouvaient confectionner, sous la même
peine que précédemment, « aucuns gâteaux, rioltes, car-
quelins, biscuits, cachemuseaux, tallamuses, gauffres,
etc., » qui étaient spécialement du domaine des pâtissiers.
Les boulangers étaient obligés de faire des pains « bien
apprestés et conditionnés » d’un sou et de deux sous, sui-
vant le poids fixé par la municipalité. Chacun devait donner
à son pain une marque particulière et distincte. Il était, du
reste, interdit à quiconque de ces industriels de vendre et
de débiter en même temps d’autres denrées alimentaires ‘.
*
* *#
En 1733, on trouve cités, dans les actes de la confrérie,
comme prieurs : Antoine Bay, Florentin Platte, Jean-Louis
Girod, Claude Bollon; et comme procureurs : Claude Monet,
Joseph Gontier. Obligés de faire, à cette date, un rapport
1 Archives snunicipales ile Chambéry, n° 1050.
— 148 —
au Sénat sur l’état de leurs revenus, ces officiers déclarent
que la corporation, ne possédant ni fonds, ni fondation, n’a
d'autre ressource financière que dans la cotisation de quinze
sous payée annuellement par chaque membre. Ils ajoutent
que, comme la somme obtenue par ce moyen est insuffi-
sante pour rémunérer le service religieux de la fête patro-
nale, ainsi que les messes des dimanches de l’année, le
prieur était réduit à solder lui-même ce qui manquait ‘.
#4
Actuellement, le commerce du pain et de la pâtisserie est
à peu près entièrement libre, et n’est soumis à aucune
entrave de la part des municipalités. À Chambéry, la plupart
des boulangers réunissent la pâtisserie à la boulangerie.
1 Archives du Sénat (Dossiers divers).
— 4149 —
CORPORATION DES APOTHICAIRES
SOMMAIRE HISTORIQUE
La corporation jurée des apothicaires ou pharmaciens
de Chambéry, ne fut établie qu’en 1679. Provoquée par les
représentants de cette industrie, Martin Tonce, Arestan,
Mermoz, Panvin, Gabet, Peyssard et Bonican, qui en dres-
sérent les statuts, et en demandèrent l’approbation au Sénat
par une requête du 22 mai de cette même année, elle fut
confirmée et reconnue par la Cour souveraine, le 29 du
même mois.
Dans une préface qu’on lit en tête de ce règlement, on
trouve relatées les raisons qui militaient, suivant les requé-
rants, en faveur de cette institution. Telles sont, entre
autres, la supériorité des pharmaciens sur les chirurgiens,
le concours nécessaire qu’ils apportent aux médecins, l’im-
mense avantage de prévenir les abus, en même temps que
de faire progresser l’art par une réglementation sage et un
contrôle actif.
Malheureusement, le style empesé et légèrement amphi-
gourique de cet exposé nuit un peu à sa clarté et à son effet
dans l'esprit du lecteur.
Néanmoins, les prescriptions sont des plus sages et témoi-
gment de la sollicitude qu’on avait alors pour le plus grand
honneur de cette industrie.
Naturellement, ces honnêtes artisans n’ont garde d'oublier
la religion dans l’exercice de leur art. |
— 4150 —
La patronne de la confrérie sera sainte Marie-Madeleine,
qu'on honorera dans une des chapelles qui lui sont dédiées
en quelqu’une des églises de la ville. Le jour et le lende-
main de la fête de cette sainte (22 et 23 juillet), les maitres
feront célébrer une grand'messe, à laquelle tous devront
assister, et pour laquelle chacun paiera deux florins.
En ce qui concerne les devoirs de la profession, on
remarque surtout les ordonnances suivantes, au sujet des
maitres, des compagnons et des apprentis.
Chaque année, le lendemain de la fête patronale, il sera
nommé deux jurés ou prieurs, dont l’un sera pris parmi
les maitres les plus anciens, et l'autre, parmi les maitres
° les plus nouveaux de Ja corporation. Les élus prêteront
serment de remplir fidèlement les obligations de leur
charge.
Tout maitre devra se rendre exactement aux assemblées
auxquelles il sera convoqué. Les délibérations prises, ainsi
que toutes les propositions faites et les conclusions adoptées
dans ces réunions, seront inscrites dans un registre spécial
et signées de tous les assistants. Nul ne devra se laisser
aller, en cette circonstance, à des paroles injurieuses ou
inconvenantes, sous peihe de six florins d’amende.
Les deux maitres jurés, ou prieurs, auront tout pouvoir
de fixer la cotisation annuelle à payer par chaque membre
de la corporation, d'inspecter chaque année, avec l’assis-
tance d’un médecin, les boutiques des maitres, et de pour--
suivre sans merci les contraventions au réglement.
Les examens des aspirants à la maitrise seront faits par
les prieurs et par tous les maîtres réunis, qui tous devront
signer les lettres d'admission. Celui d’entre eux, qui n’aura
pas assisté, surtout, à l'épreuve du chef-d'œuvre, sera pas-
sible de trois florins d’amende pour la première fois.
8à
— 151 —
Les veuves de maitres seront autorisées à continuer
l'industrie de leurs maris, avec l’aide d’un garçon reconnu
capable.
Chaque maitre sera tenu de tenir sa boutique approvi-
sionnée de tous les médicaments composés de la pharma-
copée de Lyon. Aucun ne pourra vendre et débiter des
drogues simples ou composées, à essence ou à base véné-
neuse, si ce n’est aux artisans et aux industriels honnêtes
qui en auront besoin pour 'eurs travaux.
L'industrie des apothicaires sera privilégiée. Aucun indi-
vidu, épicier, confiseur, marchand-droguiste, colporteur,
barbier, et même chirurgien ne pourra, dans la ville, vendre
des médicaments, soit en boutique, soit en lieu privé. Par
contre, les apothicaires ne pourront tenir, ni débiter aucune
denrée alimentaire, tels que huile de noix, fromage, pois-
sons secs, etc.
Quiconque aspirera à la maîtrise devra préalablement
justifier qu'il a fait, outre son temps d'apprentissage, au
moins trois ans de compagnonnage chez des pharmaciens de
quelques villes renommées. Ensuite, il sera tenu de subir,
devant les prieurs et ics maîtres réunis, comme il a été dit
précédemment, trois examens oraux, dans l’espace de deux
mois, et de faire deux chefs-d’œuvre, dans un délai de
quinze jours. Un seul aspirant sera admis à se présenter le
même jour. Il aura, parmi les maitres, un parrain qui l’as-
sistera dans les épreuves, mais qui ne pourra, ni prendre
part au vote, ni même être présent à la délibération des
examinateurs.
Ce même aspirant paiera, avant (out, à la boîte de Ja
corporation, pour la convocation de l’assemblée, deux flo-
rins par chaque maître — à chacun des deux pricurs
présidant les examens, sept florins — à chaque maitre
présent, trois florins — enfin à la même boîte de la contfré-
rie, dix florins pour les lettres d'admission.
Les compagnons que les veuves de maîtres emploieront
pendant leur viduité, devront subir eux-mêmes un examen
de capacité devant les prieurs et les maîtres, et payer six
_ florins, sans que cet examen puisse. servir pourtant de titre
à une maitrise.
Tout compagnon servant dans la ville de Chambéry devra
être catholique romain et de bonne vie. Aucun ne pourra
passer du service d’un maître pharmacien à celui d’un
autre pharmacien, sans le consentement explicite du pre-
mier, et à moins qu’il n’ait fait, dans l'intervalle, un séjour
de six mois hors de la ville.
Quiconque voudra entrer en apprentissage de pharmacien
sera tenu de connaître la grammaire, d’avoir au moins l’âge
de quinze ans, et de payer quatre florins pour être em-
ployés à secourir les compagnons nécessiteux de passage
à Chambéry !.
+
Le règlement de 1726 ne modifia que très peu ces or-
donnances.
La confrérie continua à honorer sainte Marie-Madeleine,
comme sa patronne.
Elle fut aussi gouvernée par deux prieurs, qui étaient
élus, non plus le lendemain, mais le jour même de Ia fète
patronale, .et qui ne pouvaient refuser leur charge, sous
peine de deux écus d’or d'amende, à moins qu'ils ne l’eus-
sent déjà remplie l’année précédente.
Ces officiers prêtaient serment le lendemain de leur
élection entre les mains du vicaire de police. IIS avaient
1 Archives du Sénat, vol. XLVII, fol. 116, 1678-1680.
— 153 —
principalement l'obligation de veiller à l’observation du
règlement — de dénoncer les abus professionnels qui se
commettaient — de convoquer l’assemblée des maîtres dans
les cas réglementaires, ainsi que dans les cas urgents où les
intérêts de la corporation se trouvaient engagés.
Aucun maitre ne pouvait s’exempter d’assister aux réu-
nions générales, sans un motif légitime.
Nul individu ne pouvait exercer la profession d’apothi-
caire dans la ville et ses dépendances, qu’il ne fût catholique
romain, et qu’il n’eût subi auparavant deux examens et fait
avec succès deux chefs-d’œuvre, en présence du vicaire de
police, d’un médecin et de tous les maîtres apothicaires.
Le jour et l’heure de ces examens étaient fixés par le
vicaire de police. L’aspirant devait avoir accompli, outre
le temps de son apprentissage, trois ans de compagnonnage
dans quelque autre ville. Il était assisté d’un parrain,
comme il a été dit précédemment. Chacun des maîtres, à
commencer par le plus moderne, lui posait successivement
des questions, et tous lui indiquaient ensuite, d’un com-
mun concert, les chefs-d’œuvre à faire. Avant ces diverses
épreuves, le vicaire de police recevait à sa part, pour cha-
cune d'elles, un écu d’or — le médecin, la moitié de cette
somme — chaque maître assistant, deux livres dix sous.
Lorsque l’admission était prononcée, il était remis six livres
à la confrérie.
Le dernier maïtre reçu devenait en quelque sorte l’agent
des jurés, ou prieurs, dans les affaires de la corporation, et
devait se tenir constamment à leurs ordres. |
Les assemblées devaient garder, en toute circonstance,
un caractère digne et élevé. Aucune parole injurieuse ou
inconvenante ne devait y être prononcée, sous peine de
quatre livres d'amende contre celui qui se serait oublié.
— AÀÿ4 —
Aucun maitre ne pouvait employer un sarron, ou com-
pagnon, sorti du service d’un autre maitre de la ville, sans
le consentement de celui-ci, ou avant un intervalle de trois
mois passés hors de Chambéry. Le compagnon étranger
devait prouver qu'il était de bonnes mœurs et qu’il appar-
tenait à la religion catholique romaine.
Nul individu n’était reçu apprenti, s’il n'avait quinze ans,
et s’il ne connaissait la grammaire.
Dans l'exercice de leur profession, les maitres étaient .
soumis à une discipline sévère. Aucun médicament vénéneux
ne devait être délivré, sans une ordonnance du médecin.
Lorsqu'il s'agissait de composer un remède, la présence de
l'un des prieurs et d’un médecin, qui attestaient sur un
registre particulier la nature de chaque substance et leur
mélange, était absolument requise. L’apothicaire ne pouvait
s'ingérer en aucune manière dans la cure d’un malade,
sauf le cas d’urgente nécessité. IL devait exécuter stricte-
ment les ordonnances du médecin, à moins qu’il n’eût des
doutes sérieux sur la nocuité des substances prescrites.
Dans ce cas, il était tenu de faire ses remarques au médecin
et d'attendre ses nouveaux ordres.
Tout maître qui avait manqué trois fois gravement à ses
devoirs professionnels, était déchu de son droit et ne
pouvait plus exercer son art, sous peine de cent livres
d'amende.
Il en fut ici, comme dans toutes les autres corporations
jurces. Les diverses peines pécuniaires encourues par les
délinquants, ainsi que les cotisations annuelles des confrè-
res, servaient aux réparations de la chapelle de la confrérie,
à la célébration des offices religieux et aux autres dépenses
nécessilées par les circonstances.
Entre tous les pharmaciens qui se sont fait une renom-
mée durable à Chambéry dans les anciens temps, je citerai
particulièrement la famille Bonjean qui, dès l’année 1482,
a produit consécutivement, de père en fils, quatorze maïi-
tres en cetart. Dans les cinquante ans qui viennent de s’é-
couler, sont également à remarquer Pierre-Antoine Bebert,
les Bouchet, les Saluce, les Calloud, les Bochet.
— 156 —
CORPORATION DES BLANCHISSEURS
CHAMOISEURS, GANTIERS ET PELLETIERS
SOMMAIRE HISTORIQUE
La corporation des blanchisseurs, chamoiseurs, gantiers
et pelletiers, avait pour patron saint André, apôtre, et sa
chapelle dans l’église des Antonins.
Elle ne fut constituée officiellement que le 4er décembre
1681, où ses membres, réunis dans l’arrière-boutique de
Guillaume Besson, située près de Saint-Antoine, firent
rédiger leurs statuts par le notaire Renaud.
Les membres présents à cet acte furent : Amé Pougué,
prieur dès le 29 novembre précédent, Jean Revil, les frères
Benoit et Maurice Domenget, Guillaume Besson, François
Janin, Etienne Latout, Antoine Cantin, Etienne Darie,
Michel Didier, Joseph Baccard, tous bourgeois ou habitants
de Chambéry. Il fut convenu et stipulé que la nouvelle
corporation serait régie de la manière suivante.
Chaque année, le dimanche qui précèdera la fête de
saint André, les maitres se réuniront dans l’église de Saint-
Antoine et éliront leur prieur.
Celui-ci paiera, pour l’année de son priorat, quatre flo-
rins, une livre et demie de cierges, et offrira, suivant ses
moyens, un pain bénit, le jour de la fête patronale de saint
André (30 novembre).
Outre une grand’messe qui sera célébrée le jour de cette
même fête, et une autre messe également solennelle qui
— 437 —
aura lieu le lendemain, il en sera dit une basse le premier
dimanche de chaque mois, suivant la fondation qu'on aura
soin de faire.
Tant pour ces offices religieux que pour les réparations
de la chapelle, il sera payé annuellement par chaque maître
entre les mains du prieur, le jour de la fête patronale, un
florin, et, à titre de droit d'entrée, par chacun de ceux qui
lèveront boutique en la ville, vingt florins, à l’exception des
fils de maîtres qui ne paieront rien. De même, les apprentis,
ne entrant en apprentissage, seront tenus à cinq florins une
fois pour toutes, et, annuellement, à six sous pour la messe.
Tout l’argent de la confrérie, comme tous les titres qui
la concerneront, sera enfermé dans une boîte à deux clefs,
dont le prieur en détiendra une, et le plus ancien maitre,
l’autre.
Le lendemain de la fête de saint André, le prieur rendra
compte de sa gestion financière pendant l’année, et remet-
tra les registres, avec les fonds en caisse, à son successeur.
Tous les maîtres devront assister à cette double opération,
sous peine d’un florin d'amende pour tout manquant.
sk
*X *
D'ailleurs, ce même jour où furent stipulées ces ordon-
nances, le 4er décembre 1681, il fut passé, par-devant le
même notaire Renaud, une convention entre le couvent de
Saint-Antoine et la confrérie. Les religieux Antonins pré-
sents furent le R. P. commandeur Grataz, le R. P. Joseph
Crose, sacristain, et le R. P. Louis Ponce.
De son côté, la corporation fut représentée par les mêmes
maitres cités plus haut.
Par ce nouvel acte, les religieux s’engagèrent :
4° A célébrer solennellement, dans la chapelle de la
— 158 —
confrérie, avec diacre et sous-diacre, une grand'messe,
le jour de la fête de saint André, patron de la confrérie.
2 A célébrer, aussi solennellement, avec diacre et sous-
diacre, le lendemain de cette fête, une grand’messe pour
les morts, suivie de l’absoute.
3° À dire, chaque premier dimanche du mois, entre sept
et huit heures du matin, tant en été qu’en hiver, une messe
basse. |
ko À faire sonner eux-mêmes, ou à laisser faire sonner
par les maitres la grande cloche et le carillon de l'église du
couvent, la veille et le jour de la fête patronale de la
confrérie. |
5° À célébrer solennellement, avec diacre et sous-diacre
et absoute, le lendemain du décès de l’un des membres de
la corporation, un service funèbre pour le repos de l'âme
du défunt.
En retour de ce concours des religieux, la confrérie
s'obligea elle-même à payer en premier lieu, chaque année,
le lendemain de la fête de saint André, la rente fixe de vingt
florins monnaie de Savoie, pour les messes de la fête patro-
nale, du lendemain de cette fête et des premiers dimanches
des mois, ensuite à salarier les gens que les religieux em-
ploieront à sonner les cloches du couvent, la veille et le
jour de la fête de saint André ; enfin, à solder pour chaque
messe de obitu, célébrée pour les défunts de la confrérie, un
quart d'écu.
Ge second acte, ainsi que le premier, fut approuvé et
homologué par le Sénat de Savoie, le 13 décembre 1684,
sur la requête qui lui en fut présentée le 28 novembre
précédent.
COLLÈGE DES MÉDECINS
SOMMAIRE HISTORIQUE
La première institution de la corporation jurée des
médecins remonte seulement à l’année 1684. Empruntant
l'ancienne terminologie des corps d'artisans romains, on
donna à la nouvelle société le nom de collège. De même,
on désigna son chef par l'appellation de doyen, et le mem-
bre chargé de gérer ses intérêts matériels par celle de
procureur ou syndic.
Les promoteurs de cette institution, ou plutôt ceux qui
adressèrent au Sénat de Savoie une requête pour la faire
approuver, furent les nommés Pottat, père, Pottat, fils,
Jarre, Audé, George, Seigle et Ferragus, tous médecins de
la ville de Chambéry. La raison qui les détermina à entre-
prendre cette œuvre, fut qu’à l'exemple de ce qui se pra-
tiquait dans les autres villes bien policées, 1l convenait qu'il
ne se commit à Chambéry, la principale ville des États de
Savoie, aucun abus dans l'exercice de la médecine, et qu'il
y eùt un corps de médecins instruit, honorable et digne en
toutes choses.
Le règlement qui fut présenté, dans ce bu, à l’approba-
tion du Sénat, le 17 novembre 1684, contient dans l’un de
ses articles, d’un côté, que nul ne pourra désormais exercer
la médecine dans la ville et ses faubourgs, s’il n'est mem-
bre du collège, et, d'uu autre côté, que les conditions, pour
recevoir une telle agrégation, seront que l’aspirant soit
docteur d'une Université reconnue, qu'il ait exercé la méde-
— 1600 —
cine à domicile fixe, hors de la ville et de s2s faubourgs,
au moins pendant cinq années entières, enfin qu'il soit
catholique, apostolique romain.
Les autres dispositions de ce même règlement témoignent
d’une non moindre sollicitude pour tout ce qui pouvait
concourir à l'honneur du corps médical et au bien public.
Le collège aura toute autorité pour examiner, avec l’as-
sistance des jurés apothicaires, la nature et la composition
des médicaments et drogues qu'ont coutume de colporter
et de débiter les saltimbanques, charlatans, triacleurs et
autres gens de cette sorte.
La religion était alors honorée également par toutes les
classes de la société. C’est à elle qu’étaient dues cette hon-
nêteté de sentiments et cette force de caractère qui distin-
guaient nos ancêtres. Les médecins, pour être plus instruits
et plus élevés que le vulgaire, ne se croyaient pas exempts
de recourir à ses salutaires bienfaits et d'en inscrire la
pratique dans leurs statuts.
Tous les docteurs agrégés se réuniront en assemblée
générale, chez le doyen, le jour de la fête patronale ( 18
octobre), pour entendre la lecture du règlement. De là, ils
se rendront à leur chapelle entendre la sainte messe. Ils se
garderont aussi d'oublier leurs confrères défunts. Le lende-
main de la fête de saint Luc, tout le collège assistera au
service funèbre qu’il fera célébrer pour le repos de leurs
âmes. En outre, quand l’un d’eux décèdera, tous les au-
tres agrégés, dont quatre seront choisis pour tenir les coins
du drap, auront l'obligation d'accompagner le corps du dé-
cédé au lieu de sa sépulture et de donner une messe pour
lui,
Lorsqu'il sera nécessaire ou simplement utile de déli-
bérer en commun sur une question d'hygiène publique ou
— Abl —
sur quelque affaire grave intéressant le collége, le doyen
s'empressera de convoquer l'assemblée générale des agré-
gés. Chacun de ceux-ci sera avisé par un billet particulier
porté à son domicile, et aucun d'eux ne devra manquer de
se rendre à l'appel.
Pour assurer la conservation des pièces authentiques
relatant les actes de la corporation, il existera un coffre en
noyer, fermant à trois clefs, dont l’une sera gardée par le
doyen, la seconde par le procureur, et la troisième par un
agrégé. Ce coffre renfermera principalement le livre des
aphorismes d’Hippocrate à commenñter par les récipiendaires
dans leurs examens, le registre des délibérations, et tous
autres titres ou documents de la Société.
Tout agrégé paiera annuellement, entre les mains du
procureur, la somme de huit florins monnaie de Savoie,
pour les dépenses obligatoires de la corporation.
Le doyen présidera le collège et sera toujours le plus
ancien docteur ; les autres agrégés suivront, pour la pré-
séance entre eux, l’ordre de leur admission dans la Société.
Le procureur ou syndic sera élu à la majorité des suf-
frages, pour trois années consécutives. Il percevra les coti-
sations des membres du collège, paiera les dépenses de la
Société, et rendra, à l'expiration de sa charge, un compte
exact de sa gestion entre les mains de l’ancien doyen et du
doyen nouvellement nommé.
Toutefois, le point sur lequel les statuts insistent le plus,
concerne l'agrégation des nouveaux membres. Tout d’abord
l'aspirant, en formulant sa demande, devra payer, entre les
mains du procureur, deux cents florins, s’il est étranger au
collège par sa famille, et seulement cent florins, s’il est
fils d’un agrégé. Cette somme sera destinée à la boîte com-
mune du collège.
IVe SÉRIE. — TOME IV. 11
— 162 —
Outre les membres de la Société, un commissaire spécial,
nommé par le Sénat, et le procureur général de la haute
Cour, assisteront aux épreuves qui auront ensuite lieu. Les
uns et les autres recevront chacun des honoraires parti-
culiers.
Les examens auront lieu en public, c'est-à-dire dans un
local dont la porte restera ouverte, et les docteurs agrégés
seront en robe et en bonnet carré.
Dans une séance préliminaire, le récipiendaire sera tenu
de présenter d’abord ses lettres de docteur et les attestations
authentiques de ses cinq années de pratique préparatoire.
Ensuite, de trois mois en trois mois, il aura successivement
à développer un aphorisme théorique d’Hippocrate et un
aphorisme pratique du même. Ces sujets, inscrits dans un
volume composé dans ce but, seront tirés au sort, au
moyen d’une épingle, par le sénateur commissaire.
Après le discours du récipiendaire, chaque agrégé aura
le droit de lui poser des questions sur la même matière.
Néanmoins, si l’aspirant tient ses lettres de docteur d'une
des Universités renommées, comme celle de Paris ou de
Montpellier, on pourra se contenter de juger de sa capacité
sur ses seules harangues.
Enfin, lorsque ce même aspirant sera agréé, deux agré-
gés en robe le conduiront auprès du seigneur commissaire
et du procureur général, pour y prêter serment d'observer
fidèlement les statuts du collège. Si, au contraire, il a été
jugé d'une science insuffisante, il pourra être renvoyé par
les examinateurs à une date ultérieure et déterminée, pour
se représenter à une nouvelle épreuve.
Toutefois, le Sénat, qui entérina ce règlement, le 48
novembre 1684, en modifia les articles relatifs au privilège
pour les agrégés d'exercer exclusivement la médecine à
— 163 —
Chambéry, ainsi qu'aux droits à payer par les récipien-
daires, soit au collège, soit aux examinateurs. Dans le
premier cas, contrairement à ce qui avait été proposé, il
laissa loisible aux particuliers de se servir, dans leur mala-
die, des médecins qui leur plairaient davantage, bien que
ceux-ci ne fissent point partie de la corporation et résidas-
sent hors de la ville. Dans le second cas, il arrêta que les
candidats ne seraient tenus de payer à la confrérie que la
moitié de la somme d’abord fixée, c’est-à-dire cent florins.
Les examinateurs auront aussi leurs honoraires limités,
le sénateur commissaire et le procureur général à une pis-,
tole, le doyen à une demi-pistole, et chacun des agrégés à
un ducaton seulement. Quant à l'intervalle de temps entre
les diverses formalités de l'admission, il sera loisible à
l'aspirant de les abréger, suivant sa convenance.
Malgré la sagesse de ces ordonnances, le collège des
médecins dura peu. Une note, placée en marge de la page
du registre où sont inscrits les statuts, mentionne la prompte
disparition de cette Société .
% À
En dehors des personnages de cette profession qui sont
cités plus haut, je rappellerai maintenant quelques-uns de
ceux que l’on trouve dans le catalogue du regretté docteur
Louis Guilland ‘: 13e siècle, Pierre du Bourget. — 14
siècle, Palmerius, Guido Albini, Boni. — 15e siècle, Denis,
Michael, Dissipatis, Anuci, Amédée, juif converti, Joseph
Ami. — 16° siècle, Joseph-Antoine Bocca. — 17° siècle,
les deux Arestan, Guillaume Pichon, Amé Brondel, Demotz,
1 Archives du Sénat, vol. XLVIILI, fol. 24, 1680-1683.
4 Mémoires de la Société savoisienne d'histoire et d'archéologie,
vol. XXIII.
— 164 —
Amédée de la Charrière. — 18e siècle, Claude Pngin, Brun,
Origan, François Gresy, Jacques Perroux, Jean-Baptiste Bo,
Pierre Boissat, Joseph Dacquin, Amédée Pillet, Ritaud. —
19e siècle, les deux Guilland Jean-François et Louis, père
el fils, Claude-Francisque Chevallay, Joseph Besson, Char-
les-Jacques François, Amédée Rosset, Joseph-Marie Son-
geon, Etienne-Edouard Revel, Joseph Carret, Pierre-Marie
Déage, Joseph Bebert, Gaspard-Antoine Denarié, Auguste-
Joseph-Maric Chamousset, Alphonse Perrotin.
— 165 —
CORPORATION DES MEUNIERS
SOMMAIRE HISTORIQUE
Cette corporation existait depuis longtemps à Cham-
béry, lorsque, déchue de son ancienne renommée par
certains abus qui s'étaient glissés en son sein, quelques-
uns de ses membres prirent l'initiative de la reconstituer.
Elle avait pour patron saint Martin, évêque, et sa cha-
pelle se trouvait dans l’église de Saint-Léger.
Les maitres de celte profession étaient, en 1688, au
nombre de vingt et portaient les noms qui suivent ; François
Porräl, Michel Dianant, Simon Chiron l’ainé, fils de feu
Étienne Chiron, François George, Benoît Porcier, Louis
Gomet, François Chiron, fils de feu Pierre Chiron le jeune,
François Poguet, Claude, fils de Pierre Chiron, Louis
Chambon, Pierre Porral, Claude Moulin, Michel Rogay,
Benoit Borner, Nicolas Roncin, Benoît Gaillard, Simon
Chiron, François Chiron, Bernard, Jean-Pierre et Jean
Burdet.
Les douze premiers de ces artisans, suivant leurs propres
paroles « cherchant la plus grande gloire de Dieu et du
glorieux saint André, leur patron, qu’ils ont esleu dès long-
temps dans lesglise de Sainct Léger, » se réunirent, le
9 novembre 1688, par-devant le notaire ducal Excoffon, el
convinrent de renouveler les statuts de la confrérie. Les huit
autres, absents de cette assemblée, déclarèrent d’un com-
mun concert, le 42 du même mois, par-devant le même
— 166 —
notaire, ratifier et accepter les décisions des maitres pré-
cédents.
Les statuts et ordonnances, qui devinrent dès lors la nou-
velle loi de la corporation, contenaient principalement les
dispositions suivantes :
Les confrères s’assembleront quinze jours avant la fête
patronale de saint Martin, pour élire un prieur et un pro- .
cureur, ou syndic, de la confrérie. Tous devront assister à
cette réunion, sous peine d’une livre de cire, ou d’un quart
d’écu d'amende. |
Le prieur devra faire célébrer une messe solennelle, le
jour même de la fête de saint Martin (11 novembre), un
chantal aussi solennel pour les défunts de la confrérie, le
lendemain, enfin une messe basse, chaque dimanche de
l'année. Tous les confrères seront rigoureusement tenus
d'assister aux deux premiers de ces offices religieux, sous
peine d'une livre de cire d'amende, à moins d’en être em-
pêchés par la maladie, ou par une absence hors de la ville.
Il sera absolument interdit à tout membre de la corpo-
ration, ainsi qu'aux gens à son service, de battre le blé, de
faire moudre, de réparer les artifices du moulin et de pro-
mener sa voilure dans la ville, le jour de la fête patronale,
sous peine de cinq florins d'amende.
Enfin, pour subvenir aux dépenses obligatoires de la
confrérie pour les services religieux, l'entretien de la cha-
pelle et autres objets, chaque confrère, outre les amendes
que devront payer les contrevenants au règlement, sera
tenu de remettre annuellement au procureur, le jour de
l'élection des officiers, quinze sous, et, le jour du chantal
pour défunts de la confrérie, la même somme.
Le procureur devra rendre compte de sa gestion finay-
cière pendant l’année, le lendemain de la fête patronale de
— 167 —
saint Martin. Dans le cas où il aurait eu à faire quelques
dépenses pour la perception des cotisations et autres reve-
nus de la Société, elles lui seront reslituées en ce moment".
a
Je ferai observer, à propos de ces détails sur l’organisa-
ton et la vie de la confrérie des meuniers, que l'industrie
de cesartisans était, d’ailleurs, soumise à une réglementation
sévère de la part de l'autorité civile. Outre les prescriptions
générales du règlement de police de la ville de Chambéry,
qui interdisait, comme on l'a vu à l'article des pâtissiers et
des boulangers, l’accaparement des blés et leur achat en
dehors de la grenette, il était, par exemple, en 1614, rigou-
reusement défendu aux meuniers, sous peine de vingt-cinq
livres d’amende pour chaque contravention, d'entrer per-
sonnellement sans permission dans la grenetle elle-même et
d’y introduire aucun bétail pendant la durée du marché *.
1 Archives du Sénat, vol. L, fol. 105, 1687-1691.
? Règlement des syndics el conseillers de Chambéry, du 26 août
1611 (Archives municipales de Ghambéry, n° 988).
— 168 —
CORPORATION DES CIERGIERS, CONFISEURS
ÉPICIERS ET DROGUISTES
SOMMAIRE HISTORIQUE
Sept ans après la reconstitution de la corporation des
meuniers, dont il vient d’être parlé, la confrérie des mar-
chands ciergiers, confiseurs, épiciers et droguistes, entra
dans la même voie.
Déjà ancienne, cette dernière Société avait été dotée, le
20 mai 1664, par le pape Alexandre VIE, de faveurs spi-
rituelles en tout semblables à celles qu’on a vues précé-
demment octroyées aux tailleurs, aux tisserands et aux
charpentiers.
Le 4 janvier 4695, sur l'initiative de son prieur, Joseph
Lard, marchand cierger et bourgeois de Chambéry, elle
arrêta et stipula, par-devant le notaire ducal Chanterel, des
statuts nouveaux, qui furent approuvés par le Sénat, dans
la même année.
Les membres présents et absents, qui prirent et accep-
tèrent cette délibération, furent, en outre du prieur Joseph
Lard, Joseph Bastien, épicier, Claude Vichet l'aîné, Joseph
Dardel, Joseph Villat, Philippe Gaymoz, Jean-Baptiste
Clavel, Jean Calvet, Estienne Romanet, Alexandre Le Vigier,
Jean Debesche, Bénigne Boulanger, Joseph Delphin, Aimé
Rambert, Claude Barrier, Claude Vichet le jeune, Claude
Bastien, Claude-François Villat, Claude Lard, René Verney,
Jean-Joseph Brunet.
}
— 169 —
Très peu des nouvelles ordonnances se rapportent aux
devoirs professionnels des sociétaires ; la plus grande partie
d’entre elles, au contraire, concernent leurs offices religieux.
La confrérie reconnaît sainte Geneviève pour patronne,
et a Sa chapelle dans l’église de Sainte-Marie-Egyptienne ‘.
Chaque année, la fête patronale (3 janvier) sera célébrée
« ponctuellement » par les confrères. Prévenus à l'avance
de la solennité, ils devront tenir rigoureusement, ce jour-là,
la porte de leurs boutiques fermée, à peine, contre le contre-
venant, d'un écu d’or d'amende au profit de la confrérie.
De même, le lendemain de cette fête, il sera célébré une
messe solennelle pour tous les confrères défunts.
Les honoraires dus pour les services divins, en ces deux
circonstances, seront pris sur le produit des cotisations
annuelles des membres de la corporation jurée.
Chacun de ceux-ci devra payer annuellement, le jour de
la fête de sainte Geneviève, à savoir : le maitre deux florins,
le compagnon dix-huit sous et l'apprenti un florin.
De plus, lorsque quelqu'un passera maitre et lévera bou-
tique, il sera tenu d’abord à la solde d'un louis d’or d’in-
troge, ensuite à la redevance annuelle d'un quart d’écu,
payable également le jour de la fête patronale. Les fils de
maîtres n’auront à s'acquitter que de cette dernière contri-
bution. |
Toutes Îes cotisations et tous les droits provenant ainsi
des sociétaires seront perçus par le procureur élu de la
Société et renfermés dans une boîte gardée par celui-ci et
dont le prieur tiendra la clef.
Aucune somme ne pourra en être distraite qu’en présence
et du consentement de ce dernier.
! Situéc vers le Bocage, sous la montée de Saint-Martin, elle
est aujourd'hui détruite et remplacée par la cascrno do cavalerie.
|
— 170 —
Le procureur, lorsqu'ilaura accompli sa perception et payé
les frais des services religieux, devra, à la fin de chaque
année, en présence du prieur et des confrères, rendre un
compte exact de sa gestion financière. L’excédant des recet-
tes sur les dépenses du culte sera employé, suivant les
délibérations de la confrérie, à ses autres besoins.
%k
*% *
Toutefois, il est à remarquer que ces diverses industries,
et particulièrement celle des ciergiers, ne laissa pas de
provoquer à plusieurs reprises l'intervention, soit de la
cité, soit du Sénat.
Le 44 juillet 1655, la ville avait déjà fait la défense de
vendre sur tout son territoire aucun cierge, flambeau ou
bougie, qui ne fût de cire pure et où il entrerait, pour une .
part, de la graisse, de la poix, du suif ou toute autre sub-
stance de ce genre ; en même temps, il fut enjoint, comme
garantie contre toute contravention à cette ordonnance, que
chaque fabricant apposerait sur ses produits une marque
particulière, dont le double serait remis aux archives
municipales .
Plus tard, le 22 janvier 1710, les nobles syndics et
conseil de Chambéry durent encore porter une semblable
inhibition, qui, combattue cette fois devant les tribunaux
par les nommés Claude Lard, Antoine Veyret et Jean Colat,
amena, le 8 janvier 1713, un jugement confirmatif de
la Cour souveraine.
Enfin, par suite des réclamations du public contre le prix
élevé du luminaire en cire pure et sur la remontrance du
1 Archives Mugnier (Ancien sommaire dos actes des archives
de la ville de Chambéry).
0 DS ent mm > Une mo M...
— À —
procureur général Deville, le Sénat, revenant sur sa précé-
dente décision, permit, par arrêt du 18 février 1715, à tout
marchand ciergier de fabriquer et de vendre des cierges,
bougies et flambeaux, soit de cire pure, soit de cire mélan-
gée, à la seule condition que chaque sorte de ces objets
serait désignée par une marque distinctive. Le même jour,
pour empêcher que sa décision fut rendue vaine, il fit inhi-
bition aux communautés de faire aucun accaparement des :
suifs et des graisses de la localité, et enjoignit aux bouchers
de vendre ces substances à tout individu qui en aurait
besoin *.
1 Archiv?s départementales, série GC, n° 718.
CORPORATION DES PERRUQUIERS
SONMAIRE HISTORIQUE
Les perruquiers ne s’érigèrent en confrérie, parait-il,
qu’en 1726, au moment où, suivant les lettres patentes du
roi Victor-Amédée II, de l’année précédente, les statuts
de tous les anciens corps de métiers furent révisés. |
Ils prirent pour patron le Bienheureux Amédée, duc de
Savoie (Amédée IX).
En général, le règlement qu'ils adoptèrent ne différa
guère, quant aux points essentiels, de ceux des autres asso-
ciations qu’on a vues jusqu'ici. Seules quelques dispositions
particulières sont à remarquer.
Le dimanche, avant la fête du Bienheureux Amédée, les
perruquiers réunis en assemblée générale devaient élire, à
la majorité des suffrages, un prieur et deux jurés, qui ne
pouvaient refuser ces offices, sous peine d’un écu d'or
d'amende, à moins qu’ils ne les eussent déjà remplis l’année
précédente. Après cela, l’ancien prieur rendait ses comptes
de l’année écoulée et remeltait les titres à son successeur.
Le lendemain de ce même jour, le nouveau prieur, ainsi
que les deux jurés, prêtaient, entre les mains du vicaire de
police, serment de veiller à l'observation des statuts par
les confrères, et de remplir lui-même fidèlement son em-
ploi. ILétait spécialement chargé de percevoir les cotisations
annuelles des membres de la corporation et les amendes
encourues par les contrevenants aux statuts.
— 173 —
Les jurés étaient tenus de faire, deux ou trois fois pendant
l’année, la visite de la boutique des maîtres, et de s’assurer
ainsi qu'aucun d’eux ne s’écartait des articles du règlement,
qui lui traçaient ses devoirs. |
Tout maitre devait payer annuellement, dans les quinze
jours qui précédaient l’assemblée générale, dix sous, pour
être employés, avec les amendes encourues et les autres
droits casuels, à faire, en dehors des réparations à la cha-
pelle, célébrer une messe solennelle, le jour de la fête
patronale du Bienheureux Amédée de Savoie (30 mars), et
un service funèbre pour les défunts de la confrérie, le len-
demain de cette fête.
En ce qui concerne l’exercice de la profession, 1l était
expressément défendu aux maîtres de teindre ou de blan-
chir les cheveux qui entraient dans la confection des per-
ruques, sous peine de la confiscation de la marchandise et
d’un écu d’or d'amende. Il était de même interdit, à peine de
deux écus d’or d'amende, de vendre aucune de ces coiffures,
faites en tout ou en partie de vieux cheveux, sans en pré-
venir les acheteurs.
Nul ne pouvait exercer la profession de perruquier dans
la ville et ses dépendances, soit en boutique, soit en cham-
bre, qu'il n’eût auparavant subi un examen de capacité et
fait avec succès un chef-d'œuvre. Toutefois, aucun compa-
gnon ne pouvait être admis à l'examen qu'il n’eût travaillé
précédemment de son art, au moins cinq ans chez des
maîtres, y compris le temps de son apprentissage, et s'il
était étranger, qu'il n’eût justifié, par des attestations
authentiques, de ses bonnes mœurs et de sa qualité de
catholique romain.
Quant aux apprentis, ils ne pouvaient convenir d'un
terme moindre de deux ans pour leur apprentissage, ni
— 4174 —
travailler chez un autre maitre, avant l'expiration de ce
temps. |
Il était également défendu aux sarrons, ou compagnons,
de quitter le service du maître auprès duquel ils s'étaient
engagés pour un temps déterminé, avant d’avoir exécuté
en tous points les clauses de leur convention. S’il n’y avait
aucun contrat de ce genre, ils étaient tenus d’avertir de
leur départ, quinze jours d’avance.
Le 9 mai 1726, François Billon, élu syndic, prêta serment
au consulat d’être fidèle au roi, d'exercer son emploi en
homme de bien et d’honneur, de dire la vérité sur la défec-
tuosité des ouvrages et des marchandises qui lui seraient
soumis, d’en faire une juste expertise, enfin de faire observer
par les maîtres et d’observer lui-même les articles du
règlement.
CORPORATION DES FROMAGERS — CONFRÉRIE
DES ARTISANS
CORPORATION DES FROMAGERS
En inscrivant ici les noms de la corporation des fromagers
et de la confrérie des artisans, je satisfais plus ma solli-
citude de ne rien négliger de ce qui peut rendre mon
travail moins incomplet que je n’ai le bonheur de pouvoir
décrire leur vie. Mes renseignements à l'égard de ces
Sociétés, sauf ce qui concerne leur existence, sont des
plus restreints. |
Tout ce que je suis parvenu à découvrir de la corpo-
ration des fromagers, c’est qu’elle subsistait encore au
dernier siècle et qu’elle avait sa chapelle dans l’église de
Lémenc.
Il
CONFRÉRIE DES ARTISANS
La confrérie des artisans n’était pas, en réalité, une asso-
cation de membres du même art ou dn même métier,
ayant en vue le meilleur exercice de leur profession ; mais
— 1760 —
elle était une réunion d'ouvriers de tout genre et reposait
seulement sur un but religieux.
Érigée, dès le dix-septième siècle, dans l’église des
Jésuites, elle avait pour directeurs les Pères de cette Com-
pagnie.
L'organisation de son bureau ne différait guère de ce qui
existait dans les corporations ouvrières particulières, si ce
n’est que le premier de ces membres portait le nom de
préfet, au lieu de celui de prieur. Les quelques officiers qui
me sont apparus, dans mes recherches, appartiennent sur-
tout au dernier siècle. Tels furent : en 1724, François Cavo-
ret, préfet ; Humbert Chardon, trésorier ; Charles Guilliet,
natif de Dullin, marchand d'habits, ex-préfet ; Claude
Garin, procureur ; Antoine Dégrange, conseiller, — en
1733, François Jourdan, maître perruquier, préfet.
Cependant, la confrérie possédait un certain nombre de
rentes dont le produit élait surtout destiné à secourir ses
membres malades et nécessiteux. D’après l’état qui fut
fourni en 4733, sur l’ordre du roi Charles-Emmanuel HIT,
ces divers revenus comprenaient :
4o Une rente annuelle de soixante dix florins anciens,
monnaie de Savoie, provenant d’une donation, du 17 jan-
vier 1686, de Claude Grange, natif de Thônes, marchand
d’habits à Chambéry ;
2% Un loyer de soixante florins, d’une maison située au
faubourg Reclus et léguée, dans son testament du 49 juillet
1678, par François Ghavoneu, natif de Sonnaz, boulanger
à Chambéry ;
3° Une rente annuelle de cent livres de Savoie, provenant
d'aumônes, de quêtes et d'économies capitalisées, et due,
suivant acte de rentes constituées du 43 juin 1724, par
Joachim Vachon, avocat au Sénat, né à Cluses et habitant
à Thyez.
— 4177 —
LES BOUCHERS
SOMMAIRE HISTORIQUE
Quant aux bouchers de Chambéry, je n’ai rencontré, non
plus, jusqu'ici, aucun acte qui démontre qu'ils aient jamais
formé une confrérie jurée. Malgré cela, je ne crois pas hors
de propos de dire, en ce moment, quelques mots de la
condition dans laquelle ces industriels exercèrent autrefois
leur profession.
Dès un temps reculé, leur industrie fut soumise à une
sévère réglementation, de la part du Gouvernement et de
l'autorité municipale.
Déjà, le 41 août 1425, le Conseil d'État résidant à
Chambéry avait édicté des dispositions, que le duc Amédée
VIII renouvela et confirma par lettres patentes du 20 du
même mois. |
À ce moment, les bouchers de notre ville étaient au
nombre de dix et se nommaient, les frères Pierre et Jacques
Morel, Hugues Falseu, Thomas Machinicher, Hugues Portier,
Jacques Roy, Jean Bussi, Ainard Dars et Pierre Debut.
En vertu des ordonnances du souverain, les gens de cette
profession devaient prêter d’abord serment de remplir
exactement et fidèlement les obligations qui leur étaient
imposées.
Celles-ci étaient énumérées à peu près en ces termes :
Les animaux tués seront écorchés, à la vue de tout le
monde, dans un local destiné à cette opération, et jamais
IVe SÉRIE. — ToME IV. 12
— 178 —
dans les maisons particulières des bouchers, ni dans aucun
lieu secret.
Les viandes à débiter devront être tenues aussi exclusi-
vement dans des boucheries ou boutiques aménagées à cet
effet, et nulle part ailleurs. Elles seront vendues au poids,
sauf les têtes et les brelaudes', qui seront vendues aux
pièces.
Les bouchers seront obligés de livrer leur marchandise à
tout acheteur, depuis une demi-livre au-dessus, et ne pour-
ront en refuser à personne au prix fixé.
Les viandes vendues seront aussitôt enlevées de l’étal et
cesseront d’être exposées ?. |
%
*X *
Ce règlement, qui paraît avoir subsisté longtemps après
sa promulgation, fut renouvelé et complété en 1737. Le 18
mars de cette année, l’intendant général de Savoie, Gaspard-
Marie Bonaud, comte de Monteu, publia, sur le même sujet,
les prescriptions qui suivent :
Aucun boucher ne pourra tuer d'animal, vendre et débiter
de la viande ailleurs que dans « lescorcherie » et dans la
boutique qui seront déterminées, sous peine de la confisca-
tion de la marchandise et de vingt-cinq livres d’amende.
Un inspecteur visitera les bêtes à abattre et les viandes
exposées. Il sera interdit de tuer et de débiter aucun gros
animal qui ne soit gras et reconnu bon par cet agent ; de
même, il ne sera point permis d’abattre un veau d’un poids
1 Dans l’article des capitulations des bouchers de 1495, rapporté
dans l’ancien sommaire des actesdes Archives de Chambéry, que
j'ai déjà cité, on trouve ainsi défini ce qu'on nommait alors
brelaudes : « Il leur est défendu de peser aucunement auxdits
poids et balances les testes des animaux et autres semblables
parties des bestes qui ne valent rien et ne sont garnies que d'os»
lesquelles ils appellent brelaudes. »
? Archives municipales de Chambéry, n° 180.
— 179 —
moindre de soixante-dix livres. L’inspecteur qui tolérerait
une infraction à ces dispositions serait passible lui-même
de dix livres d'amende.
Tout boucher qui tuera, vendra, débitera, et même qui
simplement recevra un animal mort de lui-même, ou ma-
jade, ou soupçonné tel, sera punissable d'un trait de corde.
Afin d'éviter l’accaparement des viandes par les riches
au détriment des pauvres, dans les boucheries, nul ne
pourra payer cette marchandise au-dessus du prix fixé par
le tarif, Toute infraction à cette ordonnance rendra l’ache-
teur et le vendeur passibles de vingt livres d'amende.
En aucun cas, la viande ne sera vendue à la pièce, mais
elle sera toujours pesée, avec un équitable mélange de
bonnes parties et de parties moins recherchées.
Les hôteliers, cabaretiers et aubergistes ne devront point
être servis avant les particuliers qui se trouveront en même
temps qu'eux dans la boutique, sous peine de dix livres
d'amende, ant contre ces industriels que contre les bou-
chers. De même, ils ne pourront, sous la même peine,
faire acheter la viande par d’autres intermédiaires que leurs
domestiques ordinaires.
Aucun boucher ne pourra vendre, sous peine de dix
livres d'amende, de la graisse à d’autres personnes qu'aux
habitants de Chambéry et de ses faubourgs, ni l'exporter
au dehors de la commune. |
Enfin, l’industrie des bouchers sera privilégiée. Nul autre
que celui qui aura été inscrit et approuvé comme tel, ne
pourra vendre et débiter aucune espèce de viande, comme
de bœuf, de vache, de génisse, de veau, de mouton et de
brebis, sous peine de la confiscation de la marchandise et de
cinquante livres d'amende, aussi bien contre l’acheteur que
contre le vendeur ‘.
1 Archives municipales de Chambéry, n° 130.
— 180 —
ANCIENNES CORPORATIONS DES ARTS ET MÉTIERS
D'ANNECY
CORPORATION DES MOULINIERS EN SOIE
SOMMAIRE HISTORIQUE
La première corporation jurée de la ville d'Annecy qui
m'est apparue dans les documents publics que j'ai consul-
tés, est celle des mouliniers en soie.
Gette Société s’érigea en confrérie dans l’année 1634.
Les statuts, après avoir été approuvés par l’évêque de
Genève, Jean-François de Sales, et à la suite de plusieurs
autres formalités, furent entérinés par le Sénat de Savoie,
le 7 février de la même année 14634. On y remarque princi-
palement les devoirs de religion et de charité que les mem-
bres devaient remplir.
Les confrères reconnaîtront Notre-Dame de Pitié pour
leur patronne et auront leur chapelle en l’église de Saint-
Dominique.
Chaque année, ils éliront, en assemblée générale, un
prieur et deux assistants, qui devront pourvoir à tous Îles
besoins de la confrérie, et dont le mandat expirera régu-
lièrement la veille de la fête de l’Assomption de la Sainte
Vierge.
De même, il sera nommé pour une année un secrétaire,
— 4181 —
qui, sous les ordres du prieur et des assistants, sera tenu
d’orner la chapelle.
Nul ne pourra faire partie de la confrérie, s’il n’a obtenu
les suffrages du prieur, des assistants et des deux tiers des
membres.
Chaque dimanche et chaque jour de fête solennelle, tous
les confrères, à moins d’un empêchement légitime dont ils
devront faire connaitre la cause au prieur, auront l’obliga-
tion de se réunir dans leur chapelle, pour entendre la
sainte messe, le sermon et les autres prières qui s’y feront.
Pareillement, ils seront tenus de se confesser chaque mois,
ainsi qu'aux fêtes de la Sainte Vierge, et. de dire chaque
jour cinq Pater, cinq Ave et le Salve Regina.
Dans le but de favoriser l’accomplissement de ces devoirs
de religion, le prieur et les religieux de Saint-Dominique
seront chargés d'entendre les confessions, de dire la messe
des dimanches et des jours de fêtes solennelles, comme d’y
prêcher. La fête de l’Assomption de la Sainte Vierge aura
ceci de particulier, qu’elle sera célébrée par une grand’-
messe, avec diacre, sous-diacre, accolytes et encens. En
outre, les mêmes religieux devront faire, le lendemain
de cette fête, avec une semblable solennité, un service funé-
bre pour tous les défunts de la Société.
Pour le luminaire nécessaire dans ces offices divins,
comme pour toutes les autres dépenses de la confrérie,
chaque membre, sur Finvitation du prieur et des assistants,
fournira ce que lui dictera sa dévotion.
La charité ne devra pas moins être observée, vis-à-vis les
uns des autres, par les sociétaires. Quand un confrère
tombera malade, le prieur sera tenu de le visiter et de lui
faire recevoir les derniers sacrements. S'il vient à mourir,
le même prieur fera dire une messe pour le défunt et invi-
— 182 —
tera les autres membres de l'association à y assister. Tous
ceux-ci auront l'obligation d'accompagner le corps au lieu
d'inhumation, et de dire le Miserere, s'ils savent lire, sinon,
de réciter cinq Pater et cinq Ave.
Enfin, il fut convenu que, pour mieux détruire la funeste
influence du voisinage de Genève, où la plupart des maîtres
et des ouvriers en soie avaient fait leur apprentissage, on
s’adresserait au Souverain Pontife, afin d'obtenir des indul-
gences semblables à celles dont étaient gratifiées les autres
corporations du même métier.
Les membres qui apposèrent leur signature au bas de ces
statuts, furent P. Richard, prévôt, Etienne Laurent, Antoine
Gaesel, Bibay, Laurent Grumet, maitres jurés.
1 Archives duSénat, vol. XXXVII bis, 1631-1674.
— 183 —
CORPORATION DES SERRURIERS, COUTELIERS
ARQUEBUSIERS, MARECHAUX -FERRANTS, POTIERS
FERBLANTIERS, SELLIERS
BOURRELIERS, FOURBISSEURS, HORLOGERS
TAILLANDIERS
ÉPERONNIERS , AIGUISEURS, CHAUDRONNIERS
VITRIERS, CLOUTIERS
HISTORIQUE
De même qu’à Chambéry, il existait autrefois, à Annecy,
une corporalion jurée qui réunissait la plupart des artisans
qui travaillaient le fer ou le cuivre.
Cette Société, ou confrérie, comprenait les seize arts qui
suivent : les serruriers, les couteliers, les arquebusiers, les
maréchaux-ferrants, les potiers, les ferblantiers, les selliers,
les bourreliers, les fourbisseurs, les horlogers, les taillan-
diers, les éperonniers, les aigniseurs, les chaudronniers,
les vitriers et les cloutiers.
Elle reconnaissait aussi saint Éloi pour patron, et avait
sa chapelle dans l’église de l’ancienne commanderie du
Saint-Sépulcre.
Son origine remonte à l’an 1648. Du moins, un certain
nombre de ses membres, assemblés par-devant le notaire
Figuet, convinrent, le 12 janvier de cette année, de plu-
sieurs statuts, qui furent ensuite homologués par le conseil
présidial du Genevois, le 28 mai suivant.
Quatre-vingt quatorze ans après cette date, le 24 juin
4°
— 184 —
1749, le Sénat de Savoie confirma, de son côté, ces mêmes
règlements et en rendit l'exécution obligatoire aux confrères,
dont le nombre était alors de trente-six.
%
% *
Depuis ce moment, la confrérie eut encore souvent
recours à l'autorité civile, soit pour être maintenue dans
ses anciens droits, soit pour être autorisée à édicter de
nouvelles ordonnances. Vers le milieu de la seconde moitié
du siècle dernier, par exemple, ayant constaté de nombreux
et criants abus dans l’exercice des divers arts qu’elle embras-
sait, elle résolut d'y remédier, et fil stipuler dans ce but,
par le notaire Balleydier, un nouveau règlement dont elle
demanda l'approbation au roi.
Le rapport qui exposait l’état déplorable dans lequel
étaient tombées la plupart des industries unies, ainsi que
les moyens adoptés pour l’améliorer, fut transmis, le 23
avril 1776, à l’avocat fiscal général à Chambéry, M. Adami,
par le nommé de Mongenis, chef du bureau de police à
Annecy. Ce document, ainsi qu'une quittance faite par cette
même confrérie, en 4683, était ainsi conçu : .
« Il subsiste depuis plus d’un siècle, dans la ville d’An-
necy, une confrérie sous le vocable de saint Éloy, qui
affecte les serruriers, couteliers, arquebusiers, maréchaux,
pottiers, ferblantiers, selliers, bourreliers, fourbisseurs,
horlogers, taillandiers, éguiseurs, chauderonniers, vitriers,
éperoniers, cloutriers, et autres personnes qui se servent
du marteau.
« On voit du contract du 12 janvier 4648, Figuet notaire,
dont le transun est cy joint que les personnes exerçant |
lesdittes professions convinrent entre elles de plusieurs
D
— 4185 —
règlements. Le contract fut homologué par le conseil prési-
dial du Genevois, par décret soit ordonnance du 28 may
dite année.
« Le Sénat de Savoye a accordé l’exécution de ces règle-
ments suivant, qu'on le voit, d’un décret du 21 juin 1742.
Le nombre de ceux qui sont compris dans la confrairie est
d’environ trente-six.
« Elle s’est quelquefois pourvue au Tribunal de la préfec-
ture, pour le maintien et exécution des règlements renfer-
més dans le contract du 12 janvier 1648, qui paroissent
utiles au public. Et il seroit encor très avantageux qu'il en
fut ajouté de nouveaux, soit pour assurer la bonté des ou-
vrages, soit pour prévenir la perfidie des ouvriers, notam-
ment en fait des serruriers dont l’inhabileté et défaut de
probité peuvent donner et donnent lieu à plusieurs vols.
« Les maîtrises établies dans les villes ne peuvent qu'être
utiles, moyennant que les étrangers ne soient pas trop
gênés et puissent jouir des mêmes prérogatives que les
natifs du pays, en passant et se soumettant aux mêmes
incombances. |
« Il nous a été en conséquence représenté que tous les
membres des différents corps de métier de la confrérie de
Saint Éloy ex nommés dans la dernière transaction reçue
par le notaire Balleydier, qu’il est très nécessaire d’avoir,
dans chaque art, de bons et fidels ouvriers.
« Le corps des serruriers représente qu’il se commet
beaucoup d’abbus par l'introduction des mauvaises mar-
chandises et par la fabrication des fausses clefs et autres
mauvais ouvrages ; il est donc de nécessité qu’il y ait des
maitres experts jurés commis pour examiner les ouvriers
qui voudront s'établir dans la ville et fauxbourgs d'Annecy,
sur leur capacité et meurs,
— 186 —
« Les maîtres jurés auront droit de visiter tous les
ouvrages étrangers qui se débiteront dans la ville et faux-
bourgs; s'ils ne sont pas selon l’art, le vendeur ou fabriquant
d’iceux payera quatre livres d'amende applicables, la moitié
à l’hopital général de cette province, et l’autre moitié au
profit de la confrérie.
« De plus, il sera deffendu à tous les menuisiers d’em-
ployer, de poser aucun ouvrage étranger, sans qu’il ait été
visité par les maîtres jurés ; en cas de contravention, l’ou-
vrage sera confisqué et le contrevenant payera dix livres
d'amende comme dessus.
« Les maîtres jurés auront droit d'aller, à leur gré, faire
la visite plusieurs fois dans l’année, chez les maîtres, pour
examiner leurs ouvrages, et s'ils ne sont pas selon l’art, on
les confisquera ; ils subiront pour la première fois l'amende
de dix livres applicables comme cy-devant, pour la deuxième
celle de trente livres, et la troisième celle de cent livres et
seront cassés de maîtres.
« Tous les maîtres enrollés seront tenus chacun de faire
chef d'œuvre, et ceux qui ne seront pas en l’état de le faire
seront obligés de travailler deux années chez d’autres
maîtres pour se perfectionner.
« Tous ceux qui ne sont pas enrollés dans la transaction
Balleydier, notaire, seront examinés, tenus de faire chef
d'œuvre et de payer le droit de maitrise, comme il est porté
par icelle ; ce qui se pratiquera de la même manière à l'égard
de tous les autres arts qui composent la confrérie.
« Les maîtres arquebusiers soit armuriers représentent
que, dans leur art, il se commet beaucoup d’abbus par
l'introduction dans le pays des mauvaises armes et souvent
de celles deffendues, ce qui cause des mauvaises suites,
demandent la visite pour les mêmes peines que cy devant.
— 187 —
« Les maitres couteliers font les mêmes représentations,
que les couteaux d'Annecy qui sont en bonne réputation
dans le pays se décréditent par le vil prix des mauvaises
marchandises que l'on y introduit et qui en sortent l’ar-
gent, demandent la visite et l'amende cy-dessus.
« Les faiseurs de poids à peser représentent qu’il s'en
introduit qui sont marqués faux, ce qui, par un vol conti-
nuel, cause un préjudice notable au pays ; ils en demandent
la confiscation et l’amende cy-dessus, dès que la vérification
en aura été faitte.
« Les horlogers en petit et en gros nous représentent
qu’il s’introduit dans le pays beaucoup de mauvais ouvrage
qui en sort l'argent, attendu qu'il y a des bons maîtres dans
l'endroit, en demandent la visite, et s’il y échoit, la confis-
cation et l'amende comme cy-dessus.
« Les maréchaux représentent que les ouvriers de leur
art qui ne seront pas reçus maitres, ne pourront pas tenir
boutique, panser ny ferrer aucun cheval, pas même faire
aucun autre ouvrage de maréchal, attendu que l’on voit
l’abbus des mauvais sujets qui estropient quantité de che-
vaux, demandent l’examen et l'amende comme cy-dessus.
« Les éguiseurs étrangers ne pourront pas travailler en
ville, ny fauxbourgs, sans se faire recevoir maitres, sous
la même peine que dessus.
« Les chauderonniers disent qu'il y a nombre de passants
qui gâtent l'ouvrage plutôt que de le raccommoder, n’étant
pas ouvriers en l’art, qu'ils ne pourront pas travailler en
ville, ny aux faubourgs, sans être examinés et reçus maîtres,
aux mêmes peines que cy-dessus. |
« Les maitres potiers et ferblantiers nous représentent
qu'il s'introduit beaucoup de mauvaise marchandise, soit en
étain, soit en fer-blanc ; ils demandent la visite et l'amende
— 188 —
comme dessus ; quant à l’étain, au titre de Piedmont, étain
fin, étain blanc, soudure claire, et quant aux ferblantiers,
de la bonne marchandise selon l’art.
« Les selliers, fourbisseurs et bourreliers représentent
qu'il y à des ignorants qui introduisent des mauvais ouvra-
ges et marchandises, en demandent la visite et l’amende
comme Cy-devant, comme, en outre, qu’ils soit deffendu aux
tailleurs de faire aucunes cappes, ny ousses.
« Les taillandiers représentent qu'il s’introduit quantité
de mauvaise marchandise qui trompe le tiers et le quart,
les marchands qui la débitent étant la plus part étrangers
qui sortent l’argent du pays; ils demandent la visite et
l’amende comme cy-devant.
« Le sieur Pierre, fils de feu Pierre Gasparolle, habitant
de la présente ville, maitre vitrier, et le sieur Claude Marris,
maître éperonnier, qui se présentent pour s’enroller dans
ladite confrérie de Saint EÉloy, se soumettent de se confor-
mer au règlement porté par la transaction, et demandent
de jouir des mêmes privilèges que cy-devant.
«* Nous avons encor, dans Annecy, le sieur Pierre Roux,
chevallier tireur de la légion savoyarde de Sa Majesté,
canonier de la ville, le plus ancien et le plus expérimenté
de la confrérie. maître serrurier, armurier.
« Le seul horloger en gros, faiseur de poids à peser.
taillandier et machiniste, qui à inventé un moulin à tabac
qui le rape, le moud et le tamise en même temps sans
l’'échauffer, a construit sa fabrique au millieu de la ville, à
l’eau d’un moulin à blé qu’il a acheté des Révérendes Dames
de la royale abbaye de Sainte-Catherine et détruit pour y |
placer la fabrique, qui est sous les yeux de tout le peuple et
empêche beaucoup la contrebande dans l’endroit.
« Il y a dix années qu'il l’a construite, et, dès lors, il à
Te
— 4189 —
toujours assorti tous les bureaux d’Annecy et même à trois
lieues aux environs ; il ne convient pas qu’il s’en construise
aucune autre, en égard que cela facilliterait la contrebande.
« Ledit inventeur l’a rapé (le tabac) jusqu’à présent et
offre de le raper pour l'avenir, à huit deniers la livre
poids de gabelle, le commun, et, un sol la livre, celuy
d’Hollande même poids.
« Le but de tous les confrères de Saint Éloy nommés
dans la transaction Balleydier, notaire, est que chaque art
soit pourvu de bons ouvriers en état de servir et contenter
le public, et, par ce moyen, prévenir les abbus qui s’intro-
duisent chaque jour, et ils recevront avec plaisir au nombre
des maitres tous les bons ouvriers qui, après avoir été exa-
minés, tant sur leur capacité que sur leurs vie et mœurs,
ensuitte des certificats qu'ils devront exhiber, auront été
approuvés par les maîtres jurés de l’art qu’ils exerceront,
ce qui ne pourra que procurer le bien de la ville et des
environs.
« La confrérie de Saint Éloy contient seize arts différents,
savoir : serruriers, couteliers, arquebusiers, maréchaux,
pottiers, ferblantiers, selliers, bourreliers, fourbisseurs,
horlogers, taillandiers, éperonniers, éguiseurs, chauderon-
niers, vitriers et cloutiers.
« Le revenu annuel de la confrérie est de vingt livres, et
pour le service divin, elle paye aux révérends chanoines du
Saint Sépulchre la somme de vingt-cinq livres, encore
celle de quinze livres pour le luminaire, de façon que pour
suppléer à cette dépense qui excède le revenu, chaque
maître est tenu de payer annuellement huit sols, et les
compagnons, deux sols.
{ En 1683, la confrérie possédait, au capital de cent florins, une
ente de cinq florins due par Charles Garin, avocat au Sénat de
Savoie (Archives départementales d'Annecy).
Quittance pour spectable Charles Garin, faite par les
confrères de Saint Éloy, f° 5.
Du 25 juin 1683.
L’an mil six cent huictante trois et le vingt-cinq juin,
devant moy notaire et tesmoings eslablys en la personne
d’honnorable Gabriel Baillard, maistre couttellier, bourgeois
d'Annessy, comme prieur déposé de la confrérie de Saint
Éloy, érigée au Saint Sépulchre de la présente ville, lequel,
de son gré pour lui et les siens, tant à son nom que d’honno-
rable Claude Jacquemoz, prieur moderne de ladite confrérie,
absent, pour lequel, au besoing, il promet de rato, a peyne de
tousdamps de conteste, avoir reçu de spectable Charles Garin,
advocat au Sénat, aussy absent, moy notaire pour lui stipu-
lant et acceptant, cinq florins pour les changes d’une année
échue à la Saint André dernier, du capital de cent florins,
léqués à icelle confrérie, que ledit sieur Garin à coustume
payer tous les ans, desquels cinq florins, sans préiudice du
capital, ledit Baillard tant à son nom que de celuy qu’il agist,
il se quitte avec pact de jamais luy en rien demander, ny
permettre estre demandé en jugement et dheors, à l'obli-
gation de tous, un chascung ses biens présents et futurs
quelconques qu’il se constitue tenir, à peyne de tous damps,
toutes renonciations à ce que dessus contraire, et clauses
requises ; fait et prononcé Annessy, dans ma banche,
présents M. Ambroise Chatel, praticien, et honorable Claude
Roux, bourgeois de ladite ville, tesmoings, lequel n’a sceu
signer, de ce enquis. Ayant les autres signé la minutte
et moy notaire soubsigné requis, bien que par autre soit
script. DESCOMNBES :.
1 Archives départementales d'Annecy.
à
— 191 —
CORPORATIONS DES MINEURS, DES CORDONNIERS
DES TAILLEURS
DES MENUISIERS, DES MERCIERS
SOMMAIRES HISTORIQUES
Ne possédant que très peu de détails sur la vie et l’orga-
nisation des autres corporations jurées ou confréries que
renfermait jadis la ville d'Annecy, je réunis dans ce chapitre
ce que j'ai pu découvrir de chacune d'elles.
De la première de ces Sociétés, c'est-à-dire celle des
mineurs, je ne sais même que ces trois choses, que ses
membres exploitaient principalement les carrières de la
Puyat, qu’elle reconnaissait sainte Barbe pour patronne et
qu’elle avait sa chapelle dans l’église de Notre-Dame de
Liesse. Suivant M. le chanoine Ducis, archiviste du dépar-
tement de la Haute-Savoie, il est aussi prouvé que le comte
de Genevois, Amédée II, lui fit une donation vers le milieu
du quatorzième siècle.
*
* *
La confrérie des cordonniers existait déjà dès la première
moitié du quinzième siècle, où le 25 octobre 1447, on
la voit régler certains points de sa constitution.
Le 26 octobre 1554, par une transaction passée dans la
salle du couvent de Saint-Dominique, par-devant le notaire
Deservetaz, elle renouvela, au sujet du luminaire de sa
— 4199 —
chapelle, quelques dispositions fréquemment inobservées
de son ancien règlement.
Les membres qui prirent part à cette délibération furent
Nycod Goddet, Claude Bellod, Pierre Goddet, Pierre Bellod,
Louis Quex, Pierre de Chastel, Pierre Ribitel, Louis Parent,
Jean de Faug, Pierre Tabuys, Georges Nouvellet, Jacques
Martin, Aguettier Luppiny, Claude Chevrier, Jean Ruff,
tous maîtres cordonniers.
I fut alors statué de nouveau que tout apprenti fournirait,
à son entrée en apprentissage, une livre de cire, et que le:
maître qui le recevrait serait lui-même responsable de
l'acquittement de ce droit, sous la garantie de ses propres
biens.
Dans le même dossier des archives départementales
d'Annecy, où se trouve le document dont il vient d’être
parlé, on remarque plusieurs autres actes relatant égale-
ment quelques-unes des circonstances de la vie, soit inté-
rieure, soit extérieure de la corporation. Tels sont princi-
palement : 1° Des reçus de cotisations ; 2° un acensement
de la vaisselle de la confrérie à Louis Parent ; 3° un
renouvellement d’acte de fondation de l’an 1500, au capital
de deux cents florins d’or petit poids, dont la rente servait à
payer l’honoraire des services religieux ; 4° enfin, un acte
d'acceptation des Dominicains d'acquitter fidèlement ces
services !.
*
% %
La Société des cordonniers honorait, ainsi qu'il a déjà été
dit précédemment, saint Crépin et saint Crépinien comme
patrons, et avait sa chapelle dans l’église du couvent de
Saint-Dominique (nef droite), aujourd’hui église paroissiale
1 Archives départementales d'Annecy.
— 193 —
de Saint-Maurice. Ses armoiries, qu'on voit encore dans les
vitraux de cette chapelle, sont un couteau à couper le cuir,
de la forme du tranchant d’une francisque, sur un fond
soupçonné d'argent. |
Cependant, cette corporation ne laissa pas, du moins à
une certaine époque, d’être soumise à l’autorité des rois du
métier établis par les ducs de Nemours pour leurs provin-
ces du Genevois et du Faucigny. J'ai déjà cité, comme
grand chef de la cordonnerie en ces deux pays, le nommé
Louis Quex. J’ajouterai ici que cet officier supérieur conféra,
par lettres patentes datées écrites à la Roche le 25 août
1564, à honnête Étienne Mestral, de cette même ville, le
droit d'exercer cet art et tout autre industrie qui en dépen-
dait. Ces lettres, rédigées par le notaire et curial de la
Roche, François Monet, portent, en outre que le nouveau
maitre sera tenu, sous la foi du serment qu’il vient de
prêter, d’exercer « fiablement, sans fraude, sans tromperie
ou abus, » sa profession, et de dénoncer tous ceux qu’il
saura s'être rendus coupables de semblables délits.
*
* *%
La corporation des tailleurs d’Annecy remontait à lan
1441. Elle avait pour patronne sainte Marie-Madeleine et
sa chapelle dans l’ancienne église de Saint-Maurice sous le
Château, aujourd’hui détruite. Ses armoiries, qu'on voit
encore maintenant dans l’église du méme vocable, sur la
rive droite du Thiou, à Ja base des colonnes et à la clef de
voute de la chapelle de sainte Marie-Madeleine (nef gauche),
sont des ciseaux en sautoir.
Cette confrérie réunissait en même temps les chaussetiers
et se composait d'hommes et de femmes.
IVe SÉRIE. — Tome IV. 43
— 4194 —
Comme toutes les anciennes jurandes, elle avait le droit.
de tenir des assemblées et de délibérer sur toutes les affaires
qui concernaient son organisation et sa conduite.
Quant à ses statuts primitifs, qui devaient être assuré-
ment semblables à ceux des Sociétés du même art dans les
autres localités de Savoie, le chef du bureau de police Mon-
genis, que j'ai déjà cité, dit qu'ils avaient été dûment
approuvés par l'autorité supérieure et pendant longtemps
scrupuleusement observés par ses membres.
Toutelois, vers 1776, comme un certain nombre d’ou-
vriers inhabiles, soit étrangers, soit de la ville, s'étaient mis
à lever indüment boutique et faisaient ainsi naître, par leur
mauvais travail, un grave mécontentement dans le public,
en même temps qu'ils causaient, par leur concurrence
déloyale, un réel préjudice aux maîtres reconnus, ceux-ci
demandèrent au roi d'apporter à leur règlement une réforme
capable d'empêcher de tels abus. La question fut longue-
ment étudiée par le bureau de police et par celui de
l'avocat fiscal général ; mais elle ne paraît pas, du moins
d'après les documents qui m'ont été communiqués, avoir
reçu une solution favorable.
%k
+ *
Il en fut de même de la corporation des menuisiers et
des charpentiers. Cette association, assurément établie aussi
depuis longtemps à Annecy, bien qu'on ne connaisse point
jusqu'ici la date précise de son origine, adressa, après la
promulgation des Lois et Constitutions de 4770, un sem-
blable placet au roi, en vue d'obtenir l'approbation de
nouveaux privilèges et de nouveaux statuts. Le résultat de
sa supplique ne répondit pas non plus à son attente. Sur
— 4195 —
un avis défavorable du bureau de police d'Annecy, trans-
mis à l'avocat fiscal général, la demande de la corporation
fut repoussée, le 18 juin 1877.
%
+ *
‘Enfin, au sujet des merciers, j’ajouterai ici au nom du
roi de cette industrie, Antoine Quiblat, que j'ai déjà cité,
celui de son successeur ou de l’un de ses premiers succes-
seurs, pour les terres des ducs de Savoie-Nemours, dont
Annecy était le siège administratif. Ce nouveau chef se
nommait Bernard Mossot et avait été institué par la même
dame Charlotte d'Orléans, mère et tutrice du jeune Jacques,
duc de Nemours et comte de Genevois. Par lettres patentes
datées d'Annecy, le 20 novembre 1538, il admit au rang
des merciers, avec les formalités ordinaires, Raymond, fils
de Henri Guillerme de Sevrier, près Annecy. On trouve,
dans les archives départementales de cette dernière ville,
ces lettres, de même que la plupart des détails que j'ai
rapporlés sur ses autres corporations ouvrières.
— 196 —
ANCIENNES CORPORATIONS DES ARTS ET MÉTIERS
| DE MOUTIERS
CORPORATIONS DES MARÉCHAUX-FERRANTS
DES CORDONNIERS
DES BOULANGERS ET CABARETIERS
DES
AVOCATS, PROCUREURS, NOTAIRES ET PRATICIENS
ITISTORIQUE
La ville de Moûtiers, en Tarentaise, renfermait, en 1772,
seize confréries ayant leurs chapelles dans les diverses
églises de la localité, à savoir : celles du Très-Saint-Sacre-
ment, de Saint-Joseph, de Saint-Éloi, des Saints Crépin et
Crépinien, de Saint-Claude, dans l’église métropolitaine, —
celles de Sainte-Barbe, de Saint-Honoré, de Saint-Jean-
Baptiste, de Saint-Yves, de Saint-Léger, du Rosaire, des
Trépassés, dans l’église paroissiale de Sainte-Marie, —
celles du Nom de Jésus, des Saints Anges gardiens, de
Saint-Antoine de Padoue, de Sainte-Anne, de la Portion-
cule, dans l’église des Cordeliers — enfin, l'archiconfrérie
des Pénitents blancs, dans l’église de Saint-Martin !.
t Archives du Sénat (Etat général des hôpitaux, confrèries,
aumônes et autres fondations et œuvres pies de la province de
Tarentaise, dressé par le comte de Serraval, sénateur au Sènat
de Savoio, ensuite des ordres deS, E. M. le chevalier de Mouroux,
ministre au département des Affaires internes, 10 décembre 172).
VON | |
— 197 —
La plupart de ces associations étaient, à cette date, pure-
ment religieuses. Quatre d’entre elles seulement sont expli-
citement désignées, dans le registre du sénateur de Ser-
raval, comme professionnelles ; telles sont celles de Saint-
Éloy, des Saints Crépin et Crépinien, de Saint-Honoré et
de Saint-Yves.
*
* *
La confrérie de Saint-Éloy comprenait les maréchaux-
ferrants et peut-être aussi les autres ouvriers en fer et en
cuivre.
En 1779, ses revenus s'élevaient annuellement à quarante-
trois livres provenant de diverses créances et de. rentes
constituées. Sur cette somme, elle payait onze livres dix-
huit sous au sacristain de la métropole pour deux services
et bénédictions ; cinq livres deux sous à ses propres marguil-
liers et sacristain ; seize livres pour le luminaire de sa
chapelle.
Lorsqu'il décédait quelqu'un de ses membres, homme ou
femme, elle faisait célébrer un service pour le repos de
l'âme du défunt, et payait au célébrant un honoraire de
trois livres. |
L’excédant des recettes sur les dépenses était distribué
chaque année, le 25 juin, jour de la fête patronale, aux
prisonniers et aux pauvres honteux de la ville, à raison de
irois sous par individu.
*
% *
La confrérie des Saints Crépin et Crépinien réunissait ici,
comme on l'a vu ailleurs, les cordonniers. Elle percevait
aussi, de son côté, de diverses rentes constituées un revenu
__ 198 —
annuel de quarante-trois livres, et possédait, en outre, au
village de Fontaine-le-Puits, dans la paroisse de Salins, une
certaine étendue de biens immeubles, dont elle retirait
d'acensement douze bichettes de froment, une demi-bichette
de seigle et une demi-bichette d'orge. ”.
Ce dernier revenu était employé à l’entretien, ou, comme
on disait alors, à la manutention de la chapelle.
Du reste, les rentes en argent servaient à payer : 4° douze
livres au recteur pour la grand’messe de la fête patronale
du 26 octobre ; 2° dix livres seize sous pour l’assistance
des chanoines ; 3° seize livres pour le luminaire ; 4° quatre
livres dix sous pour le sacristain et le blanchissage des
linges ; 5° cinq livres six sous pour les tailles des biens
immeubles.
Mais, comme ces dépenses excédaient les revenus, on
faisait alors parmi les confrères une quête dont le produit
était destiné, non seulement à combler le déficit, mais
encore à faire célébrer un service funèbre pour chaque
membre qui venait à mourir.
* Il existait aussi en co même temps, à Aime, au-dessus de
Moûtiers, une confrério sous le même vocable des saints Crépin
ct Crépinien, qui, très probablement, dans son ancienne consti-
tution, réunissait les cordonniers de la localité. À la date dont il
ost ici question, cile se composait de neuf à dix confrères, dont
un prêtre, un notaire, un insinuateur et un certain nombre de
labourcurs. Son revenu annuel, provenant d’une rente consti-
tuéo au capital de neuf cent quatre-vingt-quatre francs, était de
quarante-neuf francs cinq sous, dont neuf livres étaient employées
pour quatre messes basses, une grand’messe le jour de la fête
patronalo et un service pour tous les membres défunts; une livre
un sou, pour l'assistance des prôtres: approximativement sept
livres, pour Ics services des membres décédés dans l'année. Le
surplus était distribué en aumônes à tout venant, soit on pain,
soit en argent, suivant le prix moins ou plus élevé du blé.
Les boulangers et les cabaretiers formaient la confrérie
‘de Saint-Honoré et comptaient, en la même année 1772,
trente cinq individus. |
Chacun d’eux était tenu à une cotisation annuelle de trois
sous, dont le produit s'élevait à cinq livres cinq sous. De
plus, la corporation percevait chaque année de diverses obli-
gations une rente de quarante-sept livres.
Par contre, on payait annuellement : 4° au révérend curé
et aux autres prêtres de Sainte-Marie quatorze livres cinq
sous pour six services solennels ; 2 aux clercs et aux
marguilliers de la même église une livre deux sous ; 3° au
sacristain une livre quatre sous ; 4° trente-deux livres pour
le luminaire.
Comme les cordonniers, les boulangers et cabaretiers
faisaient célébrer, à la mort de chaque confrère, un service
funèbre, pour lequel il était remis un honoraire de deux
livres cinq sous.
N'ayant point découvert le texte des statuts de cette
confrérie, je ne saurais dire en quoi consistaient primiti-
vement les devoirs professionnels de ses membres. Néan-
moins, on peut se rendre compte de ce qu'il en était à cet
égard, sept ans après le rapport du sénateur de Serraval,
par le règlement de police de Moûtiers de 1779, que
M. F. Ducloz, libraire-éditeur en cette ville, vient de rééditer
en un charmant petit volume ‘.
Aucun boulanger, pâtissier et panetier ne pouvait lever
boutique, dans la ville ou ses faubourgs, sans une permis-
1 Réglement de police pour la ville de Moùûtiers en 1779, Fr.
Ducloz, librairc-éditeur, Moùtiers-Tarentaise, 1890.
— 200 —
sion expresse du juge de police, qu'il devait, en outre, faire
renouveler tous les six ans.
Des quatre espèces de pain qu’on avait coutume de con-
fectionner : pain blanc, pain clair, pain bis et pain gros,
le premier devait être fait de Ja plus pure farine de froment ;
le second, de farine du même blé sans mélange de reculée ;
le troisième, de la farine de froment avec la reculée ; enfin,
le quatrième, d’un tiers de pure farine de seigle, d’un tiers
de reculée du même grain et d'un tiers de pure farine
d'orge. Tout mélange de farine de fève, de vesce ou de
pois, était absolument interdit dans la composition de l’un
et de l’autre de ces différents pains.
Le gros pain devait se débiter par livre, demi-livre et
quart de livre, suivant la demande de l’acheteur ; comme
aussi le boulanger était tenu de faire des pains d’un sou et
de deux sous, d’un poids proportionnel au tarif qui, chaque
lundi soir, était fixé pour la semaine par le juge de police.
Il était aussi interdit à quiconque d'exercer, dans la
même ville, la profession de cabaretier, cafetier, aubergiste
ou vendeur de vin, sans l'autorisation formelle du juge de
police.
Tout industriel de ce genre devait porter chaque soir,
entre huit et neuf heures, au premier syndic ou, à son
défaut, à l’un des autres, la consigne des étrangers qu’il
avait à loger. Aucun ne devait vendre du vin après onze
heures du soir, sauf aux étrangers arrivés après cette
heure.
Enfin, outre qu’il était absolument défendu d’excéder la
taxe fixée par le même juge de police, ainsi que de mélanger
le vin blanc au rouge et le vin vieux au nouveau, il était
prohibé d'introduire et de vendre dans la ville et ses dépen-
dances, sous quel prétexte que ce füt, aucun vin étranger
—__— —
— 201 —
et aucune liqueur forte, que ces substances n’aient été aupa-
ravant vérifiées et approuvées.
*
* *X
La confrérie de Saint-Yves avait aussi, comme la précé-
dente, sa chapelle dans l’église paroissiale de Sainte-Marie.
Elle comprenait les avocats, les procureurs, les notaires
ainsi que les praticiens de ces divers arts. Outre les offices
solennels qu’elle faisait célébrer le jour de sa fête patronale
(19 mai), elle ordonnait un service funèbre, à chaque décès
de quelqu'un de ses membres, pour le repos de l’âme du
défunt.
Pour tout revenu, elle n’avait que les cotisations annuelles
des confrères, dont le produit servait aux frais des services
religieux et de l’entretien de la chapelle *.
1 Archives du Sénat (Etat général des hôpitaux, confréries,
aumônes et œuvres pies de la province de Tarentaise).
Voir les documents d’où ont été tirés les détails sur les
anciennes corporations ouvrières de Savoie, que renferme
cet ouvrage, dans le volume VII des Documents de l’Aca-
démie. |
— 202 —
CONCLUSION
Les statuts des différentes corporations ouvrières de
Chambéry, d'Annecy et de Moûtiers, qu'on vient de lire,
sont la confirmation de ce que j'ai rapporté, dans l'intro-
duction de cet ouvrage, sur l’organisation et la vie de ces
sortes de sociétés.
Ce que l’on voyait à Turin, à Milan, à Bologne, à Paris,
à Troyes, en un mot dans les diverses contrées d'Italie et
de France, se retrouvait particulièrement, toute proportion
gardée, en Savoie.
Tout d’abord, c’est le roi ou surintendant, puis les
prieurs, les maîtres jurés, les procureurs, qui dirigent les
communautés et veillent à leur bonne tenue, comme à
l'exercice honnête et consciencicux de chaque profession.
Viennent ensuite les simples maîtres artisans, les compa-
gnons et les apprentis, qui reconnaissent la juridiction de
leurs chefs imposés ou élus, et qui, tout en remplissant
fidèlement leurs devoirs, usent librement de leurs droits.
Toutefois, il y à ici une distinction nécessaire à établir
entre les corps de métiers du moyen âge et ceux de l’âge
moderne, principalement du dix-huitième siècle.
Issues d'un état social en décomposition, à la suite de
CS D md — k;
l'effondrement des empires et des royautés, les corporations
ouvrières, comme toutes les institutions de la première de
ces époques, étaient fondées sur les rapports mutuels qui
existent entre le fort et le faible. Le seigneur promettait
protection à son sujet, qui l’assurait, en retour, de son
obéissance, et tous deux se prêtaient ainsi réciproquement
assistance et fidélité.
C’est à ce double esprit de sollicitude paternelle et de
subordination filiale que sont dues particulièrement les
ordonnances de quelques nouveaux souverains et l’éton-
nante multiplicité des sociétés d'artisans qui s’ensuivit.
Cependant, il faut le dire, ces sociétés, bien qu’elles
reconnussent déjà chacune quelque saint pour patron,
revêtaient, du moins chez nous, dans la premiére partie de
leur existence, plutôt un caractère professionnel qu’un
caractère religieux.
Ce ne fut qu’à partir du'seizième, et surtout au dix-
seplième siècle, que le second de ces éléments reçut un
accroissement qui le mit presque sur un pied d'égalité avec
le premier.
La plupart des compagnies ouvrières qu'on vit alors
apparaître à Chambéry et dans les autres localités de
Savoie, admirent résolûment ce principe. Devant les nom-
breux abus qui les avaient fait déchoir de leur ancienne
renommée, elles recoururent avec d'autant plus d’empres-
sement à l’esprit religieux qui devait les restaurer. Pre-
nant plus particulièrement le nom de confréries, elles ne
craignirent pas d'inscrire à la tête de leurs règlements des
— 204 —
pratiques de piété plus détaillées envers Dieu et d’implorer
en même temps la bénédiction des papes. Ce sentiment de
foi donna lieu aux célébrations de grand’messes, de servi-
ces funèbres solennels, aux offrandes de pains bénits, aux
processions, elc., qu’on a vus décrits plus haut.
Pourtant, contrairement à ce que certains esprits de
notre époque pourraient imaginer, ce n’est pas que ces
associalions chrétiennes d'artisans fussent une réunion
d'hommes plus occupés à réciter des patenôtres qu’à exercer
convenablement leur art ou leur métier.
À la vérité, ces pieux travailleurs se réclamaient bien
haut de leurs saints patrons et faisaient des enseignements
de l’Église catholique la règle première de leur conduite.
Le bon sens qui les animait, leur montrait que rien ne
pouvait leur être davantage profitable, leur donner plus de
considération et leur apporter plus de lumière et de force
dans les dures fatigues de leur pénible état.
La religion, qui montre dans les hommes autant de
frères, resserre les liens professionnels. Elle prescrit le
soulagement de ceux qui sont dans la détresse ou le mal-
heur, de même qu'elle ne veut pas qu’on laisse sans hon-
neurs et sans prières les trépassés de celte rude vie. Par
elle, l'ouvrier est mis aussi sur le même rang que les hom-
mes les plus élevés de la société ; bien que la distance entre
eux et lui se maintienne dans les rapports sociaux, celle-ci
disparait quand l'artisan communie à la même table sainte
que son supérieur et qu’il reçoit la même bénédiction du
prêtre à l’église. En un mot, lhumble travailleur puise
ee
“0,
— 205 —
tout à la fois, dans sa piété envers Dieu, un principe d’élé-
valion et la force qui le fait suivre en toute circonstance,
sans défaillir, les voies de la justice et du devoir. C’est
sous l'inspiration de tels sentiments qu’on a vu la corpo-
ration des chirurgiens , entre autres, proclamer Dieu sou-
verain maître de toutes choses et inscrire, en tête de son
règlement, ces mots de la Sainte Écriture : Initium sapien-
tiæ timor Domini.
Mais, cette part légitime faite à la religion, les confréries
de Chambéry et des deux autres villes de Savoie, Annecy
et Moüliers, n’apportaient pas une moindre attention à tout
ce qui pouvait rehausser leur art et valoir à leurs mem-
bres la confiance et le respect du public. On n’a aussi, pour
s'en convaincre, qu’à se rappeler les diverses prescriptions
inscrites dans leurs statuts et sanctionnées presque toujours
par de fortes amendes, sur la science professionnelle, sur
la culture intellectuelle, sur la probité, sur le dévouement,
sur la charité et sur toutes les autres vertus qui devaient
distinguer les confrères des autres artisans et du simple
vuloaire.
Tous, avant d'ouvrir .boutique, ou autrement dit, avant
d'être admis parmi les maitres, devaient non seulement
avoir appris et pratiqué leur art pendant cinq ans, comme
apprentis et comme compagnons, mais tous étaient encore
obligés de faire la preuve de leur capacité, devant des
jurés, par un examen sérieux et par l'accomplissement
d'un travail propre à la démontrer pratiquement.
La même obligation s’étendait aux connaissances utiles
— 206 —
de l’esprit ; la plupart des artisans, comme les apothicaires,
ne pouvaient même entrer en apprentissage, s’ils ne savaient
les principes de la langue.
Dès lors, quiconque manquait à la perfection du travail
qu’on était en droit d'attendre de lui, était sévèrement
puni. Par exemple, les tailleurs devaient restituer la valeur
de l’habit qu’ils avaient mal taillé ou mal confectionné.
Bien plus, la peine allait, dans le cas d’une incapacité
manifestement établie, jusqu’à la destitution du droit de
maitrise contre les individus inhabiles.
La fraude dans les’matières ou dans la confection des
travaux n’obtenait pas, de son côté, une plus grande indul-
gence. Dans cette même société des tailleurs, celui qui
avait manqué à la confiance qui lui avait été donnée pour
le choix des fournitures, était frappé de fortes peines pécu-
niaires. Cette sévérité contre les confrères incapables et
peu honnêtes se remarquait surtout dans les statuts de cer-
taines confréries d'Annecy.
D'ailleurs, l’aménité et la charité des membres des
diverses corporations étaient aussi rigoureusement prescri-
tes dans tous leurs rapports entre eux.
Les confrères pauvres ou malades, et même les simples
ouvriers passagers qui se trouvaient dans la détresse,
devaient être secourus avec une attention particulière. Cha-
cun des sociétaires, au lieu de se laisser emporter par
une basse envie ou par une haine coupable, était tenu, au
contraire, de se prêter l’un à l’autre de bons conseils. De
même, aucun d'eux ne devait s’oublier jusqu'à proférer
|
— 207 —
jamais, surtout dans les assemblées de la confrérie, la
moindre parole injurieuse ou malsonnante contre ses pairs.
Je ne rappellerai pas, enfin, l'obligation que chaque
médecin avait de servir gratuitement, pendant les six pre-
miers mois qui Suivaient son admission à la maitrise, les
malades de la Charité. Cette simple énumération des de-
voirs auxquels étaient astreints les membres des confré-
ries, montre suffisamment le but élevé qu'on poursuivait
et l'influence morale qui en découlait sur le reste de la
population de nos villes. On peut donc dire que, loin de
mériter l'ostracisme dont la Révolution les frappa, il y a
cent ans, comme le dédain avec lequel beaucoup de gens
peu instruits ou peu judicieux en ont parlé depuis, les ju-
randes étaient, chez nous, tout autant d'écoles d’habileté
professionnelle, de culture intellectuelle, d'honnéteté, de
charité, de dévouement au bien public, et qu’en plus d’un
point leur exemple pourrait être invoqué pour la meilleure
_ formation de bons citoyens et la plus grande paix de la so-
ciélé actuelle.
HISTOIRE
DE LA
GÉOLOGIE DES ALPES DE SAVOIE
(1779-1891)
IVe SÉRIE. — ToME IV. 44
HISTOIRE
DE LA
GÉOLOGIE DES ALPES DE SAVOIE
(1779-1891)
TR ESS. DT
DISCOURS DE RÉCEPTION
A L’ACADÉMIE DE SAVOIE
Prononcé, le 31 mars 1892, par J. RÉVIL,
Pharmacien-chimisle.
l
—— CRD
MESSIEURS,
Les sciences naturelles et surtout la géologie, qui a pris
dans notre siècle un si merveilleux essor, ont toujours été
en honneur à l’Académie de Savoie. Elles ont été cultivées
par des savants dont nous sommes fiers à bon droit, car
ils ont jeté un certain lustre sur notre cher pays. Pour ne
citer que les morts, qu'il me suffise de rappeler les noms
de Monseigneur BizLiET, de Monseigneur RENDU et des cha-
noines CHAMOUSSET et VALLET. Leurs travaux, publiés dans
vos annales, ont été si appréciés que quelques-uns furent
reproduits par des recueils étrangers'. En m'accueillant
1 Une Notice sur les lignites de Sonnaz, due à M BILLIET ct
communiquée à l’Académie de Savoic, a été reproduite dans le
tome XXIV (8° année, 18%) de la Bibliothèque universelle de Ge-
néte. — Une traduction anglaise du Mémoire de Me RENDU, sur
les glaciers, a été publiée en 1874, par M. A. W1zs, sous le titre
de Theory of the glaciers of Suvoy.
— 212 —
parmi vous, vous avez cédé à votre attrait pour cet ordre
d’études, et vous avez voulu bien moins récompenser mes
modestes recherches que m’encourager à marcher sur les
traces de mes illustres prédécesseurs. Laissez-moi vous en
exprimer toute ma gratitude et croyez que j'apprécie haute-
ment l’honneur que vous m'avez fait.
Appelé par vos statuts à vous entretenir quelques ins-
tants, il m’a semblé qu’un coup d'œil jeté sur l’histoire de
la géologie de nos Alpes aurait chance de vous intéresser.
Rappeler les travaux de ceux qui nous ont ouvert la voie,
n’est-ce pas d’ailleurs faire acte de justice ? Que s’il nous
arrive d’avoir quelques erreurs de leur part à signaler,
n'oublions pas que certaines données scientifiques leur
faisaient défaut, et gardons-nous de les juger avec les seules
idées de notre époque.
Mais si je vous parlais de toutes les publications faites
sur nos régions, le sujet serait trop vaste ; je me bornerai
donc aux études qui concernent les grandes Alpes, laissant
de côté ce qui a trait aux régions subalpines et jurassiennes
de nos deux départements, ainsi que les discussions rela-
tives à la période glaciaire. Afin de mettre un peu d'ordre
et de clarté dans l’esquisse que je vais avoir l’honneur de
tracer devant vous, je la subdiviserai en quatre chapitres.
Le premier comprendra les recherches effectuées de 1769
à 18928, le second celles de 1828 à 1861, le troisième celles
de 1861 à 1889, le quatrième enfin, allant de 1889 à 1891,
fera connaître quelques Mémoires remarquables appelés
à jeter une vive lumière sur le problème si attrayant de la
formation de nos montagnes.
— 23 —
L
1779-1828
La géologie n’est entrée dans une voie réellement scien-
tifique qu’à la fin du siècle dernier; c’est l'étude des
montagnes de la Savoie, entreprise par HORACE-BÉNÉDICT
DE SAUSSURE, qui vint contribuer pour une grande part à
atteindre ce résultat (1)'. En 1760, à l’âge de vingt ans,
cet illustre naturalisie alla seul et à pied visiter les glaciers
de Chamonix. Il y retourna l’année suivante et dès lors ne
laissa pas passer une seule année sans faire un grand
nombre d’excursions dans les régions montagneuses. De
1760 à 1779, époque où paraissait le premier volume de
ses voyages dans les Alpes, il traversa quatorze fois la
chaine par huit passages différents, fit seize autres excur-
sions jusqu’au centre des massifs, parcourut le Jura, les
Vosges, les montagnes de la Suisse et d’une partie de
l'Allemagne, ainsi que celles de l’Angleterre et de l'Italie.
Il effectua tous ces voyages le marteau du géologue à la
main, recueillânt des échantillons et prenant sur les lieux
mêmes note de toutes ses observations. C'est ainsi qu’il
procédait à la création d’une science presque nouvelle ; car
la connaissance des minéraux et des roches était alors très
imparfaite et la topographie des pays, dont il étudiait la
constitution géologique, bien peu connue. Il eut à lutter
4 Renvoi à Ja liste bibliographique.
— H4 —
contre des obstacles de toute sorte, mais ne s’effraya point,
et, forgeant lui-même ses armes, s'engagea hardiment sur
un terrain dont personne avant lui n'avait osé aborder
l'étude.
Il débute, dans le premier volume, par la description des
environs de Genève. Il étudie avec grand soin les cailloux
roulés, les blocs erratiques, et établit que le plus grand
nombre sont d’une nature absolument différente des roches
calcaires ct des grès sur lesquels ils reposent. Si, au con-
traire, on les comparc-avec les roches que l’on trouve dans
les Alpes, on les reconnait au point de pouvoir indiquer, à
coup sûr, les localités d’où ils proviennent. Il en conclut,
et à bon droit, que ce sont des corps étrangers arrachés de
leur pays d'origine par un agent puissant qui les à trans-
portés et entassés contusément !.
Ces cailloux étrangers se rencontrent non seulement
dans les plaines, mais encore sur certaines montagnes. On
trouve sur le mont Salève des blocs de granite et diverses
variétés de schistes primitifs, tandis que les roches qui le
forment consistent en calcaires escarpés du côté de la vallée
de Genève et en pente douce du côté des Alpes. On observe,
en outre, au bas du Grand Salève d’autres couches qui
s'appuient avec une inclinaison très prononcée contre les
tranches inférieures des bancs horizontaux, tandis que, sur
le versant cest, les calcaires sont recouverts directement par
les grès mollassiques. Notre auteur s'était parfaitement
rendu compte de la constitution physique et de la configu-
ration de cette montagne ; les recherches ultérieures n’ont
fait que confirmer ses premières conclusions. Il dit y avoir
recueilli de nombreux fossiles dont deux ont été décrits et
1 Toyage dans les Alpes, tome I, ÿ 206.
— 215 —
figurés par DE Luc et reconnus plus tard par Alphonse
FAVRE comme appartenant au genre Diceras.
À l’est de Genève et dans l'intervalle que laissent entre
elles les montagnes du Salève et des Voirons, on aperçoit
dans le lointain la montagne du Môle. De Saussure fut
vivement frappé par la vue dont on jouit de cet observatoire
naturel. Ce fut là qu'il comprit pour la première fois les
allures des Alpes savoisiennes, qui sont composées d'un
grand nombre de chaines à peu près parallèles dirigées du
nord-est au sud-ouest et que séparent des vallées de même
direction. Il vit que l’escarpement des chaines extérieures
est tourné contre le lac, et que les montagnes secondaires
sont d'autant plus irrégulières et plus inclinées qu’elles sont
plus voisines de celles qui sont constituées par les schistes
primitifs.
Sur la rive occidentale du lac, se trouvent des chaines
qui dépendent du Jura. Elles sont à peu près parallèles aux
Alpes et s’abaissent graduellement pour aller mourir dans
les plaines de la Bourgogne, de la Franche-Comté et des
environs de Bâle. Elles ne sont pas continues d’une extré-
mité à l’autre, mais sont coupées en divers endroits. Leurs
couches affectent une disposition convexe, leurs sommités
sont arrondies et elles présentent le plus souvent la forme
de voûtes entières ou de demi-voûtes.
Après cette description des montagnes qui se trouvent à
proximité de Genève, notre auteur aborde l'étude du massif
du Mont-Blanc qui forme l’objet principal de ses recherches.
Cette partie de son travail est riche en observations précises
et en aperçus entièrement nouveaux pour l’époque où ils
furent émis. C’est une relation de voyage dans laquelle le
savant naturaliste adopte l’ordre suivant : de Genève à
Chamonix ; de Chamonix à Courmayeur par le col du
— 216 —
Bonhomme, le col de la Seigne et l'Allée Blanche ; de
Courmayeur à Aoste ; d'Aoste à Genève par le Grand-Saint-
Bernard. Je ne le suivrai pas dans cette longue étude ; je
me contenterai d’insister sur les faits qui ont eu une in-
fluence marquée sur les progrès de la géologie.
Je dirai, en premier lieu, qu’il divise les terrains en deux
grandes classes : les terrains primitifs et les terrains secon-
daires. Les premiers sont formés de roches cristallines
massives ou feuilletées, tandis que les seconds, d'origine
incontestablement marine, renferment des débris d'êtres
organisés. Entre ces deux ordres de couches, s’interposent
parfois des brèches ou des poudingues. Une localité remar-
quable, à ce point de vue, est la localité des Céblans, près
de Valorsine. On y rencontre des schistes gris ou couleur
lie de vin, qui renferment des cailloux étrangers, les uns
anguleux, les autres arrondis et de différentes grosseurs.
Ces poudingues sont disposés verticalement et furent, pour
le géologue genevois, une véritable révélation. Il comprit
que des assises renfermant de gros cailloux, ne pouvaient
s'être déposées en bancs verticaux, et il eut pour la pre-
mière fois une preuve évidente du redressement des
couches. « Il faut regarder comme une chose démontrée,
dit-il, que ces poudingues ont été formés dans une disposi-
tion horizontale et redressés après leur endurcissement ". »
Cette constatation était un fait de la plus haute importance ;
car la plupart des couches de nos chaînes alpines se présen-
tent avec les mêmes allures, il faut donc admettre qu’elles
ont été redressées.
L’illustre savant reconnaissait ainsi le premier que les
couches ont subi des mouvements depuis leur formation.
‘ De Saussure, tome II, ÿ 690.
— 217 —
Buffon, dans ses Époques de la nature, parues quelques
années auparavant, voyait encore, dans le va-et-vient des
marées et des courants de l'Océan ancien, la cause produc-
trice des irrégularités de la surface continentale : montagnes,
plateaux et vallées. Il n’avait rien saisi du grand secret des
modifications du globe.
Cette localité de Valorsine avait déjà livré une autre
observation importante à l’auteur dont nous analysons les
travaux. En août 1776, parcourant les champs de la vallée
où se trouve ce village, il avait recueilli un fragment de
roche qui avait vivement frappé son attention. C'était un
morceau de granite intimément lié à un schiste feuilleté.
Il voulut voir la place d’où provenait ce fragment, et gravit
dans ce but un ravin assez étroit de la montagne qui borde
la vallée au nord-ouest. Il vit en ce point, dans les schistes,
des fentes de différentes largeurs, remplies d’un granite qui
s'était formé et moulé dans leur intérieur. On n'avait pas
encore signalé des apophyses de roches éruptives et c'était
là un fait nouveau pour la science. Malheureusement, imbu
des idées de Werner, de Saussure y vit des formations
d’origine aqueuse, et c'est à Hutton qu'était réservé le
mérite d'apprécier avec justesse les phénomènes éruptifs.
Les assises qui se trouvent dans la vallée de Chamonix
appartiennent aux terrains secondaires et consistent en
argiles, gypses, calcaires, etc. Elles ont les mêmes allures .
que les terrains primitifs entre lesquels elles sont comprises,
c’est-à-dire sont disposées en situation verticale et se diri-
gent du sud-ouest au nord-est. Elles plongent sous la chaîne
du Mont-Blanc, dont les couches sont en surplomb au-dessus
d’elles et dont la section peut-être comparée à celle d’un
éventail ouvert. C’est là une disposition bien remarquable
dont personne avant lui n’avait eu l’intuition ; il essaye de
— 218 —
l'expliquer en comparant cette structure à ce qui se passe
lorsqu'une ardoise est placée verticalement en terre. Les
intempéries de l'air exfolient la partie supérieure et les
feuillets tendent à s’écarter les uns des autres. Ils finissent
par surplomber au-dessus de la base qui, comprimée par la
terre où elle est enfoncée, n’a pu s’exfolier. C’est plutôt là,
dirons-nous avec À. Favre, une comparaison qu’une expli-
cation.
Faire l'ascension du Mont-Blanc était l’un des objectifs
que de Saussure s'était proposé. Il espérait recueillir sur
cette cime de nombreuses observations, lesquelles, selon lui,
devaient fournir des données à la théorie de la terre. Rien
d’intéressant comme le récit des tentatives qu'il fit pour
atteindre ce sommet. Celui-ci, vous le savez, fut gravi
pour la première fois, en 1786, par Jacques Balmat, et ce
n'est que l’année suivante que de Saussure y parvenait à
son tour. Les résultats scientifiques qu'il en obtint ne furent
pas en rapport avec les dangers qu’il avait courus. Dans
cette ascension, on doit considérer surtout le courage qu’il
dût déployer pour l’accomplir. Il donnait ainsi un grand
exemple aux naturalistes, en ne craignant pas d'exposer
ses jours pour étudier de plus près les phénomènes de Ja
nature. Ces problèmes ne peuvent être résolus dans le
silence du cabinet. L’illustre savant s’en rendait nettement
compte, en cherchant à n’établir que par l’observation les
fondements de la science de l'écorce terresire : aussi peut-il
être compté au nombre des créateurs de la géologie
moderne.
Un récit de voyage de Genève à Gênes par le Mont-Cenis
contient quelques faits intéressants pour notre pays.
L'auteur y décrit avec beaucoup de soin les roches qu’il
rencontre sur sa route. Je vous citerai quelques observations
qui témoignent de sa justesse de coup d’œil et des conclu-
sions ingénieuses qu'il savait en déduire.
Près du village d'Alby (Haute-Savoie) el en descendant
le Chéran, on voit sur la rive droite du chemin des grès
disposés verticalement, Les premières couches sont mêlées
d’un gravier à grains arrondis, ce qui prouve qu'elles ne se
sont point formées dans cette situation, mais qu’elles se sont
déposées horizontalement pour se redresser ensuite sous
l'effet d’une cause postérieure à leur formation. Ces couches
présentent ceci de remarquable qu’elles sont recouvertes,
sur le haut de la colline, d’un banc horizontal de sables el
de graviers constituant un conglomérat. Ges sables et ces
graviers n’ont été déposés par les eaux qu'après le redres-
sement des assises qui les supportent. On peut en conclure
que celte disposition ne s’est pas produite par un simple
affaissement, mais plutôt par un refoulement qui a brisé et
redressé des couches primitivement horizontales. |
Une autre observation faite sur la rive gauche de l'Arc,
en amont de Saint-Michel, vient à l'appui de cette manière
de voir. La rivière coupe en ce point, et presque perpendi-
culairement à leur direction, des bancs calcaires inclinés
de plus de 60e et admirables par leur étendue et leur régu-
larité. Lorsqu'on les examine avec attention, on se persuade
bientôt qu’il est impossible qu'ils aient été formés dans la
situation qu'ils occupent aujourd’hui. Si les sédiments qui
composent ces roches s’étaient déposés sur des plans inclinés
de GO, ils auraient été plus abondants vers le bas et les cou-
ches auraient plus d'épaisseur au pied de la montagne qu’à
la cime. Or, ici elles ont dans toute leur hauteur une épais-
seur uniforme. De plus, si ces dépôts s'étaient formés en
situation inclinée, les assises supérieures auraient pris
graduellement une pente plus douce. Ici, au contraire, les
TN
— 220 —
couches qui reposent sur les autres ont une plus grande
inclinaison, Ces assises n’ont donc pu se former qu’hori-
zontalement pour être relevées ensuite.
Ces redressements sont dus à des actions de refoulement;
car on observe parfois, comme dans les montagnes de
Grindelwald, des bancs de calcaires qui inclinent contre les
schistes primitifs. « Ce fait, dit de Saussure, fournit un bel
exemple des refoulements que je regarde comme la cause
générale du redressement des couches primitivement hori-
zontales ‘. » Devançant la science de son époque, lillustre
naturaliste avait donc parfaitement compris le rôle de
certaines actions qui ont contribué à la formation des mon-
tagnes. J'ajouterai encore qu’il à décrit très nettement et
avec une grande profusion de détails de nombreux types de
roches. Comme la plupart des dénominations dont il se
servait sont aujourd'hui tombées en désuétude, je n’insis-
terai pas sur ce sujet et je laisserai également de côté tout
ce qui a trait, dans ses recherches, à des chaînes autres que
les Alpes de Savoie.
*
*X *
Les remarquables études de H. Bénédict de Saussure
altirèrent sur les Alpes l'attention des naturalistes. L’un
des plus illustres d’entre eux, DoLomtEu (6), n’hésita pas
à adopter les méthodes. d'observation du géologue de
Genève et, prenant pour guide ses ouvrages, tint à honneur
de se déclarer son élève. Il effectua, en 1797, une rapide
excursion dans nos chaînes alpines, traversa les cols du
Bonhomme et de la Seigne et entra en Italie par la vallée
d'Aoste, après avoir parcouru l’Allée Blanche dans toute sa
1 De Saussure, tomo III, ? 1677,
— 221 —
longueur. 1 fit, dans ce voyage, une observation importante
qui avait échappé à son prédécesseur : celle de couches
calcaires en alternance avec des grès qui ne se déposèrent
sur les terrains primitifs que lorsque ces derniers eurent
pris leur disposition actuelle. Ces assises secondaires se
retrouvent à la fois sur les flancs de la chaîne et à des
hauteurs atteignant 4,000 mètres. On en voit des lambeaux
en situation horizontale sur les cimes des Aiguilles Rouges,
le sommet de la montagne du Buet en est aussi constitué.
Les recherches de A. Favre devaient, cinquante ans plus
tard, confirmer cette observation pleine de justesse et dont
Dolomieu avait parfaitement compris toute la portée.
S'il eût ainsi une intuition de génie, relativement aux
relations des assises calcaires avec les roches cristallines, il
méconnut d'autre part la véritable nature de l’anthracite.
Il le considère comme faisant partie des terrains primitifs.
Le premier auteur qui comprit que ce combustible appar-
tient aux terrains paléozoïques est HÉRICART DE THURY.
Ce savant publia en 1803, dans le Journal des Mines, un
Mémoire (7) dont je dois dire quelques mots; car il a
jeté une vive lumière sur l’origine de cette substance.
À Chevallier-aux - Chalanches, en Dauphiné, on trouve,
au-dessus des terrains primitifs, des assises sédimentaires
qui consistent principalement en schistes argileux à em-
preintes végétales et dans lesquels est intercalée une couche
noire bituminiforme. Cette couche a été exploitée comme
combustible et n’est autre chose que de l’anthracite dont elle
possède bien tous les caractères. Elle ne pent appartenir aux
terrains primitifs ; car les empreintes qui l’accompagnent
prouvent qu’elle a été formée depuis l'existence et par la
destruction des êtres organisés.
Le même auteur publiait encore l’année suivante (1804)
une note,intéressante pour nous, sur un gisement de titane
des environs de Moütiers (8). Le filon qui contient cette
substance se trouve à la montée de Salins, à Saint-Jean-de-
Belleville. 1] consiste en quartz hyalin, carbonate de chaux
spathique, carbonate de chaux ferrifère et oxyde de titane
(rutile). Le minéral se trouve dans des cavités des trois
parties constituant le filon, soit en aiguilles déliées ou fasci-
culées d’un jaune d’or, soit à l’état pulvérulent et avec la
même teinte. Sa véritable nature ne saurait être contestée,
car il a été analysé par Hassenfratz et Thénard.
En 1806, le Journal des Mines, dans lequel avaient paru
les travaux dont je viens de vous entretenir, publiait une
lettre du professeur JURINE, de Genève (9) que je dois
relater ici. Cette lettre, adressée à Gillet-Laumont, insiste
sur la nécessité d’une nouvelle nomenclature pour classer
les roches du Mont-Blanc. L’auteur propose un certain
nombre de dénominations dont une seule a été conservée,
celle de protogine. Il désigne ainsi le granite qui forme la
plus grande partie de la masse du Mont-Blanc. La nature
franchement éruptive de cette roche, d’abord admise puis
contestée, est aujourd'hui reconnue grâce à des études
récentes sur lesquelles j'aurai à revenir.
A l’époque où nous sommes arrivés, nos terrains n’avaient
encore été divisés qu’en deux classes : les terrains primitifs
et les terrains secondaires. BROCIANT DE ViLcERS publiait,
en 1808, une étude sur la Tarentaise (11) où il signale une
troisième classe, celle des terrains de transition. Son but
était d'établir la superposition des couches et leur âge
probable.
: — 223 —
Au point de vue pétrographique, cet auteur divise les
Alpes en deux grandes chaines : l’une primitive, formant
le partage des eaux entre la France et l'Italie, est constituée
par des roches à éléments cristallins ; l’autre secondaire,
bordant la première à l’ouest, est composée de roches
calcaires renfermant de nombreux débris d'êtres organisés.
C’est dans la première de ces chaînes que s’observent les
terrains de transition.
Les roches qui se rencontrent le plus fréquemment en
Tarentaise sont des calcaires grenus ou compactes, des
schistes argileux, des quartzites, des schistes micacés, des
anthracites, des gneiss (près de Gevins), des schistes amphi-
boliques, des serpentines, des poudingues quartzeux ou
calcaires, enfin des gypses et des tufs. Ces roches alternent
souvent entre elles et c’est pour Brochant une des preuves
à l’appui de la thèse qu'il soutient ; mais ce qui, pour lui,
est l’argument décisif, c'est que ce sont des roches sembla-
bles qui, dans d’autres régions, sont considérées comme
constituant essentiellement les terrains de transition.
Ces points établis, l’auteur se demande quels sont, dans
les Alpes, les rapports des terrains primitifs et des terrains
de transition. D’après lui, ceux-ci sont les plus anciens de
tous ceux qui ont élé décrits dans diverses contrées ; car,
entre eux et les massifs primitifs, on ne voit chez nous
aucune interruption dans les couches, aucun dérangement
notable de straüfication. Il semble donc qu'il y ait conti-
nuité dans la formation des uns et des autres. Cela ne
détruit pas la ligne de démarcation que l’on doit établir
entre ces deux classes de terrains. Les assises de transition
présentent en effet le caractère essentiel d’être associées à
des poudingues et à des anthracites qu’accompagnent des
schistes à empreintes végétales.
— 224 —
Poursuivant ses études sur nos Alpes, Brochant commu-
niquait, le 27 mai 1816, à l'Académie des sciences de
Paris, un Mémoire sur les roches granitoïdes du Mont-
Blanc (42). Il cherche à démontrer qu'elles ne sont pas de
vrais granites, mais qu’elles se lient à des schistes talqueux
très répandus dans nos chaînes. Elles ne sont, pour lui,
que des variétés extrêmes de ces schistes et constituent avec
eux un terrain spécial qu’il appelle terrain talqueux.
Ces considérations s'appliquent à d’autres roches grani-
toides : à celles, par exemple, du Saint-Bernard et des
montagnes voisines du Mont-Rose. Il y a cependant, dans
les Alpes, de vrais granites ; ce n’est pas dans les massifs
centraux qu’il faut les chercher, mais dans les montagnes
qui en forment comme les avant-postes depuis Yvrée jus-
qu’au lac Majeur. On peut déduire de ces faits, conclut
l'auteur, que les roches granitoïdes du Mont-Blanc et des
hautes chaînes alpines, ainsi que les terrains talqueux dont
elles font partie, sont de date relativement peu ancienne.
Certaines de ces conclusions, remarquables pour l'époque
où elles ont été émises, ont cessé d’être vraies aujourd'hui,
grâce aux études micrographiques dont je parlerai plus
tard.
%k
+ *%
On ne s'était occupé jusqu'ici que de la nature des roches
et de leur superposition, sans tenir compte des débris d’êtres
organisés que l’on trouve dans certaines assises. ALEXAN-
DRE BRONGNIART publiait, en 1821, un travail remarquable
qui devait éclairer d’un jour nouveau les principes de la
classification géologique (13). Ce savant, après une ascen-
sion à la montagne des Fiz, vit nettement l'emploi que l’on
— 925 —
pouvait faire des fossiles, pour la détermination des terrains.
_Les caractères d'époque de formation déduits de l’analogie
des corps organisés sont, d’après lui, de première valeur en
géologie et doivent l'emporter sur tous les autres. Il ne faut
pas négliger non plus ceux que fournissent la disposition
relative des couches et leur nature. Lorsqu'il y a opposition
entre eux et les données paléontologiques, c'est à celles-ci
que l’on doit toujours donner la priorité. En se basant sur
ces considérations, Brongniart rapporte au terrain de Craie
(Grès vert)’, une roche dure et noire qui se trouve à plus
de 2,000 mètres d'altitude et sur un sommet de montagne.
Pour en arriver à cette conclusion, il examine successi-
vement les dépôts de la Craie de Rouen, du Häâvre et de
Honfleur, ceux des environs de Périgueux et de Bayonne,
la Glauconie crayeuse de la Perte-du-Rhône et enfin les
couches de la montagne des Fiz, en Haute-Savoie. La partie
inférieure de celle-ci est composée de lits nombreux de
roches calcaires et schisteuses rapportées par l’auteur aux
terrains de transition. Quant à la partie supérieure, elle
dépend de la formation de la Craie. C’est un peu en contre-
bas du sommet et sur une pente élevée et rapide que se
montre un banc renfermant des coquilles fossiles, banc qui
est en stratification concordante avec les couches qu’il
recouvre. La roche consiste en un calcaire compacte assez
dur, grossier ou sub-lamellaire, rempli de grains verts
mais tellement foncés qu'ils paraissent noirs. Au-dessus,
vient une assise calcaire grenue, micacée et sableuse, d'un
gris blanchâtre et ressemblant à de la Craie tuffeau. Elle ne
renferme que des débris de coquilles indéterminables. Les
1 Brongniart divisait le terrain de Craie en trois sous-étages :
Craie blanche, Craie grise on Graie tuffeau, et Glauconie
crayeuse ou Grès vert.
IV° SÉRIE. — ToMmE IV. 15
— 226 —
fossiles du grès vert ne sont en général que des moules;
mais ils sont néanmoins assez reconnaissables pour que
l’auteur ait pu en déterminer avec certitude le plus grand
nombre. Elles appartiennent à un niveau que nous appe-
lons Albien ou Gault et en renferment les espèces caracté-
ristiques.
L'année même ou paraissait le mémoire de Brongniart,
un géologue anglais, BUKLAND, publiait les résultats que lui
avait fournis une étude des terrains des Alpes comparés à
ceux de lAngleterre (44). Il attribue certaines de nos
formations aux terrains tertiaires et établit deux classes
dans le calcaire alpin : l’ancien et le nouveau. Celui-ci
comprend les couches rapportées à la Craie dans la chaîne
comprise entre les Diablerets et les Aiguilles de Varens.
Quant aux conglomérats de Valorsine, du Petit-Saint-
Bernard et aux couches de la Tarentaise, décrites par
Brochant de Villers, elles font partie du terrain de tran-
sition. |
Un autre anglais, BACKEWEL, faisait paraitre, en 1893,
une relation de voyage contenant des observations recueil-
lies pendant une résidence en Tarentaise (15). Il se basait,
pour classer les terrains de cette région, sur les principes
quiavaient guidé Brongniart et Buckland, c’est-à-dire qu'il
regardait comme contemporaines des couches qui renferment
les mêmes fossiles. Il comparait aussi les assises du conti-
nent à celles de l’Angleterre. D’après lui, les anthracites des
régions alpines correspondent au terrain houiller anglais ;
car on y trouve des empreintes végétales caractéristiques
de cette formation. Les grandes masses de calcaire alpin
classées par Brochant dans le terrain de transition, sont plus
récentes et doivent faire partie du Lias. Les couches tendres
des pays de plaine ont été, dans les montagnes, souvent
— 227 —
transformées en roches dures, foncées et plus ou moins
cristallines.
Brongniart, Buckland et Backewel sont donc les premiers
qui surent reconnaître des terrains d’époques différentes
dans les assises secondaires des Alpes, considérées jusqu’a-
lors comme appartenant à une seule et même formation.
*
* *X
Je ne puis passer sous silence une note du professeur
NECKER, de Genève, parue en 18926, et qui a pour objet
l'étude des filons granitiques de Valorsine (17). Ces filons,
découverts par de Saussure, s’étudient facilement près du
ravin des Rupes. La masse granitique y consiste en un
amas droit, ou plutôt en un filon extrêmement puissant qui
s'élève presque verticalement au milieu des roches cristal-
lines. Au point de sa jonction avec les schistes, cette masse
présente des phénomènes assez curieux. On y voit le granite
se modifier peu à peu par la diminution du volume de
ses éléments et passer à des variétés porphyriques et même
euritiques. |
Le ravin des Rupes n’est pas le seul endroit où se retrou-
vent de pareils amas. Necker les a également rencontrés
au pied de la chaîne du Gros-Perron et du Loguia, entre la
Poyaz et Couteraie. Il en a vu de plus remarquables encore
prés de la cascade de la Barberine; ici le granite Ss’accom-
pagne encore d’un porphyre quartzifère blanchâtre qui
forme la roche d'où se précipite le torrent.
D'après l’auteur, ces masses granitiques et porphyriques
ont cela de remarquable qu’elles présentent les différences
essentielles qui s’observent entre les dépôts régulièrement
Stratifiés et les amas en masses irrégulières coupant obli-
EE La
— 228 —
quement la stratification des couches. Son travail se termine
par quelques considérations sur les couches coquillères des
montagnes de Sales, des Fiz et de Platet. Le savant profes-
seur avait retrouvé aux F1z les fossiles cités par Brongniart.
Au col du Palet, il remarquait un calcaire gris foncé, fétide,
à grains de quartz et renfermant des nummulites, des
pectens, des cérithes, etc. Tout en insistant sur le fait que
ce calcaire ne renferme pas d’ammonites, comme il retrou-
va, au-dessous de cette couche, les assises du Grès vert,
il ne sut pas reconnaître l’indépendance des deux niveaux
et les considéra comme couches subordonnées d'un même
étage. |
Dans un autre travail communiqué à la Société de phy-
sique el d'histoire naturelle de Genève, en 1828 (22),
Necker compléla ses premières recherches et avança une
conclusion pleine de justesse qui était conforme aux vues
de Backewel : c’est que le terrain à anthracites du col de
Balme et de ses environs est distinct des calcaires à bélem-
nites et lui est inférieur.
— 229 —
IL
1828 - 1861
La géologie de nos chaînes alpines faisait ainsi de rapides
progrès et s'était développée, jusqu'alors, sans soulever de
controverses. L'étude de nos montagnes fut abordée, à ce
moment, par un géologue doué d'une grande puissance
d'observation, mais un peu dominé par les idées théori-
ques de Léopold de Buch. Je veux parler d'ÉLIE DE BEAU-
MONT qui prit pour point de départ de ses recherches l’étude
si difficile de la Tarentaise. En 1898, il publia, dans les an-
nales des sciences naturelles, un Mémoire sur un gisement
de végétaux fossiles et de bélemnites situé à Petit-Cœur,
près de Moûtiers (19). Ce travail devait être le point de
départ d’une polémique très active et remeltait en question
certaines données servant de base à la classification géolo-
gique. Je l’analyserai avec soin en insistant sur les conclu-
sions qu’en déduisait l’auteur.
Près de Petit-Cœur coule un torrent qui est à la ligne de
jonction des schistes cristallins et des terrains sédimen-
taires. La partie inférieure de ceux-ci consiste en grès
micacés alternant avec des argiles schisteuses noires. Sur
ces couches repose une assise d’environ un mètre et demi
de schistes argilo-calcaires à bélemnites. Viennent ensuite
des argiles semblables à celles de la base, lesquelles ren-
ferment des empreintes végétales de l’époque houillére.
Ces dernières sont à leur tour recouvertes par des couches
de grès et d'argile, qui alternent entre elles un certain
nombre de fois. Au-dessus de ces diverses assises, on trouve
— 230 —
des ardoises où l'on peut recueillir des bélemnites et
qui sont exploitées dans des carrières situées sur la rive
gauche.
On à donc dans cette localité des schistes à empreintes
de plantes houillères intercalés entre deux couches renfer-
mant des bélemnites. Élie de Beaumont en conclut que les
assises qui renferment les plantes appartiennent à la même
formation que celles qui contiennent les fossiles marins.
ll les rapporte au Lias et se base, pour cette attribution, sur
l'étude du prolongement des couches de Petit-Cœur. On
peut suivre, selon lui, leur continuation jusqu’au col des
Berches, où l’on trouve encore des bélemnites. Si de là on
se rend à Digne, on marche presque continuellement sur
des schistes argilo-calcaires dans lesquels on voit, par
intervalles, reparaître des coquilles marines. Près de cette
ville, on constate que les couches les plus inférieures renier-
ment des gryphées et des ammonites, tandis que les assises
supérieures contiennent de petits bivalves. Ceux-ci sont
semblables à ceux des marnes de la partie supérieure de
Flizes, près Mézières, de Beurres, près Besançon, et de Boll,
en Wurtemberg, où ont été trouvés des squelettes d’Ichtyo-
saures. C’est dans des couches liasiques ainsi délimitées
que se trouvent les schistes à bélemnites que l’on suit de
Petit-Cœur à Digne.
Comment, se demande Elie de Beaumont, des végétaux
semblables à ceux du terrain houiller se rencontrent-ils
dans cet étage ? Ils ne sont pas, dit-il, les représentants
d'une flore qui couvrait les rivages voisins, mais ils ont
dû être amenés des régions lointaines par des courants
marins. Les végétaux, en flottant dans les eaux, ne se
décomposent pas aussi rapidement que les animaux. Il en
aurait été des plantes de Petit-Cœur comme des graines
du Mexique qui viennent échouer sur les côtes de la
Norvège.
Les empreintes végétales recueillies par Élie de Beau-
mont furent étudiées par ADOLPHE BRONGNIART qui fit
paraître une note sur ce sujet, comme suite au travail de son
confrère (21). Parmi les échantillons qui lui avaient été
remis et proviennent des environs de Moûtiers, de Servoz,
des cols de Balme et de Briançon, le savant botaniste put
distinguer vingt-deux espèces différentes. Il en donne une
liste sous forme de tableaü en indiquant les localités où elles
ont été trouvées et en énumérant les autres régions où on
les rencontre également. Sur ces vingt-deux espèces, deux
seulement sont nouvelles, le Nevropteris Soretit et le Pecop-
teris Beaumontii. Quant aux vingt autres, elles sont
toutes caractéristiques de la flore houillère et n’ont aucun
rapport avec ceiles de la période jurassique. Entre le
terrain anthracifère des Alpes et le terrain houiller, l'iden-
tité est absolument complète. Si les roches qui renferment
les végétaux, dans ces montagnes, sont liasiques, il faut
admettre qu'à ces époques anciennes la distribution des
plantes était différente de ce qu’on avait pensé. A l’époque
du Lias, la flore de nos régions présentait des formes nou-
velles, tandis que celle des pays équatoriaux possédait
encore les plantes houillères des zoncs tempérées. Ce sont
celles-ci qui auraient été transportées dans nos terrains à
anthracites.
Élie de Beaumont publia encore, en 1898, et dans le
même recueil, un second mémoire à l'appui de ses prce-
mières conclusions (20). Il cherche à prouver que les
couches qui s'appuient sur la chaine primitive allant de la
pointe d’Ornex à la montagne de Taillefer appartiennent
toutes au terrain jurassique. Les assises secondaires y dé-
butent, selon lui, par des grès à grain grossier passant à
des poudingues et dont ceux de Valorsine, d'Ugine, etc.,
peuvent être donnés comme exemple. Au col de la Petite-
Olle, au sud-ouest de Saint-Jean de Maurienne, on observe
sous ces grès des couches rappelant celles de Petit-Cœur et
consistant en calcaires schisteux avec argiles noires. Si de
là on se dirige vers Bonnenuit et les cols de la Ponson-
nière et du Chardonnet, on marche sur des assises qu’on
voit reposer les unes sur les autres et qui sont formées
alternativement de grès et de schistes argilo-calcaires.
La vallée de lPArvant est creusée dans les schistes à
bélemnites que l’on suit jusqu’au-dessous des Aiguilles
d’Arves. Celles-ci sont formées par un conglomérat composé
de fragments de roches primitives, de quartzites et de
calcaires. Les couches qui succèdent à ces conglomérats
sont des schistes argilo-calcaires alternant avec des grès
schisteux à grain fin. Le sommet du col des Pics est formé
presque uniquement par ces grès qui disparaissent vers
Bonnenuit pour faire place à de nouveaux schistes argilo-
calcaires, ainsi qu'à des calcaires schisteux avec masses de
gypse. Plus à l'est, ceux-ci s’enfoncent sous des grès à
anthracites, auxquels se superposent des couches calcaires
el quarizeuses.
Le sol du vallon de la Ponsonnière est constitué par des
grès qui s'élèvent jusqu’au sommet du col du Chardonnet.
Ils renferment d’assez nombreuses empreintes végétales
qui, d'après Brongniart, sont toutes caractéristiques du
terrain houiller. Selon Élie de Beaumont, ces grès appar-
tiendraient à la partie supérieure du système de schistes
argilo-calcaires et de grès à anthracites dont les couches de
Petit-Cœur formeraient la partie inférieure. On ne peut,
d’après lui, voir deux formations différentes dans les schistes
— 233 —
à bélemnites et les grès à empreintes végétales. Ces deux
classes de couches alternent par grandes assises et doivent
appartenir à la même formation. La géologie, conclut-il,
p’a que deux alternatives : placer dans le terrain houiller
toutes les couches coquillères de la Tarentaise, ou rapporter
au terrain jurassique les assises non primitives de la région
comprise entre le Mont-Blanc, le Mont-Rose, le Viso et le
Pelvoux. |
*%
* *
Ces conclusions eurent un grand retentissement : elles
n’amenaient à rien moins qu’à modifier les lois qu’on avait
pensé pouvoir tirer de la distribution des fossiles, ou bien
croire que les Alpes renfermaient un terrain exceptionnel.
La discorde régna parmi les géologues, et tandis que les uns
protestaient, d’autres, et non des moinsillustres, adhéraient
sans réserve aux idées nouvelles.
C'est Wozrz qui, le premier, fit nettement opposition à
la théorie d’Élie de Beaumont. En 1830, il écrit à
M. GUEYMNARD qu’il à longuement réfléchi sur l’âge des
grès à anthracites intercalés dans le Lias des Alpes’. Il
pense pouvoir poser en principe que si deux couches, après
s'être déposées horizontalement, eurent à subir un redres-
sement sur une certaine étendue, ce redressement dut se
produire par zones parallèles et suivant des fissures égale-
ment parallèles. Les assises se présentent alors à l’obser-
vateur comme formées alternativement; mais c’est là une
illusion et non un fait réel. L’enchevêtrement des grès à
anthracites et des schistes du Lias de la Tarentaise ne
serait-il pas dù à un redressement analogue ?
1 Cette lettre a été insérée dans le tome I° de la Statistique
générale du département de l'Isère,
— 234 —
Parmi les géologues qui se rangèrent de suite aux vues
d’Elie de Beaumont, nous pouvons citer les professeurs
B. STUDER, de Berne, et A. SISMONDA, de Turin. Le premier
communiqua, en 1836, à la Société géologique de France,
un travail (29) dans lequel il adopte l’idée que les
plantes du terrain houiller ont pu continuer à se propager
dans les Alpes, au-delà de la première apparition des am-
monites et des bélemnites du Lias. Toutefois, il ne devait
admettre cette interprétation que momentanément et recon-
naissait, quelques années plus tard, l'indépendance des
formations liasiques et houillères. Sismonda, au contraire,
resta toujours fidèle à sa première manière de voir. Il
publia, la même année que le géologue suisse, une note
relative à quelques vallées du Piémont et de la Savoie
(28). Il étudie, sur notre versant, les abords du Petit-
Saint-Bernard et de la haute vallée de l'Isère, de Bourg-
Saint-Maurice au col de Rhême. 11 divise en deux grands
élages la formation jurassique de la partie des Alpes com-
prise entre le Saint-Gothard et les sources du Tanaro.
L’étage inférieur est le Lias, et, selon lui, le terrain sédi-
mentaire le plus ancien de tout le massif ; l’étage supérieur
se compose de l’Oolithe inférieure et de la série des autres
assises, jusques et y compris le Portlandien.
Cet auteur développe plus complètement ses idées dans
un autre mémoire qu'il communiqua à l'Académie des
sciences de Turin, le 15 décembre 1839 (34). Ce travail
contient de nombreuses observations concernant la Savoie ;
mais comme le professeur de Turin ne tenait compte ni des
végétaux fossiles ni des plissements auxquels les couches
ont été soumises, il arriva à des données absolument fantai-
sistes, comme à classer dans l’Oxfordien des couches renfer-
mant des plantes houillères. Je ne résumerai que les prin-
cipales conclusions de ses recherches.
Les terrains sédimentaires des Alpes ont subi de puissantes
actions métamorphiques qui les ont rendues méconnaissa-
bles. Le plus ancien d’entre eux, le Lias, renferme encore
des végétaux houillers. Si l’on prend pour point de départ
la coupe de Petit-Cœur à Aime, on reconnait l’Oolithe
inférieure dans les couches superposées aux assises liasi-
ques. Au-dessus de l’Oolithe inférieure, vient un second
niveau anthracifère, également avec plantes houillères, et
qui appartient à l'Oxfordien. De plus, en Tarentaise et en
Maurienne, on trouve d’autres formations, comme celles
des eavirons du mont Thabor que l’on peut rapporter au
Kimmeridgien et au Portlandien. La rareté des fossiles
s'explique non seulement par le métamorphisme qui a
produit la destruction des êtres organisés, mais encore par
ce fait que l'emplacement occupé par les Alpes correspond
à des parties de la mer très profondes et qui devaient être,
par suite, peu peuplées.
Inutile d'ajouter que la classification de Sismonda, com-
plètement erronée, n’a jamais été adoptée.
%k
x *
En 1841, un géologue genevois, ALPHONSE FAVRE, entrait
en lice à son tour. Ses nombreux travaux, qui devaient si
puissamment contribuer à élucider les problèmes de la
Stratigraphie alpine, furent inaugurés par une remarquable
étude sur les anthracites des Alpes (42). Il examine les
deux hypothèses qui avaient été proposées pour expliquer ce
que l’on appelait l'anomalie de Petit-Cœur. L'une consistait
à admettre que les bélemnites ont vécu pendant l'époque
houillère ; l’autre, au contraire, à classer dans le Lias les
couches renfermant les végétaux et les fossiles marins.
— 236 —
Favre ne les admet ni l’une ni l’autre; car elles aboutissent
à des faits en contradiction absolue avec ce qu’on observe
ailleurs. Il explique la position singulière des anthracites
dans certaines localités par un plissement des couches.
On voit en effet, sur la route du Bourg-d’Oisans à la Grave,
des grès anthracifères intercalés dans des schistes talqueux.
Ce fait ne peut s’interpréter que par le redressement d’as-
sises primitivement horizontales et qui ont été plissées
comme si elles avaient été comprimées latéralement. La
même théorie s'applique à Petit-Cœur où il y a intercala-
tion d'une couche houillère au milieu d’assises liasiques.
Cette explication ingénieuse avait été présentée à la réunion
de la Société géologique de France, tenue à Grenoble
l'année précédente. Mais Favre n’en avait pas eu connais-
sance ; aussi peut-on le considérer comme l’un des premiers
promoteurs d’une idée qui devait finir par triompher.
Pendant cette même année (1841) parurent encore deux
mémoires du professeur FOouRNET, de Lyon, sur la géologie
de la partie des Alpes comprise entre le Valais et l'Oisans
(43). Ce savant ne s'occupe que de considérations géné
rales et indique les systèmes de soulèvement qu’il croit avoir
reconnu dans nos massifs. Il passe ensuite à une description
des roches cristallines qu'il classe en quatre groupes :
roches micacées, roches serpentino-talqueuses ou magné-
siennes, roches porphyriques, roches pyroxéniques.
Quelques années plus tard, le même auteur donna une
suite à ses deux premiers mémoires en publiant une coupe
géologique de Martigny à Evionnaz (57). Il divise son
travail en deux parties dont la première est consacrée à
l'étude des assises rencontrées et la seconde à des considé-
rations théoriques. Il traite, dans celle-ci, un sujet assez
intéressant : celui des modifications produites sur les roches
— 237 —
sédimentaires par le voisinage des roches éruptives. Il
s'occupe non seulement du métamorphisme qui s’est pro-
duit sur une petite échelle, mais encore des modifications
subies par l’ensemble des terrains stratifiés. Comme cer-
taines de ses conclusions étaient un peu prématurées et ne
reposaient pas sur des données scientifiques suffisamment
établies, je ne suivrai pas ce savant dans ses descriptions.
Je me contenterai de signaler ici la découverte à laquelle
son nom restera attaché : celle du Trias dans les Alpes
occidentales. C’est à la suite d'observations faites pendant
l'été de 1842 que, frappé par la ressemblance des grès
d’Allevard avec les grès bigarrés, il les considéra comme
appartenant à ce niveau. Il se basait, en outre, pour ce
classement, sur leur situation au-dessous des calcaires à
bélemnites et communiqua ses idées à ce sujet dans la
séance du 20 janvier 1843 de la Société d'agriculture de
Lyon (46). |
*
* *#
L'année suivante, en août 1844, la Société géologique
de France tenait, à Chambéry, une de ses réunions extra-
ordinaires. De nombreux savants y assistaient et elle fut
des plus brillantes. Les séances furent inaugurées par une
magistrale allocution de Monseigneur Billiet, qui esquissa, à
grands traits, la constitution géologique de la Savoie, telle
qu’on la comprenait alors (51). Les courses dirigées par
le chanoine Chamousset, et auxquelles prirent part un
grand nombre de membres, offrirent un vif intérêt. On fit
des excursions à la cascade de Couz, aux Déserts, au Mont-
du-Chat et un voyage en Tarentaise, afin d'étudier les
schistes cristallins et de visiter le célèbre gisement de Petit-
— 938 —
Cœur. L'interprétation d’Élie de Beaumont fut acceptée par
la plupart des membres présents à la réunion ; Sismonda
répondait à l’un d’eux qui l’interpellait à ce sujet, que « le
terrain houiller et le terrain triasique ne se rencontrent
pas dans les Alpes de Savoie, et que la plus ancienne forma-
tion sédimentaire est la formation jurassique. » La Société
visita ensuite les mines de Macôt et, de retour à Chambéry,
se rendit à Annecy par Rumilly, remonta le Fier, des gorges
de Saint-André à Chavaroche, et revint en étudiant le num-
mulitique d’Entreverne et les Bauges.
De nombreuses communications furent faites à ce congrès.
La grande question des glaciers, qui était alors nouvelle, y
fut traitée dans toute son ampleur. Les principaux savants
qui s’en étaient occupés assistaient à la réunion qui fit, à
ce point de vue, époque dans la science. En fait de travaux
présentés, je citerai une note de Mer RENDU, sur quelques
problèmes relatifs à la chaîne des Alpes (52), une étude
du chanoine CHAMOUSSET, sur les terrains jurassiques: et
néocomiens de la Savoie (49), et un long mémoire de
SCIPION GRAS (50).
Comme ce dernier devait prendre une part active, mais
malheureuse, dans la discussion de l’âge des grès à anthra-
cites, je dirai quelques mots de ses idées sur ce sujet. Le
système anthracifère se divise, selon lui, en deux étages :
l’inférieur est intimément lié au terrain talqueux et n’en est
qu’une modification cristalline. Quant à l'étage supérieur,
il se divise en deux formations comprenant chacune deux
assises. Il n'osa pas se prononcer, tout d’abord, d'une
façon définitive sur l’âge de cet ensemble de couches. Ce
n’est que quelques années plus tard qu'il arriva à la conclu-
sion que le terrain anthracifère, tel qu'il le définit et malgré
la présence d’un certain nombre de coquilles propres au
— 239 —
Lias, appartient au terrain houiller et non à la période juras-
$ique (50). Ne tenant compte que des superpositions et
laissant de côté les données paléontologiques, ce savant
rapportait à une même formation des assises d’âges différents
et n’arrivait ainsi qu’à des conclusions absolument erronées.
La réunion de Chambéry raviva la discussion. Bien que
les géologues qui y assistaient se fussent presque tous ralliés
aux idées d’Élie de Beaumont, ceux qui n’y adhéraient pas
continuërent, avec la même ardeur, une lutte dans laquelle
ils devaient finir par triompher. Dans la séance du 19 avril
1847, de la Société géologique de France, FAVRE communi-
quait de nouvelles preuves confirmant sa manière de voir,
et adressait une note sur les relations qui existent entre
divers terrains des Alpes occidentales (60). IL émit, à ce
sujet, quelques considérations intéressantes, dont la plu-
part ont été confirmées par les recherches ultérieures.
Au-dessus du système de Valorsine, dont la partie supé-
rieure renferme des schistes à empreintes de fougères,
reposent les calcaires du terrain jurassique. Il y a discor-
dance entre ces deux formations. Viennent ensuite les
divers étages de la série crétacée, concordant entre eux et
qui sont surmontés par les calcaires à nummulites. Ces
derniers lui permirent de faire deux observations impor-
tantes : la première, c’est qu'ils contiennent, dans certaines
localités, une couche de charbon assez puissante pour être
exploitée, la seconde, qu’ils sont complètement indépen-
dants des assises crétacées, celles-ci leur étant inférieures. Un
autre niveau avec lequel ils présentent la même indépen-
dance est le Flysch, dans lequel on trouve des débris de
poissons, et qui a également participé aux dislocations
ayant donné aux Alpes leur relief actuel.
Pendant les années qui suivirent, le savant géologue de
— 940 —
Genève publia plusieurs notes fournissant un certain
nombre de données nouvelles. Celles-ci ont été confirmées
par les études récentes. La première a trait à la vallée
de Chamonix (64). L'auteur cherche à démontrer que la
structure de cette partie des Alpes n'est pas aussi anormale
qu'on l’a prétendu, et que les dislocations auxquelles elle a
été soumise n'ont rien d'exceptionnel, si ce n’est leur
grandeur. Il y expose une découverte qui devait avoir une
portée considérable. C'était celle de l’existence d’un lam-
beau de cargneule et de terrain jurassique au sommet de
la plus haute des Aiguilles Rouges. Cette constatation entre-
vue par Dolomieu, comme je l’ai déjà dit, avait une grande
importance ; car elle permettait d'établir que les terrains
anciens avaient été plissés avant le dépôt des assises du
Trias et du Lias. Pour établir ce fait sur des bases indis-
cutables, Favre avait dù faire une ascension périlleuse et
s'assurer ainsi de l'existence de couches qu'il n'avait d'abord
aperçues que de loin. En outre, il y découvrait des fossiles
qui établissent nettement la présence du terrain jurassique.
C'étaient des fragments de bélemnites, d’'ammonites et de
tiges d’encrines. Au-dessous de ce terrain, on observe
des cargneules, des schistes argilo-ferrugineux et des grès
quartzeux. Ces diverses couches sont horizontales, tandis
que les schistes cristallins, qui leur sont inférieurs, sont
verticaux. Les terrains de sédiment semblent se coordonner
ici à la chaine des Aiguilles Rouges et du Brévent, plutôt
qu’à celle du Mont-Blanc. On peut en conclure, écrivait
Favre vingt ans plus tard, dans son grand ouvrage sur
les parties de la Savoie voisines du Mont-Blanc, que « les
roches jurassiques et triasiques formaient une voûte dont
les Aiguilles Rouges étaient le centre et dont les jambages
étaient le Buet d’un côté et les Rafforts de l’autre, voûte
— 92h1 —
qui a probablement été disloquée au moment même de sa
formation ‘. »
Deux autres notes du même auteur sont intitulées : l’une,
Notice sur la vallée du Reposoir en Savoie (68), et l’autre,
Essai sur la géologie des montagnes placées entre la chaîne
du Mont-Blanc et le lac de Genève (67). Dans la première,
il signale une disposition stratigraphique anormale que
présente la vallée du Reposoir, où l’on voit le calcaire juras-
sique surmonter le terrain nummulitique. Ce fait n’est pas
isolé et ces renversements sont fréquents : STUDER, dans
l'Oberland Bernois, ESCHER, dans le canton de Glaris, en
ont donné des exemples. J’ajouterai que, depuis lors, des
coupes analogues ont été observées bien souvent dans
les régions qui ont subi des dislocations plus ou moins
importantes.
Dans la seconde note, Favre publie trois coupes perpen-
diculaires à la chaîne des Alpes et donne quelques expli-
cations à leur sujet. Il insiste sur les différences que pré-
sentent les terrains situés sur la rive droite et sur la rive
gauche de l'Arc et étudie la structure en éventail de Ja
chaîne du Mont-Blanc. Il avait nettement saisi, dès cette
époque, les principaux traits de cetle disposition stratigra-
phique, et le renversement des schistes cristallins des flancs
de la chaine sur les terrains secondaires de la vallée de
Chamonix.
%
*k *
L’année 1848 fut signalée par une découverte assez inté-
ressante de SISMoNDA. Il avait trouvé, dans le Lias du col
des Encombres, de nombreux fossiles dont il donna la liste
1 Recherches géologiques, tome IT, page 326.
IVe SÉRIE. — TOME IV. | 16
| [ail
— 242 —
dans une lettre adressée à Elie de Beaumont et communi-
quée à la Société géologique de France (62). Comme,
par suite du renversement des couches, les assises qui les
renferment paraissent inférieures aux grès à anthracite, le
géologue de Turin concluait à l'alternance des schistes à
bélemnites et des couches à fougères, et à leur attribution à
un seul système.
Cettte même année paraissait un Méinoire de R.-J. Mur-
CHISON (63). Cet illustre géologue y complète l'étude qu’il
avait publiée avec Sedgwick, en 1832, sur les Alpes orien-
tales ; il étend ses recherches à la chaîne des Alpes de la
Suisse et de la Savoie.
Dans les Alpes orientales, on trouve des dépôts des
époques siluriennes, dévoniennes et carbonifères que l'on
reconnaît à la présence des êtres organisés. Dans les Alpes
occidentales, au contraire, les dépôts primaires et triasiques
manquent absolument, ou, s'ils ont jamais existé, ils ont été
complètement altérés par le métamorphisme. On doit ad-
mettre avec Élie de Beaumont, conclut-il, qu’en Tarentaise
les plantes houillères sont réellement placées dans les
mêmes assises que les bélemanites du Lias.
L'auteur aborde ensuite l’étude des terrains secondaires
et tertiaires, qui se développent principalement dans des
régions sortant du cadre de mon travail. Je ne le suivrai
pas dans ses descriptions et je me bornerai à dire qu’il
reconnut, avec M. Louis Pillet, la Craie à Thônes'. Sa
présence leur y fut démontrée par la découverte d’un
1 La Craie blanche ou Sénonien avait été reconnue, pour la
première fois, à Entremont, le 24 juillet 1845 par MM. François
Dumont, Chamousset et Pillet. Ce fait, nouveau pour la science,
fut communiqué à la Société d'histoire naturelle de Savoie par M.
L. Pillet ; le procès-verbal de la réunion parut dans le Courrier
des Alpes des 12 ot 14 août de la mème année.
| — 2443 —
Inoceramus Cuvieri. De plus, ce savant fut le premier à
rapporter à l’Eocène le terrain nummulitique et se base,
pour ce classement, sur la distribution des fossiles.
Dans le courant de l’année suivante (1849), DELESSE
communiqua plusieurs notes sur les roches du Mont-Blanc
(70, 71). Il étudie, dans l’une d'elles, la protogine qu’il con-
sidère comme une roche granitoïde bien caractérisée et
dont les éléments principaux, selon lui, sont le quartz, deux
feldspaths, un mica riche en fer et une variété de tale.
Nous verrons que le minéral que cet auteur prenait pour
du talc n’est autre chose que du mica altéré. Il reconnut
toutefois un fait d'une certaine importance et que les travaux
récents ont confirmé : c’est que l’élément micacé diminue
progressivement des bords vers le centre du massif, et
que c’est dans le voisinage du contact de la protogine avec
les schistes que cette roche est riche en mica.
*
*X *
Trois ans après, un nouveau géologue prenait part à la
discussion du terrain houiller et se ralliait aux vues d’Élie
de Beaumont, qu’il devait pourtant abandonner peu après.
C'était M. GABRIEL DE MorTILLET qui, le 7 août 1852 (83),
annonçait que les bélemnites des couches inférieures de
Petit-Cœur étaient différentes de celles des assises supé-
rieures. En outre, il avançait un fait qu’il devait rectifier
ensuite : c'est qu'on aurait trouvé dans le même banc une
bélemnite et une empreinte de plantes: Dans un Mémoire,
communiqué l’année suivante (1853) à l'Institut genevois,
il affirmait encore qu'il est incontestable, pour lui, que
dans les Alpes la flore houillère se trouve mêlée à la faune
liasique.
— 9k4 —
En 1854, dans une lecture faite à l’Académie de Savoié
(88), notre savant confrère, M. L. PILLET, attribue au
Lias toutes les couches où ont été recueillies, dans les
Alpes, des ammonites et des bélemnites. Il cherche le
premier à y retrouver les divisions classiques établies par
D’Orbigny. Des bords de l'Isère, près de Montmélian,
jusqu’à Presles, au-delà de La Rochette, on trouve des
assises qui peuvent être rapportées au Lias supérieur (Toar-
cien). Les couches des environs de La Chambre, de Saint-
Colomban-des-Villards et du col des Encombres appartien-
nent au Lias moyen (Liasien), enfin, à Petit-Cœur, une
ammonite du Lias inférieur (Sinémurien) a été trouvée par
M. Thabuis, pharmacien à Moûtiers. L’auteur conclut, et
avec raison, que les trois étages du Lias sont représentés
chez nous, bien qu’on ne puisse encore en déterminer
exactement les limites. Il ne se prononce pas sur l’âge des
assises à plantes houillères et se propose de nouvelles
recherches pour arriver à la solution de ce difficile pro-
blème.
Parmi les nombreux travaux qui parurent en 1855, nous
devons citer plusieurs notes de M. DE MorTiLceT (91 à 94),
qui servirent de préface à la publication de son ouvrage
intitulé : Géologie et Minéralogie de la Savoie. Celui-ci fut
publié, en 1858, dans le tome IV des annales de la Chambre
d'agriculture et de commerce de Chambéry (108). L'auteur
décrit les divers terrains qui s’observent dans nos deux
départements ; il donne des indications sur la distribution
des minerais utiles, leur gisement, leur puissance, ainsi
que des documents sur les carrières, mines et usines. Ce
travail est un résumé des connaissances géologiques de
cette époque et renferme peu d'observations nouvelles. Je
ne l’éludierai que sommairement.
D
— 245 —
Un des premiers chapitres est consacré aux schistes
cristallins ; M. DE MonTiLer étudie successivement les
divers massifs qui en sont constitués : massif des Aiguilles
Rouges et du Brévent, massif du Mont-Blanc, massif de
Beaufort et Maurienne, massif d’Olle et du Rocherai.
Le massif des Aiguilles Rouges et du Brévent consiste en
roches cristallines et en roches éruptives. Les premières
sont le plus souvent graniloïdes à la base et éminemment
micacées à la partie supérieure ; quant aux secondes, ce
sont des éclogites, des serpentines, des pegmaliles et, près
de Valorsine, des granites. Le Mont-Blanc a ses contreforts
formés de talcschistes, tandis que tout le massif des Aiguilles,
dont la mer de glace et les glaciers aboutissants forment le
centre, est constitué par de la protogine. Au-delà du glacier
des Bossons et dans la direction Nord-Sud, les schistes
cristallins présentent la modification de renfermer beaucoup
d’amphibole.
Le massif de Beaufort et Maurienne peut s’étudier dans
la coupure du Doron de Beaufort, de la vallée de l’Isère et
dela vallée de l'Arc. Il consiste surtout en talcschistes passant
à des micaschistes, à des gneiss et, en certains points, à
des protogines qui se trouvent ordinairement dans le centre
des massifs.
Le massif d’Olle et du Rocheraï, qui se continue dans
l'Oisans sous le nom de massif des Rousses, est également
composé de schistes talqueux et de protogine. Il renferme,
dans quelques localités, de nombreux gisements de minerais.
Relativement aux terrains anthracifères, l’auteur, sous
l'influence des idées qui commençaient à prévaloir, modifia
‘ses premières conclusions et classa dans le système carbo-
nifère les poudingues, les grès et les schistes, avec interca-
lations d’anthracite et empreintes végétales. Par contre, il
— 246 —
rapporta au Lias les diverses assises renfermant des débris
d'animaux marins, bélemnites et ammonites. Il plaça
encore dans cet étage des cargneules, gypses et argiles
bariolées qui, plus tard, furent définitivement reconnues
comme appartenant au système triasique.
La seconde partie de l'ouvrage comprend la description
des terrains situés dans les chaines calcaires. Nous n’y
trouvons pas non plus de faits intéressants qui n'aient
déjà été établis par les recherches antérieures de divers
auteurs.
En 1858, nous avons encore à signaler un travail d’AL-
PHONSE FAVRE, qui devait donner une vive impulsion à
l'étude de nos Alpes et aider puissamment à la détermina-
tion de l’âge des grès anthracifères. Ce Mémoire sur les
terrains liasiques et keupériens de la Savoie fut communi-
qué, le 45 avril, à la Société des sciences physiques et
naturelles de Genève (110). Le but que s'était proposé
l’auteur était d’arriver, par des recherches détaillées se
reliant à un plan d'ensemble, à rapporter à des lois connues
et immuables les phénomènes qui ont déterminé la dispo-
sition anormale des couches.
La première partie du Mémoire comprend six monogra-
phies avec coupes géologiques de localités de la Haute-
Savoie : Meiïllerie, les rochers du bord de la Dranse, le
Grammont, le Môle, Matringe et Tanninge. On y voit net-
tement la superposition de couches du Lias et de celles de
l'Infra-lias (couches de Koëssen) à des cargneules, des gyp-
ses, des schistes argilo-ferrugineux et à des arkoses. Favre
rapporie avec raison ces dernières assises au Trias ; cet
— 9h17 —
âge lui parait démontré pour toute couche de cargneules ou
de gypses qui se trouve associée au Jurassique inférieur.
Dans la seconde partie, le professeur de Genève décrit la
composition et les affleurements du terrain triasique dans
les chaînes extérieures du Chablais et du Faucigny, et dans
l'intérieur des Alpes. Les localités étudiées présentent
partout des assises qui se succèdent dans le même ordre.
Il suffira de citer une coupe pour les connaître toutes. Aux
Frêtes de Moïde, par exemple, on observe, de haut en bas,
la série suivante : 4° terrain jurassique formé de calcaires
et de schistes argilo-calcaires à bélemnites ; 2° terrain
triasique composé de cargneules et calcaires blanchâtres,
de schistes argilo-ferrugineux et de grès arkoses ; 3° terrain
anthracifère consistant en schistes argileux à empreintes
de fougères et en grès avec gros rognons et veines de quartz;
&o roches cristallines.
Notre auteur étudie également la célébre localité de
Petit-Cœur ; il en figure la coupe qu’il explique par un pli
convexe des couches. Il parle aussi du col des Encombres
où la série est conforme à toutes celles de la région, mais
dont les assises sont renversées. En résumé, conclut-il, les
gypses et cargneules des Alpes, étant placés au-dessous de
l'infra-lias et au-dessus du terrain houiller, occupent la
position qai est assignée au terrain triasique. Il est par
conséquent naturel de les regarder comme les représen-
tants, dans notre contrée, des couches de cet âge.
%k
*% *X
Pendant que le travail de Favre paraissait à Genève et
était universellement apprécié, le savant professeur de
Grenoble, CHARLES Lory, publiait la carte géologique du
— 248 —
Dauphiné. Il y distingue les grès à anthracite probable-
ment houillers et les grès du Briançonnais d'âge encore
incertain, mais paraissant liés à des calcaires jurassiques.
L'année suivante (1859), il communiquait à la Société
géologique de France une note sur Petit-Cœur (119) ;
c'est son premier travail ayant trait, d’une façon spéciale,
aux Alpes de Savoie. Il adopte l’idée théorique d’un plis-
sement ; il explique la disposition des couches par l’inter-
calation d’une petite assise de Lias inférieur entre deux
couches de grès à anthracites. Ces grès seraient repliés en
forme de V très aigu et un lambeau d’assises liasiques serait
ainsi pincé dans leur repli. Quant aux schistes argilo-cal-
caires qui sont au-dessus, ils appartiennent à un étage
plus élevé du Lias et se trouvent en contact, par faille, avec
la face inférieure de la deuxième masse de grès.
Cette explication consiste à admettre qu’il y a, à Petit-
Cœur, une faille dont l’un des bords est formé par le Lias
moyen, l’autre par le terrain primitif que recouvrent des grès
houillers et une mince assise de Lias inférieur.
Toujours en 1859 et sur l’invitation expresse d’Élie de
Beaumont, Lory étudia le massif des Aiguilles d’Arves. Il en
donna une coupe allant de Saint-Jean-d'Arves à Bonnenuit
(114). IL arrive à la conclusion que les poudingues et les
grès de ce massif sont certainement supérieurs et posté-
rieurs au Lias. Ils n’ont que très peu de ressemblance avec
les grès à anthracites caractérisés par une flore houillère.
L’argument tiré par Élie de Beaumont de ces grès des
Aiguilles d’Arves ne saurait intervenir dans la discussion,
bien que leur classification ne puisse se préciser avec cer-
titude.
Toutelois, leur âge ne devait pas rester longtemps pro-
blématique ; car, cette même année, notre confrère M. Louis
— 249 —
Pier faisait une découverte de la plus haute importance.
Il trouvait des nummulites au-dessous de Montricher, près
de Saint-Julien en Maurienne, et dans des assises qui étaient
la continuation de celles des Aiguilles d’Arves. En annon-
çant cette découverte à la Société géologique de France
(115), Lory établissait les conséquences qui en résultent
pour la stratigraphie de la région. Les grès à anthracite
de la Maurienne, expose-t-il, ne sont pas plus en super-
position régulière sur le Lias des Encombres que celui-ci
sur les couches à nummulites. La régularité de la succes-
sion des assises, entre Saint-Jean et Saint-Michel, ne peut
plus être soutenue. Il faut de toute nécessité admettre des
plissements et des renversements de couches. En Mau-
rienne, rien ne s'oppose à la classification des terrains
d’après les lois de la paléontologie.
Les nummulites de Montricher trouvées par M. Pillet
donnaient donc la solution d’une question qui divisait les
géologues depuis plus de trente ans. Elles étaient une
preuve convaincante des illusions sans nombre auxquelles
peuvent donner lieu des études purement stratigraphiques.
L'âge des grès à anthracite et des schistes argilo-cal-
caires à bélemnites étant ainsi définitivement fixé, Lory
présentait à la Société géologique de France, le 7 mai
4860, une nouvelle note sur le gisement des nummulites
(116). Il établissait que la coupe de la Maurienne, entre
Saint-Jean et Saint-Michel, présente un ensemble de
terrains repliés et refermés sur eux-mêmes.
Au mois de septembre de la même année, il entreprenait
l'étude de la constitution de la Haute-Maurienne et des
massifs de la frontière italienne. Il en communiqua les
résultats en novembre, reconnut en succession régulière
des grès quartzeux, des calcaires dolomitiques, remarquable-
— 250 —
ment développés près du fort de l’Esseillon, et un im-
mense étage de Schistes lustrés, dans lesquels sont inter-
calés, à divers niveaux, de puissants amas de gypses. Sur
ces schistes reposent, au mont Genèvre, des calcaires
compactes que le professeur de Grenoble appelle calcaires
du Briançonnais et qu'il rapporte au Lias. Quant aux quart-
zites, dolomies et schistes lustrés, il les considère comme
des représentants des divers étages du Trias. Il figure, à
l'appui de ses conclusions, la structure des terrains par une
coupe générale menée d’Allevard à Suse.
La communication de Lory à la Société géologique de
France fut suivie de la lecture d’une note de Favre sur le
même sujet. Ce savant avait voulu, lui aussi, constater la
présence des nummulites à Montricher. Il cherche
à préciser les faits qui l’avaient porté à admettre le
renversement du col des Encombres. Il reconnut une dis-
position stratigraphique mal interprétée par ses prédéces-
seurs. Je veux parler des allures du terrain houiller entre
Saint-Michel et Modane. Sismonda et Lory y voyaient un
pli synclinal, tandis que le géologue de Genève reconnut
que les couches présentent la même disposition dans le
haut et dans le bas de la montagne, et qu'elles offrent la
structure en éventail. Près de Saint-Michel, on les voit en
effet se relever à l’ouest, tandis qu'elles sont voisines de
la verticale à Orelle, et qu’elles se relèvent ensuite à l’est
aux environs de Modane.
L'année même (1860) où paraissaient les notes de Favre
et de Lory, M. L. PILLET publiait un Mémoire du plus vif
intérêt sur les Alpes de la Maurienne (126). Il prenait
nettement parti dans la discussion des grès à anthracite et
posait la question sur son véritable terrain. Est-ce qu'il y a
dans les Alpes, se demande t-il, dérogation aux lois de la
_ 2H —
paléontologie ou bien renversement stratigraphique ? Il
adopte sans hésiter la seconde de ces deux interprétations
et consacre la plus grande partie de son travail à fournir
des preuves de sa manière de voir.
Il décrit successivement la série des formations géologi-
ques qui se trouvent entre La Chambre et Modane. Près de
la première de ces deux localités, on voit le Lias redressé
verticalement et resserré entre deux arêtes cristallines.
À Saint-Jean de Maurienne, on rencontre une succession
de schistes, de gypses, de grès et de calcaires s'appuyant
sur un gradin de roches cristallines et paraissant s’enion-
cer sous les grès anthracifères. (Ils sont, en réalité, repliés
plusieurs fois sur eux-mêmes.) Les nummulites, décou-
vertes le 20 août 1859 par notre confrère dans des cou-
ches qui s’enfoncent sous le Lias, lèvent tous les doutes à
cet égard. La situation des assises qui renferment ces fos-
siles ne peut s’expliquer que par un pli synclinal jurassique,
dans l’intérieur duquel repose un lambeau de terrain num-
mulitique. On retrouve ensuite, à l’est des grès tertiaires et
en sens inverse, les couches de Saint-Jean de Maurienne à
Villarclément, et celles-ci sont, à leur tour, recouvertes en
stratification renversée par les assises anthracifères qui ne
peuvent être plus récentes que le Lias, comme le pensaient
Élie de Beaumont et Sismonda. Elles appartiennent au
terrain houiller dont elles renferment les espèces caracté-
ristiques et présentent un développement considérable entre
Saint-Michel et Modane. Au-delà de ce bourg, les grès
houillers sont recouverts par des quartzites qui forment un
escarpement vertical entre lui et l’entrée du tunnel. Ils
coupent obliquement la vallée et se continuent sur l’autre
rive de l'Arc jusqu’au fort de l’Esseillon. Sur ces quartzites
passent des calcaires compactes, dans lesquels, près du fort,
MM. Pillet et de Vignet ont découvert des fossiles, au mois
d'août 4858 ; mais malheureusement ceux-ci sont assez mal
conservés et spécifiquement indéterminables. L’assise fossi-
lifère est recouverte par des couches énormes de gypse et
de calcaire. Cet ensemble paraît devoir représenter le Trias,
ce qui a été confirmé par les recherches ultérieures.
Après avoir ainsi décrit les assises rencontrées de La
Chambre à Modane, l’auteur signale les modifications qui
devront être apportées à la carte géologique de France
d'Élie de Beaumont et Dufrénoy, publiée en 1840. Ces
savants avaient figuré comme Jurassique métamorphique
toute une série de couches qu’on ne peut plus se refuser à
rapporter au terrain houiller. |
%k
* *X
La solution de l’âge des grès à anthracite venait ainsi
d’être résolue par les derniers travaux de MM. Favre, Lory
et Pillet. L’attention de tous les savants ramenée sur nos
Alpes engagea la Société géologique de France à tenir, à
Saint-Jean de Maurienne, sa session extraordinaire annuelle.
Elle s’y réunit le 4er septembre 1861, y reçut un accueil
des plus empressés et cette réunion fut des plus fécondes
en résultats utiles. Il y fut démontré avec la dernière évi-
dence que les assises à empreintes végétales appartiennent
au terrain houiller, et les membres présents à la réunion
purent faire, près de Montricher, une ample récolte de
nummulites.
Les excursions furent savamment dirigées par MM. Pillet,
Lory et Vallet, qui eurent la satisfaction de voir la plupart
de leurs recherches s’y confirmer pleinement. De plus,
l'abbé Vallet venait d'élucider exactement la structure si
…— 253 —
compliquée du Perron des Encombres et avait fait, au Pas-
du-Roc, près Saint-Michel, une découverte importante.
C'était celle des fossiles de la zone à avicula contorta. Cette
constatation permettait de classer définitivement dans le
Trias les gypses de la basse Maurienne. Elle donnait une
précision presque mathématique au tracé du profil géolo-
gique s'étendant de Saint-Jean à Saint-Michel. En outre, elle
démontrait rigoureusement les nombreux plis qui avaient
rendu, pendant si longtemps, cette coupe indéchiffrable.
La Société visita, dans la Haute-Maurienne, les environs
de Modane et se rendit à Bardonnèche, par le col de la
Roue. Elle admit sans conteste l’âge des gypses et des
calcaires magnésiens à cristaux d’albite. Mais des réserves
furent faites au sujet des schistes lustrés que Lory rappor-
tait à la partie supérieure du Trias, et sur l’âge exact des-
quels nous ne sommes pas encore aujourd'hui absolument
fixés. |
Les communications faites en séance furent peu nom-
breuses. Je ne citerai qu'une note de l'abbé VALLET, sur les
couches infra-liasiques (122). Ce géologue signalait deux
localités : la montagne de Châtillon et la montagne de
Sullens, où ces couches aîfleurent et dans lesquelles les
fossiles sont relativement abondants
Avec la réunion de Saint-Jean de Maurienne finit l’his-
toire du terrain houiller. STUDER, qui avait publié sur les
couches en forme de C, dans les Alpes, un travail dans
lequel il démontrait qu’en découvrant les contournements
on résoudrait les difficultés paléontologiques (127), résuma
les observations faites par la Société. Il conclut qu'elles
_ mettent hors de doute la réalité des renversements, des
replis de terrains sur eux-mêmes et prouvent la parfaite
concordance de la paléontologie et de la stratigraphie.
III
1862 - 1889
Il avait fallu plus de trente ans pour faire admettre dans
nos montagnes la présence du terrain houiller que Bakewel
avait reconnu, en 1823, lors de la publication de ses
voyages en Tarentaise. Dans les deux camps avaient cepen-
dant paru de remarquables travaux et les grands traits de
la géologie de la Savoie étaient maintenant tracés. On n’était
plus en droit de répéter la célèbre phrase de Saussure que
« rien n’est constant dans les Alpes, si ce n'est leur
variété. »
Deux cartes géologiques, résumant les recherches faites
aux deux points de vue, parurent dans l’année qui suivit
la réunion de Saint-Jean de Maurienne. La première, due
à SISMONDA, est celle du Piémont, de la Savoie et de la
Ligurie (434). Le terrain houiller et le terrain triasique n’y
sont point figurés. La classification adoptée est celle qui
résulte des travaux que j'ai analysés. La seconde, tracée
par ALPHONSE FAVRE, est la carte des parties de la Savoie,
du Piémont et de la Suisse, voisines du Mont-Blanc (138).
Celle-ci fut présentée à la Société helvétique des sciences
naturelles réunie à Lucerne, en septembre 1862. Peu après,
l’auteur publiait, à ce sujet, une note explicative dans les
Archives des Sciences physiques et naturelles de Genève
(139). |
Cette carte est à l'échelle de 1/150.000 et comprend la
région délimitée par une ligne passant par Genève, Annecy,
Moütiers, le Petit-Saint-Bernard, Martigny et la côte méri-
— 259 —
dionale du Léman. Dix-huit terrains y sont figurés et les
formations triasiques et houillères nettement délimitées.
Le Trias consiste en un ensemble de couches inférieures à
celles de la zone à avicula contorta et supérieures au terrain
houïller. Quant à celui-ci, il est constitué par des poudin-
gues plus ou moins grossiers et par des schistes argileux à
anthracite et à empreintes de plantes. En certains points,
comme aux environs d’Aime, il est surtout formé de grès
micacés.
Les plantes recueillies à ce niveau, dans les divers gise-
ments, datent bien de l’époque carbonifère ; car l’année
suivante (1863), le professeur OswaLo HEER, de Zurich,
publia une notice sur ce sujet (142). Il examine les végé-
taux provenant de Valorsine, des Posettes, de la montagne
du Fer, de Colombe et de Tanninge. Les espèces étudiées
sont au nombre de soixante, dont quatorze sont nouvelles ;
les autres appartiennent toutes à la flore houillère de l’Eu-
rope.
Quelques mois après la publication de la notice de Heer,
un iravail de l’abbé SroppaANI paraissait également dans les
Archives de Genève (144). Ce travail avait pour objet l’étude
des couches à avicula contorta et faisait partie de l'ouvrage
qui parut plus tard sous le titre de Paléontologie lombarde.
L'auteur étudie minutieusement les nombreux fossiles que
l'étage de l’Infra-lias renferme en Lombardie et les compare
à ceux que l’on trouve dans les divers gisements alpins.
Le premier chapitre est consacré à un aperçu général de
la géologie du revers nord-ouest des Alpes comparé à celui
de l'Italie. Le second a pour objet l'étude de l’Infra-lias sur
le versant ouest. Le savant paléontologiste développe dans
le troisième les conclusions qui découlent de ses recher-
ches, En partant du Lias, dit-il, la série descendante est la
— 256 —
même sur les deux flancs de la chaîne. L’Infra-lias, en par-
ticulier, y présente des caractères identiques aux points de
vue paléontologique et stratigraphique. On peut l’y diviser,
dans les deux régions, en Infra-lias supérieur à faune het-
tangienne et en Infra-lias inférieur à avicula contorla.
L’inférieur s'y subdivise à son tour en deux assises, l’une
calcaréo-marneuse à Terebratula gregaria, l’autre schisto-
argileuse à Bactryllium.
%
X *
Les années qui suivirent la réunion de la Société géolo-
gique en Maurienne furent consacrées par Lory à l'étude
des massifs du Briançonnais et du département de l'Isère.
Les deux premières parties de sa Description géologique du
Dauphiné, ouvrage remarquable à tous égards, avaient paru
en 1860 et en 1861, et il la terminait en rectifiant quelques
données dont il n’avait pas la clé au moment de sa publi-
cation.
En 1863, il entreprenait, avec l'abbé VALLET, des explo-
rations en Tarentaise et publiait, l’année suivante, une
nouvelle note sur Petit-Cœur (148). Les couches, d’après
lui, y sont en relation avec deux failles : l’une locale, dans
le ravin même, et l’autre, plus importante, qui traverse
toute la Savoie. L’enchevêtrement des assises résulte du
glissement du paquet supérieur des schistes houillers sur
les schistes à bélemnites du Lias inférieur. Ce glissement
s’est opéré de préférence suivant le plan de séparation facile
déterminé par une couche charbonneuse.
Deux ans après (1866), le savant professeur de Grenoble
présentait une carte géologique de la Maurienne et de la
Tarentaise faite en collaboration avec l’abbé Vallet (156).
— 257 —
Les roches stratifiées non cristallines qui y sont figarées
appartiennent au Houiller, au Trias, au Lias et au Num-
mulitique. À cette occasion, il donnait lecture d’une note
sur la structure générale de la partie des Alpes comprise
entre le Mont-Blanc et le Mont-Viso.
Suivant nos deux auteurs, cette région peut être divisée,
dans le sens de la direction des chaînes, en quatre zones
que séparent de grandes failles. La première,vu zone du
Mont-Blanc, est limitée à l’est par une faille qu'ils appellent
faïlle de Saint-Jean de Maurienne et qui, au nord, se suit
jusque dans le Haut-Valais. Le Lias et le Trias y sont en
stratification discordante avec les schistes cristallins et le
terrain houiller. Il y à donc eu, dans cette région, redresse-
ment du sol avant l’époque triasique.
La seconde zone est limitée, à l’ouest, par la faille de
Saint-Jean de Maurienne et, à l’est, par celle de Saint-
Michel. Elle présente, en Tarentaise et dans le Valais, un
développement considérable du Trias à l’état de schistes
lustrés. Au sud de Moûtiers, on y rencontre des dépôts
nummulitiques bordés par des failles orientées comme celle
qui limite la région. |
La troisième zone, située entre les failles de Saint-Michel
et de Modane, est constituée presque entièrement par des
grès à anthracite. Quant à la quatrième, ou zone du Mont-
Rose, elle est surtout formée par des schistes lustrés que
Lory rapportait au Trias supérieur comme ceux du nord de
la troisième zone. Les grandes failles qui limitent ces zones
ont joué, selon lui, un rôle prédominant dans la structure
des Alpes occidentales. Les redressements et replis des
couches leur sont conséculifs et toujours subordonnés.
En 1867, une nouvelle carte, due à MM. Lory, PILLET et
VALLET, était présentée à la Société géologique de France.
IVe SÉRIE, — ToME IV. ‘47
— 9258 —
C'était celle du département de la Savoie et elle était accom-
pagnée d’une note de Lory, dans laquelle ce savant faisait
ressortir les principaux résultats qui y sont consignés.
On peut reconnaitre, dans notre département, trois
régions distinctes : la région jurassienne, la région des
chaînes calcaires ou subalpines et la région alpine.
La région jurassienne comprend les chaines situées à
l'ouest de Chambéry et celles qui encaissent le lac du
Bourget. On y distingue principalement le Jurassique moyen
et supérieur que termine une formation d’eau douce
appelée Purbeck. Sur celles-ci reposent les assises néoco-
miennes. | |
La région des chaînes subalpines comprend, en Savoie,
le massif des Bauges. Elle est remarquable par le dévelop-
pement que présente le terrain néocomien. Au-dessus,
viennent le Gault, le Sénonien et le Nummulitique.
La région des chaînes alpines comprend la Maurienne, la
Tarentaise et les cantons d’Albertville, d'Ugines et de Beau-
fort. Les terrains qu'on y rencontre sont les schistes cris-
tallins qui se trouvent dans la zone du Mont-Blanc et du
Mont-Rose, le Houiller ‘représenté par les grès à anthracite,
le Trias subdivisé en trois étages : quartzites, calcaires
magnésiens, schistes lustrés avec amas de cargneules et de
gypses, et enfin le Lias qui présente un développement
considérable. On trouve, en outre, en Maurienne une bande
de terrain nummulitique. Elle présente une plus grande
extension que ne le pensait Lory, ets’est déposée, dans une
dépression devant communiquer vers le sud, avec le bassin
méditerranéen.
Cette carte donne une idée suffisamment exacte des traits
principaux de la géologie dé notre département. Les ter-
rains y sont représentés par trente-deux teintes, dont plu-
— 959 —
sieurs se rapportent à des divisions nouvelles. IL faut avoir
parcouru nos montagnes pour se rendre compte de la diffi-
culté des recherches que les auteurs ont dû poursuivre
pour arriver à de semblables résultats, lorsque tout était à
faire dans cette voie. Nous les en louerons vivement pour
avoir su, dans un temps relativement court, mener une
pareille œuvre à bonne fin.
%
+ *
Les études de FAVRE, résumées précédemment, nous
ont fait connaitre la plupart de ses découvertes dans la
région qui fait l'objet de son grand ouvrage intitulé :
Recherches géologiques dans les parties de la Savoie, du
Piémont et de la Suisse, voisines du Mont-Blanc (160). Cet
ouvrage, publié en 1866, est remarquable et, comme l’a dit
Studer, fait honneur (168) tout à la fois, à son auteur, à
Genève et à la Suisse. Il mérite donc que nous l’analysions
spécialement et que nous en dessinions à grands traits les
lignes principales.
L'auteur débute par la description des terrains des envi-
rons immédiats de Genève qu'il appelle terrains de la plaine
et qui sont constitués par les formations quaternaires et
tertiaires. 1l distingue dans le Quaternaire : des alluvions
modernes, des alluvions des terrasses, des alluvions gla-
ciaires et des alluvions anciennes.
Le Salève est la montagne qu'il décrit la première en
utilisant un Mémoire qu'il avait fait paraître en 1843, mais
en y apportant de nombreuses modifications. Il fait suivre
cette étude d’un important travail de M. de Loriol sur les
fossiles du Portlandien, du Valangien et de l’Urgonien.
Après le mont Salève, il s'occupe des massifs suivants :
— 260 —
les Bornes, les Voirons, le Môle et la pointe d’Orchex, le
Chablais qui lui donne, dit-il, peu de satisfaction, les Vergy
et la Tournette, les Fiz, les Avoudrus et la dent du Midi, le
Brévent, les Aiguilles Rouges et le Mont-Blanc. Il arrive
ensuite aux massifs de Mégève et d'Hauteluce, du Grand-
Mont, du mont Jovet, de la Maurienne et des deux Saint-
Bernard. Huit chapitres sont consacrés à étudier, dans un
ordre géologique, les terrains examinés dans les diverses
parties de l’ouvrage.
Je ne puis suivre l’auteur dans toutes ses descriptions.
Je me contenterai de résumer ses recherches dans le massif
du Mont-Blanc. C'est d’ailleurs la partie la plus importante
de son travail ; car elle tient à elle seule près d’un tiers de
l'ouvrage.
Il commence son étude, en arrivant à Chamonix, par la
route de Servoz, et en remontant la vallée au milieu des
débris erratiques qui s’y sont accumulés à diverses époques.
Il décrit la course du Montanvert, traverse la mer de glace
pour aller examiner, sur la route du Chapeau, les calcaires
jurassiques qui plongent sous le Trias et les schistes cristal-
Hins. Il continue à suivre le revers nord du Mont-Blanc,
pour examiner le massif des Posettes, remarquable par le
développement du terrain houiller, la Forclaz et la monta-
gne de l’Arpille. Des observations sur la vallée de Montjoie
le conduisent jusqu'à Trélatête, à la Roselette, au col du
Bonhomme et au col de la Sausse. Il franchit le Bonhomme
pour arriver au col des Fours et à celui de Ja Seigne; décrit
l’Allée-Blanche, le Val Véni, le mont Fréty, le col du Géant
et les environs de Courmayeur. Il complète enfin le tour
du Mont-Blanc en poursuivant ses observations dans le Val
d’Entrèves, le Val Ferret et la chaîne du Mont-Chemnin.
Que reconnaît-on dans ce massif ? On y voit une masse
DO
— 261 —
énorme de protogine qui forme la plus grande partie du
Mont-Blanc. Elle présente la structure en éventail. Cette
Structure, que D. Sharpe considérait comme produite par
le clivage des roches cristallines (100), avait reçu une autre
explication de Favre. D’après une note qui parut en 1865
(152), il la considérait, avec Lory, comme occasionnée par
un refoulement latéral énergique. Ce refoulement produisit
la formation d’une voûte qui se rompit dans le haut et dont
les couches inférieures furent, par suite, plus énergique-
ment pressées que les couches supérieures.
La protogine est accompagnée, dans le massif du Mont-
Blanc, de roches qu’on désigne sous le nom générique de
schistes cristallins. La présence du terrain houiller n’y a
pas été constatée d’une manière positive. Ce fait est d'autant
plus remarquable que cette formation est très développée
dans le massif des Posettes. Le poudingue de Valorsine s’y
trouve en grandes masses ; on y rencontre aussi des ardoi-
ses à empreintes végétales.
Le terrain triasique se montre dans un grand nombre de
localités. Le Jurassique entoure le massif en s'appuyant sur
le Trias dans tous les points où il n’y a pas renversement.
Ces deux terrains formaient un vaste manteau qui recou-
vrait, avant l’exhaussement du Mont-Blanc, l'emplacement
que cetle montagne occupe aujourd’hui.
Les allures de la formation jurassique, autour de la
grande chaine, méritent que nous en disions quelques mots.
Elle incline sous les schistes primitifs, sur la plus grande
partie du pourtour du Mont-Blanc, tandis qu’elle est repliée
. en forme d’auge au-dessous des vallées qui longent le mas-
sif. Au-delà, elle constitue, avec des roches d’un autre âge,
des montagnes dont les couches sont régulièrement redres-
sées contre la chaine centrale.
— 262 —
L'auteur termine par la description des environs de
Beaufort et quelques observations assez exactes sur la
Tarentaise et la Maurienne. Une revue générale de tous les
terrains sert de résumé à cet ouvrage dont le mérite a été
reconnu par tous ceux qui se sont occupés de géologie
alpine.
*
* *
De 1867 à 1870, aucun autre travail ne mérite de fixer
notre attention. À cette dernière date, parurent quelques
notes relatives au tunnel des Alpes occidentales. Elles
avaient été précédées, en 1863, d’un rapport de M. CONTE,
publié dans les Annales des Ponts et Chaussées (146). Ce
rapport contient une coupe suivant l’axe du tunnel, un plan
minéralogique et une note sur la nature des terrains de
cette partie des Alpes, travail dû à M. LACHAT, alors ingé-
nieur des mines à Chambéry (147).
D’après lui, les diverses assises qui seront rencontrées
sont, en remontant la série et en suivant l'ordre de super-
position apparente : À° le terrain des calcschistes ; % Île
terrain des calcaires massifs ; 3° le terrain des quartziles ;
Lo le terrain à anthracite.
Le terrain des calcschistes occupe toute la vallée de
Bardonnèche jusqu'au col de l’Arionda, c’est-à-dire le ver-
sant italien de la montagne à traverser et la partie supérieure
du versant français.
Le terrain des calcaires massifs longe notre versant du
col de la Roue au fort de l’Esseillon. Par métamorphisme,
d'après l’auteur, les calcaires deviennent dolomitiques et
souvent même sont transformés en gypse qui devient de
l'anbhydrite dans la profondeur.
— 263 —
Le terrain des quartzites couvre les crêtes dominant
Modane. 1l est intercalé entre les calcaires massifs et les
terrains à anthracite, comme on le voit entre le chalet de
la Losa et la-mine des Sarrasins ‘.
Le terrain à anthracite constitue la région dans laquelle
on entre en tunnel du côté de Modane. Il embrasse en
largeur toute la distance qui sépare le Charmet de Saint-
Michel.
M. Lachat ne se prononce pas quant à l’âge des divers
terrains, il se borne à mentionner les divergences existant
entre l’école stratigraphique et l’école paléontologique.
En 1870, l'Académie des sciences de Paris reçut une
communication d'ÉLIE DE BEAUMONT, qui lui soumit une
collection de toutes les roches rencontrées lors du perce-
ment de la galerie. Cette collection, réunie par Sismonda,
comprenait cent quatre-vingt-seize échantillons catalogués
suivant leur distance de l’entrée septentrionale du tunnel.
Ils se groupent en six catégories qui correspondent aux six
zones de terrains traversés: zone anthraciteuse, zone des
quartziles, zone calcaréo-gypseuse et enfin zone des calcai-
res schisteux. Cette dernière se subdivise en zone supé-
rieure, zone moyenne et zone inférieure.
La zone anthraciteuse a l’aspect et la composition du
terrain anthracifère de la Maurienne. Elle est représentée
dans la collection par des roches dont la plupart consistent
en schistes argileux ou en grès à grains fins un peu micacés
et de couleur ardoisée.
La zone des quartzites n’a qu’une épaisseur de 220
mètres. Les échantillons qui la représentent sont des grès
quartzeux, grenus, blanchâtres, des anhydrites et des
schistes talqueux verdâtres.
1 LACGHAT, loc. cit., p. 45.
— 26% —
La zone calcaréo-gypseuse est représentée par des roches
offrant diverses variétés minéralogiques. Ce sont des cal-
caires cristallins tantôt compactes, tantôt schisteux, des
anhydrites, enfin des schistes talqueux et des quartz grenus
schistoïdes.
La zone supérieure des calcaires schisteux est celle dont
la collection contient le plus grand nombre d’exemplaires.
Les roches présentent une grande uniformité de composi-
tion, ce qui tient à l'abondance de l'élément schisteux et ce
qui permet de les considérer plutôt comme schistes calca-
rifères, ou même simplement comme schistes et comme
calcaires schisteux.
La zone moyenne se caractérise par la présence, dans les
calcschistes, d’une proportion plus considérable que dans les
autres zones d’un sable quartzeux mis en évidence par la
dissolution de la roche dans lacide chlorhydrique. Quant à
la zone supérieure, elle se distingue par une prédominance
plus prononcée et plus constante que dans les deux zones
précédentes de l'élément calcaire. On y trouve également,
en certaine abondance, du sable quartzeux.
Se basant sur la composition des échantillons recueillis,
Élie de Beaumont pensa pouvoir en conclure que toutes les
roches traversées par le tunnel appartiennent à la même
formation. Pour lui, le terrain calcaire schisteux appartient
au Lias supérieur, et le terrain anthracifère de la Maurienne
et de la Tarentaise venant au-dessus est d'origine plus
récente. Malgré les découvertes faites depuis ses premières
recherches, l’illustre savant n'avait modifié en rien sa
manière de voir et devait mourir peu après sans revenir sur
des idées qu’il avait toujours soutenues.
Les autres notes sur le tunnel du Mont-Cenis sont dues
aux professeurs GASTALDI et SISMONDA, de Turin, el à
— 265 —
M. GABRIEL DE MorTiLcet. Le premier venait de publier un
‘Mémoire sur la géologie des Alpes occidentales (176). Il y
donnait une classification des roches cristallines qui a été
adoptée par les géologues italiens et dont je dois dire quel-
ques mots. Selon lui, ces roches se subdivisent en deux
groupes : le groupe inférieur ou zone du gneïss central, et
le groupe supérieur ou zone des pierres vertes. Le premier
est constitué principalement par des gneiss à gros éléments,
riches en orthose et passant à des granites très feldspathi-
ques. On n’y trouve ni serpentine, ni euphotide, ni amphi-
bolite. Le second est formé de roches de nature assez
variée : euphotides, serpentines, diorites, amphibolites, qui
alternent avec des micaschistes, des gneiss, des caleschistes,
etc. Cet ensemble est caractérisé par la présence de roches
magnésiennes ; de plus, les gneiss y sont plus quartzifères
et d’un grain plus fin.
Les deux formations primitives se distinguent des terrains
paléozoïques par leur structure plus cristalline et par l’ab-
sence de tout débris d'êtres organisés. Ils correspondent
aux systèmes Laurentien et Huronien des géologues amé-
ricains. Quant aux roches traversées par le tunnel des
Alpes (177), elles offrent, à partir de Bardonnèche, la série
suivante : calcaires schisteux et lustrés représentant le
groupe des pierres vertes, calcaires, dolomies et quartzites
appartenant au Cambrien, et enfin schistes, grès et conglo-
mérats qui, pour le géologue italien, sont les représentants
du Silurien supérieur ou du Dévonien (!!).
La note de M. DE MorTiLcer fut écrite comme réponse à
celle de Gastaldi. On ne saurait admettre, dit cet auteur, les
théories du professeur de Turin. Il a reconnu, dès 1856,
qu’on rencontrerait, en perçant le tunnel du Mont-Cenis,
des grès micacés appartenant au Carbonifère, des quart-
— 266 —
zites, anhydrites, dolomies et calcaires représentant le Trias
inférieur et moyen, enfin des schistes calcaires qu’il consi-
dère, avec Lory, comme étant la partie supérieure de ce
dernier étage.
SISMONDA répondit, à son tour, à M. de Mortillet (483) en
réclamant, pour Élie de Beaumont et pour lui, la priorité
des études faites sur les roches du tunnel. Ce n’est pas dans
le Portlandien, dit-il, qu'il classe les grès anthracifères supé-
rieurs, mais dans l’Oxfordien. Il ne conteste plus, ajoute-t-il,
l'existence, dans les Alpes Françaises, de terrains antérieurs
au Lias et pouvant représenter le Houiller. Ce sont certains
gneiss qu'il appelle gneiss métamorphiques. Il cite, à l'appui
. de son opinion, la découverte qu'il venait de faire d’une
empreinte végélale dans un gneiss de Sezzago, en Brianza
(155). Cette empreinte serait, d'après Adolphe Brongniart,
une nouvelle espèce d’equisetum, l’equisetum sismonde,
trés voisine de l’equisetum infundibuliforme, du terrain
houiller.
On voit, par l’énoncé de ces diverses théories, quelles dif-
férences d'opinions existaient, à cette époque, sur la géologie
de cette partie des Alpes. La classification des schistes lus-
trés y présente d’ailleurs de sérieuses difficultés et demande
encore aujourd’hui de nouvelles recherches.
*
* *X
En 1871, nous avons encore une communication intéres-
sante de M. L. Pizcer, sur les fossiles de La Table (188).
Notre confrère les avait signalés pour la première fois en
185% et les considérait alors comme appartenant au Lias
supérieur, Depuis lors, ayant conçu quelques doutes sur
. leur détermination, il les avait soumis à Dumortier. Celui-
— 267 —
ci reconnut un certain nombre d’espèces comme apparte-
nant au Bajocien. Nous aurions dans cette localité, conclut
M. Pillet, une couche de passage du Lias à l'Oolithe infé-
rieure. L'on doit admettre que la période bajocienne était
commencée lorsque cette partie du continent eut à subir
des phénomènes d’émersion.
L'année suivante, GASTALDI publia une nouvelle note sur
la géologie des Alpes Cottiennes (184). Il revient, en la
précisant, sur sa coupe du Mont-Cenis et étudie la vallée de
la Doire-Ripaire. Il y a observé, de bas en haut, la série
suivante : calcschistes, serpentines et euphotides, gypses,
cargneules, calcaires dolomitiques, quartzites el enfin
schistes lustrès remplacés, en quelques points, par les cal-
caires du Briançonnais. Au mont Genévre, le calcaire du
Chaberton, équivalent de celui du Briançonnais, serait, selon
l’auteur, inférieur au grès anthracifère, et contiendrait des
fragments de polypiers d'aspect paléozoïque. Ces mêmes
calcaires se retrouvent au col du Petit-Mont-Cenis où ils
recouvrent le gypse et la cargneule. Gastaldi les classe dans
le Silurien. Cette attribution est absolument inexacte ; le
géologne de Turin avait été induit en erreur par de fausses
déterminations de fossiles faites sur des échantillons in-
complets.
Deux notes de Loxy, publiées dans les bulletins de la
Société géologique de France, parurent en 1873. La pre-
mière à trait à la stratigraphie des Alpes Graies et Cottiennes
(191). L'auteur insiste sur le rôle important que joue, dans
la structure de la zone frontière franco-italienne, le grand
étage des Schistes lustrés qu'il continue à rapporter au
Trias supérieur. Il donne, à l’appui de cette interprétation,
une coupe détaillée du massif que traverse le tunnel de
Modane à Bardonnèche. Il essaye de démontrer que les
— 268 —
schistes gris, dans lesquels se trouvent les trois quarts du
tunnel, ne peuvent être considérés comme recouverts par
les grès à anthracite du versant français. Il y aurait, selon
lui, une faille entre ces deux ensembles de couches et l’on
aurait « deux massifs distincts ployés et refoulés l’un sur
l'autre de manière à se toucher et à s’adosser étroitement
par leurs assises supérieures. »
La deuxième note a pour objet le rôle que les failles ont
dû jouer dans l’agencement des assises secondaires de la
première zone alpine (189). Lory rappelle que, dans cette
partie des Alpes, le Trias et le Lias sont en discordance avec
le Cristallin et le Ilouiller, sur les tranches desquels ils
reposent. Ces derniers furent donc redressés et plissés
avant leur recouvrement, par des assises plus récentes.
Lorsqu'ils eurent ensuite à subir de nouvelles dislocations,
ils se comportèrent comme des masses entièrement rigides
et furent découpés par des failles. Leurs diverses couches
durent glisser les unes sur les autres sans se prêter à des
plissements. Quant aux terrains plus récents, ils se condui-
sirent comme des corps flexibles et s’adaptèrent, par des
glissements et de nombreux plis, aux nouvelles formes de
leur base disloquée. La coexistence de deux situations
différentes dans les assises secondaires peut s'expliquer de
cette façon. Celles-ci sont, en effet, en stratification hori-
zontale sur les sommets, tandis qu’elles sont diversement
contournées et inclinées dans les vallées. On peut compren-
dre, par exemple, la structure de la vallée de Chamonix en
supposant que la partie du massif située entre le Mont-
Blanc et les Aiguilles Rouges s'est effondrée et que les
terrains secondaires l’ont suivie dans la cavité.
1 Lory, Bulletin de la Société géologique de France, IIT° série,
{. I, p. 24,
— 269 —
À mon avis, cette interprétation suppose des glissements
assez compliqués et qui paraissent d’une démonstration
difficile. Ne serait-il pas plus simple de voir, avec M. Gos-
selet (283), dans l’enfoncement d’une région, une courbure
de sa surface en forme de cuvette, avec rapprochement des
deux massifs qui ne participent pas au mouvement descen-
dant ? Les couches secondaires comprises entre eux sont
donc obligées de se rétrécir et de se contourner en plis
multiples. Dans ce mouvement qui est une poussée latérale
il a pu se produire aussi des fractures et des chevauche-
ments.
%
* *X
En 1875, la Société géologique de France revenait, pour
la troisième fois, en Savoie. Elle consacrait le premier jour
de sa session, le 28 août, à étudier, sous la direction de
M. PiceT, la colline de Lémenc, où le Jurassique supé-
rieur est remarquablement développé. Le lendemain,
soixante-dix à quatre-vingts membres se réunissaient à
Genève, où ils étaient reçus de la façon la plus cordiale et
la plus sympathique. lls visitaient, les jours suivants, sous
la conduite d'ALPHONSE FAVRE, la montagne des Voirons,
les environs de Bellegarde, le bois de la Bâthie et le mont
Salève.
Le 3 septembre, la Société quittait le territoire suisse
pour aller à Saint-Gervais, en suivant la pittoresque vallée
de l’Arve. Elle étudiait, dans laprès-midi, les grès arkoses
et les jaspes des ravins du Bon-Nant et du Gibeloux, ct se
rendait, le 4, à Chamonix, par le Prarion et le col de Voza.
Du sommet de la montagne du Prarion, on jouit d'une
vue remarquable et Favre y démontra, en termes saisissants,
— 270 —
la structure de la chaîne du Mont-Blanc telle qu'elle avait
été établie par ses travaux antérieurs. 11 compléta ces don-
nées par dés indications sur le massif des Aiguilles Rouges
ainsi que sur les montagnes des Fiz et des Fours.
Le Mont-Blanc, comme nous le savons, est presque entiè-
rement formé par de la protogine. Contre elle s’inclinent,
sur les deux versants, des schistes cristallins. Quant aux
vallées de Chamonix et de Courmayeur qui limitent la
chaîne au nord-ouest et au sud-ouest, elles sont constituées
par des terrains secondaires pliés en forme d'U.
Le massif des Aiguilles Rouges — dont l’une des cimes,
le Brévent, fut gravie par les membres de la Société, le
le G septembre — est formé par des roches primitives en
couches verticales et l’un de ses sommets est couronné,
comme c’est établi depuis longtemps, par un lambeau hori-
zontal de terrain secondaire.
Le lendemain, la Société quittait Chamonix et partait en
voiture pour l’hôtel du Châtelard, situé entre Valorsine et
la Tête-Noire. Elle se rendait ensuite à Vernayaz et à Mar-
tigny, en Valais. Ce fut dans cette dernière localité que se
clôture la session qui avait été l’une de celles où les géolo-
_gues s'étaient rendus en plus grand nombre. Aucune objec-
tion n’y fut soulevée à Favre sur le classement des assises
houillères et triasiques. Il eut la satisfaction de voir se
confirmer, d’une façon définitive, des données qu'il avait
été l'un des premiers à établir et pour lesquelles il avait
dû lutter pendant si longtemps.
Les communications présentées pendant les réunions
furent nombreuses. Je ne parlerai que de celle de LorY qui
eut pour objet la structure de la vallée de Chamonix (195).
Le savant professeur revient sur l'interprétation de sa
note de 1873. Il considère cette vallée, ainsi que celle
— 971 —
d'Entrèves, comme provenant d’effondrements longitu-
dinaux des terrains anciens. Ces effondrements s’effectuè-
rent parallèlement à la direction des couches. Les terrains
secondaires durent s’entasser dans la dépression. Ils y furent
refoulés, comprimés et souvent repliés sur eux-mêmes.
La structure en éventail du Mont-Blanc s'explique par la
compression latérale du massif entre les masses moins
élevées qui l’enserrent. Cette compression n'existant plus
dans les parties supérieures, les masses cristallines diver-
gent des deux côtés. Cette disposition peut se comparer à
celle des pailles d'une gerbe serrée en son milieu.
Cette même année (1875), le professeur EDOUARD SUESs,
de Vienne, publia un travail remarquable sur le soulève-
ment des Alpes (202). Après avoir discuté les nombreuses
opinions qui ont été émises sur la formation des montagnes,
il décrit la structure des principales parties du système
alpin. Ces diverses chaînes présentent comme caractère
particulier d'avoir leurs deux côtés entièrement différents :
l’un est le résultat de soulèvements et de plissements, l’autre
de déchirures et d'affaissements. Cette structure à été pro-
duite par une cause qu’il faut chercher dans une force agis-
sant dans le sens horizontal. Elle a agi, en Europe, dans
une direction sensiblement nord ou nord-nord-est. Les
Alpes butent contre des môles de résistance : le Plateau
Central, la Forêt Noire, le massif de la Bohême. Dans l’in-
tervalle, elles se développent et s’étalent.
Par la suite, l’auteur devait exposer plus complètement
ss idées dans un magnifique ouvrage intitulé : « Das antliz
der Erde, » lequel peut être considéré comme la synthèse
des principales études géologiques de notre époque.
— 272 —
%
*+* *%
Trois ans plus tard (1878), dans une note présentée à
l’Académie des sciences de Paris, Lory donnait une nou-
velle explication de la structure en éventail du Mont-Blanc.
D’après lui, cette montagne n’est pas une voûte centrale de
soulèvement, comme on l'avait pensé tout d’abord. Elle
n’est que le revers oriental d’une ancienne chaîne dont
l'autre versant a disparu sous une épaisse couverture de
terrains secondaires. Elle est formée par un repli concave
de l’étage supérieur des roches primitives et s'appuie, à
l'ouest, sur les étages inférieurs qui constituent le Brévent.
À l’est, elle se redresse contre la grande faille de l’Allée
Blanche. Quant à la vallée de Chamonix, elle doit son
origine à des fractures qui ont produit l’affaissement des
couches liasiques.
Dans cette même note, et d'accord en cela avec des idées
émises depuis longtemps par Cordier, l’auteur croit pouvoir
avancer que les roches éruptives sont rares dans les Alpes.
Le plus grand nombre de celles qui ont été considérées
comme granite ne sont, d’après lui, que des roches grani-
toides. Le terrain primitif peut s’y subdiviser en trois
élages : l'étage du gneiss, l'étage des micaschistes et l'étage
des taleschistes avec roches chloriteuses et amphiboliques.
C'est à ce dernier étage qu’appartient la protogine.
Cette même année, LoRY faisait encore une communica-
tion au Congrès international de géologie réuni à Paris
(215). Il s’occupait de la structure des Alpes et insistait tout
spécialement sur le rôle des failles. Elles sont, dit-il, par
leur constance et leur continuité des faits de premier ordre.
Quant aux plissements, ils leur sont subordonnés et ne se
— 213 —
sont produits que consécutivement à ces grandes fracturés.
I nous faut encore citer, en 1878, un ouvrage très remar-
quable de M. DE Mozsisovics, sur les dolomies du Tyrol
(213). Nous y trouvons un résumé de l’histoire géologique
des Alpes. Celles-ci se divisent en Alpes orientales et occi-
dentales que sépare la vallée du Rhin. A l’est de ce fleuve,
la région était en partie immergée pendant les époques silu-
rienne, dévonienne et carbonifère. Dans la région occiden-
tale, au contraire, on avait un continent probablement en
relation avec le Plateau Central, les Vosges et la Forêt
Noire. | |
Pendant le Permien, on a, dans les deux contrées, des
conglomérats ; les Alpes Orientales s'affaissent ensuite et
une riche faune triasique s’y développe, tandis que, dans
les Alpes Occidentales, règne un régime lagunaire. A la fin
de cette période, la mer du Rhétien envahit l'emplacement
complet de la chaîne, l’affaissement va en augmentant et
les mers ont une grande profondeur pendant toute la
période liasique D’après l’auteur, cette ligne du Rhin
tracerait une limite assez nette dans l’histoire des deux
parties du système alpin : les diverses assises se signalant
par des différences de facies.
se
En septembre 1881, la Société géologique de France se
réunissait encore dans les Alpes et ouvrait sa session à
Grenoble (234). Les excursions auxquelles j’eus le plaisir
d'assister furent dirigées d’une façon magistrale par Lory.
À cette occasion, il fit, sur les schistes cristallins, une com-
munication dans laquelle il revient sur les principales
données que lui ont fournies près de quarante ans de
recherches.
IVe SÉRIE, — ToME IV, 48
— 274 —
Ces roches, comme nous le savons, forment, dans nos
Alpes, des massifs répartis en deux zones qui ont été
appelées : première zone alpine, ou zone du Mont-Blanc,
et quatrième zone alpine, ou zone du Mont-Rose. Dans
celle-ci, les schistes primitifs étaient encore horizontaux
lorsqu'ils furent recouverts par les assises triasiques, et
ce n’est qu'après le dépôt des terrains secondaires qu'ils
ont été disloqués et plissés. Leur succession, en descendant
la série des couches, est la suivante : schistes à séricite,
schistes chloriteux et schistes amphiboliques, micaschistes
avec intercalations de calcaires cipolins, gneiss feuilletés,
gneiss granitoïides. Dans la zone du Mont-Blanc, on ne
reconnaît plus aussi facilement l'ordre des divers groupes, |
parce que sa structure résulte de dislocations de diverses
époques. Sur le revers ouest de la chaine de Belledonne,
on peut voir, dans plusieurs localités, des discordances de
stratification des schistes cristallins avec les grès houillers.
Sur le versant est, au contraire, il y a généralement concor-
dance entre les grès à anthracite et les roches primitives.
Ce ne fut qu'après le dépôt des assises houillères et avant
celui des couches triasiques qu'eurent lieu les dislocations
importantes qui redressèrent el contournèrent les terrains
anciens. On peut, malgré cela, reconnaitre encore, dans les
roches primitives, une série à peu près analogue à celle de
la zone du Mont-Rose. Par contre, les massifs de la première
zone ne sont plus des voûtes régulières des terrains primi-
tifs. Ce ne sont que de grandes ruines restées debout au
milieu d’autres parties du terrain primitif qui se serait
affaissé. Ces divers mouvements de l'écorce terrestre
auraient une cause commune, la pesanteur. Tous les plisse-
ments qui auraient donné à nos chaines leur relief seraient
subordonnés, dans leur direction, à de grandes lignes de
— 975 —
fracture, et dans leur étendue transversale, aux zones déli-
mitées par ces mêmes fractures.
Ces idées de Lory furent assez vivement contestées et
M. Renevier formula des réserves. Le savant professeur de
Lausanne ne voit pas dans les plis un phénomène acces-
soire des failles, mais pense au contraire que ces dernières
ne sont le plus souvent que le résultat d’un plissement
excessif. Si l’on suit les failles dans leur longueur, on les
voit souvent diminuer d'importance et se terminer par un
pli anticlinal.
Quoi qu’il en soit de ces données théoriques sur lesquelles
les opinions des géologues auront probablement à se modi-
fier pendant longtemps encore, nous pouvons dire, avec
M. Bertrand (272) que Lory eut le mérite d'émettre une
idée nouvelle dont on aura toujours à tenir compte. C’est
qu’au point de vue des phénomènes dynamiques il y a
deux masses indépendantes à considérer : l’élément rigide
consolidé par d'anciens plissements, et l’élément plastique
formé des terrains plus récents.
De 1881 à 1885, nous n’avons pas de nouvelles publi-
cations à signaler. Ce n’est qu’en avril 4886 que Lony fit
une communication à la Société géologique, sur le Trias de
la Savoie (248). Il cherche à démontrer que ce terrain
présente une extrême variation dans son développement, et
que l'augmentation de sa puissance correspond, pour
chacune de ses assises, à une texture de plus en plus cris-
talline. Dans la première zone, le Trias est très mince el
n'a été modifié que par des actions mécaniques ; dans la
deuxième, où il est plus développé, il est transformé en
quartzites, marbres, dolomies et schistes gris lustrés ; enfin,
dans la Haute-Maurienne et le Briançonnais, le caractère
cristallin l’envahit presque complétement et sa puissance
est alors considérable.
— 216 —
Dans le massif de la Vanoise, on trouve, à la base du
Trias, des conglomérats renfermant des fragments -de grès
à anthracite. Le ciment quarizeux et micacé qui en forme
la pâte est beaucoup plus cristallin que les fragments enve-
loppés, et les feuillets ondulés constitués par le mica s’inter-
rompent à la rencontre des cailloux plus volumineux. Lory
pensait pouvoir conclure de ce fait que le feuilletage tient
à la stratification même des grès triasiques et n’est pas le
résultat d'actions mécaniques ultérieures. L’état cristallin,
selon lui, ne se serait pas produit par métamorphisme,
mais daterait de la période du Trias. Il serait indépendant
du plissement des couches et toujours en rapport avec les
mouvements d’affaissement qui ont déterminé la plus ou
moins grande épaisseur de certaines zones alpines. Cette
argumentation, basée principalement sur la nature des
schistes lustrés, tombe complètement par suite de leur
attribution actuelle à des assises plus anciennes que le
Trias.
%
+ *#
En 1887 parut, dans le bulletin du Comité géologique
d'Italie, un travail remarquable dù à M. ZACCAGNA, ingé-
nieur au corps des mines (257). Ce travail est le fruit de
recherches entreprises dans les Alpes Maritimes, en 1883,
et poursuivies, les années suivantes, dans les Alpes Cot-
tiennes, les Alpes Graies et les Alpes Pennines. L'auteur
arrive à des conclusions assez différentes de celles de Lory ;
aussi étudierai je avec soin les parties de son Mémoire qui
touchent à nos régions.
M. Zaccagna indique d’abord de quelle façon a été établie
la carte au millionième qui accompagne son étude et qu’il
— 971 —
a publiée en collaboration avec M. Mattirolo. Il arrive
ensuite à la description des coupes. Cinq profils transver-
saux lui permettent de reproduire la structure si compliquée
de cette partie du massif alpin. Le premier passe par la
vallée de Chamonix, le Mont-Blanc et la vallée d'Aoste, et
le second par le mont Viso, de Saint-Paul d'Ubaye (France)
à Rocca di Cavour (Italie). Quant aux trois derniers, ils
sont dirigés à travers les Alpes Maritimes liguriennes.
Je ne parlerai que des deux premiers.
Au sud-est du massif du Mont-Blanc se trouve, sur une
étendue de près de six kilomètres, un ensemble de couches
qui appartiennent au Trias. Elles forment la Tête d'Arpi,
le Crammont, le mont Favre, les hauteurs dominant, à
gauche, la vallée de la Thuile, enfin la pyramide de la
Grande Rochère. Les vallées de Dollone et de la Saxe mar-
quent les limites de ces assises qui s’appuient sur les roches
du mont Chétif et de la Saxe. Ces dernières avaient été
considérées par tous les géologues comme appartenant aux
roches primitives. MM. Zaccagna et Mattirolo les rapportent
au Permien. Elles ressemblent, en effet, aux roches de cet
âge qui, dans les Alpes Maritimes, se trouvent sous les
calcaires, quartzites et schistes lustrés du Trias. Leurs rela-
tions stratigraphiques sont, d’ailleurs, les mêmes. Elles
inclinent au sud-est et passent, avec les assises qui leur sont
superposées, sous les calcaires du mont Brisé, d’un côté,
et de la Tête-Tronche, de l’autre. On a, du mont Brisé au
mont Chétif, un ensemble d’assises qui vont du Trias moyen
au Permien. Comme, d'autre part, les couches permiennes
se retrouvent, par renversement, à la base du Carbonifère
qui est inférieur aux calcaires de la Tête d'Arpi, on doit
admettre que l’on a un vaste pli synclinal du Plan d'Arpi
au mont Chétif. Ce pli est déjeté vers le nord-ouest, c'est-
— 278 —
à-dire vers le Mont-Blanc. Quant à la masse même du
Crammont, elle.est formée par le Trias supérieur et consiste
en calcaires à silex que recouvrent des calcaires arénacés.
Le Permien se retrouve vers les chalets de l’Allée-Blan-
che, au col de la Seigne. Un autre lambeau s’observe en
- descendant le col du Bonhomme, au plan des Dames et à la
montagne du Prarion. D’autres affleurements se rencontrent
aussi sur le versant suisse.
J'arrive à la seconde coupe qui passe par le sommet du
Viso. Le Trias, dans la région étudiée par l’auteur, n’a pas
l'extension qui lui a été attribuée. Il formerait une zone
qui s'étend entre le mont Chambeyron, la vallée de l'Ubaye,
le mont Chaberton et le mont Thabor. Entre le Chambeyron
et le Chaberton, la frontière franco-italienne est formée
par des calcschistes (schistes lustrès), que Lory rapportait
au Trias supérieur et que le géologue italien considère
comme appartenant à la partie supérieure des terrains
primitifs '.
Dans la vallée de l’Ubaye, on trouve des quartzites ana-
génitiques qui se poursuivent jusqu’au village de Maurin.
Près de cette localité et du lac du Paroird, ces quartzites
sont surmontés de grandes masses calcaires, dans lesquelles
M. Zaccagna a trouvé des Gyroporelles. Viennent ensuite
d’autres calcaires gris foncé associés à des calcaires roses
1 M. Paronna a signalé récemment (janvier 1892) (808) des
schistes siliceux rouges compactes contenant des radiolaires,
qui se trouvent sur la route conduisant de Césane au col de Ses-
trières. Ces schistes qu'accompagnent des phtanites et des ser-
pentines sont la continuation des schistes serpentineux rapportés
au Permien par M. Zaccagna et qui sont intercallés entre les
schistes lustrés et les masses calcaires du Chaberton. Cette dé-
couverte confirme définitivement le fait que ces roches si étroito-
ment liées aux serpentines ne sauraient être attribuées au terrain
primitif. M. Paronna,sans pouvoir en préciser exactement l'âge,
semblerait les considérer comme triasiques.
— 279 —
bréchiformes, dolomitiques et qui représentent le Trias
supérieur. à |
Deux faits très importants, mais qui demandent cepen-
dant de nouvelles recherches, ressortent de cette étude. Ce
sont l'attribution au Permien de certaines assises et le
classement des Schistes lustrés dans le terrain primitif. La
première de ces deux conclusions avait d’ailleurs été
pressentie depuis longtemps par notre savant confrère,
M. LACHAT (274). Il rapportait au terrain houiller méta-
morphique, les poudingues, grès feldspathiques et schistes
quartzeux qui limitent à l'est, entre Modane et Bozel, la
large bande de terrain houiller de la Maurienne et de la
Tarentaise.
%
+ *%
Un congrès géologique international se réunissait à
Londres, en septembre 1888. Lory y présentait un mémoire
qui devait être son dernier travail. Il avait trait à la consti-
tution des schistes cristallins des Alpes Occidentales (268).
Après la description des allures des couches dans les
zones du Mont-Blanc et du Mont-Rose, allures que j'ai déjà
suffisamment étudiées, le savant professeur cherche à ex-
pliquer l’origine du terrain primitif. Il arrive à des conclu-
sions analogues à celles qu'il avait formulées pour le Trias.
Il considère aussi la structure feuilletée et cristalline des
roches de ce terrain comme un fait antérieur au dépôt des
assises qui les recouvrent, indépendante des actions méca-
niques qui ont donné aux couches leur disposition actuelle.
Son opinion est basée sur ce fait que, dans un grand
nombre de calcaires appartenant aux terrainsles plus divers,
on trouve, comme résidus de dissolution dans les acides, des
cristaux microscopiques d’albite, de quartz bi-pyramidé,
de tourmaline, de mica, etc. Ces minéraux se présentent
avec des formes nettes et mesurables attestant qu'ils ont
bien été formés sur place. Leur développement a dû se
produire dans la roche même qui les renferme avant la
consolidation de celle-ci et durant la période géologique
même de son dépôt. Puisque des minéraux très analogues
aux schistes cristallins se sont formés dans des assises
secondaires et tertiaires, il n’est pas nécessaire, pour com-
prendre l’origine des roches primitives, de supposer des
circonstances physiques bien différentes de celles des
périodes géologiques plus récentes. Les schistes cristallins
se seraient déposés dans des océans à eaux plus salines et
plus chaudes que dans les mers actuelles, et dans lesquelles
l'existence des êtres organisés n’était pas encore possible.
Cette constatation de cristaux microscopiques dans la
plupart des roches calcaires est un fait très intéressant. Je
dois ajouter ici que les conclusions tirées par Lory diffèrent
des idées qui ont actuellement cours chez un grand nombre
de géologues, lesquels considèrent la série cristalline comme
une série sédimentaire métamorphique. M. Michel Lévy,
par exemple‘, pense que nous n’avons pas sous les
yeux le véritable et primitif substratum de lécorce terres-
tre. Ce substratum aurait été remanié bien des fois. Le
terrain primitif, selon lui, est un produit complexe de
roches éruptives postérieures au gneiss et de terrains
réellement détritiques et profondément métamorphisés.
L'étude paléontologique des premiers terrains fossilifères
concorde avec cette hypothèse. Le degré relatif de perfec-
tionnement des organismes de la Jaune primordiale pourrait,
en effel, faire supposer une évolution préalable dont le
métamorphisme aurait effacé les degrés intermédiaires.
1 Michel Lévy. — Sur l’Origine des terrains cristallins primitifs
(Bulletin c'e la Socicté géologique de France, Lt. XVI, 8" sério,
p. 102).
— 281 —
IV
1889 - 1891
En avril 1889 et en juillet 4890, la géologie alpine perdait
les deux savants, MM. CHARLES LORY et ALPHONSE FAVRE,
dont les travaux remarquables avaient rempli la période
que nous venons d'étudier. Les progrès qu'on leur doit sont
de ceux qui font époque dans la science, et leurs recherches
resteront le point de départ de toutes celles ayant pour
objet la Savoie et le Dauphiné. La période à laquelle nous
arrivons se signale par la publication de plusieurs notes et
Mémoires, dont l'analyse nous mettra au courant des der-
nières découvertes relatives aux Alpes de Savoie.
Je citerai tout d'abord un ouvrage dû à M. HOELANDE,
lequel, commencé en 1887, ne fut complètement terminé
qu’en 1889 (263). Il a pour objet l’étude des dislocations
des montagnes calcaires de la Savoie, sujet qui n’est pas
traité dans ce travail. L’auteur'abordant toutefois, dans un
de ses premiers chapitres, les terrains qui se trouvent sur
le bord est du massif des Bauges et appartiennent à la
première zone alpine, j'analyserai cette partie de ses recher-
ches où sont consignés un certain nombre de faits inté-
l'essants. |
Près de Flumet, on observe, en plusieurs points, Île
contact des terrains sédimentaires avec le terrain primitif.
Aux confluents du Flon et de l’Arly, par exemple, on voit
les grès houillers succéder, en discordance, aux schistes
cristallins et être recouverts par le Trias et le Lias. Les
schistes cristallins consistent ici en micaschistes et sont
— 282 —
disposés verticalement. Si l’on s'élève vers le sud-est, on
les voit s'incliner peu à peu de manière à prendre une
disposition en éventail pour former la masse du signal de
Bisane. Au sommet de celui-ci, on trouve du Trias et du
Lias en couches peu inclinées ou horizontales.
Aux Molières, près d’Ugines, et sur les deux rives de
l’Arly, on rencontre un poudingue à gros éléments alter-
nant avec des schistes lie de vin. Ce poudingue, que l’on
peut considérer comme du Verrucano, serait discordant
avec le terrain houiller et le Trias et appartiendrait au
Permien.
La vallée de l’Arly reste constamment à la limite du
Cristallin et des formations sédimentaires. M. Hollande
donne, dans les deux premières planches de son mémoire,
une série de profils où sont indiquées les modifications
présentées par le contact des assises secondaires avec les
terrains plus anciens, le long de cette vallée et, plus au sud,
le long de la vallée de l’Isère.
Dans un second Mémoire sur les montagnes de Sullens
et des Almes publié dans le Bulletin de la Société géologi-
que de France (262), M. Hollande étudie les environs de
Saint-Gervais (Haute-Savoie). Il signale, près des bains,
des roches accompagnées d'anthracite intercallées dans des
bancs de cargneule. Il considère cet anthracite comme
triasique, ainsi que celui du vallon de Maroly dont les con-
ditions stratigraphiques sont les mêmes.
En 1889, nous devons encore signaler une note de
M. MARCEL BERTRAND, sur les schistes lustrés du Mont-Cenis
(264). Ce savant se range à l'interprétation de MM. Zacca-
gna et Mattirolo, sur l’âge de ces assises. Il avait étudié
avec eux les coupes qui furent le point de départ d’aifir-
mations opposées et avait ainsi acquis Ja conviction que ces
— 283 —
schistes étaient antérieurs au Trias. La coupe d’Oulx à
Modane est moins simple qu'elle ne le paraît. On voit bien,
à Bardonnèche, sous les pentes formées par les gypses et
les quartzites, reparaître les schistes lustrés dans le fond de
la vallée. Si l’on essaye cependant de suivre la ligne suivant
laquelle les gypses s'enfoncent au-dessous d'eux, on peut
constater que des quartzites s’intercalent de nouveau entre
les deux systèmes. Les quartzites formant, comme nous le
savons, la base du Trias, il en résulte qu’en ce point l’ordre
de stratification est interverti et que les schistes lustrés sont
inférieurs à la formation triasique. En face de Salbertrand,
on voit aussi les calcaires plonger sous les schistes lustrés
et en être séparés par un banc de quartzites. C’est encore
un renversement analogue et rien ne s'oppose, conclut
M. Bertrand, à ce que l’on accepte les conclusions de
M. Zaccagna.
%
+ *
Le neuvième bulletin des services de la carte géologique
de France, publié en février 1890, contient un travail très
important de M. MicHEL LÉVY, sur les roches des environs
du Mont-Blanc (288). Nous savons que, pour Lory, cette
chaine consiste en un synclinal aigu des schistes primitifs,
tandis que, pour Favre et les géologues italiens, elle est un
anticlinal au milieu duquel apparaissent les gneiss plus
anciens et des roches granitoïdes subordonnées. C’est à la
solution de ce problème que s'attache l’éminent pétrographe.
11 décrit successivement les principales variétés de schistes
cristallins, les roches éruptives, et termine par quelques
considérations stratigraphiques d'un vif mtérêt.
L'étude de la région permet de distinguer trois zones de
— 28h —
roches cristallines : la zone occidentale, la zone médiane et
la zone orientale.
La zone occidentale va du Mont-Blanc au Brévent : c'est
une longue et large bande de micaschistes plus ou moins
feldspathisés, comprenant une traïinée continue d'amphi-
bolites et d’éclogites.
La zone médiane a la forme d’un triangle dont le sommet
serait situé à la partie inférieure du glacier des Bossons, et
dont la base irait du col du Montet à Pierre-à-Bérard. Elle
est surtout formée de roches cornées feldspathiques et
amphiboliques dont le type est celui que l’on trouve parmi
les grès et schistes métamorphiques des terrains primaires.
La zone orientale vient toucher la protogine et possède,
à pen près, la direction nord-est de la vallée et de la chaine
du Mont-Blanc. Elle est constituée, en grande partie, par
des micaschistes fort analogues à ceux de la chaine des
Aiguilles Rouges.
Les roches éruptives consistent en protogines, graniles,
microgranites et microgranulites.
La protogine, considérée au point de vue pétrographique,
est un granite pegmatoïde pauvre en mica noir eten mica
blanc, et riche en microcline et en anorthose. Elle doit
rentrer dans la catégorie des produits franchement éruptiis.
Cette origine est prouvée soit par les injections dans les
schistes encaissants, soit par les fragments bréchiformes
de roches étrangères inclus dans son intérieur. Son appa-
rente schistosité doit être attribuée à de grandes cassures
et à des glissements dynamiques. C’est aux pressions laté-
rales qu’elle a subies qu'il faut attribuer la régularité :
des bancs qu'elle présente en grande masse. Quant aux
granites, ceux de la vallée de Valorsine sont bien connus et
leur nature éruptive a été admise par tous. Près du hameau
— 985 —
de la Poya, on observe des filonnets de granulite qui le
traversent et qui sont riches en mica blanc auxquels s’asso-
cient des veinules de tourmaline et de quartz.
L'origine de la protogine ainsi établie, M. Michel Lévy
en conclut que le Mont-Blanc n’est qu'un culot éruptif de
cette roche et non un anticlinal ou un synclinal. Ayant servi
de point solide, lors des formidables poussées latérales qui
ont successivement plissé les Alpes, la protogine n’a pris sa
forme de gerbe actuelle que parce que le maximum de ces
poussées s’est produit à une certaine profondeur. Son âge
est difficile à préciser, mais elle est beaucoup plus jeune
que ne l’admettent les géologues italiens. Elle perce, en
effet, les micaschistes et les schistes pré-cambriens ; mais
elle est antérieure à la période carbonifère, car M. Venance
Payot a trouvé, près de l’Ajoux, un conglomérat houiller
qui en contient de nombreux fragments.
J'ajoute que la nature éruptive de la protogine n’est plus
contestée et qu’elle à élé confirmée par les recherches de
plusieurs pétrographes. M. GRœŒFF, professeur à Fribourg,
en Brisgau, a étudié les roches porphyriques du flanc sud-
est du massif du Mont-Blanc (276). D’après lui, ce sont de
vrais porphyres quartzeux qui ne se lient pas par des pas-
sages à là protogine. Ces deux roches ont la même origine
et les filons porphyriques semblent être des poussées posté-
rieures d’un magma granitique solidifié porphyriquement.
Quant à la prologine, ce n'est qu’un granite dont la schis-
tosité a été occasionnée par les pressions auxquelles elle à
été soumise.
MM. L. Duparc et MRAzEC, de l'Université de Genève,
ont étudié des échantillons de protogine erratique renfer-
mant des fragments de roches étrangères (301). Ils ont
soumis la protogine, ainsi que les fragments qu'elle ren-
— 286 —
ferme, à l’analyse chimique et microscopique. Ils arrivent
aussi à la conclusion que la protogine est de nature érup-
tive et qu'elle rentre dans la série des roches granitoïdes.
Elle se caractérise par son acidité qui est intermédiairéentre :
celle des vrais granites et des granulites. Quant aux frag-
ments de roches qu’elle contient, ils sont de composition
chimique différente. Ils ont été arrachés aux roches traver-
sées, et on ne saurait y voir une concentration d'éléments
plus basiques.
%
+ *X
Plusieurs études synthétiques ayant pour objet les Alpes
Occidentales ont été publiées pendant ces dernières années
et méritent que nous en disions quelques mots. Elles sont
dues à MM. les professeurs C. Schmidt, de Bâle, F. Sacco,
de Turin, et à M. C. Diener, privat-docent à l’Université
de Vienne. |
Le travail de M. Scampr est un opuscule de cinquante-
1 Dans une nouvelle note communiquée, le 5 mai 1892, à la
Société de physique et d'histoire naturelle de Genève (306), MM.
Duparc et Mrazec confirment leurs précédentes conclusions. Ils
ont étudié un certain nombre d'échantillons de protogine du
Mont-Blanc recueillis sur place et qui proviennent en majorité
du versant nord. Il résulte de leurs recherchos que cette roche
est généralement plus acide que les granites et se rapproche par
là des vraies granulites. Le quartz y présente deux venues dis-
tinctes : la première en grands cristaux d'aspect granitoïde, la
seconde en grains beaucoup plus petits, polyédriques et tendant
vers la forme hexagonale. On ne saurait attribuer une origine
mécanique à ce quartz granulitique, car il est absolument iden-
tique à celui des granulites en filon qui traversent la protogine.
Celle-ci est donc une roche distincte du granite proprement dit,
et ne doit pas son individualité au dynamométamophisme. Quant
à sa disposition en bancs, elle est due à des actions dynamiques
qui se sont produites après sa consolidation.’ Note ajoutée pen-
dant l'impression.)
— 287 —
deux pages, intitulé Géologie des Alpes suisses (265).
Nos connaissances actuelles sur l’origine de la structure de
la chaîne des Alpes et les relations de celle-ci avec la nature
pétrographique des roches y sont clairement résumées.
Dans un chapitre spécial, l’auteur étudie les dislocations
de diverses époques qui modifièrent l’ensemble de la chaine.
Il cherche, avec ingéniosité, dans certaines contrées de
l'Europe : la Bretagne, la Forêt-Noire, les Vosges et les
Pyrénées, des termes de comparaison qui permettent de se
représenter ce qu'étaient nos montagnes dans les diverses
phases de leur évolution.
M. Sacco étudie la géo-tectonique de la Haute-Italie
occidentale (281). Son travail comprend deux parties, dont
la première a pour objet les régions alpines, et la seconde
le bassin tertiaire du Piémont. Il ne considère pas ce der-
nier comme une zone d’effondrement ou de chutes verti-
cales, mais comme une zone plissée affectant la forme d’un
large synclinal. Les couches se soulevèrent ensuite peu à
peu pour conduire à un assèchement complet. Le géologue
italien ajoute qu’une série de plis secondaires prirent nais-
sance dans la courbure du grand plissement alpin. Ces
plis, qui eurent pour cause des pressions énergiques, cons-
tituérent les collines Turin-Valence, entre la Ligurie et les
Alpes.
L'ouvrage de M. DiENER est une étude d'ensemble d’un
vif intérêt ayant pour objet la structure des Alpes Occi-
dentales (289). L'auteur y résume avec talent les théories
de Lory en les adaptant aux idées actuelles. Il trace, en
premier lieu, les limites des diverses zones qu’admettait le
regretté professeur de Grenoble et dont j'ai parlé à plu-
sieurs reprises. 1l réunit, sous le nom de zone du Brian-
çonnaîs, les régions intra-alpines qui avaient été appelées
— 288 —
deuxième et troisième zones. Les terrains qui la constitüent
forment, en effet, à l’est du Mont-Blanc, un grand pli déjeté
au nord-ouest et ne peuvent plus s'y subdiviser comme
dans le Dauphiné et la Maurienne. M. Diener distingue, en
outre, dans les chaînes extérieures, une zone du Chablais
qui s’intercale entre les chaînes subalpines et l’anticlinal de
la Mollasse. Elle comprend les Alpes du Chablais, les
Alpes de Fribourg, et s'étend, par le lac des Quatre-Can-
tons, jusque vers le lac de Wallenstadt. Quant aux chaines
du Jura, ce ne sont, d'après lui, que des ramifications des
chaînes subalpines qui se soudent à celles-ci dans les
montagnes du Royans. |
La plaine du Piémont n’est pas, pour le géologue de
Vienne comme pour M. Sacco, un pli synclinal, mais une
zone d’affaissement. Elle est entourée d’un double demi-
cercle cristallin dont le premier est continu, c’est la zone
du Mont-Rose, et le second, séparé du précédent par la
zone du Briançonnais, composé de massifs isolés, c’est la
zone du Mont-Blanc. Cette dernière a subi des plisse-
ments beaucoup plus énergiques que ceux de la zone du
Mont-Rose ; elle aurait été terre ferme pendant une grande
partie de la période paléozoïque.
Les plissements les plus anciens reconnus par l’auteur
dateraient de l’époque permienne et ne se seraient fait sentir
que dans la première zone. Nous verrons plus loin que
M. Kilian à mis dernièrement en évidence la nécessité d’ad-
mettre des plissements antérieurs à la période houillère
(297). Cette opinion est basée sur les observations de
Lory et sur celles plus récentes de M. Michel Lévy, dans les
environs du Mont-Blanc. Coinment, d’ailleurs, dit avec rai-
son le professeur de Grenoble, expliquer l'immense accu-
mulation de dépôts détritiques que présente le terrain
— 9289 —
houiller des Alpes, si aucun relief préexistant ne donnait
prise aux effets de l’érosion torrentielle ! ? |
M. Diener admet encore deux autres phases de plisse-
ments qui dateraient des époques crétacées et miocènes. |
Nous ne savons que peu de chose sur l’état des zones
alpines pendant la première de ces deux périodes, et le
lambeau soit-disant crétacé du Chaberton, sur lequel il
appelle l'attention, mériterait d’être étudié avec soin. On
ne peut donc parler d’une phase de plissement datant de
cette époque, à moins de désigner ainsi des mouvements
qui se seraient produits entre le Sénonien et le Nummali-
tique. Toutelois, ceux-ci ont échappé à l’auteur dont nous
analysons les travaux et n’ont été mis en évidence, comme
nous le verrons, que par les études récentes de M. Kilian.
Les dislocations miocènes reconnues par tous et depuis
longtemps sont très nettes dans nos chaînes subalpines.
Ce sont elles qui ont donné à nos montagnes leur dernier
relief, Les Alpes ne doivent donc plus être considérées
aujourd'hui comme produites par un soulèvement unique
datant de l’époque tertiaire. Leur formation est une œuvre
de longue haleine, et M. Diener rappelle que c’est Lory
qui, le premier, sut y reconnaître des mouvements d’âges
différents.
Le savant géologue de Vienne se demande, à la fin de
son Mémoire, quel a été le point de départ des plissements.
Il croit pouvoir avancer que la force a agi de la partie
concave vers la partie convexe, et insiste sur la structure
asymétrique de la chaîne. En outre, M. Diener attribue,
dans les Alpes Françaises, un grand rôle aux failles dont
la lèvre surplombante serait toujours celle qui est placée du
côté interne. Toutefois, il les considère en partie comme
1 KiLtaN, loc. cit., p. 651.
IVe SÉRIE, — Tome IV, 49
— 290 —
des chevauchements. Nous verrons, en étudiant le Mémoire
de M. Kilian, que le rôle attribué à de grandes fractures a
_ été exagéré, et que la symétrie générale du système alpin ne
semble avoir été troublée que par la façon différente dont
se sont comportées les régions extérieures‘. Bien que fai-
sant ressortir les différences de structure qui distinguent
l'Arc alpin oriental qui entoure le bassin de l’Adige, de
l'Arc occidental qui entoure le bassin du P6, et insistant
sur l’importance de ces différences, comme le faisait, en
14878, M. de Mojsisovics, notre auteur paraît cependant
conclure à l’unité de formation de la chaîne des Alpes. Cette
conclusion sera également celle à laquelle nous amèneront
d’autres études plus récentes.
%
+ *#
Denx Mémoires très remarquables ont paru à la fin de
l’année 1891 et sont dus à MM. P. Termier, professeur à
l'École des mines de Saint-Étienne, et W. Kilian, professeur
à la Faculté des sciences de Grenoble.
Le travail de M. TERMIER a pour objet la constitution
géologique du massif de la Vanoise (292). Ce massif com-
prend le pays de hautes montagnes situé entre Modane et
Tignes. Il peut être considéré comme constituant une entité
géologique distincte ; c’est à en comprendre la structure
que ce savant a consacré une campagne de courses effectuées
en 1890. Ces dernières lui ont permis d'arriver à des conclu-
sions nouvelles, quine manqueront pas d'attirer l’attention
des géologues sur une région peu connue et sur laquelle
nous ne possédions que des données fort incomplètes.
1 KiLrAN, loc, cit., p. GA.
— 291 —
L'ouvrage se divise en deux parties : 1° étude des ter-
rains ; 2 stratigraphie. |
Les terrains qui affleurent dans la région sont, en remon-
tant la série : les Schistes lustrés, le Houiller, le Permien
et le Trias.
Les Schistes lustrés n’affleurent pas dans l’intérieur du
massif et n'apparaissent que sur la rive gauche du Doron
d'Entre-Deux-Eaux. Ils consistent ordinairement en calc-
schistes gris ou noirs. L’analyse micrographique y montre
une alternance de zones presque exclusivement quartzeuses,
de zones où la calcite domine et enfin de zones phylliteuses.
La phyllite prédominante est la séricite que l’on retrouve
dans tous les schistes métamorphiques de la région. A ces
calcschistes noirs s'associent, par places, des schistes
satinés d’un vert clair riches en chlorile et presque toujours
très pyriteux. Ils ne contiennent pas ou presque pas de
Calcite.
Un lambeau de terrain houiller affleure, dans la haute
vallée du Doron, entre Fribuge et Laisonnay. Quant à la
longue et large bande de grès à anthracite qui va de Saint-
Michel à Bozel, elle se développe à l’ouest de la région de
la Vanoise. Les dépôts n’y ont subi qu’une transformation
peu profonde consistant presque uniquement dans le déve-
loppement d’un peu de séricite. Ce fait peut être attribué
à la simplicité des mouvements orogéniques.
M. Termier ne s'occupe pas de ce houiller demi-méta-
morphique. Il n'étudie que les phyllades de Champagny et
de Laisonnay, qui montrent au microscope des lits char-
bonneux et phylliteux froissés et contournés, alternant avec
des lits de quartz.
En s'élevant dans le terrain houiller et se rapprochant
du Trias, on voit le facies se modifier. Les bancs quartziteux
— 292 —
deviennent plus nombreux, et aux phyllades gris ou noirs
s'associent des phyllades verts ou violets, parfois faible-
ment feldspathisés. Cette couche de passage est générale-
ment peu épaisse et se termine par un gros banc de quart-
zite sériciteux, puissant, de vingt à quarante mètres. C’est
à cette zone, entre le facies phyllades anthracifères noirs
et le facies phyllades verts ou violets à minéraux, que le
professeur de Saint-Étienne fixe le passage du Houiller au
Permien. Quand apparaît le gros banc quartziteux, il le
rattache à ce dernier terrain. Cette ligne de démarcation,
comme il le constate lui-même, est purement arbitraire
et conventionnelle, mais il serait difficile d'en tracer une
autre.
L'étude micrographique précise cette classification et a
permis d'établir deux types fondamentaux, composés l’un de
roches à quartz partiellement détritique et l’autre de roches
à quartz entièrement cristallisé. Ces deux types se rencon-
trent avéc ou sans feldspath. L'auteur étudie au microscope
les divers minéraux trouvés par lui dans les roches qu’il
attribue au Permien. Il donne la monographie d’un certain
nombre d'échantillons qu'il grouped’après leur provenance,
et conclut que la composition de ce terrain est assez uni-
forme dans tout le massif. Les mêmes échantillons se
retrouvent dans tous les gisements, bien que la prédomi-
nance puisse appartenir à tel type ou à tel autre.
Les roches que l’auteur classe dans le Permien sont les
phyllades qui constituent le grand massif de la Becca-Motta,
les phyllades de la haute vallée de Saint-Bon, près du col
du Fruit, les phyllades du massif Polset-Péclet, les phyllades
qui se dressent de l’autre côté du col de Chavière, les phyl-
lades du col d’Aussois et ceux du glacier de la Vanoise.
: Le Trias comprend un certain nombre d'assises qui sont,
de bas en haut : 1° quartzites, 2° marbres chloriteux avec
schistes noirs, cargneules ou calcaires siliceux zonés,
3° calcaires de la Vanoise, 4° cargneules supérieures.
Les quartzites sont des grès quartzeux métamorphiques
à grain fin et renfermant peu d'éléments étrangers à la
silice. Ils sont blancs, compactes et peuvent s’étudier surtout
aux environs de Pralognan. Les massifs du Creux-Noir et
de la Vuzelle en sont entièrement formés.
Le niveau des marbres chloriteux comprend, au point de
vue pétrographique, un certain nombre de types suscep-
tibles de se remplacer mutuellement et passant les uns aux
autres. Ce sont des marbres phylliteux, des schistes noirs
à rognons de calcaire magnésien, des cargneules, des
gypses, des calcaires siliceux zonés, des calcaires magné-
siens jaunes. Le plus constant et le plus caractéristique
de ces divers termes est celui des marbres phylliteux.
Les calcaires de la Vanoise qui correspondent, pour la
plus grande partie, aux calcaires du Briançonnais de Lory,
consistent en calcaires gris siliceux et albitiques. M. Termier
n'y a trouvé, comme débris organiques, que des fragments
de polypiers et pense que la majeure partie de ces calcaires
est d'origine corallienne.
Ces divers terrains semblent avoir été soumis à la même
cause de métamorphisme qui doit être attribuée, selon
l'auteur, à la chaleur dégagée par les mouvements orogé-
niques. Cette chaleur se serait produite lentement, mais
n'aurait pu se dissiper que très lentement aussi, à cause de
la faible conductibilité des roches. L’action prolongée pen-
dant une longue suite d'années d'une température de 200 à
250° peut recuire les sédiments et provoquer une recristal-
lisation complète des éléments qui les composent.
J'arrive maintenant à la stratigraphie du massif dont je
ne tracerai que les grandes lignes, telles que M. Termier les
indique dans la première partie de son ouvrage. D’après
lui, deux anticlinaux permiens réunis à Modane partent de
là pour se diriger vers le nord. Le synclinal triasique du
col de Chavière apparaît d’abord entre eux. Plus loin, les
anticlinaux divergent : celui de l’est supporte la plus grande
partie du glacier de la Vanoise et se dirige vers le nord-est,
tandis que celui de l’ouest court d’abord nord-nord-ouest
et ne prend la direction nord-est qu’au-delà du col du
Fruit. La bande triasique du col de Chavière s'étale entre
les deux bandes permiennes entre lesquelles se multiplient
les anticlinaux et les synclinaux secondaires.
À Bozel, l’anticlinal permien tourne peu à peu vers l’est
et ensuite vers le sud-est. Il se dirige de nouveau à l’est, à
la pointe du Vallonet, pour reprendre la direction nord-est
dans le cirque de la Plagne et disparaître sous le Trias des
rochers de Pramecou. Quant à l’anticlinal permien du
glacier de la Vanoise, dont la direction nord-est est à peu
près invariable, il disparaît, à son tour, sous les calcaires
triasiques du vallon de la Leisse. À l’est de cet anticlinal,
apparaît une deuxième bande triasique qui peut se suivre
de Modane à Tignes. Le massif de la dent Parachée, les
calcaires et cargneules de Termignon et du Plan-du-Lou,
ainsi que les escarpements des rochers du Col, appartiennent
à cette bande synclinale. Ces assises triasiques se soudent
ensuite, dans le vallon de la Leisse, à celles de la Vanoise.
De Termignon à Tignes, la deuxième bande triasique est
limitée à l’est par les Schistes lustrés dont les allures strati-
graphiques qu'étudie M. Marcel Bertrand ne sont pas encore
complètement élucidées.
Bien que certaines conclusions de cette étude nous sem-
blent un peu prématurées et que quelques questions de
— 295 —
tectonique ne paraissent pas résolues d’une façon définitive,
nous ne saurions trop insister sur le mérite de ce travail
et sur la précision des observations faites par l’auteur.
%k
*X *
La précision apportée dans les observations fait égale-
ment l’un des principaux mérites du Mémoire de M. KiILIAN.
C'est une étude importante de la portion des Alpes Fran-
çaises comprise entre la haute vallée de l'Isère, la frontière
italienne et la haute vallée de l'Ubaye (297). Les recherches
du professeur de Grenoble ont porté principalement sur la
bande de terrains sédimentaires située entre les zones cris-
tallines du Mont-Blanc et du Mont-Rose, bande que Lory
appelait deuxième et troisième zone et que M. Diener,
comme je l’ai déjà dit, désigne sous le nom de zone du
Briançonnais. Comme j'ai eu le plaisir, pendant ces deux
dernières années, d'accompagner M. Kilian dans quelques-
unes de ses excursions et que son travail nous indiquera le
point précis où en sont nos études géologiques, je le résu-
merai avec soin et j'étudierai avec lui la constitution et
l'âge des diverses assises, la structure de la région, enfin
l'histoire des mouvements du sol dans le système alpin.
La série des formations qui affleurent dans le champ
d'étude de l’auteur est la suivante : Schistes lustrés, Houil-
ler, Permien, Trias, Jurassique, Nummulitique.
Les Schistes lustrés du Queyras sont, à Combe-Brémond,
inférieurs aux argilolithes du Permien. Entre le lac du
Paroird et le Longet, à Maurin et près de Château-Queyras,
ils sont directement recouverts par les quartzites triasiques.
En d’autres points et par suite de la disparition mécanique
de ces derniers, des calcaires sont en superposition immé-
diate au-dessus d’eux.
_— 9296 —
Au col de Longet, les Schistes lustrés passent insensible-
ment vers le bas à des schistes micacés et à des roches
gneissiques. Ils occupent de vastes étendues entre Bardon-
nèche, Oulx et Césanne, ainsi que dans le Queyras. Leur
identité avec ceux des environs de Modane est incontes-
table ; ils appartiennent à la même formation et présentent
les mêmes caractères pétrographiques. On ne peut, dans
l’état actuel de la science, les rapporter au terrain primitif
ou à un étage déterminé de la série primaire ou paléo-
zoïque ; tout ce que l'on peut affirmer, conclut M. Kilian,
c’est qu'ils sont antérieurs au Permien.
Le Houiller forme, entre Saint-Michel et Modane, un
grand pli anticlinal disposé en éventail, à droite et à gauche
duquel ont eu lieu des étirements et des glissements de
couches. Ce terrain se montre, à l’ouest, dans quelques
anticlinaux de la deuxième zone, comme à Saint-Jean-de-
Belleville et à Moûtiers. I disparaît à l’est d’une ligne
Modane-Briançon et semble céder la place aux Schistes
lustrés.
Un certain nombre d'assises peuvent être rapportées au
Permien. Ce sont les phyllites verts à noyaux feldspathiques
des environs de Modane, les grès kaolino-argileux et les
argilolithes schisteuses vertes et lie de vin que l’on trouve
dans le massif des Rochilles et du Grand-Galibier, et enfin
des conglomérats de quartz rosé et blanc. L'existence de
cet horizon intermédiaire entre les quartzites triasiques et
le terrain houiller paraît assez générale. Aucun fossile ne
donne, il est vrai, le droit de rattacher d'une façon absolue
ces diverses assises au Permien, mais leur position strati-
graphique autorise celte interprétation.
Le Trias se compose de quatre termes qui sont, en
remontant lès couches : quartzites, cargneules et gypses
— 297 —
inférieurs, marbres phylliteux et calcaires dolomitiques,
cargneules et gypses supérieurs.
Les quartzites peuvent se suivre de la Tarentaise jusqu'aux
Alpes Maritimes. Ils forment un bombement au fond du
cirque de Varbuche, où ils sont directement surmontés par
les calcaires du Trias moyen.
Les cargneules et gypses inférieurs atteignent un grand
développement dans certaines localités, tandis que, dans
d’autres, ils sont réduits à une assise de quelques mètres.
On peut les étudier au Signal même du mont Thabor, où ils
reposent sur les quartzites et où ils supportent, au nord-
est, les dalles calcaires sur lesquelles est construite la
chapelle.
Les calcaires dolomitiques sont grisâtres, généralement
saccharoïdes, cristallins et moirés, parfois phylliteux à la
base, comme ceux de la Vanoise, ou accompagnés de
schistes rougeâtres ou verdâtres. Ils sont souvent bréchoïdes
et présentent de petites taches blanches qui doivent avoir
pour origine des organismes, mais dont la véritable struc-
ture ne peut être reconnue. MM. Zaccagna et Mattirolo ont
trouvé, à ce niveau, des fossiles au col des Acles. La paléon-
tologie vient donc confirmer les données stratigraphiques
pour le classement de ces assises qui forment une bande
à peu près continue s'étendant de la haute Tarentaise à
l'Ubaye.
Un niveau supérieur de gypses et cargneules se montre
superposé aux calcaires que nous venons d'étudier. On
l’observe aux environs de Moûtiers, au col de Varbuche ct
près du Monêtier de Briançon. Ces gypses ont un dévelop-
pement considérable dans la vallée de l’Arvan, près de
Saint-Jean de Maurienne. Ils forment, en ce point, un anti-
clinal au milieu des schistes du Lias. Ils affleurent également
— 298 —
au col du Galibier, mais ne se retrouvent plus dans la vallée
de l'Ubaye. Dans la basse Maurienne, on trouve, à la partie
supérieure des gypses, des schistes à teinte violette et à
mouchetures d'un vert clair. Dans le Briançonnais, par
contre, des schistes analogues sont associés et mêlés aux
calcaires du Trias moyen dans lesquels ils semblent former
des synclinaux.
Les relations des gypses et cargneules avec les autres
assises triasiques sont assez singulières pour que nous en
disions quelques mots : On voit souvent les gypses et le
calcaire se remplacer mutuellement et leur épaisseur
croître aux dépens l’une de l’autre. C’est ainsi qu'au tunnel
du Galibier les gypses passent latéralement à des calcaires
dolomitiques et au mont Genèvre les calcaires passent à des
cargneules. M. Kilian conclut de ces faits que les gypses, les
cargneules et les calcaires ne sont que des modifications
latérales d’une même assise. Il se borne à constater ce pas-
sage latéral sans se prononcer sur l’origine de ces gypses et
sans conclure que, du fait que ces couches se remplacent
dans la série, elles se soient substituées les unes aux autres
par transformation chimique.
Le Jurassique débute par l'Infra-lias dont les assises
consistent, le plus souvent, en calcaires noirs dolomitiques
souvent satinés et devenant jaunâtres sur les surfaces
exposées à l’air. Quant au Lias, il est plus calcaire à sa
base qu’à sa partie supérieure. Si l'on ne s’attachait qu'à sa
nature pétrographique, on ne pourrait y établir que deux
subdivisions : l’une inférieure, calcaire, correspondant au
Lias inférieur et à la partie inférieure du Lias moyen ;
l’autre supérieure, schisteuse, correspondant aux parties
moyennes et supérieures du Lias moyen ainsi qu'à tout le
Lias supérieur.
— 299 —
Dans la subdivision inférieure, on observe une brèche
calcaire que l’on peut suivre de Moûtiers à Sérenne, dans
les Basses-Alpes. Cette brèche est particulièrement déve-
loppée au tunnel du Télégraphe, près de Saint-Michel. Elle
constitue un niveau qui pourra servir de point de repère
dans l’étude des couches liasiques de la région.
Un horizon de calcaire blanc coralligène a été découvert
dans le Lias, par M. Kilian, à Dorgentil, près de Saint-
Jean de Belleville. Cet horizon est analogue aux couches
de même âge des Alpes orientales étudiées par M. Wachner,
et renferme des polypiers, des bélemnites, des limes, des
zeillerias et des radioles de cidaris. Il se retrouve au
voisinage du col de Varbuche et au Pas-du-Roc, où il est
intercalé dans des calcaires marneux noirs compris entre
un banc fossilifère à avicula contorta et les marnes schis-
teuses du Lias supérieur.
Le Lias schisteux est peu fossilifère et ne renferme que
des bélemnites. On doit en détacher certaines assises de la
partie supérieure pour les rapporter au Bajocien. Celles-ci
ont été étudiées, à Arsine et au Villard d’Arène, par
M. Haug, et, au col de la Madeleine, par M. Kilian et par
nous. Dans cette dernière localité, elles forment un syn-
clinal qui se poursuit jusque dans l’Oisans, par La Chambre
et Saint-Sorlin d’Arves, par Saint-Jean de Maurienne,
Montrond et le col Lombard.
Les calcaires du Jurassique supérieur ont, dans la
deuxième et troisième zones, une extension plus considé-
rable qu'on ne le supposait. M. Kilian les à signalés récem-
ment, en Savoie, près du lac Blanc, entre le roc du Grand-
Galibier et le col de la Ponsonniére (296). Ils affleurent au
milieu des névés et à une altitude de 2,809 mètres. Nous
avons visité ensemble ce gisement, le 49 août 1891, et j’ai
— 300 —
pu constater la justesse et le mérite de la découverte du
savant professeur.
Les assises tithoniques forment, en ce point, un synclinal
couché au milieu des brèches liasiques et sont particulière-
ment fossilifères. Nous avons pu, en quelques instants, y
faire une abondante récolte. C’est là une acquisition nou-
velle pour la géologie des grandes Alpes, car on ne con-
naissait jusqu'ici aucun lambeau de ce terrain au nord de
Guillestre.
Le Nummulitique peut se suivre, sans interruptions, du
Cheval-Noir (Tarentaise), au col de Lauzanier (limite des
Basses - Alpes et des Alpes-Maritimes). Il débute, aux
environs de Moûtiers et de Saint-Jean de Maurienne, par
des arkoses et par une brèche micacée à éléments variés
dont la véritable attribution a souvent été méconnue, car
elle a été considérée en certains points comme appartenant
au Trias. Il existe donc, dans toute cette région, deux
brèches bien distinctes : l’une est calcaire et appartient au
Lias, c’est la brèche du Télégraphe, l’autre est micacée et
quartzifère et doit être rapportée au Tertiaire. °
On rencontre des nummulites dans des calcaires blancs,
jaunâtres, intercalés à la base du système. Ces calcaires
semblent constituer un niveau entre les brèches et arkoses
de la base et les schistes et conglomérats du Flysch. Quant
à la partie supérieure du terrain nummulitique, elle est for-
mée par une grande épaiseur de schistes ardoisiers.
L'auteur, après cette description des terrains, arrive à
l'étude des dislocations. Le plus grand nombre de celles
qui s'observent dans nos zones alpines doivent être attri-
buées à des phénomènes tangentiels. La coupe bien connue
de la vallée de l’Arc, entre Saint-Jean et Modane, et un
profil transversal de l'arête de Varbuche suffisent pour
— 301 —
apprécier l'importance des actions de plissement. Nulle
part on ne constate de véritables failles, et celles qu’on a
appelées de ce nom ne consistent qu’en des plis cassés ou
en des plans de glissements des couches dus à des étire-
ments ou à des chevauchements. Ces derniers phénomènes
sont d’ailleurs en rapport intime avec les plis. Le rôle attri-
bué à de grandes fractures a donc été considérablement
exagéré et les limites des facies ne coïncident pas non
plus exactement avec les quatre zones admises par Lory.
La troisième partie du Mémoire de M. Kilian traite de
l’histoire orogénique des Alpes occidentales. Selon:-lui, on
peut les considérer comme s'étant formées sous l'influence
de dislocations de diverses époques : les unes lentes et peu
prononcées, les autres plus accentuées. Les plus anciennes
sont antérieures à l’époque carbonifère ; elles sont très
accusées dans la chaîne de Belledone, tandis qu’elles ne
consistent ailleurs qu’en un simple exhaussement. A celles-
ci ont succédé des mouvements postérieurs au Houiller
attestés par des discordances entre celui-ci et les couches
du Trias et du Lias. Ces dernières dislocations ont laissé
des traces nettement marquées dans la zone du Mont-Blanc,
mais n'ont pas dû se faire sentir dans les chaines inté-
rieures ni dans la zone du Moni-Rose.
Au début de l’époque triasique, les eaux vinrent recou-
vrir en transgression une partie des zones alpines déjà
plissées. Pendant la période du Lias, la mer s’approfondit
de plus en plus, et il est probable qu'à ce moment les eaux
communiquaient avec le versant oriental des Alpes. En
outre, il semblerait que les massifs centraux auraient été
recouverts par une partie au moins des dépôts secondaires.
Ils se seraient toutefois plissés de nouveau à une époque
assez reculée, car la transgression du Jurassique supérieur
— 302 —
aux environs de Guillestre prouverait qu'il y eut là des
mouvements du sol après le Trias et avant le Jurassique.
Cette dernière conclusion, ainsi que celles relatives à quel-
ques lambeaux crétacés signalés par nos confrères italiens
dans les zones alpines, appellent cependant de nouvelles
recherches.
D’autres mouvements se produisirent encore entre le
Crétacé supérieur et le Nummulitique. On ne saurait, en
effet, s'expliquer autrement le changement considérable qui
se produisit alors dans le domaine maritime‘. Quant aux
phases orogéniques de la période tertiaire, elles sont peu
étudiées, à part les grandes dislocations qui eurent pour
effet de redresser la Mollasse, le Nummulitique alpin et
celles qui disloquèrent et donnèrent à nos chaînes subal-
pines leur relief actuel. Ces derniers mouvements miocènes
se firent-ils sentir dans les chaines alpines proprement
dites ? On ne peut se prononcer à cet égard, ainsi que pour
les mouvements de peu d'amplitude du Pliocène et du début
de l’époque quâternaire.
*
* *#
M. Micuez Lévy vient de publier (février 1892) un
Mémoire très intéressant sur les montagnes de Pormenaz
et du Prarion (305). La première présente du terrain
1 M. E. Haug, de la Faculté des sciences de Paris, est arrivé
aux mêmes conclusions dans l'étude si remarquble qu'il vient de
publier sur les chaînes subalpines entre Gap et Digne. Il insiste
sur l'importance des mouvements qui se sont produits à la limite
de l’époque crétacée et de l'époque tertiaire. Il constate que ces
mouvements postcrétacés dans les Alpes coïncident avec le maxi-
mum de retrait de la mer dans toute l'Europe occidentale, à
l'époque du Danien et de l’Eocène lo plus inférieur. (Loc. cit.,
p. 190.)
— 303 —
houiller discordant avec les schistes chloriteux feldspa-
thiques qui lui servent de soubassement et concordant
avec le Trias qui vient au-dessus. De nombreuses em-
preintes végétales recueillies près des chalets de Moëde
permettent d'établir que les couches se rapportent à un
niveau assez bas du Houiller supérieur. Cette constatation
précise l’âge de cette discordance qui serait dans les Alpes
de la même époque que dans le Plateau Central. Elle fut
suivie dans les deux régions de mouvements qui durèrent
jusqu'au Trias exclusivement ; car à la montagne du Prarion
le Trias repose indistinctement sur les micaschistes, les
schistes chloriteux et le terrain houiller. Cette montagne a
une structure très compliquée et comprend au moins deux
anticlinaux séparés par un pli faille. Elle est recouverte
de lambeaux triasiques et permiens que M. Michel Lévy
étudie avec détail. Sur la rive gauche de l’Arve, près du
Pont Pélissier, 1l a observé des quartzites blancs verdâtres,
des schistes vert pâle satinés et des arkoses chloriteuses
feldspathiques analogues aux roches vertes que M. Zac-
cagna appelle Bésimaudites. Ces roches paraissent ici insé-
parables des quartzites et doivent, d’après le savant pétro-
graphe, être considérées comme triasiques. Sur le versant
occidental du massif, le Trias forme comme un manteau et
plonge vers l’ouest. Les quartziles triasiques y reposent
vers le sud sur un ensemble de poudingues et de schistes
qui peuvent être comparés au Verrucano.
L'auteur décrit ensuite les principaux types de roches
rencontrées et termine par quelques considérations sur le
métamorphisme. Il s'agit, comme pour le Permien de la
Vanoise, d’un métamorphisme général ou régional dont
la cause déterminante a agi de même façon sur les sédi-
ments houillers et triasiques. Un second chapitre du Mé-
— 304 —
moire est consacré aux pointements de roches cristallines
qui affleurent dans le Flych du Chablais. Je n’aborderai
pas l’analyse de ces dernières recherches également très
remarquables, mais qui sortent du cadre de mon travail.
+
*+* *
Cet exposé montre que l’étude des phases qui ont amené
la formation de nos montagnes est très compliquée et que
de nombreuses recherches restent à faire pour arriver à
des conclusions définitives. On peut cependant, dès aujour-
d’hui, distinguer deux catégories dans l'ensemble des
phénomènes. Les uns se rattachent à des dislocations qui
ont eu lieu à la fin de la période primaire, les autres à celles
qui se sont produites à la fin de l’époque tertiaire. Les
premières eurent lieu dans la chaîne que MM. Suess et
Bertrand désignent sous le nom de chaîne hercynienne (258)
et se sont fait sentir dans la première zone alpine, les
secondes se sont effectuées plus spécialement dans les
Alpes.
J'ajouterai que les Alpes occidentales ont de nombreux
traits communs avec le reste de la chaîne. Les plissements
sont ici encore les seuls agents qui ont pris part aux prin-
cipales phases de leur formation.
Ainsi disparaissent les différences si longtemps considé-
rées comme classiques entre les Alpes orientales et les Alpes
occidentales. Les travaux de Favre, Lory, Pillet et Vallet
avaient prouvé que les anomalies signalées dans nos mon-
tagnes par Élie de Beaumont n'étaient pas réelles, et que
l'accord de la stratigraphie et de la paléontologie n'est
pas infirmé par leur étude. Les recherches plus récentes
de MM. Bertrand, Diener, Kilian et Termier prouvent
— 305 —
l'unité de formation du système alpin. À mesure que de
nouveaux {ravaux Seffectuent, les faits qui semblaient
contradictoires disparaissent et, comme l’a si bien dit M. de
Lapparent : « Tout vient confirmer cette grande idée d'ordre
qui domine la science et dans laquelle tout esprit non pré-
venu se plait à reconnaître l’évidente manifestation d'une
intelligence suprême, qui a présidé à Ja disposition de
toutes choses. »
1 DE LAPPARENT, Traité de géologie, ?° édition, p. CG.
IVe Sérre. — Tome 1Ÿ. 20
a
LISTE DES PUBLICATIONS GÉOLOGIQUES
CONCERNANT LES GRANDES ALPES DE SAVOIE!
4779. — 1.H.-B. DE SAUSSURE. — Voyages dans les
’ Alpes, précédés d’un essai sur l’histoire
naturelle de Genève (Neuchätel, 4 vol. in-#°,
avec planches). — T. II (1786), t. III, t. IV
(1796).
1780. — 2.J.-A. DE Luc.— Lettres physiques et morales
sur l’histoire de la terre et de l’homme (La
Haye, 1780, in-8°).
1787. — 3. BerTuHouD. -- VAN BERCHEM. — Excursions
dans les mines du Faucigny (Lausanne,
broch. in-8°). :
1795. — 4.— Description minéralogique d’une suite de
fossiles du Mont-Blanc ct des montagnes
avoisinantes, faite par le citoyen Berthoud,
sous les yeux de Werner (Journal des mines,
t. II, n° 7, n° x).
— — 5, Mémoire pour servir à la description miné-
ralogique du département du Mont-Blanc
(Journal des mines, t. I, n° 4, p. 405).
1798. — G. Dozomreu. — Rapport fait à l’Institut natio-
nal sur ses voyages de l’an V et de l’an VI
(Journal des mines, t. VII, p. 385 à 40? et
405 à 432).
1 Cetie liste ne comprend que les publications relatives aux chaines alpines propre-
ment dites. La bibliographie des chaines subalpines a été faite par M. Hollande,
dans son Jlisloire de lu colline de Lémenc, et j'ai cité, dans deux Mémoires sur le
Mont-du-Chat et le Corbelet, les divers travaux traitant des chaînes jurassiennes de
la Savoie.
Je dois des remerciements particuliers à M, Kilian qui a bien voulu mettre sa
bibliothèque personnelle à ma disposition et m'a permis de consulter celle du Jabora-
loire de géologie de Ja Faculté des sciences de Grenoble,
— 308 —
1803. — 7. HÉRICART DE THURY. — Mémoire sur l'an-
thracite (Journal des Mines, t. XIV, n°81,
p. 161). °
1804. — 8.— Sur un nouveau gisement de titane (Jour-
nal des mines, t. XV, p. 401).
1806. — 9. Jurine. — Lettre à M. Gillet-Laumont (Jour-
nal des mines, t. XIX, p. 367).
1807. -- 40. BERGER. — Description des Aïguilles Rouges
et autres montagnes du Faucigny (Journal
de physique, chimie, histoire naturelle, de
Delamétherie).
1808. — 11. BROCHANT DE VILLERS. — Observations géo-
logiques sur des terrains de transition qui
se rencontrent dans la Tarentaise et autres
parties de la chaîne des Alpes (Journal des
mines, t. XXIII, p. 321 à 400),
4819. — 12. — Considérations sur la place que doivent
occuper les roches granitoïdes du Mont-
Blanc et d’autres cimes centrales des Alpes,
dans l’ordre d’antériorité des terrains pri-
mitifs (Annales des nines, t. IV, p. 283).
148214. — 13. ALEXANDRE BRONGNIART. — Sur les carac-
tères zoologiques des formations avec l’ap-
plication de ces caractères à la détermina-
tion de quelques terrains de craie (Annales
des mines, t. V, p. 537 à 572, pl. 7 et 8).
— — 44. W. BucKkLaAND.— Notice of a paper laïd before
the Geological Society on the structure of
the Alps and adjoining parts ofthe conti-
nent and their relation to the secondary
and transition roks of England (Annals of
philosophy, ser. 2, t. I, p. 450). .
14828. — 15. BAKEWEL. — Travels comprising observations
made during a residence in the Tarentaise
and various paris of the Græcian and Pen-
nine Alps and in the Switzerland and
Auvergne, 1820, 1821, 1823.
4825. — 16. BRONGNIART. — Recherches sur les ossements
fossiles de Cuvier, t. II, 2" partie (Paris,
1825).
1826. — 17. À. NeckER. — Lettre au professeur G. Mau-
rice, sur les filons granitiques et porphyri-
— 309 —
ques de Valorsine et sur le gisement des
couches coquillères des montagnes de
Sales, des Fiz et du Platet (Bibliothèque
universelle, Genève, t. XX XIII, p. 62).
18238. — 18. JOENNoOZ. — Voyage dans une vallée des
Alpes ou description topographique et
lithologique de la vallée de Sixt (Annecy,
in-12, 37 p.)
— — 149, ÉLIE DE BEAuMonT. — Notice sur un gise-
ment de végétaux fossiles et de bélemnites
situé à Petit-Cœur, près Moûtiers, en Tl'aren-
taise {Annales des sciences nalurelles,
t. XIV, p. 113). |
— — 20. — Sur un gisement de végétaux fossiles et de
graphite situé au col du Chardonnet, dépar-
tement des Hautes - Alpes (Annales des
sciences nalurelles, t. XV, p. 353).
— — ?1. ADOLPHE BRONGNIART. — Observations sur
les végétaux fossiles des terrains d’anthra-
cite des Alpes (Annales des sciences naltu-
relles, t. XIV, p. 127).
— — 2, NeckER.— Mémoire sur la vallée de Valorsine
(Mémoires Soc. phys. el hist. nat. de Genève,
vol. IV, p. 209).
1829. — 9%. ÉLIE DE BEAUMONT. — Recherches sur quel-
ques-unes des révolutions de la surface du
globe (Annales des sciences naturelles,
1829-1830).
— — 24. Bonsox.— Notice sur quelques fossiles de la
J'arentaise, en Savoie (Mémoires de l’Aca-
démie des sciences de Turin, 1" série,
.t. XXII).
14833. — ?5. Dex LA Bice. — Manuel géologique (traduit
par Brochant de Villers).
14835. — 26. À. SiSMONDA.— Osservazioni geologiche sulla
valle di Suza ce sul Montcenisio (Mémoires
de l'Académie des sciences de Turin,
t. XXX VIII, p. 143).
— — 27. Rozxr. — Traité élémentaire de géologie (Le
vol. I contient 11 description sommaire des
terrains des Alpes de Savoie).
1838. — 30
= 0
— 310 —
. À. SISMONDA. — Osservazioni geognostiche e
mineralogiche intorno ad alcune valli delle
Alpi del Piemonte (Mémoires de l'Académie
des sciences de Turin, t. XXXIX, p.259".
. B. STUDER. — Essai sur la géologie des Alpes
Suisses occidentales {Bulletin de la Société
géologique de France, 1rsèrie, t. VIT, p.285).
. RENDU (M1). — Traits principaux de la géo-
logie de la Savoie (Mémoires de l'Académie
de Savoie, 1" série, t. IX, p. 193.
. — Analyse de deux mémoires de M. Duplan,
sur la géologie des Alpes (Méïnoires de
l'Académie de Savoie, 1" série, t. IX, p.11).
— — 82, DurrENoY et ÊLIE DE BEAUMONT. — Mémoi-
— — 31
— — 36
res pourscrviräiune description géologique
de la France (Paris, Levrault, 1830-1838).
. SISMONDA. — Lettre à M. de Collegno sur des
roches des Alpes (Bullelin de la Société géo-
logique de France, 1r série,t. IX, p. 229).
. — Osservazioni geologiche e mineralogiche
soproi monti posti tra la valle d’Aosta et
quella di Susa in Piemontc (Menoires de
l’Académie des sciences de Turin, > série,
CT):
. DE Luc. — Mémoire sur les blocs de granite
épars dans les vallées qui entourent la
chaîne du Mont-Blanc et en particulier
dans la vallée de Chamonix (Bulletin de
la Sociélé géologique de France, 1" série,
t. X, p. 363,
. — Lettre sur les vallées à fond plat des Alpes
(Bulletin de la Socièlé géologique de France,
t. XI, p. 41).
4840. — 37. ÉLIE DE BEAUMONT et Durrnexoy. — Carte
géologique de }a France, 1/500,000.
. DUFRENOY. — Age géologique des anthracites
des Alpes (Bulletin de la Société géologique
de France, 1" série, t. XII, p. 3).
.— Atti della seconda riunione delli scienziali
italiani,tenuta in Torino {septembre 1810).
4841. — 40. NECKER. — Etudes géologiques dans les Alpes
(Genève).
— 311 —
4841. — 41. À. SisMoNDA. — Memoria sui terreni strati-
ficati delle Alpi (Mémoires de l’Académie
des sciences de Turin, 2° série, t. III, p. 4).
— — 49, À. FAVRE. — Remarques sur les anthracites
des Alpes (Mémoires de la Société de physi-
que et d'histoire naturelle de Genève,t.IX).
— — 48, FourNET. — Recherches sur la géologie de la
partie des Alpes comprises entre le Valais
et l’Oisans (Annales de la Société d'histoire
naturelle et d'agriculture de Lyon, t. IV,
p. 105 et 483).
— —-hk, ReNpu (M1). — Théorie des glaciers de la
Savoie (Mémoires de l’Académie de Savoie,
dre série, t. X, p. 39).
4842. — 45. STUDER. — Aperçu général de la structure
géologique des Alpes, précédé de quelques
observations générales par E. Desor (Biblio-
thèque universelle de Genève, nouvelle
série,t. XXX VIII, p. 120).
14848. — 46. FOuRNET. — Note sur le développement du
Muschelkalk dans les parties est-sud et
sud-ouest de la France [Annales de la
Société d'agriculture et d'histoire naturelle
de Lyon,t. VI. Séance du 20 janvier 1843).
— — 47, À. FAVRE. — Considérations géologiques sur
le mont Salève et sur les environs de
Genève (Mémoires de la Sociélé de physique
et d'histoire naturelle de Genève, t. X, 2 p1.).
— — 48. ForBEs. — Travels trough the Alps of Savoy
and other parts of the Pennin chain (un
vol. in-8°).
14844. — 49, CaAmoussET. — Notes, observations et discus-
sions diverses sur la géologie de la Savoie,
publiées à l’occasion de la réunion de la
Société géologique de France à Chambéry
(Bulletin de la Société géologique de France,
2° série, t. I, p. 601).
— — 50. Sc. Gras. — Introduction à un essai sur la
constitution géologique des Alpes centrales
de la France et de la Savoie (Bullelin de la
Sociélé géologique de France, & série, t. I,
p. 690. -- Bullelin de la Sociélé statistique
de l'Isère, t. III, p. 282).
4844. — 51. À. BiLLIET (M1). — Discours sur l’état de Ia
constitution géologique de la Savoie (Bul-
letin de la Sociélé géologique de France,
2 série, t. I, p. 607, et Mémoires de l’Acadé-
mie de Savoie, 1" série, t. XII, p. 319).
-- — 59, Renpu (M1). — Quelques problèmes relatifs
à la chaîne des Alpes (Bulletin de la Sociélé
géologique de France, ? série, t. I, p. 791).
— — 58. Sismonpa. — Carte géologique des États
Sardes, avec quelques considérations sur
les soulèvements du sol des Alpes, sur l'état
métamorphique des terrains stratifiés et
sur les terrains crétacé et tertiaire de ces
contrées {Bulletin de la Sociélé géologique
de France, 2' série, t. I, p. 783).
— — 54,— Observations sur la carte géologique des
États Sardes (Bulletin de la Société géolo-
gique de France, ® série, t. I, p. 783).
1845. — 55. CLÉMENT MuLLerT.— Souvenirs de la réunion
| de la Société géologique de France à Cham-
béry, en août 1844 (Mémoires de la Société
d'agriculture, des sciences, arts el belles
lettres de l'Aude).
1846. — 56. STuper. — Coup d’œik sur la géologie des
Alpes occidentales (Archives des sciences
physiques et naturelles de Genève, t. III,
p. 218).
— — 57. FourNET. — Suite des. recherches sur la géo-
logie de la partie des Alpes comprise entre
le Valais et l’Oisans (Annales de la Société
d'histoire naturelle et d'agriculture de
Lyon, t. IX, p. 1).
— — 58, — Atti della ottava riunione delli scienziali
italiani tenuta in Genova dol 14 al 19 set-
tembre 1846.
— — 59, L. MENABREA. — Réunion de la Société géo-
logique de France à Chambéry (Memoires
de l’Académie de Savoie, 1" série, t. XII,
p. 85).
1847. — GO.
1848. — Gi.
6
= 0
1849. — GG.
— 9313 —
À. FAvVRE. — Observations surla position rela-
tive des terrains des Alpes Suisses occi-
dentales et des Alpes de la Savoie fArchives
des sciences physiques el nalurelles, t. V.—
_ Bullelin de la Société géologique de France,
t. IV, p. 996).
— Recherches géologiques faites dans les
environs de Chamonix, en Savoie (Archives
des sciences physiques el naturelles, t. VIT,
D. 265. — Bulletin de la Sociélé géologique
de France, ? série, t, V, p. 69).
. SisMoxDa. — Extrait d’une lettre de M. le
professeur Ange Sismonda, membre de
l'Académie des sciences de Turin, à M. Élie
de Beaumont (Bulletin de la Société géolo-
gique de France, À série, t. V, p. 410).
R. J. MurcisoN. — Notice sur les Alpes ct
les Apennins et sur le développement de la
formation éocène dans ces deux chaînes de
montagne fGeolog. Sociely of London, 13
décembre 1818).
. C.-J.-F. BuxBuRrY. — On fossil plants from the
anthracite formation of the Alps of Savoy
(Quatcrly Journ. of the geolog. Soc. of
London, t. V, p. 130-142, in-8&, Londres,
1818-1819).
D'’ArcHIAG. — Histoire je progrès de la géo-
logie (in-8, Paris),
H. DE LA BÈCHE. — Sur les végétaux fossiles
du terrain anthracifère des Alpes (Qualerly
Journal of the Geolog. Soc. of London, 1819,
t. V, p. 38),
. À. FAVRE. — Essai sur la géologie des monta-
gnes placées entre la chaîne du Mont-Blanc
et le lac de Genève (Bulletin de la Société
géologique de France, ? série, L. VII, p. 49.
— Archives des sciences physiques et nalu-
relles, t. XX, p. 314).
. — Notice surla géologie de la vallée du Repo-
soir, en Savoie (Archives des sciences
physiques et nalurelles, t. XI, p. 114).
— 914 —
1849. — 69. R.-J. MurcHIsoN. — Sur la structure géolo-
1850.
1851.
gique des Apennins et des Carpathes, pour
montrer le passage des formations secon-
daires aux tertiaires et le développement
de l’Éocène dans le sud de l’Europe (Qua-
Lerly Journal of the Geology, t. V).
— 70. DELESSE. — Sur Îla protogine des Alpes
——
(Bulletin de la Sociélé géologique de France,
2 série, t. VI, p. 230).
71. — Recherches sur l’euphotide (Bulletin de la
Société géologique de France, & série, t. VI,
p. 947).
72. FouRNET. — Suite des études sur la géologie
74. J.
des Alpes entre le Valais et l’'Oisans. —
Aperçus.historiques et géologiques sur les
terrains sédimentaires alpins (Société d’his-
toire naturelle et d’agricullure de Lyon,
2° série, t. I, p. 185).
. DAUBREE. — Recherches sur l’origine des
filons titanifères des Alpes (Bulletin de la
Sociélé géologique de France,® série, t. VIT,
p. 270).
FourNET.— Notes sur quelques résultats
d’une excursion dans les Alpes, faite en
août et septembre 1819 (Bulletin de la
Société géologique de France, ? série, t. VII,
p. DA8).
75. OswaLzD HEER. — Sur les plantes de l’anthra-
cite des Alpes (Zeonh. and Bronn Neves
Jahrb., 1850, p. 657).
76. B. STuDER. — Lettre adressée à M. Léonard
(Leonard ana Bronn, Neues Jahrbuch, 1850,
p. 826).
. DELESSE. — Analyse du granite de Valor-
sine (Bulletin de la Sociélé géologique de
France, 2 série,t. VII, 424).
. DE MORTILLET. — Sur le gisement anthra-
cifère de Petit-Cœur (Les Alpes, Genève,
1850, n° 3, p. 17 à 20).
. STUDER. — Géologie de la Suisse (Berne et
Zurich, 1851).
1851. — 80. À.
— — SL. A.
1852. — 82. LB.
——
— 83. G.
— 315 —
FAVRE. — Sur le terrain anthracifére de la
Tarentaise, sur les serpentines et sur la
présence de la craie blanche dans les Alpes
de Savoie, ou plutôt à la jonction des Alpes
et du Jura (Bulletin de la Société géologique
de France, ® série, t. VIII, p. 623).
SCHLAGINTWEIT. — Sur la formation des
vallées dans les Alpes (Bullelin de la Sociélé
géologique de Trance, 2° série, t. IX, p. 74).
STUDER. — Sur la carte géologique de la
Suisse (Mémoire lu le 18 août 1852, à la
réunion de la Société helvétique à Sion.
Bibliothèque universelle de Genève, t. XXI,
p. 118). |
DE MorTizzETt. — Lettre à M. Élie de
Beaumont, sur le Lias de la Tarentaise
(Bulletin de la Sociélé géologique de France,
t. X, p. 18).
— 8h. ÊLrE DE BEAUMONT. — Notice sur les systé-
— 85. À.
1853. — &. G.
mes de montagnes (3 vol. in-12, 1543 pages).
SGHLAGINTWEIT. — Sur la structure géolo-
gique des Alpes (Sociélé scientifique de
Berlin, mars 1852).
DE MORTILLET.— La flore houillère a-t-elle
été, dans certains cas, contemporaine de la
flore liasique ? (Bullelin de l’Instilut nalio-
nal genevois, t. I, p. 21).
. STUDER et ESCHER DE LA LINTH. — Carte
géologique de la Suisse à 41/580,000 (Une
seconde édition de cette carte a été publiée
en 1867).
1854. — 88. L. PILLET. — Discours sur le terrain anthra-
— 89. G.
cifère de la Savoie (Mémoires de l’Académie
de Savoie, ? série, t. II, p. 23).
DE MorTILLET. — Note sur les combusti-
bles minéraux de la Savoie (Annecy, chez
Aimé Burdet).
— 90. ScrpION GRAS. — Mémoire sur le terrain
anthracifère des Alpes de la France et de la
Savoie (Annales des mines, L. V, p. #73).
1855. — 91. G. DE MoRTILLET.— Prodrome d’une géologie
1855. — 92
=. 108
— —9%4
— — 9
— 316 —
de la Savoie (Mémoires de l’Institut gene-
vois, t. IIT).
. G. DE MoRrTILLET. — Guide de l'étranger en
Savoie (Chambéry, 1855).
. — Tableau des terrains de la Savoie(Bulletin
de la Sociélé florimontane d'Annecy, t. I,
— 1851-1855 — entre p. 124 et 195).
.— La Savoie avant l’homme (Bulletin de la
9. E.
. À,
Sociélé florimontane d'Annecy, t. I, — 1851-
4895 — p. 327).
GUEYMARD. — Mémoire sur le platine des
Alpes (Bulletin de la Socièlé géo'ogique de
France, À série, t. XII, p. 429).
5. SCIPION GRas. — Sur la constitution géolo-
gique du terrain anthracifère alpin et les
différences qui le séparent du terrain num-
mulitique (Bulletin de la Sociélé géologique
de France, ? série, t. XIT, p.25).
. SISMONDA. — Note sur des fossiles trouvés
au col des Encombres, Savoie (Bulletin de
la Socielé géologique de France, à série,
t. XII, p. 631).
GauDpny.-— Résumé des travaux qui ont été .
entrepris surles terrains anthraciféres des
Alpes de la France et de la Savoie (Bulletin
de la Socielé géologique de France, À série,
t. XII, p. 580).
. ROZET. — Mémoire géologique sur les Alpes
françaises (Zullcetin de la Sociélé géologique
de France, ? série, t. XII, p. 20%).
— — 100. D.Suanrpe.— Surla structure du Mont-Blanc
et ses environs (Archives des sciences physi-
ques el nalurelles, k série, t. XXVIII,
p. 270).
— — 401. ÊLIE DE BEAUMON'T. — Remarques sur une
carte des contours approximatifs de lu
région anthracifère des Alpes occidentales
(Bulletin de la Société gevulogique de France,
2° série, t. XII, p. 670).
— — 102, À, SismoxpA. — Lettre à M. Élie de Beau-
mont sur une course exécutée par lui avec
1856. — 103
4857. — 104
— —10
— — 106
1858. — 107
4859. — 110.
— — Ai.
— 317 —
M. Fournet, aulour du Mont-Blanc, en
septembre 1855 (Bullelin de la Sociélé géo-
logique de France, ° série, t. XIII, p. G4).
. J. FORBEs. — Sur les relations géologiques
des roches secondaires et des roches pri-
maires dela chaîne du Mont-Blanc(Archives
des sciences physiques el nalurelles de
Genève, t. XXXI, p. 281).
. À. SismoNDaA. — Lettre à M. Élie de Beau-
mont (Comptes-rendus de l’Académie des
sciences, des 26 octobre et 7 décembre 1857).
. CHARTERS. — On a section near Mont-Blanc
(Qual. J. geol. Soc., t. XII).
. ScrPION Gras. — Sur la réalité de l’associa-
tion des plantes houillères dans les Alpes
et comment on peut l'expliquer (Bulletin de
la Socièlé géologique de France, 2 série,
t. XIV, p. 062).
. ScrPION GRas.— Examen de quelques asser-
tions de M. d’Archiac, relatives à l’associa-
tion des coquilles du Lias aux végétaux
houïillers dans les Alpes (Bulletin de la
Sociélé géologique de France, ® série, t. XV,
p. 426).
. G. DE MorriLLeT.— Géologie et minéralogie
de la Savoie (Annales de la chambre royale
d'agricullure et de cominicrce de Savoie,
t. IV).
. À. FAVRE. — Observations relatives aux
lettres sur la constitution géologique de
quelques parties de la Savoie, adressées
par M. le professeur Sismonda à Élie de
Beaumont (Archives des sciences physiques
et nalurelles, t. I, p. 20).
— Mémoire sur les terrains liasique et keupé-
rien des Alpes de Savoie (Mémoires de la
Sociélé de physique el d'histoire nalurelle
de Genève,t. XV,3 pl. — Archives des scien-
ces physiques et naturelles, t. IV, p. 327).
HégertT.— Note sur le travail de M. Favre,
intitulé : Méinoire sur les lerrains liasique
— 318 —
et keupérien de la Savoie {Bulletin de la
Sociélé géologique de France, ?: série, t. XVI,
p. 610).
4859. — 112. Cu. Lony. — Note sur l’anomalie stratigra-
phique de Petit-Cœur, en Tarentaise (Bul-
letin de la Socièlé géologique de France,
Rr° série, t. XVI, p. 825).
— — 118. A. SisMoNDA. — Lettre à M. Élie de Beau-
mont. — Note sur le calcaire fossilifère du
fort de l’Esseillon (Comptes-rendus de
l’Académie des sciences de Paris, séance du
19 septembre 1859).
— — 44. CH. Lory. — Note sur les grès de la Mau-
rienne et du Briançonnais (Bulletin de la
Sociélé géologique de France, t. XVII, p.21).
1860. — 115. — Nouveaux documents sur les grès de la
Maurienne et du Briançonnais (Bulletin
de la Société géologique de France, ? série,
t. XVII, p.177).
— — 116. — Nouveaux détails sur un gisement de
nummulites en Maurienne et considéra-
tions sur l'usage des caractères stratigra-
phiques dans les Alpes (Bulletin de la
Sociélé géologique de France, t. XVII, p.181).
— — 117. — Note sur la constitution stratigraphique
dela Haute-Maurienne(Bullelin de la Sociélé
géologique de France, ® série, t. XVIII,
p. 94).
— — 118. — Nouveaux documents sur les grès de la
Maurienne et des Hautes-Alpes(Bullelin de
la Société géologique de France, ® série,
t. XVII, p. 177).
— — 119. — Description géologique du Dauphiné
(Isère, Drôme et Hautes-Alpes), publiée en
trois parties dans les tomes V, VI et VII
du Bullelin de la Sociélé de statistique de
l'Isère.
— — 120. A. FAVRE. — Note sur le terrain houiller et
nummulitique de la Maurienne (Archives
des sciences physiques el naturelles, t, X,
D. 18.— Bulletin de la Société géologique de
France, ? série, t. XVIII p. 47).
— 319 —
4860. — 121. À, FAVRE. — Observations relatives à la note
de M. Emile Benoît, sur les terrains ter-
tiaires entre le Jura et les Alpes (Archives
des sciences physiques et naturelles, t. IX,
p. 43).
— — 422. VALLET (l’abbé). — Note sur l’Infra-lias et
le Trias de la Haute-Savoie (Bullelin de la
Sociélé géologique de France, ®% série,
t. XVIII, p. 798).
— — 193. Sc. Gras. — Sur les oppositions observées
dans les Alpes entre l’ordre stratigraphique
et les car acier es paléontologiques (Annales
des inines, 2° série, t. XVIII).
— — 494. G. DE MonTiLLer. — Notes géologiques sur
la Savoie (Revue Savoisienne).
48681. -— 425. O. Heer. — On the anthracit plants of the
A]lps (Qual. Journ. of the geol. Soc. of Lon-
don, t. XVII, 1861).
— — 496. L. PILLET. — Etudes géologiques sur les
Alpes de la Maurienne (Mémoires de l’Aca-
démie de Savoie, À série, t. IV, p. 364).
— _— 197, B. STuDER. — Sur les couches en forme de C
dans les Alpes (Archives des sciences physi-
ques et naturelles, t. XI, p. 5).
— — A8. À. FAvRE. — Notice sur la réunion de la
Société géologique de France en Maurienne,
en septembre 1861 (Archives des sciences
physiques et nalurelles, t. XIT, p.154).
— — 129,37. Fourner. — Note sur le Trias alpin (Bul-
lelin de la Société géologique de France,
2: série, t. XVIII, p. 695).
— — 130. C. Lorny. — Procès-verbaux de la réunion
extraordinaire et des excursions de la
Société géologique de France dans la Mau-
.rienne et le Brianconnaiïis (Bullelin de la
Sociélé géologique de France, ®% série,
t. XVIII, p.694 à 826).
— — 131. DrIAN. — Note sur l’anthracite de la Mau-
rienne (Bullelin de la Sociélé géologique de
France, ? série, t. XVIII, p. 752).
— — 4132. — Notice sur les cristaux d’albite renfermés
— 320 —
dans les calcaires magnésiens des environs
de Modane (Bulletin de la Sociélé géologique
de France, ® série, t. XVIII, p. 804).
1861. — 133. DescLoizeaux. — Note sur les cristaux noirs
de la dolomie de Villarodin (Bullelin de
la Sociélé géologique de France, 2 série,
t. XVIII, p. 805).
4862. — 134. A. SISMONDA. — Carta geologica di Savoya
Piemonte e Liguria.
— — 185. DE MorTILLET. — Terrains du versant ita-
lien des Alpes comparés à ceux du versant
français (Bullelin de la Société géologique
de France, ? série, t. XIX, p. 849).
— — 136.93. FourxEer. — Aperçus relatifs à la carte
| géologique de la Savoie, du Piémont et de
la Ligurie, de M.le commandeur Angelo de
Sismonda (Bulletin de la Sociélé géologique
de France, ? série, t. XX, p. 68).
— — 187, À. FAVRE. — Note sur la présence, en Savoie,
de la ligne anticlinale de la Mollasse qui
traverse la Suisse el une partie de la Bavière
(Archives des sciences physiques el nalu-
relles, t. XIV, p. 217).
— — 138. — Carte géologique des parties de la Savoie,
du Piémont et de la Suisse, voisines du
Mont-Blanc, à 1/150,000.
— — 1439. — Explication de la carte géologique des
parties de la Savoie, du Piémont ct de la
Suisse, voisines du Mont-Blanc (Archives
des sciences physiques el naturelles, t. XV,
p. 258).
— — 4140. VALLET (L'abbé). — Etudes sur l’Infra-lias
de Matringe et de la Maurienne (Mémoires
de l’Acadéinie de Savoie, série, t. V, xxx).
1863. — 141. FOURNET. — Détails concernant l’orogra-
phie et la géologie de la partie des
Alpes comprise entre la Suisse et le comté
de Nice (Mémoire présenté à l’Académie
des sciences, belles-lettres el arts de Lyon,
dans sa séance du 20 janvier).
— — 142 0. HrEr. — Lettro à M. À. Favre, sur le
— 321 —
terrain houiller de la Suisse et de la Savote
(Archives des sciences physiques et natu-
relles de Genève, t. XVI, p. 178).
1863. — 143. TyNDaLL. — Sur la conformation des Alpes
(Philosophical magazine, septembre 1862).
— — 144. SToPPANI. — Sur les couches à avicula con-
torla du versant nord-ouest des Alpes
principales (Archives des sciences physiques
et naturelles de Genève, t, XVII, p. 273).
— — 145. À. BURAT. — Une excursion dans les Alpes
françaises (Revue universelle de Liège,
décembre 1863).
— — 146. CONTE. — Rapport sur le percement du grand
tunnel des Alpes (Annales des Ponts-el-
Chaussées, 4 série, 1% semestre, 1863, p. 4).
— 147. LACHAT. — Note sur les terrains qui avoisi-
nent le tunnel des Alpes — annexée à la
carte minéralogique — (Annales des Ponts-
ei-Chaussées, 4 série, 1e semestre 1863, p.42).
1864. — 148. C. Lory. — Essai d’une nouvelle explication
de l’anomalie stratigraphique de Petit-
Cœur, en Tarentaise (Bulletin de la Sociélé
géologique de France, ® série, t. XXII,
p. 48). |
— — 14, DEscLoisEAux. — Origine de la karsténite
de Modane (Bulletin de la Société géologique
de France, ? série, t. XXII, p. 25).
— — 150. EBrAy. — Sur une des causes de la structure
en éventail (Bullelin de la Société géologique
de France, & série, t. XXI, p. 89).
1865. — 151. À. FAvVRE. — On the origin of the alpin lakes
and valleys — Lettre adressée à Sir R.
J.Murchison (Philos Mayazine, Mait 1865).
Sur l’origine des lacs alpins et des vallées
(Archives des sciences physiques et natu-
relles, t. XXII, p. 59).
— — 152. — Sur la structure en éventail du Mont-Blanc
(Archives des sciences physiques et natu-
réelles, t. XXVII, p. 54).
— + 158. Ab. D’EspiNe et E. FAVRE. — Observations
géologiques ct paléontologiques sur quel-
IVe SÉRIE. — TOME IV, 91
= 999 =
ques parties des Alpes de la Savoie et du
canton de Schwytz (Archives des sciences
physiques et naturelles,t. XXII, p. 185).
1865. — DEsor. — Sur la disposition des massifs
cristallins des Alpes ou zones d’affleurement
— Lettre à M. Ed. Collomb, avec une carte
{Bulletin de la Société géologique de France,
2° série, t. XXII, p. 354).
— — 155, À. SISMONDA.— Gneiss con improrita (Mé-
moires de l'Académie des sciences de Turin,
vol. XXIII, sér. 2).
1866. — 156. C. Lony et VALLET. — (arte géologique de
la Maurienne et de la Tarentaise (Bulletin
de la Société géologique de France, ?* série,
t. XXIII, p. 480).
— — 1457. W. Huger. — Le massif du Mont-Blanc
(Bulletin de la Société géologique de France,
5° série, t. XII).
— — 4158. LAcHAT. — Découverte du molybdate en
Savoie (Mémoires de l'Académie de Savoie,
2 série, t. III, p. LXXVI).
4867. — 159. À. Favre. — Note sur le terrain triasique de
la Savoie, suivie d’une lettre de M. Ch. Lory,
sur le même sujet (Archives des sciences
physiques et naturelles, t. XXVIII, p. 54).
— — 460. — Recherches géologiques dans les parties
de la Savoie, du Piémont et de la Suisse,
voisines du Mont-Blanc (Trois volumes
_in-8, de 400 à 500 pages chacun. Atlas de
82 planches, in-f°).
— — 4161. Lory. — Sur la structure des Alpes occiden-
tales ; observations sur diverses notes de
M. Ebray (Bulletin de la Société géologique
de France, ?° série, t. XXV, p. 215).
— — 162. — Sur la sinuosité des failles dans les Alpes
(Bulletin de la Société géologique de France,
Re série, t. XXV, p. 235).
— — 163. — Note sur la carte géologique du départe-
ment de la Savoie et sur quelques faits
nouvenux de la géologie de cette province
(Bulletin de la Société géologique de France,
R série, t. XXIV, p. 596).
— 323 —
1867. — 164. Lonv. — Lettre à M. Favre, sur la constitu-
tion du Trias alpin (Archives des sciences
Physiques et nalurelles de Genève — mai
1867).
— 165. EBray. — Sur la continuation de la faille
occidentale des Alpes dauphinoises (Bulle-
lin de la Sociélé géologique de France,
8 série, t. XXIV, p. 401).
— — 166. — Sur le terrain d’éboulement, sur les pentes
et Sur une nouvelle explication de l’ano-
malie de Petit-Cœur (Bulletin de la Société
géologique de France, 2 série, t. XIV,
p. 172.
— — 167. E. FAVRE. — Remarques sur la seconde édi-
tion de la carte géologique de la Suisse, de
MM. Studer et Escher de la Linth (Archives
des sciences physiques et naturelles, nou-
velle période, t. XXX, p. 202.
1868. — 168. B. Sruper. — Recherches géologiques dans
les parties de la Savoie, du Piémont et de
la Suisse, voisines du Mont-Blanc, d’après
À. Favre (Archives des sciences physiques
el nalurelles de Genève, t. XXXI, p. 124).
1869. — 169. EBray.— Assimilation de la protogine des
Alpes au porphyre granitoide du Beaujolais
(Bulletin de la Société géologique de France,
Re série, t. XX VI, p.927).
— — 170. DELESSE. — Observations sur une note de
M. Ebray, sur l'assimilation de la proto-
gine des Alpes au porphyre granitoïde
(Bulletin de la Société géologique de France,
2° série, t. XX VI, p. 944).
— — 171. GERLACH. — Die Pennischen Alpen (Mémoi-
res de la Société helvétique des sciences natu-
relles,t. XXIIT).
— — 172. Lory. — Note sur la carte géologique de la
Savoie, de MM. Lory, Pillet et Vallet (Mé-
moires de l’Académie de Savoie, 2° série,
t. X, p. LIx).
1870. — 173. À. Favre. — H.-B. de Saussure et les Alpes
(Bibliothèque universelle, 4870).
4870. — 174
4874. — 179.
_ÉLre De BeaumonrT. — Notes sur les roches
qu’on a rencontrées dans le creusement du
tunnel des Alpes occidentales entre Modane
et Bardonnèche (Comptes-rendus de l'Aca-
démie des sciences, t. LXXI et LXXIII. Séan-
ces du 4 juillet 1870 et 18 septembre 1871).
Srsmonpa. — Nouvelles observations sur les
roches anthracifères des Alpes (Actualités
scientifiques, 1871).
496. B. Gasrazpr. — Studii geologici sulle Alpi
_ —-An
_— —A19
— — 180
— — 481
1872. — 18
— — 183
occidentali (Mémor. Com. geolog. d'Italia,
t. I, p. 1).
_— Brevi cenni intorno ai terreni attraversati
della galeria delle Alpi Cozie (Bulletin
. Com. geol. d'Italia, 1871, 193).
DE MonTiLLeT. — Géologie du tunnel de
Fréjus ou percée du Mont-Cenis (Bulletin
de la Société géologique de France, 2° série,
t. XXIX, p. à).
_GenLacx. — Das Südwestliche Wallis (Maté-
riauæ, Carte géologique suisse, % liv., 1871).
_B. GasTazpir. — Lettere al Signor Enea
Bignami (Éœt. de Cenisio e Frejus di
E. Bignami). |
_A. Hetm. — Blick auf die Geschichte der
Alpen. (Verh. Schweiz Naturf. Ges., 1871,
t. LIV, p. 155).
_Sruper. — Gneiss und granit der Alpen
(Zeitschr. d. D. Geol. Ges., À. XXIV).
_Srsmonpa. — Observations à l’article de
M. G. de Mortillet, publié dans la Revue
Savoisienne, sous le titre de « Géologie du
tunnel de Fréjus (Aëti della R. Accad. à.
se. di Torino, t. VII, p. 748 — maggio-
guigno, 1872).
.GasTaLzDI. — Deux mots sur lu géologie des
Alpes Cottiennes (A {ti della K. Accad. delle
scienr. di Torino, t. VII — aprile 187% —
p. 662).
_ Srerry Hunr.— On Alpine geology (4 meric.
journal of se. and aris, À. IV).
— 325 —
1872. — 186. Lony, PILLET et VALLET. — Carte géologi-
que du département de la Savoie, à l’échelle
de1/150,000 (Lith. Perrin).
— — 187. G. DE MoRTILLET. — Géologie du tunnel de
Fréjus ou percée du Mont-Cenis (Revue
savoisienne, 13° année, n° 3, 20 mars 1872 et
Bulletin de la Société géologique de France,
8° série,t. XXIX, p. 2).
— — 188. L. PILLET. — Observations sur les fossiles
de la Table, près la Rochette (Mémoires de
l’Académie de Savoie, 2 série, t. XII, 1. II}.
1873. — 199. Cu. Lory. — Note sur quelques faits de la
| structure des massifs centraux des Alpes
(Bullelin de la Sociélé géologique de France,
3e série, t. I, p. 397, et Archives des sciences
physiques el naturelles de Genève, t. IL,
p. 89).
— — 190. V. PavorT. — Géologie et minéralogie des
environs du Mont-Blanc (Bulletin de l’Ins-
titul national genevois, t. XVIII, p. 80).
— — 191. C. Lony.— Observations sur la stratigraphie
des Alpes Graies et Cottiennes (Bulletin de
la Société géologique de France, 3% série,
t. I, p. 267).
1874. — 192. — Essai sur l’orographie des Alpes du Dau-
phiné et de la Savoie considérée dans ses
rapports avec la structure géologique de
ces montagnes (Annuaire du Club Alpin
Français, 1° année).
— — 19%. B. GasrTazpi. — Studii geologici sulle Alpi
occidentali. II (Hem. per serv. alla descriz.
di carta geol. d'Italia, II, 1874).
— — 19% De Brzzy.— Constitution géologique de la
chaîne des Aiguilles Rouges (Bulletin de la
Société géologique de France, % série, t. II,
p. 41).
1875. — 195. C. Lonry. — Sur la structure de la vallée de
Chamonix (Bulletin de la Société géologique
de France, 3 série, t. III, p. 783).
— — 196. À. Favre. — Notes diverses sur la géologie
de la Savoie et de Genève, publiées à l’oc-
1875. — 197.
— — 199
1876. — 201
1877. — 208.
— 326 —
casion de la réunion de la Société géolo-
gique de France, à Genève et à Chamonix
(Bullelin de la Société géologique de France,
3° série, t. III, p. 649 et suiv.)
GC. Lony.— Sur les variations de composition
minéralogique des schistes cristallins dans
les Alpes occidentales (Bulletin de la Société
géologique de France, 3° série, t. III, p. 794).
. EBRAyY. — Étude stratigraphique des monta-
gnes situées entre Genève et le Mont-Blanc
(Bulletin de la Société géologique de France,
3° série, t. III, p. 144).
. GASTALDI.— Sui fossili del calcare dolomi-
tico del Chaberton. — Alpi Cozie studiati
da G. Micheloti (Bol! com. geot. d'Italia,
1815, 310). |
. JANNETAZ. — Note sur l’analyse minéralo-
gique de quelques roches de la Haute-
Savoie et sur leurs propriétés thermiques
(Bulletin de la Société géologique de France,
3° série, t.IV, p. 116).
. PLATZ. — Geologische geschiste der Alpen
(Verhandl. naturf.Ges. Carisrhue,1875, 8).
. E. SuEss. — Die Entstchung der Alpen.
. G. SPEZIA. -- Sul berillo del protogine del
Monte Bianco (Atti Acad. sc. Torino, 1875,
t. XI).
. VIOLLET-LE-Duc. — Le massif du Mont-
Blanc, Etude, etc. (Carte à l'échelle du
1/40,000).
0. PFAFF. — Mont-Blanc-Studien. Ein Beitrag
zur mecanischen geologie der Alpen (Zeit-
schr. der geol. ges. 1856, t. XX VIII, p. 3).
5. O HEER. — Flora fossilis Helvetiæ. Die
Steinkohlenflora, 1876.
. À. HE1M. — Ueber die Entstehung der Alpen
(Vierteljahrsschr, Zurich, t. XXI, p. 297).
Lony. — (aractères différentiels du Permien
et du Trias, dans les Alpes et dans les autres
régions (Bulletin de la Societé géologique
de France, 3 série, t. V, p. 761).
— 327 —
1877. — 209. Lory. — Les coupures transversales des
Alpes etles principaux passages de France
en Italie, au point de vue de l’orographie
géologique (Annales du Club Alpin Fran-
çais, 4° année).
— — 210. — Essai sur l’orographie des Alpes occiden-
tales considérée dans ses rapports avec la
structure géologique de ces montagnes
(Bulletin de la Société statistique de l'Isère,
3° série, t. VII, p. 330).
— — 211. — Profils géologiques de quelques massifs
primitifs des Alpes (Comptes-rendus de
l’Académie des sciences, t. LXXX VI, p.996).
— — 12. — Sur l’uniformité de composition et de
structure de divers massifs primitifs des
Alpes (Bulletin de la Société géologique,
t. VI, p. 546).
— — 2418. E. von Mossisovics. — Die Dolomite-Riffe
von Südtirol und Venetien (Beitrage sur
Bildungsgeschichle der Àlpen).
— — 2%. GUuMBEL. — Kurze anteitung zu geologischen
Beobachtungen in den Alpen (Deutsch
À penser, 1878 et à part).
— — 215. C. Lory. — Observations sur la structure
des Alpes (Comptes-rendus du Congrès géo-
logique international de 1878, p. 39).
— — 216. JANNETAZ. — Rapport de la propagation de
la chaleur dans les roches et de leur struc-
ture au point de vue de leur origine (Comp-
Les-rendus du Congrès international de
géologie de 1878).
— — 217. À. HErmM. — Mechanismus der Gebirgsbil-
dung im anschluss on die gelogische mono-
graphie der Tœdi-Windgælben - Gruppe
(Bâle, Benno, Schwabe).
1879. — 218. GumBeL. — Das weisse mineral der Pflanzen-
versteinerungen aus der Tarentaise (Mine-
ral und petrogr. Miltheil., 1879, 189).
— — 219. BARETTI. — Studii geologici sulle Alpi Graie
settentrionale (WMem. Acad. dei Lincei, 1879).
— — 2%.E. Pozzi. — Sopra alcune varieta di proto-
— 328 —
gino del Monte-Bianco (Ati Acad. sc.
Torino, 1879, t. XIV).
1880. — 221. C. Lory. — Observations sur la structure en
éventail et les coins calcaires des Alpes
Bernoises (Actes de la Sociélé helvétique
des sciences naturelles, réunion de Brigne,
Valais).
— — R22. À. VÉZIAN. — Esquisse d’une histoire géolo-
gique du Mont-Blanc (Annales du Club
Alpin Français, t. VII, p. 415).
— — RS. BareTTI. — Notice sur les conditions géolo-
giques du tracé du chemin de fer entre
Aoste et Chamonix, avec une coupe (Lettre
à M. le chanoine Bérard, Turin). A la suite,
le Mont-Blanc et le Simplon, par le cha-
noine Bérard).
1881. — 224. DAUBRÉE. — Caractères géométriques des
diaclases dans quelques localités des Alpes
Suisses et des régions adjacentes (Bulletin
de la Sociélé géologique, & série, t. IX,
p. 599).
— — R25. Cossa. — Sulla stilbite del ghiacciajo del
Miage — Monte-Bianco (Atti d. R. Accad.
dei Lincei,t. V, p. 86).
— — 226. L. PILLET. — Carte géologique articulée de
la Savoie (Bulletin de la Société genlogique
de France, 3: série, t. IX, p. 359).
— — 827. J. RÉviz. — Terrains oolithiques en Savoie et
gisement de la Table (Revue savoisienne,
1881, p. 61).
— — 288. Cu. Lory. — La géologie dans les Alpes
(Bulletin de l'Académie delphinale, 3 série,
t. XVII, p. 50).
— —#29.— Sur les schistes cristallins des Alpes
occidentales et sur le rôle des failles dans
la structure géologique de cette région
(Bullelin de la Société géologique de France,
3° série, t, IX, p. 652).
— — 230. Carta geologica d’Italia, compilata, publi-
cata per Cura del Ufficio geologico, 1881.
— — 831. M. BARETTI. — Aperçu géologique sur la
1881. — 232
— — 83h.
1882. — 235
— — 36.
— — 837
— — 938
— — A0
— — "M
chaîne du Mont-Blanc en rapport avec le
trajet probable d’un tunnel pour une nou-
velle ligne de chemin de fer (Turin, 1881).
. BARETTI. — Relazione sulle condizioni geo-
logiche del versonte destro della valle della
Doria Riparia tra Chiamontee Salbertrand
(in-8&, Turin).
. CG. Lorny. — Observations sur le rôle des
failles dans la sructure géologique des Al-
pes occidentales (Comptes-rendus de l’Aca-
démie des sciences, t. XCIII, p. 821).
— Comptes-rendus des excursions de Ja
Société géologique de France dans le dépar-
de l’Isère (Bulletin de la Sociélé géologique
de France, 3° série, t. IX, p. 620).
. A. BRUN. — Mineralogische Notizen (Zeit-
schr. für krystallogr., VIT).
DESCLOISEAUX. — Cristaux de béryl de la
Mer de Glace (Bulletin de la Société miné-
rale de France, t. IV,94;t. V,142).
. D. HOLLANDE. — Le Bajocien dans les mon-
tagnes de la Savoie (Revue savoisienne,
1882, p. 24).
. À. Hr1IM. — Ueber die geologischen exper-
tantersuchangen uber das Project eines
Montblanc-Tunnels (Vierteljahrschr, na-
turf. Ges. Zurich, t. XX VII, 106).
9. À. CIvIALE. — Les Alpes au point de vue de
la géographie physique et de la géologie.—
Voyages photographiques dans le Dau-
phiné, la Savoie, le nord de l'Italie, la
Suisse et le Tyrol (in-8&, Paris, Rotschild).
. PIOLTI et PorTis. — Il calcare del monte
Thabor (Aëfi della R. Accad. d. sc. Torino,
t. XVIII, p. 287).
. L. PILLET. — Etude sur la géologie de l’ar-
rondissement d’Albertville (Congrès des
Sociétés savantes savoisiennes ; comptes-
rendus de la 6° session tenue à Albertville
le 20 et le 21 août 1883, p.27).
2. J. RÉviL. — Etudes géologiques sur la vallée
1883. — 245.
1884. — 241.
— — A5
1885. — 216.
1886. — 247.
— 330 —
de Beaufort (Congrès des Sociétés savantes
savoisiennes ; 6° session tenue à Albertville
en 1883, p. ®). |
SuEss. — Das Antlitz der Erde, t. I, II (Pra-
gue-Leipzig).
A. FAVRE. — Affileurement de granite dans la
montagne de Loi (Archives, t. XII, p. 53%).
. G. Lory. — Remarques au sujet des Alpes
de Glaris et des allures du terrain éocène
dans les Alpes (Bulletin de la Société géolo-
gique de France, 3° série, t. XII, p. 726).
— Aperçu sommaire sur la structure des
Alpes occidentales (Grenoble, 1885).
C. ScxMipT. — Geologisch-petrographis-
che Mittheilungen ueber einige Porphyre
der Centralpen und die in Verbindung mit
denselben auftretenden Gesteine (N. Jahrb.
für Mineral. 1886, Beilagebd., IV, p. 388).
. Lory. -- Sur les variations du Trias dans
les Alpes de la Savoie et spécialement dans
le massif de la Vanoise (Bulletin de la
Société géologique de France, série, t. XV,
p. 40).
— — 219, — Cristaux microscopiques dans les roches
sédimentaires du Dauphiné (Archives des
sciences physiques et naturelles de Genève,
3: période, t. XVI).
— — 9250. V. Payor. — Description pétrographique des
roches des terrains cristallins de la chaine
du Mont-Blanc (Genève, 1886).
. CG. Lony. — Sur la présence de cristaux
microscopiques du groupe des feldspaths
dans certains calcaires jurassiques des
Alpes (Comptes-rendus de l'Académie des
sciences de Paris, 2 août 1886, p. 309).
.— Sur les variations d'épaisseur et de facics
pétrographiques du Trias dansles diverses
zones alpines de la Savoie (Bullelin de la
Société géologique de France, & sèrie,
t. XIV, p. 469).
. Carez et Vasseur. — Carte géologique de la
France.
— 331 —
1887. — 254. C. Lony. — Sur la présence de cristaux
microscopiques d’albite dans diverses
roches calcaires des Alpes occidentales
(Comptes-rendus de l’Académie des sciences
de Paris, 11 juillet 1887, p. 99).
— R59. V. PayoT. — Découverte de cristaux avec
cheveux de Vénus et bulles d’air à Cha-
monix {Revue savoisienne, 1887, p. 108).
— 96. D. HoLLANDE. — Métamorphisme (Bulletin
de la Société d'histoire naturelle de Savoie,
t. I, p. 20).
— 257. D. ZaAccAGNA. — Nota sulla geologia delle
Alpi occidentali (Botlelino del R. Comilato
geologico Italia, t. VIII, p. 346).
— 258. MARCEL BERTRAND.— La chaîne des Alpes
et la formation du continent européen
(Bulletin de la Sociélé géologique de France,
3° série, t. XV, p. 4231.
1888. — 259. C. SCHMIDT. — Uceber den Sogennanten
\
—
Taveyannaz-Sandstein (Neues Jahrbuch für
Mineralogie, etc., 1888, Bd II, p. 80-84).
— 260. Carte géologique au millionième publiée
par le service dela Carte géologique détail-
lée de la France.
— 261. TAVERNIER. — Roches cristallines dans le
canton de Taninges (Revue savoisienne,
/ juillet-août 1888, p. 225-235). |
1889. — 262. D. HoLLANDE. — Etude stratigraphique des
LL. mn
montagnes jurassiques de Sullens et des
Almes, situées au milieu des Alpes calcai-
res de la Haute-Savoie (Bullelin de la
Sociélé géologique de France, & série,
t. XVII, p. 690).
— 263. — Etude sur les dislocations des montagnes
calcaires de la Savoie (Bulletin de la
Société d'histoire nalurelle de Savoie, t. I,
p. 209 ;t. II, p.11, 71, 129, 229 ; t. III, p.105).
— 261. M. BERTRAND. — Sur les schistes lustrés du
Mont-Cenis (Bulletin de la Société géolo-
giqne de France, 3: série, 1. XVII, p. 880).
— 2065, D. CARL SCHMIDT. — Zur geologie der
— 9332 —
Schweïizeralpen (Bâle, Benno, Schwabe,
8°, 52 p.141 pl).
1889. — 266. G. MarLLarD.— Notions de géologie élémen-
taire appliquées à la Haute-Savoie.
- — 267. — Notice sur la géologie des environs d’An-
necy, la Roche, Bonneville (Bulletin n° 6
de la carte géologique de France).
— — 268. C. Lory. — Etude sur la constitution et la
structure des massifs cristallins des Alpes
occidentales. Mémoire rédigé sur l’invita-
tion du Congrès géologique international
pour la session de Londres, en septembre
1888 (Procès-verbal du Congrès, p. 1, et
Mémoires du Congrès, p. 22. — Bulletin de
la Société de slatistique de l'Isère, 8 série,
t. XIV, pp. 175-197).
— — 269. — Le chemin de fer de Culoz à Turin ; Les
Alpes el les grandes ascensions, par Levas-
seur, pp. 140-142.
— —R10.— Explication du panneau des Alpes fran-
çaises de la carte géologique de France
(Ministère des travaux publics, brochure
publiée par le service de la carte géologi-
que détaillée de la France, p. 76, Paris,
imp. Nationale).
— — RTL. J. RÉvIL. — La géologie des Alpes occiden-
tales, d’après un mémoire de M. Zaccagna
(Bulletin de la Sociélé d'histoire naturelle
de Savoie, t, III, p. 158).
— — 278. M. BERTRAND. — Eloge de M. Charles Lory
(Bulletin de la Société géologique de France,
3° série t. XVII, p. 664).
— — 273 D. HoLLANDE. — Notice sur M. Lory (Bul-
letin de la Société d'histoire naturelle de
Savoie, t. III, p. 45).
4890. — 274. LAGHAT. — Observations à propos du mé-
moire de M. Zaccagna sur la géologie des
Alpes occidentales (Bullelin de la Societé
d'histoire naturelle de Savoie, t. IV, p. 51).
— — 27. D. FRANTzZ Noë. — Geologische Uebersichst-
karte den Alpen mit Elauterungen des
= 333 —
Verfassers und einigen einbeglectenden
Worten des Professors Ed. Suess (Vienne,
Ed. Holzel).
1890. — 276. GRarr. — Porphyre et protogine du Mont-
Blanc. Comptes-rendus de la Société hel-
vétique naturelle, Davos 1890 (Archives des
sciences physiques el naturelles. t. XXIV).
— — À71, W. KiLzrAN.— Contribution à la connaissance
géologique des chaînes alpines entre Moù-
tiers (Savoie) et Barcelonnette (Basses-
Alpes). Comptes-rendus de l'Académie des
sciences, t. CXII, p. 63).
— — 78. — Evolution tectonique des Alpes orientales
(Comple-rendu de la Sociélé de statistique
de l'Isère, mars 1890).
— — 279. — Sur un renversement (pli couché) observé
au col du Bonnet du Prêtre, en Savoie, et
sur les calcaires du Briançconnais (74., 25
juillet 1890).
— — ?80. — Sur la structure géologique du massif du
Thabor (7d., 22 décembre 1890).
— — ?81. D.-F. Sacco. — La géo-tectonique de la
Haute-Italie occidentale (Bulletin de la
Société belge de géologie, t. IV, séance du
21 janvier 1890).
— — R8?. L. PILLET. — Alphonse Favre (Bulletin de
la Société d'histoire naturelle de Savoie,
t. IV, p. 81). |
— — 28. J. GosseeT. — Etude sur les travaux de
Charles Lory (Bullelin de la Sociélé belge
de géolugie. Procès-verbaux. Séance du
30 mars, p. 56).
— — 984. P. TERMIER. — Sur les terrains métamorphi-
ques de Savoie (Comptes-rendus de l’Aca-
démie des sciences, t. GXII, p. 900).
— — 85, L. Duparc. -- Protogine des Alpes de Savoie
(Comptes-rendus de la Société de physique
et d'histoire naturelle de Genève, 1890,
p. 51).
— — 986. — Sur la protogine du Mont-Blanc (Associa-
lion française, Congrès de Marseille, 1" par-
tie, p. 205-206).
— 334 —
4890. — 987. F. VirGILI0. — Il permo-carbonifero di Valle
streta (A£{i R. Acc. d. science di Torino,
vol. XX V, 1890).
— 9288. MIcHEL LÉvy. — Etude sur les roches cris-
tallines et éruptives des environs du Mont-
Blanc (Bulletin des services de la carte géo-
logique de France, n° 9, février 1890).
14891. — 289. C. DIENER. -- Der Gebirgsbau der Westalpen
in-8°, 213 pages, ? cartes, Vienne, Tempsky).
— 290. — Die gliederung der Alpen (Ein Vortrag
gehalten auf dem IX deutschen geographeu-
tage in Wien im Jahre 1891).
— 991. TERMIER.— Sur l'existence de tufs d’andésite
dans le Flysch de la Cluzas (Haute-Savoie)
(Comptes-rendus de l’Académie des sciences,
t. CXII, n°44 — G avril — p. 747).
— 292. — Etude sur la constitution géologique du
massif de la Vanoise — Alpes de Savoie
(Bulletin des services de la carte géologique
de France el des topographies souterraines,
1. II, n° 20).
— 293. W. KiLrAN. — La géologie des Alpes et la
carte de M. Noë(Revue générale des sciences
pures et appliquées, ? année, n° 1, p. 13).
— 294. — Sur les assises traversées par le tunnel du
Galibier (Société de statistique de l'Isère,
24 avril 1891).
— 295. — Sur la structure du massif de Varbuche —
Savoie (Bulletin de la Société d'histoire
naturelle de Savoie, t. IV, p. 101).
— 296. — Découverte du Jurassique supérieur dans
les chaînes alpines (Bulletin de la Société
d'histoire naturelle de Savoie, t. V, p. 43).
— 997, — Note sur l’histoire et la structure géologi-
que des chaînes alpines de la Maurienne,
du Briançonnais et des régions adjacentes
(Bulletin de la Société géologique de France,
3° série, t. XIX, p. 571).
— 298. — Notes de géologie alpine (Annales de
l’enseignement supérieur de Grenoble, t.Ill,
n°3).
— 299. G. MAILLARD. — Note sur diverses régions
_— 332 —
de la feuille d'Annecy (Bullelin n° 22 de la
carte géologique de France). Ce Mémoire
est précédé d’une notice de M. Michel Lévy,
sur les derniers travaux de Maillard.
4891. — 500. L. Duparc. — Les idées de H.-B. de Saus-
sure sur la géologie de quelques montagnes
de la Savoie (Mémoires de la Société de
physique et d’'histcire naturelle de Genève,
volume supplémentaire, centenaire de la
fondation de la Société, 1891).
— — 801. L. Duparc et MRAZEc. — Recherches sur les
roches étrangères enfermées dans la proto-
gine erratique du Mont-Blanc (Archives des
sciences physiques et naturelles, 8 période,
t. XXV, p. 655).
— — 802. J. R£viz. — Le Permo-carbonifère et le Trias
de la Vallée étroite (Bulletin de la Société
d'histoire naturelle de Savoie, t. V, p. 3).
— — 903. — Notice sur le travaux de Gustave Maillard
(Id., t. V, p. 70).
4892. — 304. C.-F. PaAroNA. — Sugli schisti silicei a radio-
larie di Cesana presso il Monginevra (Atti
della R. Accademia delle scienze di Torino,
vol. XXVII, gennaio 1892).
«— —,305. A.-Micnez LÉévy.— Notesur la prolongation
vers le sud de la chaîne des Aiguilles
Rouges, montagnes de Pormenaz et du
Prarion (Bulletin des services de la carte
géologique de France, n° 27,t. III, février
1892).
— — 306. L. Duparc et L. MRAZzEc. — Recherches sur
la protogine du Mont-Blanc et sur quelques
granulites filoniennes qui la traversent
(Archives des sciences physiques et naturel-
les, 3 période, t. XX VII, p. G59).
©»
Ë
RÉPONSE
AU
DISCOURS DE M. RÉVIL
IVe SÉRIE. — TOME IV.
RÉPONSE
AU
DISCOURS DE M. RÉVIL
PAR
M. LL. PILLET
Président de l’Académie
TL Se
Je dois, à mon grand regret, vous dire encore quelques
mots de géologié.
Lorsqu'une mort foudroyante nous l’enleva (en 1889),
notre maître et ami, M. Charles Lory mettait la dernière
main à sa carte géologique de la Maurienne. Le comité
central de Paris voulait la publier, mais il désirait y corriger
auparavant quelques traits sur la limite extrême entre la
France et l'Italie.
Il y à là un point obscur.
Au congrès géologique de Saint-Jean de Maurienne, en
1862, on avait déterminé avec certitude tous les terrains,
depuis Aïguebelle jusqu’à Modane, grâce à de rares fossiles
trouvés sur ce parcours. Mais au Mont-Cenis, sur la ligne
de frontière, les fossiles font défaut, la solution était restée
incertaine.
M. Lory, croyant que les couches y ont conservé leur
superposition normale, considérait les schistes lustrés sans
| — 340 —
fossiles, du Mont-Cenis, comme supérieurs au houiller,
comme triasiques.
Ses adversaires admettent que les couches sont renver- :
sées sens dessus dessous et que ces mêmes schistes sont
bien plus anciens, pré-cambriens.
11 semblait que l'ouverture du tunnel de Modane, à travers
ces terrains contestés, allait trancher la question, que la
Providence nous avait fourni là une lumière inespérée. Il
n’en fut rien !t En dépit des études minutieuses sur toutes
les roches traversées, le problème semble plus insoluble
encore qu'auparavant.
Avant de graver la nouvelle carte géologique des Alpes,
les savants directeurs de ce vaste travail ont voulu venir
étudier eux-mêmes, sur place, cette question difficile :
MM. Michel Lévy, président de la Société géologique de
France, Marcel Bertrand, professeur à l’école des mines,
Potier, inspecteur des mines, Kilian, Termier, professeurs,
sans compter de nombreux géologues italiens et allemands,
s’y sont donné rendez-vous depuis quelques années.
De là, un regain d'actualité à notre géologie alpine deve-
nue le champ où se rencontrent les géologues de toutes les
écoles pour y signer un traité de paix scientifique.
Il serait regrettable que notre Savoie fit défaut à ce
rendez-vous et nous sommes heureux de penser que noire
jeune confrère, M. Révil, se dispose à l’y représenter
dignement. |
Pour s’y préparer, il a voulu résumer d’abord l’histoire
géologique des Alpes depuis De Saussure jusqu'à ce jour.
C'est ce qu'il a fait de main d’ouvrier dans le savant discours
que vous venez d'entendre.
Aussitôt que la saison plus chaude Île permettra, il
reprendra le marteau et ira, lui aussi, interroger les hautes
— J4 —
cimes des Alpes. Nous faisons des vœux pour qu’il y fasse
de bonnes trouvailles, qu’il y rencontre quelqu’une de ces
illuminations qui permettront à un géologue savoyard
d'éclairer le problème des montagnes de la Savoie.
Nul n’était mieux préparé que vous, mon cher confrère
et ami, pour entreprendre ce travail.
Pendant vos études et votre stage à Grenoble, vous vous
étiez occupé surtout de chimie et de botanique. Lorsque
vous êtes venu vous fixer à Chambéry, patrie de votre
ancienne famille, vous avez compris que, dans celte région,
la géologie offre un champ bien plus fécond à votre activité.
Devenu membre et bientôt secrétaire de la Société d’his-
toire naturelle de Savoie, vous l’avez bien vite ranimée de
votre ardeur juvénile.
Vous lui avez communiqué d’abord quelques notes sur la
flore, quelques analyses d'ouvrages intéressants. En 1887,
vous commencez à voler de vos propres ailes et rédigez une
étude sur le Purbeck du Banchet.
En 1888, vous étendez vos recherches au Jurassique
moyen et supérieur du Mont-du-Chat. Vous apportez, dans
la description des terrains, ce scrupule qui fait le mérite des
monographies. Vous y donnez l'épaisseur de chaque assise
par mètres et centimètres. Une planche bien dessinée repré-
sente la coupe entière du Mont-du-Chat.
En 1889, vous avez enfin abordé les grandes Alpes en
traduisant et analysant le mémoire important de l'ingénieur
Zaccagna : la géologie des Alpes occidentales. Ce résumé,
par son exactitude, a mérité les éloges de M. Zaccagna lui-
même ; il est cité à l’égal de l'original par les géologues
français.
En 1891, vous avez complété la monographie de M. Zac-
_— 9342 —
cagna par l’analyse et la critique du Permo-carbonifère et
Trias de la Vallée-étroite, par MM. Portis et Virgilio, de
Turin.
Ces divers travaux avaient attiré sur vous l’attention de
l’Académie de Savoie qui vous nomma correspondant dès
1884, puis agrégé en 1890.
En même temps, vous étiez reçu membre de la Société
géologique de France. À sa réunion extraordinaire, tenue
dans le Jura, de Champagnole à Belley, en 1885, vous étiez
élu trésorier, avec M. Riche, de Lyon, et vous vous êtes
acquitté de ces fonctions à la satisfaction générale.
Les maitres chargés de débrouiller la grosse question des
Alpes, MM. Marcel Bertrand, Kilian, vous ont souvent
demandé de les accompagner dans leurs excursions. Ce
dernier vous a même confié une partie spéciale de sa carte
à dessiner. En un mot, vous avez pris rang parmi les géolo-
gues zélés et instruits de notre Savoie.
À tous ces titres, nous sommes heureux de vous voir
prendre aujourd’hui votre siège dans notre Académie, y
venir remplacer ceux qui sont morts et ceux qui vont bientôt
les suivre dans la tombe.
&
DISCOURS DE RÉCEPTION
PRONONCÉ
dans la séance du 5 mai 1892
Par M, le Général de division BORSON.
DISCOURS DE RÉCEPTION
Prononcé dans la séance du 5 mai 1892
PAR LE GÉNÉRAL DE DIVISION BORSON
FERDINAND DE REGARD DE VARS
CAPITAINE AU RÉGIMENT D'AOSTE-CAVALERIE
(1808-1849)
Des
MESSIEURS ,
En 1862, deux ans après l’annexion de la Savoie, l’Etat-
Major français se disposait à étendre la carte de la France
aux nouveaux départements. |
Avec une largeur de vues et un sentiment d'équité qui
l’honorent, il confiait la direction de ce travail à un officier
supérieur venu de l’armée sarde, et qui avait suivi fidèle-
ment le sort de sa terre natale.
L'Académie de Savoie, pour témoigner de l'intérêt qu’elle
prenait à l’œuvre et donner à son jeune compatriote une
marque de sympathie, le nommait membre correspondant.
Trente années se sont écoulées depuis lors et celui dont les
cheveux ont blanchi avec les services vient vous remercier,
Messieurs, de la distinction qui lui a été conférée naguère
— 346 —
et de l'honneur que vous lui avez fait, en 1882, en l'appe-
pelant à siéger, comme membre effectif, dans votre
compagnie. |
Rentré dans mes foyers, je serai heureux de goûter,
dans la retraite, l’agrément d’une confraternité qui unit
entre eux des hommes voués à la science et à la littérature,
et qui cherchent, dans cette région sereine, une diversion
aux soucis de la vie quotidienne et aux agitations de la vie
publique. A côté de cette satisfaction, permettez- moi
d'exprimer un regret. Bien que le dernier venu, je ne vous
apporterai pas un élément de vie : c’est le passé que je
représente et qui entre ici avec moi.
J'ai laissé bien loin déjà l’âge de ce que le poète a appelé
« les longs espoirs et les vastes pensées », l’âge des
recherches scientifiques ou historiques et des labeurs de
longue haleine. Vous n’avez plus devant vous l'officier
topographe et géodésien qui gravissait les hautes cimes,
se complaisait dans la contemplation des vastes horizons de
nos Alpes, interrogeant l’histoire militaire pour saisir les
liaisons secrètes des opérations de la guerre avec les
grandes lignes du sol ; non, c’est le voyageur arrivé à
l'étape regardant le déclin du soleil à l'horizon et les.
ombres qui s’allongent sur les versants de la montagne,
majoresque cadunt altis de montibus umbre.
Comment ne ferai-je pas, d’ailleurs, un retour vers le
passé en songeant à ceux de vos prédécesseurs que j'étais
heureux de revoir quand, dans le cours de ma carrière, je
revenais dans ma ville natale et que je n'y retrouve plus
aujourd’hui : S. E. le cardinal Billiet, le chanoine Chamous-
— 347 —
set, le marquis Costa, Chapperon, Guilland , Arminjon,
Tochon, m'ont laissé le souvenir de leur bienveillance ou
de leur fidèle amitié. Leur consacrer aujourd’hui quelques
mots est, pour moi, une satisfaction de cœur, et vous
m'excuserez si, pour parler d’eux, je suis amené involon-
tairement à parler de moi. |
Monseigneur Billiet a été l’un de vos illustres fondateurs.
De sa longue vie, tout entière consacrée à l’Église et à la
science, on peut dire que pas une minute n’a été perdue.
Il apportait, dans ses recherches scientifiques, une exacti-
tude et une patience sans égales. Il suffit de rappeler qu’on
lui doit quinze années d'observations météorologiques pen-
dant la durée de son épiscopat à Saint-Jean de Maurienne.
Apprenant que j'apportais à Chambéry des instruments
étalonnés à l'Observatoire de Paris, il me témoignait le désir
de faire à l'Évêché des observations comparatives avec ceux
qu'il nommait ses vieux serviteurs. Je m'y rendais avec
empressement et je suis très flatté de me rappeler aujour-
d'hui le modeste concours que je donnai à ces expériences.
Le chanoine Chamousset, doué d’une intelligence éten-
due et d’une instruction profonde, embrassait des spécia-
lités très variées : mathématicien, géologue, physicien, il a
attaché son nom à d'importants travaux. Pourquoi ne sut-il
pas se borner, dans le domaine de la science, aux expé-
riences du savant et se laissa-t-il entrainer aux rêves
brillants des inventeurs ? Il en est résulté de cruels mé-
comptes. Ils ont jeté un voile de tristesse sur la dernière
période d’une vie qui ne connut plus, dans son malheur,
d’autres consolations que la résignation chrétienne et le
travail. |
Je ne puis me rappeler sans tristesse les circonstances
où je le vis à Paris. Il poursuivait le mirage trompeur de
— 348 —
ses inventions et me conviait, avec ses autres compatriotes,
à assister à ses expériences. J'avais déjà, je puis le dire, le
pressentiment invincible des déceptions qui l’attendaient.
Le marquis Costa de Beauregard servait en qualité
d’écuyer auprès du roi Charles-Albert, pendant la campagne
de 1848. Je le rencontrai souvent sur les champs de
bataille de la Lombardie et il ne manquait jamais de me
donner avec bonté des nouvelles de Chambéry. Plus tard,
je fis partie de la phalange de députés qu'il guidait à la
Chambre avec l'autorité, librement acceptée par tous, du
talent, du caractère et du dévouement aux principes qui
nous étaient chers. Gentilhomme, érudit, patriote, grand
citoyen, il restera l’une des plus nobles figures qu’ait vues
notre génération.
Chapperon était un travailleur infatigable, d’un esprit un
peu caustique, mais plein d'humour et de bon sens. Carac-
tère concentré, peu maniable, mais indépendant et sûr,
dévoué à ses amis et à ses opinions. Il était resté à Turin,
comme député, le solitaire un peu farouche de la Calamine,
peu fait pour les agitations de la vie publique et vivant
plus dans le passé que dans le présent. Nous lui devons
l'Histoire de Chambéry au XIVe siècle et la conservation de
documents précieux pour nos annales municipales, copiés
avec une patience de bénédictin.
J'ai nommé Guilland qui à laissé à tous ceux qui l'ont
connu le plus aimable souvenir ; cœur excellent, familier
avec les nuances les plus délicates du sentiment, esprit fin
et cultivé, d’un goût très sür, ces qualités faisaient le
charme de sa conversation et revivent dans sa correspon-
dance et dans les écrits trop rares qu'il a laissés. Orateur,
sa parole était pénétrante, pleine d’à-propos et de grèce ;
homme de foi, dévoué aux œuvres de charité, il alliait la
— 349 —
fermeté des principes à une douce tolérance qui désarmait
toutes les hostilités. Il aimait la Savoie d’un amour un peu
exclusif, peut-être, et qui ne dépassait guère l'horizon de
notre belle vallée où s’écoula sa vie calme de philosophe
chrétien. Toute son ambition était de mieux faire connai-
tre son pays, comme en témoigne la collection qu'il a
créée pour vos archives sous le titre de Patria.
J'étais aussi lié d'amitié avec labbé Arminjon, âme for-
tement trempée, caractère absolu, un peu frondeur peut-
être, mais d’une généreuse indépendance, tel qu’on les
rencontre dans notre race allobroge. Esprit plein de sève,
nourri de fortes études littéraires et dogmatiques, il allait
droit à la vérité comme la flèche à son but, sans compro-
missions et, par-là même, était-il peu porté aux concessions
qu’exigent le commerce des hommes et la vie sociale.
Orateur et écrivain, on retrouve chez lui la belle langue du
XviHe siècle.
Enfin, j'ai nommé Tochon dont l’Académie déplore la
perte récente. Nos relations d'amitié dataient de l’époque
où, collégien à Paris, j'allais passer mes vacances chez le
directeur de l’École de Grignon, dont il fut l’un des élèves
les plus distingués. Il s’est identifié, pendant près d’un
demi-siècle, avec tous les progrès accomplis, en Savoie, par
notre agriculture. Il lui a voué tous les efforts d’un esprit
vigoureux, aimant l'étude, sachant allier la théorie et la
pratique, et secondé par une volonté qui ne connaissait pas
d'obstacles.
.
C’est pour moi un souvenir inoubliable que celui de ces
contemporains et de ces amis. S’ils ne sont plus, l’Académie,
al
— 350 —
dont ils faisaient l’ornement, subsiste comme une institution
fondée sur des bases durables. Grâce à vous, Messieurs, se
perpétue, dans notre ville, le culte élevé des choses de
l'esprit allié à! des traditions de dignité et de fidélité à vos
principes.
Vous vous attachez particulièrement, dans le domaine
de la science, à mettre en évidence ce qui concerne nos
Alpes ; en archéologie et en histoire, vous scrutez les replis
cachés de nos vieilles annales. Vous êtes, en quelque sorte;
les gardiens de notre histoire nationale, et si vous partagez
ces prérogatives avec d’autres sociétés, vos émules, elles
sont, comme l’a dit notre honorable président, les rejetons
sortis de votre vieille souche.
J'ai dit, Messieurs, que j'étais le passé plus encore que le
présent. C’est au passé que j'emprunterai quelques souve-
nirs, déjà lointains, pour occuper les instants que m’accorde
votre bienveillante attention. Ils sont tirés de la vie d’un
officier, notre compatriote, dont la mort glorieuse et préma-
turée a causé à tous ceux qui l’ont connu de vifs regrets.
Ferdinand de Vars, capitaine au régiment d’Aoste-Cava-
lerie, a été frappé mortellement, le 23 mars 1849, sur le
champ de bataille de Novare, en chargeant à la tête de son
escadron, lorsque, vers la fin de la journée, l’armée battait
en retraite. Il possédait, à un haut degré, l'intelligence, la
bravoure, le culte désintéressé de l'honneur et, bien que
tombé dans un jour de défaite tristement mémorable, la
Savoie doit voir en lui un de ses nobles enfants. Mais le
temps, « ce fleuve qui entraine tout, » menace de faire
l'oubli autour de son nom et la pierre sous laquelle il
— 351 —
repose, sur le coteau de Saint-Cassin, qui domine Cham-
béry, ne reçoit plus que le tribut d’affection et de prières
de quelques rares survivants parmi ceux qui l’ont connu.
Je suis de ce nombre et je voudrais fixer son souvenir pen-
dant qu'il en est temps encore. Les témoignages vivants
sont une force précieuse à recueillir, et le temps presse pour
la génération à laquelle j'appartiens.
Mes relations avec de Vars sont de peu antérieures à la
campagne de 1848 et furent bientôt brisées par sa mort.
Je débutais dans la carrière et les circonstances rappro-
chaient, dans le même grade et la même fraternité de dan-
gers, des générations militaires séparées par une durée de
plus de quinze ans. De Vars était pour moi et pour un grand
nombre, le type de la bravoure et de l’esprit chevaleresque.
On s’expliquera dès lors la sympathie pleine de déférence,
j'oserai dire enthousiaste, que, jeune officier, j’éprouvais
pour un compatriote si haut placé dans l’estime de l’Armée.
« J'ai beaucoup connu de Vars, m’écrivait, en 1888,
« notre ancien et illustre compatriote, M. le général Ména-
« bréa ; pendant plusieurs années, nous avons vécu assez
« intimement pour que j'aie pu apprécier la générosité de
« son caractère et ses hautes qualités de cœur et d’esprit.
« Mon cœur se serre chaque fois que je passe devant son
« habitation de famille et que je vois, dans le cimetière de
« la paroisse, le modeste tombeau de l'excellent et valeu-
« reux de Vars. Je pense que j'ai perdu en lui un de ces
« amis Comme on en rencontre rarement dans la vie. Je ne
« puis qu'applaudir à votre pensée de consacrer quelques
« pages à sa mémoire. »
Les quelques lettres qu’on à pu retrouver de Ferdinand
de Vars", tirées de sa correspondance de famille, le révèlent
‘ Je dois la communication gracieuse de cette correspondance
de Ferdinand de Vars à Madame la comtesse de Châteauneuf,
née de Regard de Vars, sa sœur, et à Madame la comtesse de
Sonnaz, née de Ternengo, sa nièce par alliance, auxquelles j’offre
ici mes remerciements respectueux.
— 9352 —
dans toute la sincérité de son âme. Elles se rapportent aus
années 4848 et 1849, si mémorables dans notre histoire
parce qu’elles ont vu avec la transformation de nos ins-
titutions politiques, un mouvement rénovateur de l'esprit
public, et enfin l'explosion soudaine et irrésistible du sen-
timent d'indépendance nationale en Italie, suivie, bientôt
après, de la guerre contre PAutriche.
La correspondance de Ferdinand de Vars rappelle d’une
manière vivante cette période agitée, avec ses cnthou-
siasmes, ses passions généreuses, sa foi dans l'avenir,
mais aussi, disons-le, avec ses entrainements et ses illu-
sions.
Ferdinand de Vars était né à Lyon, le 11 octobre 1808,
sur la paroisse d’Ainay. Son père, le comte Janus de Regard
de Vars, issu d’une ancienne et noble famille de la Savoie,
avait servi la France pendant le premier empire et s'était
retiré avec {e grade de capitaine de cavalerie. Sa mère, Vic-
toire Broissier de la Rouillère, appartenait à l'aristocratie
lyonnaise et comptait son père et un frère parmi les victimes
de la Terreur. À la restauration de la Maison de Savoie, la
famille de Vars fut remise en possession de ses biens et de
son manoir de Clermont, situé sur les confins de Genève.
À Chambéry, où sa famille était venue habiter, le jeune
de Vars fut confié jusqu’à l’âge de seize ans aux soins
d’un précepteur, sous la direction de son aïeul paternel.
Son goût pour l'instruction était très vif, et comme le vieil-
lard, dans son affection tendre et un peu craintive, mettait
des entraves à son zèle pour l'étude, il lui arrivait souvent
de tromper la surveillance paternelle et de sc relever pour
— 353 —
lire et travailler jusqu’à une heure avancée de la nuit.
À 17 ans, ayant eu le chagrin de perdre son aïeul, de Vars
obtint de ses parents l'autorisation de s'engager comme
cadet dans le régiment de Savoie-Cavalerie. Nommé sous-
lieutenant à 21 ans, il ne fut promu capitaine qu’en 1845,
c’est-à-dire à 37 ans, tant l'avancement, dévolu tout entier
à l’ancienneté, était lent après une période de trente années
‘ de paix.
De Vars était avant tout soldat et dévoué à son métier.
De haute stature, alerte et vigoureux dans les exercices
du corps, il était excellent cavalier, malheureusement
atteint de myopie, ce qui est une grande gêne à cheval et
une cause d'accidents dangereux en campagne. Il apportait
dans le service une fermeté rigide, tempérée par la plus
grande sollicitude pour le bien-être du soldat dont il était
comme le père. Ses traits étaient réguliers et pleins de dis-
tinction ; la sévérité de la physionomie était adoucie par la
bonté du regard. Il unissait à un esprit cultivé et à un cœur
généreux l’énergie de l'âme ; à la courtoisie du gentil-
homme une affabilité qui allait jusqu’à la cordialité pour
les petits et pour les humbles. Il était de ces natures sensi-
bles et fortes qui attirent la sympathie et exercent un grand
ascendant autour d'elles. Il semblait avoir pris pour règle
de sa vie la noble devise inscrite sur les armoiries de sa
famille : À tout Regard. Le sentiment de sa dignité person-
nelle, poussé très loin, le rendait susceptible sur le point
d'honneur et le conduisit, trop souvent peut-être, sur le
terrain. Ce sentiment se portait d’ailleurs sur tout ce qui
le touchait de près et, en particulier, sur la bonne répula-
tion de son régiment. Celui-ci ayant tenu garnison à
Chambéry, de Vars, à son départ de cette ville, fit le tour
des fournisseurs et, sans mettre personne dans sa confi-
IVe SÉRIE. — TOME IV. 28
— 3054 —
dence, acquitta de sa bourse toutes les petites dettes laissées
en souffrance par les hommes de troupe. Il montrait cette
même générosité d'âme dans les questions délicates d'intérêt
qui ont pour cadre la vie de famille et qui sont bien propres
à révéler le fond des sentiments.
« Mon frère, écrit Mme de Châteauneuf, possédait tout à
« côté de la terre de Clermont une jolie petite propriété
« qui lui était échue en héritage ; sa majorité arrivée,
« jamais il ne songea à en demander les revenus. La mai-
« son et le clos situés à Chambéry lui appartenaient éga-
« lement, et des offres très avantageuses lui ayant été
« faites pour les vendre, il refusa toujours, sachant com-
« bien nos parents aimaient cette habitation et s’y plai-
« saient. »
On pourrait croire de Vars insensible aux agréments et
aux avantages de la fortune. Il n’en était rien. Il servait
dans la cavalerie, arme dont les officiers appartenant tous
à l'aristocratie, se distinguaient par leur luxe. Ceux qui
ont vécu dans son intimité savent qu’il souffrit beaucoup
de ne pas jouir de l’aisance à laquelle il pouvait préten-
dre, eu égard à sa situation de famille. Son désintéresse-
ment était donc méritoire; il lui était inspiré par des sen-
timents de déférence et de tendre affection dont sa corres-
pondance porte l’empreinte et qu’on appréciera plus loin.
En dehors des choses du métier, de Vars possédait des
connaissances variées et étendues en histoire, en économie
politique, dans les sciences exactes et traitait avec compé-
tence les questions qui occupaient alors l'opinion publique.
Le comte de Sales, ambassadeur du roi à Paris, ayant
eu l’occasion de connaître les heureuses qualités dont il
était doué, lui fit proposer, au cours de sa carrière, d'entrer
dans la diplomatie, promettant de l'appeler auprès de lui ;
— 395 —
de Vars déclina ces offres avantageuses pour rester fidèle
à sa vocation de soldat.
Bien que né en France et élevé en Savoie, il connaissait
parfaitement l'italien et s’exprimait dans cette langue avec
une facilité et une élégance rares en Piémont à cette épo-
que. Les habitudes d'outre-monts faisaient alors une large
part à la vie extérieure, et si la hiérarchie sociale en était
encore à la division des castes, les promenades, les théâtres,
les cafés même, servaient de lieux de réunion à toutes les
classes de la société, sans en excepter le clergé. Il s’établis-
sait entre elles, malgré la diversité de fortune et de rang,
des rapports de familiarité étrangers à nos habitudes de ce
côté des Alpes. Un officier doué de qualités brillantes et
sérieuses à la fois trouvait, sans les rechercher, les occa-
sions d’être connu de tous et d'acquérir, avec la sympathie
générale, une popularité de bon aloi. Ceci explique comment
de Vars, capitaine de cavalerie et gentilhomme savoyard,
fut élu, en 1849, député au Parlement de Turin, par le
collège électoral de Vigevano. On était en temps d'armistice
avec l’ennemi aux portes ; l'heure n’était pas aux discours,
mais à l’action. Les électeurs firent donc preuve de dis-
cernement, en même temps que de sympathie pour sa per-
sonne, en lui confiant le mandat de député, puisque la loi
les y autorisait.
Son esprit était ouvert aux idées nouvelles et s'était
affranchi, sous ce rapport, de l'influence du milieu où il
était né. Il se rendait compte avec clairvoyance des néces-
sités du temps, et s’il y avait chez lui des illusions, c’étaient
celles d’une âme ardente et généreuse, éprise de l’amour
du bien public : |
« Je puis me tromper, écrit-t-il en mai 1848 au comte
« de Vars son père, mais je suis de bonne foi. Je crois qu'il
— 306 —
«est conforme à la justice et d’une sage politique de tour-
« ner ses regards vers l'avenir et vers l'ordre de choses
« auquel il appartient tout entier, au lieu de donner d'inu-
« tiles regrets à un passé qui n’a plus aucune chance de
« retour. C’est donc vers la consolidation et le perfection-
« nement de nos nouvelles institutions que doivent tendre
« tous nos efforts. »
Dans une lettre de la même époque, écrite à Sa Sœur, il
exprime nettement Sa pensée intime :
« La noblesse ne doit plus former et ne forme plus une
« classe à part ; elle doit s’unir intimement aux autres ; le
« seul titre à ambitionner aujourd’hui est celui de bon ci-
« toyen, c’est le plus utile et le plus honorable à porter
« dans les diverses crises que la société est appelée à tra-
« verser. »
.
C’est dans la vie monotone d’une petite garnison du
Piémont que s’écoulèrent, pour de Vars, les trois années
1845, 14846, 1847, entre Sa promotion au grade de capi-
taine et la guerre de Lombardie. Déjà se manifestaient
les premiers symptômes du réveil de la vie publique. On
était loin, sans doute, de prévoir les graves événements des
années 1848 et 4849 qui allaient suivre, mais pour qui
regardait d’un œil attentif la marche des idées en Italie, il
était facile de prévoir que le Piémont serait entraîné à se
faire, contre l'Autriche, le champion armé de l'indépen-
dance nationale de la péninsule. C'était d’ailleurs là, en
quelque sorte, sa mission historique depuis le traité entre
Henri IV et le duc Charles-Emmanuel, qui stipulait la ces-
sion de la Savoie en échange de la couronne de fer des rois
lombards.
— 307 —
Le roi Charles-Albert cherchait à se dégager peu à peu
de la tutelle jalouse et inquiète exercée sur la politique de
la Sardaigne par sa puissante voisine, depuis le concours
prêté par l’Autriche au pouvoir royal pour la répression
du mouvement révolutionnaire de 1824.
Cette sujétion était telle qu'en 1848, quelques mois à
peine avant l’entrée en campagne, on n’osait entreprendre
aucun travail de fortification dans la place d'Alexandrie,
dont les remparts avaient été démantelés en 1815, pour ne
laisser subsister que sa citadelle. Le roi, voulant se rendre
compte par lui-même de l’état des lieux,sans donner l'éveil
de l’autre côté du Tessin, dut prétexter une question de
tracé de chemin de fer à examiner sur place.
En Piémont, comme dans le reste de l'Italie, les idées
libérales étaient intimement liées à celles de nationalité, et
leur foyer principal était dans les classes moyennes qui
aspiraient à sortir de leur effacement politique. L'autorité
royale s’exerçait sans doute avec modération, mais il n’exis-
tait en face d’elle aucune représentation collective des
intérêts publics de la nation, et la commune était le seul
organe de la vie administrative.
Les sénats ou grands corps judiciaires exerçaient, dans
certaines circonstances, à l’instar des anciens parlements,
un droit de remontrance vis-à-vis du pouvoir royal ; ils
connaissaient de toutes les affaires ecclésiastiques et partici-
paient au pouvoir législatif par l'élaboration de règlements
d'administration publique.
Bien que, par l'organisation même du gouvernement,
l'aristocratie fut en possession des faveurs et que l'accès
des hautes charges et des grades élevés lui fut rendu plus
facile, les classes moyennes fournissaient un contingent
important aux emplois publics. Elles ressentaient toutefois
— 398 —
le défaut de garanties contre l'arbitraire et le manque de
libertés publiques ; elles souffraient des abus d’une police
inquisitoriale s’exerçant sous le couvert de l’autorilé mili-
taire et des entraves mises par la censure à la presse et à
la liberté de circulation de toute publication étrangère. Ce
régime autoritaire était tempéré, il faut le dire, vis-à-vis
des classes populaires par une bienveillance paternelle qui
était dans les traditions de la monarchie de Savoie. Dans
les villes comme dans les campagnes, les masses étaient
restées étrangères aux idées nouvelles et goûtaient les avan-
tages d’un régime de paix et de sécurité qui ne leur impo-
sait que des charges modérées. Les finances étaient pros-
pères, l'administration honnête, la justice et la religion
respectées.
IL
La situation était donc favorable, en 1847, à une trans-
formation politique ayant pour objet d'associer les classes
libérales à la vie publique. Tel fut l’objet des réformes
promulguées au mois d'octobre de cette année. L'opinion
fut unanime pour les accueillir avec joie, comme répondant
au besoin de changements et aux aspirations qui travail-
laient la société. Mais le mouvement une fois lancé, il ne
fut plus possible de le contenir, à cause de sa connexion
intime avec l’idée d'indépendance nationale.
Le roi Charles-Albert, entrainé par les événements, se
mit à la tête de la nouvelle croisade des peuples et des prin-
ces de l'Italie contre la domination de l'Autriche. Le pape
Pie IX lui-même y ajouta le prestige de la plus haute auto-
rilé morale, et bientôt, d’une extrémité à l’autre dela pénin-
— 359 —
sule, on évoqua les souvenirs de la ligue lombarde et l’on
fit retentir le cri de guerre de Jules II « Jtalia a barbaris
liberanda. »
Comme on pouvait s’y attendre, cette phase heureuse de
l'accord des gouvernements et des peuples fut de peu de
durée ; ce n’était qu’une belle journée suivie bientôt de
tempêtes et de bouleversements.
La correspondance de de Vars reflète l’enthousiasme et la
confiance avec lesquels il saluait l’ère nouvelle ; mais, au
moment de lire ces pages intimes, exhumées après plus de
quarante ans et qui n'étaient pas destinées à voir le jour,
une pensée m'arrête. Depuis l’époque qui nous occupe, la
scène a changé, un nouvel ordre de choses a surgi. La
Savoie, par son vote libre et spontané, a fixé irrévocable-
ment ses destinées ; elle a acclamé, comme sa mère patrie,
la France à laquelle la rattachaient sa topographie, sa
langue, ses mœurs, tout ce qui, avec l’histoire, constitue la
nationalité. Cette union a été scellée par des épreuves et
des sacrifices supportés en commun. L'opinion publique a
pris dès lors un autre cours et l'heure est peu propice pour
lui demander de porter un jugement impartial de cetie
période de 1848 et 1849. Ce n’est plus à des contemporains
de de Vars que je m'adresse, mais à une génération qui a
grandi sous d’autres impressions, que les événements ont
ipstruite par de dures leçons et qui peut être tentée de se
montrer sévère pour sa devancière. À ceux qui accuseront
peut-être la générosité de Ferdinand de Vars d’entraîne-
ment, son enthousiasme d’imprudence, je rappellerai qu’il
faut le juger avec son âme de patriote et de soldat, dans le
milieu où il s’est trouvé, et qu’il a donné sa vie pour les
idées d’indépendance et de liberté dans lesquelles il avait
foi. Si ces idées se sont altérées, si elles ont servi plus tard
— 360 —
à abriter des conquêtes que notre conscience et notre reli-
gion condamnent, si elles ont fait place aujourd'hui, vis-à-
vis de la France, à l’oubli des services rendus et du sang
versé par elle, elles étaient, à l'heure que nous évoquons,
dans leur expansion généreuse et sincère. Il y a, d’ailleurs,
dans la vie des peuples comme dans celle des individus,
des périodes de crise où le sentiment prend le dessus sur
la froide raison. Peut-être empêchent-elles les nations de
tomber sous le joug d’un scepticisme égoïste et du culte
des jouissances matérielles. Comment expliquer les brus-
ques revirements qu’a vus notre génération, si l’on n'admel
pas le déchaînement de ces forces morales qui font osciller
les peuples de l’autorité à la liberté, de la paix avec sa sécu-
rité au besoin d'expansion et de gloire, de l'esprit de con-
quête à la revendication du droit violé et de l’indépen-
dance des peuples méconnue? De ces diverses phases, de
Vars, par sa mort prématurée, n’a connu que la premiére.
La lettre suivante est de la fin de 4847 ; elle répond aux
instances de sa faille pour lui faire quitter le service et se
marier :
Ferdinand de Vars à son père.
Savigliano, 29 décembre 1847.
Il faut en prendre son parti ; c'est un sacrifice que
l'honneur m’ordonne, il me prescrit de rester ici jusqu'à
ce que les déterminations de l’Autriche soient bien
connues. Il y a dix à parier contre un qu’elle ne bougera
pas et nous laissera achever tranquillement ce que nous
avons commencé. Jusqu'à ce que nous en soyons bien
sûrs, je ne puis songer à m'’éloigner. Au printemps, je
l'espère, tout sera décidé et alors, comme l'hirondelle,
je changerai de climat et je reviendrai près de vous où
tant de motifs me rappellent.
— 361 —
Ce qui me fait dire que l'Autriche ne bougera pas, c’est
qu'elle a bien assez à faire pour son propre compte sans
se mêler de nos affaires. La Hongrie et la Bohême sont
en fermentation, le Milanais et Venise n’attendent
qu'une occasion pour se prononcer et le moindre fait
peut servir de prétexte.
Pendant ce temps, les forces de l'Italie s rcanisente À
l'heure qu'il est, entre subalpins, Toscans, Pontificaux,
Napolitains, elle peut présenter une masse disponible
de trois cent mille combattants ; ajoutez-y la force mo-
rale que possèdent des gens combattant pro aris el
focis. De ce côté il n’y a donc rien à craindre. Quant à
l'intérieur du pays, il ne s’y passe rien qui doive inspi-
rer la moindre crainte. Tout, au contraire, est fait pour
donner la plus grande confiance dans l’avenir. Bour-
geoisie et neuple, partout règne le contentement, la
joie, l’espérance.
Depuis les réformes, tout le monde témoigne la plus
entière confiance dans le roi qui, de son côté, sait aujour-
d'hui apprécier son peuple et tient loyalement ses
DIOMESSS SLR Las SR SERRE RES
À Turin, tout marche à merveille. On parle, on dis-
cute, on écrit avec la plus grande liberté. On ne signale
pas la plus légère scène de désordre et jamais l’action
de la police ne s’est moins fait sentir. Les principaux
ordonnateurs des fêtes ont compris à la fois ce que
le moindre trouble aurait pu donner de force à leurs
adversaires et ce que leur prescrivaient la dignité du
mouvement national et la confiance du gouvernement ;
ils ont fait en sorte que tout s’est passé d'une manière
admirable. |
Une circonstance bien digne de remarque, c’est com-
bien le sentiment religieux s'est manifesté dans tout
ceci. Partout les ovations populaires se sont terminées
([R
— 362 —
par aller spontanément dans les églises faire chanter le
Te Deum, implorer les bénédictions du Giel sur le pays
et le nouvel ordre de choses, faire bénir les bannières,
les drapeaux des villes et des corporations. Partout
aussi le clergé s’est uni au mouvement national et a pris
part à l'esulianza universelle.
... + . + .« « Vous ne sauriez croire, mon cher père,
tout ce que ce mouvement national a de bon et de beau.
On a vu de vieux ennemis, des rivaux qui, depuis bien
des années, évitaient tout rapprochement, se tendre la
main et éteindre leurs anciennes inimitiés dans un sen-
timent commun : l'amour de la patrie et du bien public.
Partout on a ouvert des souscriptions, bientôt couvertes
de signatures, au profit des malheureux.
La lettre se termine par des souhaits de bonne année
exprimés d’une manière touchante :
Encore une année d’écoulée, mon cher père, et voici
une autre qui commence. Vous dire combien je fais des
vœux pour qu'elle vous apporte du borheur est chose
presque superîflue ; ces souhaits ne sont pas seulement
du moment actuel, mon cœur les forme pour vous à
chaque instant de ma vie ; aussi est-ce à votre propre
cœur que j'en appelle pour juger de leur étendue et de
leur vivacité. Adieu, mon cher et bon père, aimez-moi
toujours et veuillez agréer les sentiments de dévoûment
et de respectueuse affection
de votre soumis et obéissant fils.
Ce langage exprime bien la respecteuse affection d’un
fils, également éloignée de la crainte et de la familiarité, et
si certaines formes peuvent paraître surannées à la géné-
ration nouvelle grandie dans une indépendance parfois
prématurée, elles se concilient avec une simplicité el une
sincérité pleines de charme.
e
— 363 —
Toute la correspondance de de Vars est empreinte de
cette délicatesse dans ses sentiments de famille. Je citerai
un passage où il s’y mêle une sorte de grâce naïve.
Il écrivait à la comtesse de Châteauneuf, sa sœur :
Je n'ai pas besoin de te dire, mon enfant, tous les
vœux que je forme pour toi; ils comprennent tout ce
qu’on peut imaginer comme contribuant au bonheur ici
bas et, comme de raison, je l’étends à mon frère René
et à notre petit homme. (C’est ainsi qu’il désignait son
neveu âgé d’un an à peine).
Ce dernier étant tombé malade, il écrit :
J'ai appris par Francisque du Bourget, que j'ai ren-
contré allant à Vienne, que notre petit homme avait été
souffrant, mais il m’a donné l'assurance qu'il était réla-
bli. Ta lettre, arrivée deux jours après, a achevé de me
mettre l'âme en paix. Donne-moi des nouvelles en détail
de ce cher enfant ; commence-t-il à parler ? parle-lui de
moi ; apprends-lui à prononcer mon nom.
Celui qui, ouvrant une correspondance de famille, déchire
_le voile qui couvre des épanchements intimes pour les livrer
à la publicité, doit justifier cette indiscrétion par une leçon
utile. Ici, c’est de montrer, dans une noble existence, une
douce et forte harmonie morale où la tendresse des affec-
tions s'allie à l'énergie d’une âme de soldat.
*
* *
Les premiers mois de l’année 1848 resteront mémorables
dans l’histoire de la monarchie sarde. Les événements se
succédèrent avec Ja rapidité vertigineuse qui caractérise
— 36% —
les crises politiques latentes et longtemps différées. La
République venait d’être proclamée en France et cet événe-
ment ne pouvait manquer de précipiter le soulèvement de
la Lombardie et les résolutions du Piémont.
Le Statut constitutionnel fut promulgué à Turin ; un
brusque revirement politique fit succéder, en vingt-quatre
heures, à un ministère de résistance ou de temporisation,
un ministère ultra-libéral prêt aux actes les plus énergiques.
Les Milanais insurgés avaient forcé, après trois jours de
lutte, les troupes autrichiennes à évacuer la ville. Une pro-
clamation du roi Charles-Albert aux Lombards les appelait
aux armes en leur promettant le secours « que le frère
donne au frère, l’ami à l’ami. » Quarante-huit heures après,
l'armée sarde, déjà concentrée, franchissait le Tessin et
hâtait sa marche sur les pas des colonnes autrichiennes qui
se retiraient dans le quadrilatère des places fortes du Mincio
et de l’Adige. L’entrée des troupes sardes en Lombardie,
comme onze ans après Celle des troupes alliées, fut l’objet
des démonstrations enthousiastes d’une population en délire
qui, délivrée d’une longue oppression, rêvait de nouvelles
destinées.
Les lettres suivantes de de Vars dépeignent l'impression
que produisaient ces événements.
Savigliano, 10 février 1848.
Mon bien cher père,
2... + ee ee ee + + + + ee L 2 Li] e
Dès le commencement, tous les hommes jidicienx
avaient pensé que les réformes du 29 octobre n'étaient
qu'une transition, un acheminement à des institutions
plus larges, une sorte d’apprentissage de la liberté.
Dans la journée du lundi 7 février, une députation du
Corps décurional (municipal) se rendit au Palais pour
— 365 —
exposer au roi ce que l'on regardait comme l'expression
des vœux de la population. Le roi la reçut fort bien,
répondit qu’il examinerait leur requête et qu'il ne dési-
rait rien tant que le bonheur de son peuple. Il congédia
la députation avec des paroles gracieuses. Le reste du
jour et une portion du lendemain, Turin attendait avec
une anxiété contenue et pleine de calme apparent, lors-
que l’on afficha le manifeste annonçant qu’une Constitu-
tion était donnée au pays.
Voilà donc. le grand pas fait. Espérance et joie pour
l'immense majorité des citoyens. À peine la proclama-
tion fut-elle connue dans Turin, que des milliers de
personnes se réunissent comme par enchantement et
parcourent les rues aux cris de : Vive le Roi! vive la
nation italienne ! vive Pie IX! vive la Constitution !
Les rues étaient pavoisées de drapeaux bleus, d’autres
rouges à croix blanche, enfin de drapeaux tricolores,
vert, blanc et rouge, couleurs de l’ancien royaume
d'Italie. Tout le monde avait arboré des cocardes de ces
diverses couleurs ; le plus grand nombre, une large
cocarde bleue ayant au centre une petite cocarde trico-
lore. Dans les rues, on s’embrassait, on se serrait la
main. Jamais peuple n’a présenté un spectacle plus
touchant : une nation, après huit siècles d'existence, se
régénère sans verser une goutte de sang.
Il n’y a rien encore de décidé pour le changement
officiel de cocarde. Qu'elle soit azurée ou tricolore, elle
n’en sera pas moins honorable. La première est celle de
nos vieilles bandes, la seconde brilla sur les casques des
braves du corps d’armée italien qui, sous les ordres du
prince Eugène, prit une part glorieuse à toutes les guer-
res de l’Empire et sut se faire remarquer dans la cam-
1 C'était la couleur de la cocarde nationale sous la Maison de
Savoie.
— 366 —
pagne de Russie. L’un des drapeaux porte inscrits :
Guastalla, l’Assiette, Mondovi ; l’autre, les noms des
victoires de la Grande Armée.
Ferdinand de Vars à sa sœur.
Savigliano, 48 mars 1848.
Ma chère Camille,
Je te remercie beaucoup, ma chère amie, de ce que tu
m'as envoyé. Je reconnais bien là ton affection et j’y
suis on ne peut plus sensible. J’en ferai usage et d'au-
tant plus volontiers que tout ce qui vient d’une aussi
belle âme et d’une personne aussi vertueuse quetoi doit
porter bonheur, car tu es une de ces femmes faites pour
attirer les bénédictions sur tout ce qui les entoure.
Nous vivons toujours dans l'incertitude ; ce qui est
positif, ce sont les cruautés commises par les Autri-
chiens en Lombardie. Nous recevons continuellement
des nouvelles qui font frémir. Si notre gouvernement
n’écoutait que le vœu général des populations et surtout
de l'Armée, il nous enverrait au secours de nos frères
Lombards. Il est probable que l'avantage nous resterait,
car les populations, sans nul doute, se lèveraient en
masse à notre approche. Dès à présent, la défection est
dans les régiments de race slave. Les soldats italiens
également ne se battront pas contre leurs frères. Toutes
ces circonstances réunies, jointes à la pénurie d'argent
. où Se trouve l'Autriche placée en face d’une banqueroute
imminente, font que, probablement, il n’y aura pas de
guerre. Elle se trouvera obligée de céder et de faire des
concessions sous peine de perdre tout ce qu’elle possède
en Italie. Elle a, du reste, en elle un principe de mort :
l’hétérogénéité de ses populations ; elle menace ruine de
tous côtés.
Le seul danger eut été notre refus de reconnaître la
— 367 —
nouvelle République française, mais notre empresse-
ment à cet égard garantit ses sympathies et au besoin
son appui. Tout d’abord, on a éprouvé quelque défiance,
mais quand on a vu la modération du peuple après la
victoire, la conduite pleine de courage, de majesté et de
force du gouvernement provisoire et surtout le manifeste
de M. de Lamartine aux puissances, toutes les craintes
se sont calmées et ont fait place à la confiance. Lamar-
tine, déjà si grand comme poète et comme historien,
vient d'ajouter une nouvelle couronne à celles qui
ornaient sa tête. Il est vraiment un homme d’État.
Situ vois M" de Monfort‘, fais-lui compliment de
ma part sur son oncle, car voilà les gloires que j’appré-
cie.
Je pense qu’à Chambéry, l’on s'occupe des travaux pour
les élections et pour la garde nationale. A ce sujet, je te
recommande, ma chère amie, de ne pas détourner René
de se mettre en avant. Dans les moments actuels, l'on
se doit à son pays. Se tenir en dehors du mouvement est,
d’ailleurs, un très mauvais système dont les premiers à
souffrir seront ceux qui l’auront adopté. Il faut aller aux
élections, étudier les programmes des candidats ou ceux
qui leur sont proposés, et, si une candidature vous est
offerte, courir les chances de l'élection. On s’en tient
souvent à cette idée qu'il faut faire comme le reste dela
noblesse et s'abstenir si telle est sa conduite. Cette
raison n’est plus admissible ; la noblesse ne doit plus
former et ne forme plus une classe à part ; elle doit
s'unir intimement aux autres; le seul titre à ambition-
ner aujourd'hui est celui de bon citoyen. C'est le plus
utile et le plus honorable à porter dans les diverses
crises que la société est appelée à traverser.
‘ Fille de Césarine de Lamartine, comtesse de Vignet.
— 368 —
Le sentiment de solidarité qui doit régner entre les
diverses classes dans les circonstances graves où se trouve
le pays, est affirmé plus explicitement encore dans une
lettre écrite, quelques jours après, à son père :
Savigliano, 18 mars 1848.
Eh bien ! que dites-vous de Ia rapidité avec : laquelle
les événements se pressent aujourd’hui ? C’est à ne pas
s'y reconnaître ; je crois que nous aurions tort de ne pas
nous tranquilliser sur ce qui se passe en France, ce ne
peut être qu’une diversion heureuse pour nous.
La nouvelle République a un intérêt naturel à nous
soutenir, comme nous elle, et il ne paraît pas qu'elle
veuille s'attaquer à aucune nationalité, si la sienne est
respectée, et elle le sera.
Je crois que, dans ce moment, tous les bons citoyens
doivent s’unir pour l’organisation de la chose publique,
après une juste appréciation des besoins du pays. Il faut
que tous les honnêtes gens, sans distinction de classes
et sans nuance d'opinions, se réunissent et s’entendent,
que chacun fasse preuve d’abnégation, que tous se sacri-
fient réciproquement les rivalités d'amour propre, fus-
sent-elles même fondées, en présence des grands intérêts
qui sont aujourd’hui en cause.
Le ministère est formé ; vous connaissez sans doute
déjà sa composition. Le président du conseil est le comte
Balbo. Il y a deux Gèénois : le marquis Pareto aux affaires
étrangères, le marquis Ricci à l’intérieur ; on en dit
beaucoup de bien. M. Buoncompagni, le gendre de
Madame Pullini, est à l'instruction publique.
Nous sommes toujours dans l’attente et je m'ennuie
mortellement. Je mène le genre de vie le plus sot qu'il
soit possible et il faut bien le sentiment de l'honneur et
du patriotisme pour m'y faire rester. J'aimerais mille
— 369 —
fois mieux ef sans bravade être en campagne que de
passer mon temps l'arme au bras dans cette pauvre
garnison. |
Les événements allaient bientôt le tirer de la situation
qui lui semblait si terne et l'appeler à un rôle actif.
Ferdinand de Vars à sa sœur.
Savigliano, 22 mars 1848.
Ma chère Camille,
Depuis quatre ou cinq jours que je t'ai écrit, bien des
événements se sont passés ; grande émeute à Vienne,
soulèvement et combat dans les rues de Milan. Le peu-
ple a déjà remporté de grands avantages ; il a pris des
canons et occupe plusieurs points. Le drapeau tricolore
italien flotte sur le dôme. Borromeo, Casati, podestat de
Milan, d'Adda, Litta sont à la tête du mouvement et s’y
comportent en héros citoyens.
Le corps municipal est constitué en permanence et
forme un gouvernement provisoire.
En apprenant ces nouvelles, notre ministère a fait
marcher sans retard nos troupes à la frontière... (suit
l'indication des mouvements de troupe). L’enthousiasme
est à son comble et impossible à décrire. À Novare et
dans toute la Lomelline, les populations se lèvent en
masse et demandent à marcher au secours des Lom-
bards. Hector de Sonnaz' fait ce qu’il peut pour les cal-
mer et les engage à attendre, maïs je ne sais s’il y réus-
sira longtemps. Il n’y a aucun ordre d’attaquer, mais
aussi aucun moyen d'empêcher les populations de se
porter au-delà du Tessin. Le mieux serait de nous
décider à attaquer pendant le premier moment de stupé-
1 Commandant la division militaire de Novarc.
IVe SÉRIE. — TOME IV. 2%
— 370 —
faction des Autrichiens. Jamais on ne retrouvera occa-
sion pareille. Les Lombards réfugiés à Turin ont été chez
les ministres et, au nom de leurs compatriotes, ont offert
au roi pour lui ou pour le duc Gênes, la couronne de fer
des rois lombards.
Nous n'avons encore reçu aucun ordre.
Quelques injures, moins graves que l’on ne s'était plu
à le dire, faites à des ordres religieux, à Gènes, à Turin
et en Sardaigne, sont la seule chose à blâmer jusqu'ici
dans notre révolution... Je hais par-dessus tout les vio-
lences et je voudrais la liberté pour tous, toutes les fois
qu’elle serait sans danger. Aussi ai-je vu avec plaisir
qu'à Chambéry l’on a su éviter ce travers. Qu’en est-il
des dames du Sacré-Cœur ? Tu me ferais le plaisir de
m'en informer le plus tôt possible.
Le régiment de de Vars ne tarda pas à recevoir des ordres
de départ et, quelques jours après, le 29 mars, il fait à sa
sœur le récit de son entrée en campagne et de ses pre-
mières impressions :
Excuse-moi, ma chère sœur, d’avoir manqué à ma
_ promesse de ne pas quitter Savigliano sans t'écrire.
J'ai eu si peu de temps pour préparer mon départ et
tant de choses à faire que je n’ai pu disposer d’un seul
instant.
Le roi, cédant au désir universel de son peuple, vient
enfin de déclarer la guerre à l'Autriche. Le 25 au soir,
les régiments Piémont-Royal et Pignerol ont fait leur
entrée triomphale dans Milan, aùx cris de joie de toute
la population.
FN se . Le roi et le duc de Savoie sont à l’armée
et celle-ci va passer la frontière aujourd’hui.
L’aile gauche est déjà en avant et doit utiliser le che-
min de fer pour se porter du côté de Vérone.
— 371 —
. + + « + .« Les Autrichiens sont entièrement démo-
ralisés ; ils ont perdu toutes les villes et ne tiennent
plus que difficilement la campagne. Le Tyrol révolté
leur ôte tout moyen de retraite. Un gouvernement pro-
visoire est établi à Milan et fonctionne admirablement.
L’aile gauche de notre armée est commandée par Hector
de Sonnaz, la droite par le général Bava, la réserve par
le duc de Savoie ; le roi commande en chef.
Nos troupes sont animées du meilleur esprit. Tous,
officiers et soldats, sont gais, contents et ne cessent de
chanter en route des hymnes à l'Italie, au roi, à la liberté.
Il y a des chœurs qui sont d’un effet charmant. En pas-
sant le Tessin, nous arborons la cocarde tricolore ita-
lienne ; nous prenons aussi les étendards tricolores sur
lesquels est l’écusson de Savoie : croix blanche en champ
rouge.
L’enthousiasme des populations estimpossible à décri-
re : il se forme de tous côtés des guérillas, des bandes
de volontaires, sans parler de nombreux engagements
dans les corps de troupe. Tout le monde prend les armes;
on voit des officiers retirés depuis douze ou quinze ans,
mariés, avec enfants, rentrer au service. J’ai, dans mon
escadron, le marquis Balbi Piovera, de Gênes, un des
chefs du parti progressiste, âgé de cinquante-six ans et
qui n’a jamais servi ; j'ai aussi deux jeunes volontaires
de seize à dix-sept ans.
....... Ne t'inquiète pas, ma chère enfant, nous
avons de grandes chances pour nous. C’est une guerre
sainte, une croisade : Dio à con noi, a dit notre immortel
Pie IX. Il faut que l'oppresseur, que l'étranger soit
repoussé hors de nos frontières ; ce n’est qu’alors que
nous pourrons honorablement remettre l’épée au four-
reau.
Le même jour, de Vars écrivait à son père :
— 372 —
Je ne veux pas tarder davantage à vous apprendre
notre entrée en campagne.
.... +... Vous ne sauriez vous faire une idée de
l'enthousiasme, du dévoûment que tout ls monde témoi-
gne. Des vieillards, des pères de famille, des jeunes
gens encore imberbes, tous prennent les armes. . . ..
Ce n’est pas une guerre ordinaire, c’est une guerre
sainte entreprise pour la défense de ce que les nations
on{ de plus cher : l'indépendance, la liberté, la religion.
Je vous assure, mon cher père, que je serais parfaite-
ment heureux si ce sentiment n’était pas troublé par
l’idée des inquiétudes que vous allez avoir pour moi;
mais vous savez que la guerre n’est pas aussi meurtrière
que bien des gens se l’imaginent. Ayons d’ailleurs con-
fiance en Dieu qui ne peut nous abandonner, nous com-
battons pour.sa cause.
Pensez souvent à moi, mon cher père, car je pense
toujours à vous.
Votre fils soumis et respectueux.
En lisant ces lettres, on peut, comme nous l'avons dit
plus haut, se placer à des points de vue divers, mais il est
impossible de ne pas y voir les documents vivants d’une
époque qui marquera dans notre histoire. Ce que j'en
retiendrai, comme biographe de de Vars, c’est que l’homme
qui, à quarante ans, montre cette vivacité et cette fraîcheur
de sentiments, est de ceux qui ont su préserver leur âme
du scepticisme et des souillures auxquelles la vie les expose.
Peut-être, au point de vue de la philosophie de l’histoire,
peut-on en tirer une autre conséquence : c’est que la science
de l’homme d’État consiste à prévoir les crises politiques,
comme le naulonnier les orages, pour pouvoir, selon les
circonstances, s’abriter dans le port ou gagner la haute mer.
Dans les temps de trouble et d’agitation, les événements
= 1979
sont comme dominés par une force inéluctable qui procède
de la passion et de l’enthousiasme des masses. La direction
échappe aux sages et aux prudents dont les prévisions sont
déconcertées. Les plus graves décisions, celles de la paix
et de la guerre, sont comme emportées de vive force
par l’opinion impatiente et déchainée. Les hommes de
ma génération mêlés aux affaires publiques, en rappro-
chant les faits de 1848 et de 1849, en Piémont, et ceux de
1870, en France, y trouveront, sous ce rapport, de singu-
lières analogies. De part et d'autre, une guerre pour ainsi
dire improvisée sous la pression des événements et des
passions populaires, des revers suivis à bref délai de crises
politiques des plus graves. Peu s’en est fallu que la perte
de la bataille de Novare ait été aussi funeste à la Maison
de Savoie que l’a été à l’Empire la fatale journée dont le
souvenir, après vingt ans, est présent à notre mémoire cet
pèse sur nos CŒurs.
Qui pourrait néanmoins conseiller aux gouvernements,
comme maxime générale, de résister au courant, au risque
d’être eux-mêmes emportés ?
Quand de Vars, dans ses lettres, parle de la nécessité de
déclarer la guerre et de mettre à profit l’état de désarroi
de l’armée autrichienne, enveloppée de toutes parts par l’in-
surrection, il est dans le vrai. L’audace, pour réussir, exige
des résolutions soudaines.
Le roi Charles-Albert et le ministère de Turin, tout en
voyant grossir les événements, ne croyaient pas à leur
explosion aussi prochaine ; ils hésitaient et leurs décisions
n'étaient pas à la hauteur des circonstances. Si l'entrée en
campagne de l’armée sarde eût été avancée de trois jours
seulement, la retraite de l’armée autrichienne était grave-
ment compromise. Ce coup d’audace pouvait décider du
— 374 —
sort de la campagne et détacher la Lombardie de l'Autriche.
Dans tous les cas, la guerre se serait poursuivie dans des
conditions bien plus favorables pour le Piémont, et la
réunion de son armée aux forces pontificales et napolitaines
se serait effectuée.
Combien est épineux le rôle de l’homme d’État, puisqu'il
comporte-tour à tour, selon les circonstances, une extrême
prudence ou une action précipitée ; dans l’un des cas, le
défaut de prévoyance peut tout perdre ; dans l’autre, au
contraire, c’est le défaut de décision.
LIT
La campagne qui s’ouvrait à la fin du mois de mars 1848
sous ces heureux auspices fut d’abord à l'avantage de
l'armée sarde qui remporta plusieurs succès. Les journées
de Pastrengo, Goïto, Rivoli, l’attaque de Volta, la prise de
Peschiera témoigneront toujours de la bravoure de l’armée
que commandait Charles-Albert. La brigade de Savoie y
prit une brillante part. Mais la conduite des opérations
manqua, dans plusieurs circonstances, d’audace et de
vigueur. L'Italie et la Lombardie en particulier ne firent
pas les efforts nécessaires pour soutenir et renforcer l’ar-
mée qui tenait seule la campagne, portant le drapeau de
l'indépendance commune et sur qui, d’un bout à l’autre de
la péninsule, se concentraient toutes les espérances.
L'armée sarde, immobilisée devant les forteresses de
Mantoue et de Vérone, trop peu nombreuse pour investir
ces places, voyait ses effectifs se fondre graduellement et sa
force morale décliner, tandis que l’armée autrichienne,
renforcée d’un corps d’armée et réorganisée, se meltail en
mesure de reprendre l'offensive.
— 315 —
Le 23 juillet, le maréchal Radetsky, débouchant de Vé-
rone, se porta droit sur le passage du Mincio, à Vallegio, et
réussit à couper en deux la longue ligne de bataille de son
adversaire. Après une lutte de trois jours, l’armée sarde,
malgré des alternatives de succès, dut abandonner les posi-
tions de la rive gauche et se concentrer tout entière au
pied des collines de Volta, autour du village de Goïto où
elle avait livré son premier combat. La vivacité de la lutte
et les pertes subies avaient causé de part et d'autre une
sorte d’épuisement. Tout conseillait au roi Charles-Albert
de traiter et d'accepter un armistice aux conditions hono-
rables qui lui étaient offertes : c'était de se retirer derrière
l’'Adda, en conservant tout le territoire de la Lombardie
compris entre cette rivière et le Tessin, avec Milan pour
capitale. Les sentiments chevaleresques du roi eurent le
dessus sur toutes les autres considérations ; il affirma sa
résolution de ne pas séparer le sort de son armée de celui
des provinces lombardes qui avaient voté leur union au
Piémont, sous le sceptre de la monarchie de Savoie. La lutte
continua donc et l'armée commença son mouvement de re-
traite. Arrivé près de Lodi, Charles-Albert reçut les envoyés
de Milan accourus pour le supplier de venir défendre leur
ville. Un conseil de guerre fut tenu. Tous les officiers géné-
raux firent ressortir avec la dernière évidence que le salut
de l’armée était dans la direction de Pavie : elle y passerait
le P6, s’y mettrait à couvert, reprendrait haleine, el, après
avoir reçu des renforts, serait en mesure d'attaquer de flanc
la ligne d'opération de l'ennemi. Réunis dans une pièce
voisine, les officiers d'état-major dont je faisais partie atten-
daient avec une sorte d’anxiété les résultats d’une délibéra-
tion dont l’objet n’était un secret pour personne. Je n’ou-
blierai jamais l’émotion douloureuse avec laquelle nous
— 976 —
apprimes que le roi avait décidé de marcher sur Milan. Je
ne puis lui comparer, dans toute ma carrière, que celle que
nous éprouvâmes, le 16 août au soir, à l'état-major du
maréchal Canrobert, en présence de l’ordre de nous retirer
sous Metz. J'eus, dans l’un et l’autre cas, la claire vision du
triste sort qui nous attendait ! C’est trop, à coup sr, de
deux expériences dans une vie militaire pour voir combien
la politique peut être fatale au commandement.
Fs
La correspondance de de Vars avec sa famille, pendant la
campagne, se poursuit avec le même caractère de sincérité
et de dévouement à la cause de l’indépendance italienne.
Ses lettres sont trop nombreuses pour être citées toutes
et exigeraient d'entrer dans un récit détaillé de la campagne.
Le temps et le caractère de cette réunion m'obligent à me
borner aux suivantes :
Volta, 11 avril 1848.
Mon cher père,
Nous avons eu, samedi 8, une affaire assez chaude au
passage du Mincio, à un village nommé Goïto, où les
Autrichiens s'étaient retranchés. Nous les en avons
débusqués après une vive canonnade et une fusillade
bien nourrie. Le combat a duré trois heures. Nous avons
eu dix morts et trente blessés. La perte des Autrichiens
est de vingt morts, soixante-dix blessés et deux canons.
Mon régiment n’a pris à l’action qu’une part secondaire
et n'a eu que deux chevaux blessés.
Dimanche 9, la brigade de Savoie a emporté le pont
de Monzambano d’une manière très brillante. Nous som-
mes maîtres de toute la rive droite du Mincio et nous
avons déjà plusieurs ponts. Le général Bès fait l’invos-
tissement de Peschiera.
— 371 --
. Vous ne pouvez vous faire une idée de l'enthousiasme
qu’il y a ici dans les populations, partout l’on nous
reçoit à bras ouverts. Nous avons sur nos flancs de nom-
breux guérilias qui font un excellent service. Rien
d'aussi pittoresque que leurs costumes.
11 vient d’arriver ici deux officiers de l’armée pontifi-
cale dont une division vient se joindre à nous ; nous ne
sommes qu'à une marche de Mantoue et à deux à peu
près de Vérone.
Rosigaferro, 8 mai 1848.
Mon cher père,
Mille remerciments de vos bonnes et chères lettres qui
m'ont fait un plaisir indicible. |
J'ai frémi en pensant aux dangers dont vous avez
couru votre bonne part à Chambéry; mais, maintenant
que vous y avez échappé, j'en suis heureux. Ce qui s’est
passé est glorieux pour le pays; il ne pouvait y avoir une
protestation plus énergique ni plus éloquente contre cer-
taines insinuations qui avaient cours.
Je ne saurais vous exprimer combien je suis sensible
à ce que vous me dites du cas que vous voulez bien faire
de ma manière de voir et de penser. Je puis me tromper,
mais je suis de bonne foi et je crois qu'il est conforme à
la justice et d'une sage politique de tourner ses regards
vers l'avenir et vers l’ordre de choses auquel il appar-
tient tout entier, au lieu de donner d’inutiles regrets à
un passé qui n’a plus aucune chance de retour.
. . «+ .« «+ .« C’est donc vers la consolidation et le
1 De Vars fait ici allusion à l'occupation de la ville par les
Voraces, sorte de bande formée de gens sans aveu et de démago-
gues qui, de Lyon, s'était portée sur Chambéry. La population,
soulovée à la voix de quelques généreux citoyens, s’arma, des-
cendit dans la rue et chassa de vive force ces tristes envahisseurs,
— 318 —
perfectionnement de uos nouvelles institutions que doi-
vent tendre tous nos efforts.
J'attends avec impatience le résultat des élections de
Rumilly. Je suis heureux que vous ayez accepté la
candidature. Je suis fort sensible à ce que quelques-uns
de MM. les électeurs ont bien voulu vous dire pour moi,
mais, quoique ma qualité de militaire ne soit pas une
incompatiblité, je n’aurais point accepté de candidature
en ce moment ; ma place est ici.
Vous êtes d’ailleurs bien plus à même que moi de trai-
ter tout ce qui a rapport aux intérêts du pays dont je
suis éloigné depuis bien longtemps. Vous êtes, en outre,
plus calme, tandis que mes opinions plus exaltées et
mes sympathies plus prononcées dans le sens italien (au
point de vue cependant de la politique générale) auraient
fort bien pu ne pas plaire à tout le monde.
UE D See Venons à ma position actuelle. Je me
porte fort bien. Nous occupons maintenant un superbe
pays, d’admirables collines bordant la côte sud du lac
de Garde, près du débouché de la vallée supérieure de
l'Adige, avec les montagnes du Tyrol pour cadre du
tableau. On jouit du coup d'œil le plus enchanteur ;
l'horizon change à chaque instant. L'air est pur, les
collines sont plantées de toutes sortes d'arbres fruitiers,
d'oliviers, de vignes cultivées comme au temps de Vir-
gile dont la patrie, Mantoue, n'est pas éloignée d'ici.
Elles donnent un vin délicieux. De l’autre côté du lac,
en face de nous, est Salô, avec ses belles plantations de
citronniers.
Nos affaires vont bien ; nous sommes maïtres de toute
la rive gauche du Mincio, jusqu'à Mantoue, et d’une par-
tie importante dela rive droite de l’Adige ', sur laquelle
nous avons déjà un pont qui communique avec nos pos-
Près du plateau de Rivoli.
— 379 —
tes avancés de la rive gauche. Notre armée est formée
actuellement en ordre de bataille convexe, notre gauche
tenant en échec Peschiera, notre droite Mantoue, et
notre centre menaçant Vérone ; c'est une situation de
manœuvre magnifique.
Mon régiment ne s'est plus. trouvé à à aucune action
depuis l'affaire de Mantoue, mais dimanche, des collines
où uous sommes, nous avons été les spectateurs d’un
très beau combat livré à quelques milles d’ici.
C'était le corps d'armée de gauche, commandé par
Hector de Sonnaz, qui a donné et qui s’est fait beaucoup
d'honneur. La brigade de Savoie s’est signalée comme
à l’ordinaire et sans grandes pertes ; sa conduite fait
l'admiration de l’armée ; je vous prie bien de le dire.
De Charbonneau a eu deux balles dans son shako et
dans son manteau sans être atteint.
Quelques jours après, un combat très sérieux fournit à
de Vars l’occasion désirée de se distinguer. Le 27 mai,
l'armée autrichienne, sous le commandement du maréchal
Radetsky, prenant l'offensive, s'était portée de Vérone sur
Mantoue par une marche de flanc hardie et rapide. Elle
déboucha par la rive droite du Mincio, culbuta, à Curta-
tone, les troupes Loscanes qui surveillaient les abords de la
place, et se porta dans la direction de Volia et Solférino,
menaçant de couper l’armée sarde de sa base d'opérations
et de la rejeter sur le lac de Garde. Le mouvement du
maréchal n’avait pas échappé à l’État-major sarde et la
concentration, à Volta, de forces importantes fut effectuée
sans retard. L'armée, composée de trois divisions et com-
mandée par le roi Charles-Albert en personne, descendit
dans la plaine de Goïto en ordre de bataille, couverte par
sa cavalerie. Elle vint appuyer sa gauche au village de ce
— 380 —
nom que gardait un bataillon napolitain, et s'établit faisant
face à Mantoue. Elle essuya, le 30 mai, dans cette position,
le choc de l'armée autrichienne et la repoussa après un
combat très vif où le roi et le duc de Savoie furent légère-
ment blessés. Le même soir la nouvelle de la capitulation
de Peschiera arriva au camp. Cette journée marqua le point
culminant de la fortune pour les armes du roi. L’escadron
commandé par le capitaine de Vars prit, à celte affaire,
une part brillante qui valut à son chef la médaille à la
valeur militaire, décoration instituée pour la campagne.
De Vars en rend compte à son père dans la lettre suivante :
Cerlungo (près Goito), 8 juin 1848.
Mon bien cher père,
Les huit jours qui viennent de s’écouler se sont passés
en reconnaissances, alertes, combats, en sorte que nous
avons pu à peine respirer. Je suis sorti sain et sauf du
brillant combat du 30 mai pendant lequel j'ai été à peu
près constamment en action.
Cette affaire a été très glorieuse pour nous. Nous
n’étions que seize mille et nos ennemis vingt-cinq mille
environ. Ils ont plié partout et la nuit seule a mis fin à
la poursuite. Pendant une heure, nous avons soutenu
l'attaque sans autres forces que deux régiments de cava-
lerie et deux batteries pour donner à notre infanterie le
temps d'arriver. J'étais de soutien aux pièces qui ont
commencé le feu et j'ai pu suivre tous les premiers mou-
vements. C’est la première fois que les Autrichiens nous
ont attaqués et nous devons dire qu’ils se sont très bien
battus. Les Croates étaient en première ligne. La défaite
n'en a pas moins été complète.
Lee Philibert Mollard', qui était major depuis
1 Plus tard général do division; à l'annexion, aide-de-camp
de l'empereur Napoléon 111.
U—
— 381 —
moins d’un mois, s’est tellement distingué qu’il a été
promu colonel, et c'était justice.
Ayez la bonté de remercier très vivement ceux qui
veulent bien s'intéresser à moi. Bien des choses au curé
de Clermont, il a un cœur de patriote, mais rien au curé
de Desingy, je n'aime pas les alarmistes.
P. S. — Au moment de clore ma lettre, je reçois un
pli du ministère de la Guerre qui m'annonce en termes
très flatteurs que je suis décoré. Je désire que cela vous
fasse plaisir. J’attribue cette distinction à une charge
de mon escadron qui a fait reculer un corps de troupe
ennemi qui venait assaillir une de nos batteries. Quatre
pièces étaient sur le point d’être abandonnées par les
Autrichiens et j'aurais pu m'en emparer si j’eusse reçu
du renfort à temps, mais je ne disposais que d’une
soixantaine de chevaux. L’escadron a reçu trois médail-
les à la valeur militaire : pour moi, pour un sous-lieute-
nant et pour un cavalier.
Vous m'avez parlé de l’article de journal où il est
question de la reconnaissance du 18 mai, exécutée par
mon escadron, et de la capture d’un convoi que nous avons
faite. Je regrette que, par amitié pour moi, sans doute,
on ait exagéré les choses. Nous avons été heureux, c’est
là notre plus grand mérite. Parmi les volontaires qui
nous accompagnaient, il y avait un des fils de M. Mar-
tin-Franklin‘ et M. Michel Pellegrin, de Chambéry.
Ici s'arrêtent malheureusement les lettres de de Vars
relatives à la campagne de 1848, qui ont été conservées.
Elles suffisent pour le faire connaître. Esprit ouvert,
cœur généreux et dévoué, il saisit avec intelligence les
opérations qui se passent sous ses yeux, sans sortir de la
1 M. Jean Martin-Franklin, ancien officier du génie, retiré à
Chambéry.
— 382 —
sphère d'action de son grade ni s’arroger le droit de discuter
les plans d’ensemble. Il a de l’ardeur pour son métier,
s’abstient de toute critique des ordres et montre sa confiance
dans le succès final. Ce sont les traits distinctifs d’un bon
officier. Un autre trait du caractère de de Vars, tel que
nous le révèlent sa correspondance intime et les souvenirs
de ceux qui l'ont connu, c’est sa simplicité. Toute brillante
qu’elle est, sa valeur procède plutôt du sentiment du devoir
que de l’amour de la gloire et de l'ambition de se distinguer.
Cette même modération de désirs se retrouve dans ses vues
d'avenir. Revenir habiter son toit de famille à Saint-Cassin,
y retrouver un camarade qui lui était particulièrement
sympathique, mener la vie rurale au milieu de populations
amies, fonder des écoles, faire le bien, tels étaient, au dire
de l’ami illustre que nous avons déjà nommé, les vœux
d'avenir d’un officier que sa naissance, ses talents, sa bra-
voure eussent appelé à un grade élevé, si sa carrière n’eût
pas été si tôt tranchée‘.
Peut-être ses idées se seraient-elles modifiées au contact
de la vie publique et des hautes charges du commandement.
Tels quels, ces sentiments nous touchent ; nous y retrou-
vons un trait de caractère qui le rattache de plus près à sa
race et à sou pays de Savoie.
IV
La lutte soutenue par le Piémont n'avait pas été sans
gloire, et, s'il n’en restait que le souvenir d’un épisode
1 Il rêvait de venir s'établir à Saint-Cassin et d'y mener la vie
rurale du propriétaire. Il:me disait souvent : votre oncle vous
laissera sans doute sa propriété qui vient do votre grand'mère,
nous serons alors voisins et nous pourrons continuor nos rela-
tions amicales. (Lettre du général Ménabréa).
— 383 —
militaire et politique sans résultat immédiat, c'était un
jalon posé pour l’avenir.
La période de neuf mois qui suivit la campagne de 1848
et la défaite du Piémont fut des plus agitées pour l'Italie
où la révolution se déchaîna contre les souverains. La
république fut proclamée à Rome et à Florence, et l’Autri-
che, s’arrogeant le rôle de champion de l’ordre, menaçait
le centre de l’Italie de son intervention armée. Le Piémont
était livré aux luttes ardentes des partis. Tandis que les
démocrates parlaient de trahison et de faiblesse pour expli-
quer les revers de la dernière campagne, et réclamaient avec
violence la reprise des hostilités, les conservateurs voyaient,
dans la poursuite d’une politique belliqueuse, la ruine de la
monarchie. Cependant, le roi s'était trop avancé pour
reculer. Ne se sentant plus la force de résister à la révolu-
tion, il s’isolait peu à peu de ses anciens conseillers pour se
livrer aux partisans de la politique d'aventure. Peut-être
était-il sous la pression des souvenirs de son passé ? Peut-
être pensait-il qu'après s'être mis à la tête du mouvement
national, le comprimer eût été s’exposer de nouveau à l’ac-
cusation de versatilité et même d'infidélité à ses engage-
ments que lui avait attirée sa conduite en 1821. Il trancha
donc, cette fois, ce qui avait été jusque-là l'énigme de sa
vie et voulut aller jusqu’au bout (a! fondo), affrontant, pour
ainsi dire, tête baissée, les périls de l’avenir. Cet état d’esprit
explique la réponse qu'il fit à la reine en partant de Turin
pour la campagne de Novare. Elle lui demanda sur le seuil
de son palais : « Quand vous reverrai-je ? » — « Si je suis
vaincu, jamais, » répondit le roi, et il tint parole.
On peut comprendre ce que furent, pendant cetté période
de l’hiver de 1848 à 1849, les sentiments de de Vars qui
souffrait, à la fois, de la défaite de l’armée et de l'échec de
— 984 —
ses espérances. Il était comme désorienté. Ses lettres alter-
nent entre la tristesse et le retour à la confiance. Il déplore
les dissensions intestines, les luttes acharnées des partis ;
il lui semble, comme à tous les esprits honnêtes et aux
cœurs généreux, que l'on devrait faire trêve aux récrimi-
nations pour ne s'occuper que du bien public. Il n'avait pas
eu le temps d'apprendre, par les leçons de l’expérience,
qu'il en est de la politique comme de la guerre : c’est chi-
mère que de faire appel à la concorde et à l’apaisement,
quand on est arrivé à ces heures troublées où les principes
et les intérêts opposés sont aux prises.
Vigevano, 12 octobre 1848.
Ferdinand de Vars à son père.
Nous avons ici des gens ayant tous, il faut en convenir,
plus ou moins de talent, mais qui, au lieu de s'unir dans
l’intérèt commun, de mettre leurs facultés tout entières
au service de la patrie, de renoncer, pour le moment du
moins, à leurs vues particulières, à leurs systèmes, à
leurs sympathies partiales et prématurées, à leurs
haines souvent injustes, souvent aussi malheureusement
trop bien fondées, ne songent qu’à se déchirer récipro-
quement, qu’à s'attaquer ou à se faire de profondes
blessures. Ils agissent tantôt avec l'arme du ridicule,
tantôt avec celle de l’odieux ; fouillant pour cela dans
les secrets de la vie passée, exhumant les faits oubliés,
donnant à ceux d’une nuance incertaine la couleur qui
sert le plus leurs projets de haïne, et ne reculant pas
devant la calomnie. Ces moyens sont aujourd'hui à
l'usage de tous les partis.
Toutes ces rivalités odieuses où l’égoïsme joue un si
grand rôle donnent le dégoût du monde, des hommes,
— 385 —
de la politique, et font désirer toujours plus le calme de
la solitude.
Le 9 janvier 1849, écrivant à sa sœur, il montre un
retour de confiance et parle de son pays natal en des ter-
mes faits pour nous toucher : |
Les événements suivent leur cours et, pour tout
homme réfléchissant un peu et ayant quelques idées
justes en politique, il était facile de prévoir tout ce qui
a lieu aujourd’hui ; ce n’était tout au plus qu’une ques-
tion de temps. Au reste, en Savoie, tout se passera d’une
manière légale et avec tranquillité ; le bon sens de la
population de nos villes et de nos campagnes et son
excellent esprit sauveront toujours le pays.
Je m'en voudrais de ne pas faire mention d’une lettre que
m'adressa de Vars, à l’occasion de ma promotion de capi-
taine. Devenus camarades de grade et décorés après la
même journée de combat, une différence d’âge de dix-sept
ans nous séparait ; avec quelle amitié et quelle bonne grâce
il efface cette distance sans laisser percer ni un mot de
plainte sur le retard de sa carrière, ni même uue espérance
d'avenir plus heureux. Il s'emploie à dissiper les craintes
que m'inspiraient la marche des événements et la voie sans
issue dans laquelle je voyais le pays s'engager. Il me parle
de la France, de son appui pour le Piémont en cas de
revers ; 1l prévoit l'intervention qui devait se réaliser dix
ans plus tard. Je laisse subsister quelques expressions trop
élogieuses ; à quarante-cinq ans de distance, si elles m'ap-
portent un souffle de jeunesse, l’orgueil qui s’y mèéle est
sans danger :
IVe SÉRIE. — ToME IV. 25
— 386 —
Vigevano,5 novembre 1848.
C’est avec un vif plaisir que j'ai reçu votre aimable
lettre et jy réponds avec d'autant plus d’empressement
que j'y trouve en même temps l'occasion de vous expri-
mer toute la satisfaction que j’ai ressentie en apprenant
votre promotion. Vos amis et tous ceux qui vous con-
naissent particulièrement y ont pris part et vous auront
fait leur compliment. Quoique j'aie gardé le silence jus-
qu’à présent, personne, sans nul doute, ne s’en est réjoui
plus que moi, non seulement par le plaisir que j'éprouve
chaque fois qu’un de mes compatriotes reçoit une dis-
tinction flatteuse et méritée, mais encore parce que les
moments que j'ai passés avec vous m'ont suffi pour vous
apprécier. |
Les réflexions, hélas ! trop vraies que renferme votre
lettre me préoccupent bien souvent ; cependant, je ne
perds pas l'espérance et je crois encore à une solution
heureuse de la grande question qui nous occupe. Elle
n'est pas seulement italieñne, elle tient à l'équilibre
européen qui serait compromis si jamais l'Autriche
reprenait, vis-à-vis des princes et des États italiens, la
place qu'elle a occupée trop longtemps. Croyez-vous que
leurs constitutions et la nôtre même seraient bien en
sûreté avec cette incommode voisine ? Et cependant, je
crois le retour du régime absolu désormais impossible
chez nous. La France finira par ouvrir les yeux et par
embrasser le seul parti digne d’elle. Cette question la
touche de trop près pour qu'elle n’y arrive pas, car si
jamais l'Autriche s’établissait sur les Alpes, la France
serait, vis-à-vis d’elle, dans la position où le reste de
l'Europe se trouve vis-à-vis de la Russie, depuis la chute
de la Pologne, c'est-à-dire tout ouverte.
Quant aux têtes exallées que nous avons à Turin, je
conviens du mal qu’elles nous font ; mais quelle est
— 387 —
l'époque révolutionnaire qui en a été exempte ? Ici,
d’ailleurs, le bon sens public en fait justice et les rend
peu dangereuses. Par le temps qui court, il faut, plus
que jamais, compter les principes pour tout et les hom-
mes pour bien peu. Adieu, cher capitaine, agréez l'expres-
_ sion des sentiments dévoués de votre affectionné cama-
rade.
v
Au commencement du mois de mars 1849, les deux
armées sarde et autrichienne étaient en présence, séparées
par le Tessin, et sur le pied d'un armistice qui ne stipulait
que huit jours entre sa dénonciation et Ja reprise des
hostilités.
La situation politique était bien changée de ce qu’elle
était un an auparavant. Au lieu d’un concours unanime
dans le pays, celui-ci était profondément divisé. Les mani-
festations tumultueuses, les clubs, la presse démagogique,
les réfugiés politiques exerçaient une action toute puissante
sur les affaires publiques. |
À Gênes, la propagande républicaine était menaçante ;
en Savoie, l’opinion inquiète interrogeait l’avenir.
Pour sortir d’une situation devenue en quelque sorte
inextricable, le ministère démocratique, maître du pouvoir,
ayant épuisé ses ressources financières et à bout d’expé-
dients, prit l’initiative de la déclaration de guerre.
Chose étrange, le général en chef fut un des derniers à
en être informé, ce qui accuse bien le trouble profond de la
situation.
Je ne rencontrai de Vars que deux jois pendant cette
courte campagne de six jours ; la première, je le croisai
— 388 —
tandis que je portais un ordre. Il était à la tête de son
escadron : je le revois encore avec sa haute stature, sa
physionomie martiale ; tout en lui respirait l’homme de
guerre aussi trempé au physique qu’au moral. Je lui don-
nai la nouvelle que le pont de Pavie avait été livré présque
sans coup férir par la division lombarde chargée de le dé-
fendre, et que l’armée autrichienne après avoir franchi le
Tessin, avait envahi la Lomelline. Malgré ces graves nou-
velles et les dangers dont elles nous menaçaient, de Vars
se montra plein de confiance dans le succès de la campagne.
Il voyait l’armée sarde, pivotant sur sa gauche, exécuter un
changement de front et rejeter l’ennemi dans l'angle formé
par le conflueñt du Tessin et du PÔ pour l’y détruire. La
chose n’était pas impossible en principe, mais, à la guerre,
l'armée qui prend l'offensive acquiert la supériorité des
armes et s'ouvre le champ des entreprises audacieuses.
L'armée autrichienne, marchant contre son adversaire
concentré à Novare, s’exposait sans doute, mais, en cas de
succès, elle le séparait de sa base d'opération et le rejetait
sur les Alpes du Simplon. Une seule bataille devait donc
décider du sort de la campagne, et la tactique de l'Autriche
était de la provoquer. Elle amena l’abdication du roi et le
retour temporaire de la domination autrichienne en Italie.
Ce champ de bataille des rives du Tessin semble prédes-
tiné aux grandes luttes dont le Milanais est le prix. Il a
vu, à trois siècles de distance, des alternatives de revers et
de gloire pour la France. En 1524, l'amiral Bonnivet, après
le malheureux combat de Rebecco, livré à deux lieues à
peine de Magenta, se décida à la retraite. L'armée française
traversa Novare et alla passer la Sesia au pont de Roma-
gnano, situé à une journée de là. Le 30 avril, le preux
chevalier Bayard, qui soutenait l'arrière-garde, fut blessé à
— 389 —
mort d’une pierre lancée par une arquebuse à croc qui lui
brisa l’épine dorsale. II avait reçu depuis quelques heures
seulement de l'amiral Bonnivet blessé le commandement
en chef de l’armée.
En 1859, si le Tessin sépare encore les deux adversaires,
si les lignes d’opération et les fronts de bataille ont la mê-
me direction, la situation est bien différente. L'armée alliée,
par une manœuvre hardie, qu'elle avait réussi à masquer
à l'ennemi, se concentrait sous Novare pour tourner l’aile
druite de son adversaire. Elle découvrait ainsi ses lignes
d'opérations sur Alexandrie, Turin et les Alpes ; elle pou-
vait, en cas d'échec, être acculée sur la route du Simplon.
Le risque était sérieux et l'empereur très perplexe. Il sus-
pendit pendant vingt-quatre heures le mouvement offensif
de l’armée et fit même demander à l’État-major sardele plan
de la bataille de Novare. Est-ce confiance dans la fortune de
la France ou certitude de la lenteur de son adversaire, il
passa outre. Le Tessin fut franchi et la victoire de Magenta
vint montrer une fois de plus la part à faire, à la guerre, à
l'élément moral qui peut transformer une manœuvre impru-
dente en trait de génie. Napoléon ne disait-il pas, d’ailleurs,
que cet art si difficile de la guerre est personifié par Achille,
fils de Thétis et de Pélée, d’un mortel et d’une déesse. La
part terrestre, c’est la science technique et tout ce qui se rap-
porte à la disposition des éléments matériels, la part divine
est ce qui dérive des considérations morales et de l’inspira-
tion du champ de bataille. Si celle-ci a vu son rôle s’amoin-
drir, qui pourrait dire ce que l'avenir nous réserve ? Le
génie est-il, d’ailleurs, autre chose qu’une sorte d’intuition
puissante qui fait discerner la résultante mystérieuse de
toutes les forces dont le concours donne la victoire.
Vous excuserez, messieurs, cette digression stratégique
— 390 —
et vous me pardonnerez si j'ai oublié un moment que
l'Académie, vouée aux pacifiques études, n’est pas une
école de guerre.
Notre seconde rencontre avec de Vars eut lieu le jour
même de la bataille de Novare. L’État-major du roi, réuni
à celui du général en cheî dont je faisais partie, se tenait en
avant de Ja ferme de la Bicocca. À gauche, une batterie
d'artillerie balayait la chaussée de Mortara ; à quelques pas
en avant, au milieu d’un terrain boisé, la ligne des tirail-
leurs était engagée. Le feu était des plus vifs et les balles
venaient frapper dans l’escorte trop nombreuse du roi qui
compta plusieurs officiers tués ou blessés, parmi lesquels
M. Michel Pellegrin, de Chambéry, jeune officier du génie
de grande espérance et que je reçus expirant dans mes bras.
On a pu dire avec raison que Charles-Albert cherchait la
mort et n’y échappa que par miracle. Un fait que l’histoire
a conservé peut servir de témoignage. Un sergent du train
sortit de la mêlée avec deux prisonniers. Marchant
droit au roi qui était seul en avant de son État-major, il
plaça son cheval face à la tête de celui de Charles-Albert et
lui présenta les deux Autrichiens. A peine eut-il le temps
de prononcer quelques mots que, frappé d’une balle au cou,
il tomba. Le roi resta impassible, tandis que son entourage
ne put se défendre d’une certaine émotion.
1 Voici comment cet épisode est raconté dans les Souvenirs de
la Guerre de Lombardie, par M. de Talleyrand-Périgord, duc de
Dino, qui était attaché à l'État-Major du roi Charles-Albert, pen-
dant les campagnes de 1848 et 1849 :
Le roi promenait ses regards sur la scène imposante qui se
déroulait devant lui ; de temps à autre, il consultait des yeux le
général Chrzanowski qui, voyant cette nouvelle attaque repous-
sée, parut lui donner bonne espérance. Dans cet instant, un sol-
dat du train arrive à cheval, poussant devant lui deux prison-
niers ; il s'arrête devant le roi, lui dit, encore tout enivré du
— 391 —
Mon impression et celle de tous les témoins de cette scène
est que le malheureux sous-officier avait servi de rempart
à son souverain.
De Vars passa avec sa troupe qui avait fourni une charge.
Nous échangeämes un serrement de main affectueux comme
entre gens qui ne sont pas sûrs de se revoir. C'est ce qui
arriva. Il fut atteint mortellement vers le soir de cette
fatale journée. Le duc de Gênes, qui commandait une divi-
sion, avait donné l’ordre au régiment d'Aoste-Cavalerie de
débusquer des chasseurs tyroliens qui inquiétaient une
baiterie. L’escadron désigné était sans capitaine. De Vars
s’offrit pour en prendre le commandement. Le colonel,
après lui avoir fait remarquer que ce n’était pas à son tour
de marcher, céda à ses instances. J’emprunte textuellement
à l’un de ses officiers, témoin oculaire de l’événement, le
récit des circonstances dans lesquelles il tomba. Ce récit fait
partie de Lectures de caserne, ouvrage destiné jadis aux
combat : « Maestà, son io che ho fatio questi due prigioniero !.…
Ah! Misericordia 1... et il tomba frappé à mort d’une balle qui,
sans lui, allait atteindre le roi en pleine poitrine.
Le général Genova de Revel, ex-commandant du corps d'armée
de Milan, dans ses Souvenirs militaires, de 1848 à l'expédition de
Crimée, rapporte le même fait comme il suit : une section de ma
batterie (la 9°), commandée par mon lieutenant, M. Clementc
Costa, étant en position à la ferme de la Bicocca, faisait feu sur
la route de Mortara, lorsque tout à coup on entendit partir, vers
la droite, le cri de : Cessez le feu! Qu'était-ce ? Charles-Albert,
sur son cheval noir, traversait la chaussée devant la bouche des
canons qui ripostaient au feu ennemi. Il s'arrêta à la hauteur de
la section. Un sergent du train se présenta à lui, tout glorieux,
amenant deux prisonniers. Au même moment un boulct emporta
la tête du sous-officier. Charles-Albert, sans rien perdre de son
calme, donna l’ordre d'enlever le malheureux et, poussant son
cheval, se porta sur la ligne du tir oennemi...
Ma présence sur les lieux, à quelques pas du roi Charles-Al-
bert, me permet d'affirmer que le récit du duc de Dino est lc plus
exact.
— 392 —
soldats de l’armée sarde ; le reproduire n’est-ce pas rendre
à la Savoie ce qui lui appartient, et quel trésor plus pré-
cieux pour un pays que les traits de valeur de ses fils ?
« Après avoir fourni plusieurs charges brillantes à la tête
du brave escadron qu’il commandait, dit M. de Saint-Jorioz!,
de Vars, saisi d'une noble ardeur, voyant que lescadron
du même régiment, qui se disposait à donner, n’était
commandé que par un sous-lieutenant, s’offrit pour se
mettre à sa tête. L'excitant de la voix et du geste, il l’en-
traina dans une charge à fond. Il tomba frappé de deux
balles dont l’une lui brisa l’os de la cuisse, tandis qu'une
troisième atteignait son cheval et l’étendait sur le sol.
L’escadron se retira en bon ordre, mais sa situation critique
ne lui permit pas d'emporter son capitaine hors de
la mêlée. De Vars resta prisonnnier des Autrichiens et fut
transporté le soir même à lhôpital de Novare. Son père
et l’une de ses sœurs accoururent au chevet du blessé. Le
23 avril suivant, après un mois de souffrances, il expirait
dans leurs bras de la mort du guerrier et du chrétien. Il fut
pleuré de ses parents, de ses amis, de ses soldats et, en
particulier, de celui qui écrit ces lignes et qui perdait en lui
un chef vénéré, un ami rare, que dis-je ! un frère tendre-
ment aimé. »
On raconte que, pendant sa maladie. un visiteur impru-
dent lui ayant appris que la citadelle d'Alexandrie était
occupée par les Autrichiens, le malade en ressentit une
impression profonde et douloureuse qui aggrava son mal.
À la suite de la journée de Novare, la médaille à la
valeur militaire vint, pour la seconde fois, récompenser
de Vars, mais elle ne devait figurer que sur son cercueil.
Le 23 mai, un service funébre fut célébré en grande
{ Voir aux Documents le texte italicn.
— 393 —
pompe dans la cathédrale de Vigevano, en présence de
l'évêque qui voulut s’associer au deuil public. Son éloge
funèbre, comme l’autorise l’usage en Italie, fut prononcé
en chaire par M. l'avocat Boldrini, un des notables de la
ville !.
Vous me permettrez, messieurs, d'en citer quelques
passages :
« Modèle de sagesse virile, chéri de ses compagnons
« d'armes, d’une éducation distinguée, d’un caractère
« généreux, d'une franchise à toute épreuve, d’une loyauté
« chevaleresque, de Vars était attentif à ne froisser ni les
« intérêts ni les sentiments des autres.
« Il vint tenir garnison à trois reprises dans notre ville
« et chaque fois nous étions heureux de revoir l’ami excel-
« lent, le vaillant soldat. Il était entouré du respect et de
« l'affection de tous. Abordable à chacun, il s’entretenait,
« avec les citoyens, des affaires publiques. Il était affable
« et bon envers les pauvres.
« D'où venait cet attrait qui forçait, pour ainsi dire,
« l'affection générale ? Je n’hésite pas à répondre : de la
« noblesse de son âme.
« Il avait conquis l'estime de ses frères d’armes qui,
« voyant en lui l’homme droit par excellence, avaient
« recours à ses conseils ; ses supérieurs, eux-mêmes,
« subissalent cette influence et le traitaient avec une consi-
« dération particulière.
« Il était l’idole du soldat, non qu'il recherchât une
« sorte de popularité, mais parce qu’il en était le défenseur
« et le père. Il éprouvait un vrai chagrin quand il Jui fallait
« revenir de la bonne opinion qu'il avait d’un autre.
« De Vars avait la religion du drapeau. L'heure venue
1 Voir aux Documents les extraits du texte italien.
À
— 394 —
pour la nation des grands devoirs, il se conduisit en
brave. Il entrevoyait alors une carrière glorieuse et de
nouveaux combats.
« Dans les graves conjonctures où le pays fut appelé à
élire, pour la première fois, ses représentants au Parle-
ment, le collège électoral de Vigevano examina müre-
ment quel était l’homme sur lequel il pouvait porter son
choix. Il donna sans hésiter sa confiance à l’ami, à
l’homme d'honneur animé de sentiments patriotiques.
De Vars, l’illustre Savoyard, le vaillant soldat, le cham-
pion franc et loyal de la cause nationale, fut appelé, à la
presque unanimité des voix, à représenter Vigevano.
« Il reçut ce mandat avec la plus grande modestie,
répondit que les citoyens de Vigevano avaient tous les
droits à ses services et ajouta : « Je m'y emploierai tout
entier. »
+ e. e C] C2 e. e e e. L] ° . LI e e. L] e. e e s e. ° e 2 (] e
Le jour de la cérémonie funèbre, on lisait, autour du :
catafalque, des inscriptions qui exprimaient la douleur
publique dans la langue poétique et profonde à la fois
des Saintes Écritures, tout en rappelant les circonstances
dans lesquelles se trouvait le pays :
Melius est mort in bello quam videre mala gentis nostræ.
« Il vaut mieux périr dans la guerre que de voir les mal-
heurs de notre nation. »
Memoriam mortis suæ ad exemplum virtutis et fortitu-
dinis derelinquens.
« Il a laissé sa mémoire comme un exemple de vertu et
de courage. »
— 395 —
Princeps et clarissimus el magnus es in hac civitate et
amatus fratribus.
« Tu es illustre et élevé en dignité dans cette cité et
tu es cher à tes frères. »
Enfin, sous le porche de la cathédrale, on lisait :
À L’AME DE FERDINAND DE REGARD DE VARS, SAVOYARD,
Capitaine au Régiment d’Aoste-Cavalerie,
Qui, déjà décoré de la Médaille à la Valeur Militaire
pour le courage dont il donna des preuves en Lombardie,
se montra des derniers et des plus opiniàâtres
au combat dans la journée de Novare,
Mort le 23 avril 1849 (des suites de ses blessures)
Les électeurs du Collège de Vigevano
qui l'avaient élu député au Parlement national,
et les autres citoyens se rappelant la grande affection
qu’il portait à leur cité, offrent à Dieu leurs prières
pour le repos de son âme.
Le 30"° jour anniversaire de cette perte douloureuse.
VI
La guerre est une grande chose au point de vue moral,
puisqu'elle repose sur le sacrifice de la vie et qu’elle main-
tient chez les nations l’abnégation et le patriotisme; mais
elle a pour compagne inséparable la douleur.
Elle cause de grands déchirements et des blessures pro-
fondes aux affections privées. Il en fut ainsi pour de Vars,
tendrement aimé des siens. Tout tristes qu’ils sont, nous
n’écarlerons pas les détails qui se rapportent à ses derniers
moments. Ils nous touchent par leur côté humain comme
le tableau vrai de la vie qui met en présence, d’un côté les
— 396 —
souffrances physiques et les regrets, de l’autre la grandeur
morale et les suprêmes espérances.
La comtesse de Sonnaz, née Anna de Vars, habitait le
Piémont. Elle était accourue au chevet de son frère blessé,
où la rejoignit bientôt le comte de Vars, leur père, venu
de la Savoie. Voici quelques passages de la lettre par la-
quelle elle rend compte à sa mère des derniers moments
du vaillant officier.
Novare, 2 juin 1849.
Ma chère mère,
Vous avez sans doute demandé à mon père bien des
détails sur la fin de mon pauvre frère. Il vous aura dit
que, jusqu’au 11 au matin, nous avons joui de la plus
grande sécurité. Lorsque mon père vit l'hémorragie, il
demanda au docteur s’il y avait du danger; celui-ci
répondit que non, mais qu'il serait obligé de placer un
appareil à la jambe blessée. Pendant la nuit, je mouil-
lais souvent la blessure avec un linge imbibé d’eau
blanche, et le matin l’hémorragie avait cessé. C'était le
jeudi 12; le lendemain vendredi, le docteur, que je
questionnais avec instance, car j'étais fort inquiète, me
déclara qu'il n'y avait pour ainsi dire aucun espoir de le
sauver. C’est alors que j’écrivis de suite à mon beau-
frère Jncisa et que j'envoyai ma lettre à l'insu de mon
père qui me disait : « Il faut attendre, je ne le trouve
pas si mal, pourquoi inquiéter ta mère qui voudra partir
et que le voyage tuera? »
Je savais qu’il ne m'appartenait pas de cacher la vé-
rité et je priais M. Orero, notre hôte’, qui pensait comme
moi, de mettre ma lettre à la poste.
Après la visite des chirurgiens, le soir à neuf heures,
1 De Vars, blossé, avait été transporté de l'Hôpital dans cette
famille amie, où il fut l’objet des soins les plus dévouës et les
plus affectueux.
|
— 397 —
ils m’avertirent qu'il fallait profiter de ce que môn pau-
vre frère avait encore sa tête pour lui parler de recevoir
les sacrements, et que le lendemain nous ne serions plus
à temps! Hélas, je m'acquittai de cette démarche si
douloureuse et si délicate. Il la reçut avec le plus grand
calme : « Tu peux me parler franchement, Anna, est-ce
simplement une précaution ou est-ce absolument né-
cessaire ? » Je lui répondis que nous nous trouvions au
temps de Pâques et que tous ses camarades avaient
donné ce bon exemple. « Eh bien! je le ferai volontiers
aussi. » Puis il ajouta ce qu’il désirait dans le prêtre
qui devait être appelé. Le bon curé, après avoir reçu sa
confession, voulait lui administrer le saint viatique,
mais Ferdinand lui dit : « S'il est possible, je voudrais
différer jusqu’à demain pour mieux me préparer. » Ne
jugeant pas son état grave, le prêtre céda à son désir
et attendit.
Quand je retournai dans sa chambre, je le trouvai très
fatigué ; il voulut me parler, mais je le priai de ne rien
dire pour le moment, il avait la fièvre trop forte. Peu
d'instants après, je vis que le cerveau s’embarrassait, il
commença à délirer et la nuit fut terrible. Depuis lors
il n'a plus recouvré sa connaissance, il ne se doutait pas
de ce qui se passait autour de lui. Je ne saurais jamais
exprimer ce qu'il y a de douleurs, d’angoisses déchi-
rantes à n'être plus reconnue par quelqu’un qu'on a
aimé de toutes ses forces et que l'on voudrait soulager à
tout prix.
Vous, ma pauvre mère, vous auriez succombé à un
pareil spectacle ; je me le suis dit mille fois auprès du
lit de votre fils bien-aimé. Dieu, dans sa miséricorde
pour les enfants qu'il vous laisse, n’a pas permis que
vous fussiez en état de venir à Novare. Il n'a pas voulu
nous exaucer, mais nos prières n’ont pas été perdues
pour notre pauvre frère ; il l’a appelé, sans lui imposer
— 398 —
le sacrifice de sa vie, ce qui aurait été bien douloureux
pour lui qui vous aimait beaucoup, ma pauvre mère,
pour lui, si attaché à tous les siens.
Pendant sa maladie, j'ai été témoin de l'intérêt, de
l'estime, de l’amour que l’on avait pour lui. — C'était
de Vigevano, de Verceil, de Mortara, qu’on venait
prendre de ses nouvelles, et, lorsqu'elles étaient alar-
mantes, c'est en versant des larmes qu'on les recevait ;
jamais personne ne s'est attiré autant de sympathies
que ce pauvre Ferdinand et jamais mémoire n’a été si
universellement louée et bénie ; c’est partout, dans
toutes les classes, dans tous les partis, dans tous les
journaux, une unanimité d'admiration pour ses nobles
qualités. Ses soldats l’ont pleuré comme un père, il
était si bon pour eux, il leur faisait tant de bien; ses
camarades ont fait célébrer un office funèbre à Stupinis ;
beaucoup d'officiers des divers régiments de cavalerie y
ont été.
À Turin, on a dit une messe à l’église de la Madre di
Dio pour toutes les victimes de la guerre. Le roi, la
cour, tout ce qu'il y avait de troupes dans la ville y était.
Une oraison funèbre a été prononcée, trois des officiers
les plus regrettés y étaient nommés, Ferdinand en était.
Hélas ! on ne peut pas dire que ces regrets universels
soient une consolation à notre malheur, mais le cœur
ressent une satisfaction en voyant rendre de si justes
hommages à celui que nous pleurons.
Il n’y a, ma chère maman, que la persuasion que vous
le retrouverez dans une vie plus heureuse, où Dieu le
récompense déjà, qui puisse vous apporter un peu de
calme, et, pour vous aider à supporter celle-ci, vous
avez la tendresse de vos filles, dont tous les soins ten-
dront à adoucir l'immense douleur dont vous êtes
accablée.
— 399 —
La sœur tendre et courageuse qui a écrit eette lettre à sa
mère, douloureusement éprouvée, était digne d’un tel frère
par l'élévation du cœur. |
Beaucoup, j'en suis convaincu, partageront le sentiment
à la fois ému et respectueux avec lequel j'ai transcrit ces
lignes.
Je n’y ajouterai rien.
Parmi les rares survivants des campagnes de 1848 et
de 1849, ceux qui me liront donneront un souvenir à Fer-
dinand de Vars, leur vaillant frère d’armes, et, dans la
génération plus jeune, quelques-uns retiendront son nom.
Pour moi, je remercie l’Académie de m'avoir fourni l’occa-
sion d'acquitter, bien que tardivement; en mon nom et au
nom de notre pays de Savoie, une dette qui me tenait au
cœur.
Chambéry, 45 avril 1892.
DOCUMENTS
I
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Notice généalogique sur la famille de Regard.
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2 —_ CG
Ferdinand de Vars appartenait à la famille de Regard,
qui vint de la Romagne s’établir à Clermont en Ge-
nevois, au commencement du xv° siècle. D’après une
tradition restée en honneur dans la famille, saint Benoît,
fondateur de l’ordre du Mont-Cassin, aurait appartenu
par sa mère à la famille de Regard. |
De Vars fut le dernier de la branche aînée, qui avait
elle-même formée les branches secondaires des Regard
de Disonche, de Ballon, de Fétern, marquis de Lucinge,
. de Chanay et de Villeneuve.
La famille de Regard s’est alliée à un grand nombre
IVe SÉRIE. — ToME IV. 26
— 102
de très anciennes familles, telles que les Compey de
Fétern, les Lucinge de Sallanches, les Conzié, les Cler-
mont-Mont-Saint-Jean, les Bernex. Elle a donné des
gentilshommes distingués, tels qu'Alexandre-Gaspard,
seigneur de Morgenex, conseiller et grand-voyer de Son
Altesse Royale en Savoie, et Jean-Baptiste, son fils,
écuyer de Madame Royale Christine de France.
Citons encore, parmi les membres de cette famille,
Gallois de Regard, évêque de Bagnera, commandataire
perpétuel de l’abbaye d’Entremont, des prieurés de
Saint-Victor et de Saint-Jean hors des murs de Genève
et du prieuré de Lovagny, chanoïne de Genève et de
Saint-Pierre de Rome, camérier d'honneur du pape
Paul IV. Il fut un canoniste profond et un diplomate
apprécié de son Souverain. Retiré, sur ses vieux jours,
dans le vaste château de Clermont qu’il avait en partie
reconstruit, il eut l'honneur de conférer à saint François
de Sales les ordres mineurs. Il mourut le 4 septembre
1582.
Il
Extraits de la Notice sur de Vars
insérée dans l'outrage « Le Storie della Caserma »
(Les Récils de la Caserne) du comte de Saïint-Jorioz !.
— Torino, 1851 —
GCLVI.
Alla battaglia di Novara...... i pochi squadroni che
poterono combattere spiegarono un mirabil valore....;
! Le comte de Saint-Jorivz, auteur de la Notice, était lieute-
nant à l'escadron commandé par le capitaine de Vars pendant
los campagnes de 1848 et 1349. — Retraité comme officier supé-
rieur, il habite Turin et conserve pieusement le souvenir du
chef qui, m'écrit-il, était pour lui comme un père. .
— 403 —
il capitano Ferdinando de Vars del Regg‘ Aosta Caval-
leria uomo di alti sensi, di cuor magnanimo e diun
valore straordinario, vi toccava una ferita mortale.
Figlio della sventura e delle memorie di proscrizione
nasceva Ferdinando de Vars.......
Entrô giovanissimo nelle milizie, e forte come era e
complesso nelle membra, agile e destro, divenne eccel-
lente nell” arte di cavalcare e nelle varie esercitazioni
speciali dell’ arma di cavalleria ; nè solo intese a meri-
tare la stima profonda dei suoi superiori e l’ossequio
spontaneo dei sotto-posti, ma l’amore e la benevolenza
dei cittadini.
Fece la prima campagna con molta distinzione al
comando del 3° squadrone di Aosta Cavalleria, 6 fu
meritamente decorato della medaglia d'argento al valor
militare dopo la seconda battaglia di Goito 30 maggio
1848.
Nel 1849 va ad abbracciare i cadenti genitori e la
futura sposa e le sue quattro amatissime sorelle, e
quando questi il consigliarono di abbandonare il ser-
vizio militare, rispose sdegnoso e fiero : Ë mestieri
ritornare al campo, a guerra finita lascierd la divisa
del soldato......….
Nella battaglia di Novara, dopo aver fornito varie
brillantissime cariche alla testa del bravo suo 3° squa-
drone, e non sazio ancora di gloria e di pericoli, preso
direi quasi da un santo e nobile furore di coraggio, e
vedendo il 5° squadrone di Aosta Cavalleria che si
disponeva alla carica comandato da un sottotenente, per
difetto d’altri uffiziali, si pose arditamente alla sua testa,
ed animandoli col gesto e colle parole, li trascind ad
una violentissima carica, nella quale cadde trafitto da
due palle, una delle quali gli franse l’osso della coscia,
— 404 —
ed una terza stramazzava ad un tempo il suo cavallo.
Il 5° squadrone si ritirô in buon ordine perchè il luogo
era critico e pericoloso nè potè, malgrado il suo desi-
derio, trascinare con se il ferito capitano. De Vars cadde
prigioniero e poco dopo, portato allo spedale di Novara,
colà volarono da oltre le Alpi il suo addoloratissimo
padre ed una fra le meste sorelle, e dopo alquanti giorni,
da cristiano, ma fervente guerriero dell’ Italia piissi-
mamente fra le loro braccia spirava.
Lo piansero i suoi cari, gli amici, i soldati, l’autore
di questo libro in particolare lo pianse amaramente,
perchè in de Vars perdette un raro amico, un tenero
compagno, un venerato capitano, un fratello amorosis-
simo. L’Academia di Vigevano ne lamentava in solenne
adunanza (addi 7 maggio 1849) la perdita con pietose
parole. Quindi i suoi elettori gli facevano onoratissime
esequie nella loro chiesa cattedrale il di 23 dicendone i
funerali elogi l’avvocato Boldrini e ponendone belle
iscrizioni sul feretro.
III
Extraits de l'oraison funèbre de Ferdinand de Vars
prononcée le 28 mai 1849
dans la cathédrale de Vigevano.
Ferdinando de Vars...! Ahi! m'è sfuggito dal labbro,
o Signori, quel caro nome che tanto dolorosamente è
scolpito nei cuori vostri.… Ferdinando de Vars le sacre
vôlte ripetono il nome del prode Savojardo che salito
ad immortale cas già prega per noi tutti...!
O ben io anne perchè in voi è vivo, è forte il
desiderio di qui sentir ripetere, qui tra le saçcre tremole
à à
— 105 —
tede, nel maggior tempio, udir risuonare le belle virtù
di lui che fu l’amore di tutti..…!
Tolti e confiscati i beni della nobile e cospicua famiglia
de Vars a profitto della francese repubblica, il padre di
Ferdinando era a sedici anni : di là il primo assalto : lo
sbigottito giovane fu visto abbandonare le avite castella,
povero rifuggirsi in Chambery, quindi passare in Fran-
cia ove conseguito il grado di capitano de’ Corazzieri
segnalossi in valore, ed in vari fatti d'arme riporto ferite
diverse — Restaurasi il trono di Savoja, ed ecco il ge-
neroso padre di Ferdinando richiamatosi degli aviti
poderi, e riavulili, si sposa a nobile donzella lionese,
essa pure cresciuta tra gli orrendi disastri di quei lut-
tuosi tempi, e temprata a forti emozioni d’animo....., ,
Il padre, ed uno zio dell infelice madre di Hérdinando
nostro furono strascinati vittima sul palco del terro-
rismo ! giovanetta ell” era, scene d'orrore in Lione a
mano salva commettevansi, vivea colla sola madre,
conveniva fuggire...... qual colpo orribile per una
madre, per una sorella ! tremenda notte..! Era d'uopo
guadagnar le frontiere della Svizzera, unico asilo inal-
lora sicuro : infelicissima vita colà condusse la madre
di de Vars.
Riebbe alfine essa pure li suoi beni, potè ritornare ai
patrii fuocolari. Fu dopo tale ritorno che ebbero luogo
le nozze tra i genitori dello sventurato Ferdinando
de Vars.….!
Or vedete, Signori, da quali infausti precedenti di
sventura inaugurata non fosse quell” anima di de Vars
valoroso guerriero ! Cresciuto tra le cure de’ cadenti
genitori che l’amano come carissima pupilla degli occhi,
d’alti sensi nodrito, il ben nato giovanetto inconsiderato
non fu giammai, sulle sventure degli avi suoi fu bensi
— 106 —
mestamente riflessivo, osservabile esempio come solo
coll’ esperienza delle lagrime, non delle blandizie, l’uo-
mo sappia d’essere l’esule figlio d'Eva!
Datosi a! nobile mestiero delle armi, comecchè delle
membra forte e complesso, modello insieme di saggezza
e maschia temperanza, ben presto egli fu l’amore de”
suoi commilitoni. Guardingo nel recar danno o dispia-
cere a chiunque, franco e squisito cavaliero, generoso,
educatissimo, leale, ecco che il capitano de Vars pos-
siede l’amore benanco dei Vigevanaschi; Egli tre guar-
nigioni qui tenne a riprese. Al suo arrivo tra noi rico-
noscemmo sempre l’amico nostro, l’ottimo, il probo
soldato. Vedetelo infatti con ogni cittadino conversare
e delle cose nostre con tutte cure instruisi ; egli nel
povero s’imbatte e lo trattiene con amore; tavolta gli
fu utile in alti servigi. Ognuno lo rispetta, lo ama, lo
segue collo sguardo, e fissa fidente il di lui volto severo
si, ma dolce nello stesso tempo, guerriero, ma compia-
cente ed affettuoso. Or d’ onde tanta attraenza con che
tutti quasi obbligava ad amarlo... ? io non esito il dirlo,
era la bell’ anima che pura e schietta come fu posta da
Iddio nel seno di lui, venivagli innanzi sul labbro, sulla
fronte, su tutta la persona che di rispetto insieme ti
chiedeva...... |
À tanta generosità di modi, a tali virtü cittadine, altri
begli ornamenti riuniva l’illustre defunto. Non italiano
bene parlava la lingua dell’ Arno, ed erudito era nelle
storie, nelle scienze esatta e nelle politiche, e fin anco
nelle teologiche, intorno alle quali cose tutte, non a
guisa d’ uomo sfrenato od incauto, ma prudente, saputo,
ed a labbia compresse modestamente discorreva, e tale
con una grazia che innamorava l’udirlo, e le cose bene
comparando, giusto ed assennato nel dire il suo, l’altrui
sentimento dignitosamente comportava........
Egli l’amore insieme era del soldato, non come una
— 407 —
cosa da lui considerato, ma suo padre e difensore face-
vasi, perché il soldato à buono, diceva ; nù, non pu darsi
che un soldato sia infame (uditelo o Grandi d’ arme... ?)
e tanta fede aveva in tali principii che alto dolore ries-
civagli lorchè costretto era ricredersi sull’ altrui con-
dotta..... .
Venne l’impegno d'onore per la Nazione! Il Re, la
Nazione intimata aveano la guerra che gli Itali affretia-
vano : varcato è il Ticino, era la prima volta. Gli allôri
cinsero più d’una fiata il caro vessillo sventolato sui
campi lombardi!! De Vars aveva per religione nel cuore
la guerra intimata dal suo Re : un’ argentea medaglia
di cui fu insignito pel dimostrato valore gli prefiniva
una gloriosa strada, arra fatale ! a novello cimento, l’ul-
timo per lui!
Volge quasi un anno — Fervea la Nazione ansiosa
d’ una riscossa che il magnanimo Re CARLO ALBERTO
pure ardentemente desiderava a compimento dell’ alta
impresa ! Chiamati i popoli a nuova spedizione nel
nazionale convegno dei loro rappresentanti, conscio del
bisogno dei tempi, maturava questo Collegio elettorale
con senno pacato su chi potesse riposare il voto suo, nè
guari tardava dal porre confidenza sull” amico, sul! uo-
mo d’onore, e di sensi schiettamente italiani. De Vars
Savojardo illustre, de Vars prode soldato, de Vars
franco e leale propugnatore della sventurata causa ita-
liana è quello che quasi all” unanimità assorbe i voti
degli elettori di questo Collegio; si, con soddisfazione
generale de Vars è nostro rappresentante.
Squilla la tromba a nuovo appello di guerra, armi,
ed armati scendono dal Piemonte, CARLO ALBERTO la
seconda volta à fatto Re guerriero, ha intorno a se nu-
merosa falange, la guida, la conduce al fatale Ticino...!
De Vars al novello grido della guerra del suo Re Ia
— 408 —
seconda volta svincolandosi dagli amplessi de’ cadenti
genitori, e dalle calde preghiere di quattro amate so-
relle, vola all’ armata, e corre sui campi dell” onore!
Presso Novara, che dovea quindi essergli ospite affet-
tuosissima, e deplorata tomba, il prode capitano sul
finire della fatal giornata del 23 marzo ultimo, in sul!’
imbrunire del di, una palla d'uno s{uzzen, veniva a
colpirlo, per cui cadette mentre volontariamente faceva
eseguire una carica.… !
Trasportato nella città di Novara, tra le cure le più
squisite, l’ illustre eroe d’anni 39 mori...! De Vars rese
lo spirito generoso al Signore tra le braccia dei cari
congiunti che in un cogl’ altri ancor dimandano al
grande Iddio la forza onde poter sopportare con rasse-
gnazione tanta loro perdita!
FERDINANDO DE REGARD DE Vars! Tu amasti Vigevano
come fosse tua patria! colle lagrime agli occhi noi por-
tiamo scolpita in-cuore la tua cara imagine, e qui nel
maggiore tempio con a capo l’Antistite nostro veneratis-
simo, rendiam voti al Signore che nel seno t' accolga,
perchè versasti in guerra il sangue tuo anzi che vedere
i mali di questa patria !
Stefano BoLDRINI.
IV
Étal des services de Ferdinand de Vars.
Conte Giuseppe Maria Ferdinando Augusto Giacomo
de Regard de Vars, figlio del conte Giano e di D‘ Maria
Vittoria Brossier contessa de la Rouillère, nato li 41 8bre
1808 in Lione (Francia), capitano nel Reggimento Aosta
Gavalleria con R*° Cormmissione delli 20 ‘bre 4845, già
tenente in 4° nel Reggimento Savoja Cavalleria :
— 409 —
Cadetto nel Regg'® Savoja Cavalleria. 1° giugno 1895.
Sottotenente sovra num°.. in detto.... 7 luglio 1829.
Sottotenente effettivo...... in detto.... 19 febbrajo 1831.
Luogotenente in 2........ in detto.... 17 febbrajo 1834.
Luogotenente in 4°........ in detto.... %8 aprile 1840.
Capitano nel Regg'° Aosta Cavalleria. 20 settembre 1845.
Capitano di 4 classe... in detto.... 4 ottobre 1848.
Ita fatto la campagna di guerra del 1848 per l’indi-
pendenza d’ Italia.
Morto a Novara li 23 aprile 1849 per ferita alla coscia
destra riportata il giorno 28 marzo alla battaglia di
Novara.
Decorato della medaglia in argento al valore militare
per essersi distinto nel fatto d’ armi di Goito li 30 mag-
gio 1848.
Decorato della medaglia in argento al valore militare
per essersi distinto nel fatto d’ armi del 23 marzo 1849
sotto Novara.
Ita fatto la campagna di guerra contro gli Austriaci.
LE DROIT DE LITRE
DEVANT LE SÉNAT DE SAVOIE
EN 1782
Par C1. BLANCHARD.
JURISPRUDENCE FÉODALE
LE DROIT DE LITRE'
DEVANT LE SÉNAT DE SAVOIE
en 1782.
MESSIEURS ?,
En 1865, un de nos honorables confrères, M. le chanoine
Trepier*, nous communiquait, sous la dénomination de
Bribes archéologiques, le résultat de diverses découvertes
ou observations faites dans ses érudites promenades à tra-
1 Litre, venant de litra, contraction du mot de basse latinité
litura, bordure, bande, qui a donné naissance aux expressions
listre ou litre, adoptées en France pour désigner ces bandes
noires que l’on peignait sur les murs des églises en forme de
guirlandes ou de tentures au dedans et au dehors, à l’occasion
du décès des seigneurs féodaux qui ont drait.de châtellenie ou de
patronage, et sur ces bandes on figurait par intervalles leurs
armoiries et insignes. |
De là vient aussi lictra et le vieux français liere : « Henri le
« Roux fut ensepulture en leglise de Courron en laquelle le
« suppliant fist faire liere et peindre ses armes allentour dicelle
« comme il est coustume de faire en tel cas. » (Anno 1466.)
Mais ne pas confondre litra et ses dérivés avec lista, venant de
l’anglo-saxon List et Listen, lisière, liséré, orle, margelle. —
On lit dans la chronique mss de Bertrand Duguesclin : «... et
« boutent radement sur les escus listez. » (DUcANGE, Gloss. med.
et inf. latinilatis.)
? Cette étude à été lue à l'Académie de Savoie en février 1892.
3 Décédé le 9 mars 1892.
— 14 —
vers nos campagnes, spécialement autour des églises et
chapelles les plus vénérables par leur antiquité. Il nous
décrivait notamment les litres funèbres, visibles encore çà
et là sur les murs extérieurs de quelques vieilles absides où,
ni le marteau démolisseur de 1793, ni la truelle restaura-
trice de notre siècle, n’avaient passé, et la litre entourant
l'ancienne église prieurale de Saint-Innocent faisait le prin-
cipal intérêt de cette communication !.
Le souvenir du compte-rendu de cette séance, — car je
n'avais pas alors l’honneur de faire partie de l’Académie, —
a été ravivé en rencontrant, au milieu de solutions juridi-
ques d’une ütilité plus pratique et plus actuelle, une récla-
mation adressée au Sénat de Savoie, en 1782, par le
marquis de Piolens, seigneur de Montbel, dans le but de
1 Gette litre, détruite par les travaux d’agrandissement de
l’église, opérés en 1869, était ornée des armoiries de la famille de
Mouxy, qui portait et porte encore : écartelé, au 1 et 4 échiqueté
d'or et d'azur et au 2 et 8 de gueule au sautoir d’or.
L'église dédiée à saint Innocent, martyr de la légion Thébaine,
fut donnée vers 1084 au monastère de Saint-Chaffre, en Velay,
par Gauthier de Montfalcon. Mais le droit de patronage resta à
cette famille — dont le blason était échiqueté d'or et d'azur de
ï traits — jusqu’à ce que le fief de Montfalcon, situé sur la com-
mune de la Biolle et auquel était rattaché le prieuré de Saint-
Innocent, eut cessé de lui appartenir.
En 1566, le duc de Savoie vend ce fief à Louis Oddinet, baron
de Montfort, qui eut pour héritier Georges de Mouxy, comte de
Montréal, ambassadeur auprès du roi de France, premier con-
seiller d'Etat de Charles-Emmanuel I*, etc., ete. Mort le? mars
1595, à Chambéry, dont il commandait le Château, il fut enseveli
dans l'église do la Biolle.
Les armoiries que j'ai relevées en 1868 sur la litre de l'église de
Saint-Innocent datent vraisemblablement de cette époque, car de
l'union de Georges de Mouxy ct de Louise de Seyssel, héritière
de la puissante maison de Seyssel de la Chambre, naquit une
seule fille, Julienne-Gasparde, mariée en 1608 à Louis de Seyssel»
marquis d'Aix, à qui elle apporta, avec son immense fortune, la
terre de Montfalcon et ce fief ne rontra plus dans la famille de
Mouxy.
D
— 15 —
faire défendre aux habitants de cette localité de s'opposer
à ce qu'une litre « un littre, » destinée à rappeler la
mémoire de la marquise de Piolens, récemment décédée,
fût apposée sur les murs de l’église paroissiale.
Cette requête transmise, suivant le règlement de la
Compagnie souveraine, à l’avocat fiscal général, provoqua
de la part d'un de ses substituts, « le sieur Salteur, » des
conclusions très développées et dont l'intérêt, au point de
vue du droit féodal, m'ont paru mériter de vous être signa-
lées. Elles forment le fond de cette communication et en
voici le résumé.
Messire Jean-Honoré, marquis de Piolens', comte et
1 La famille de Piolens ou plus exactement de Piolenc, origi-
naire du Comtat-Venaissin, joua un grand rôle dans la magistra-
ture de la Provence pendant plusieurs siècles. Des ascendants de
Jean-Honoré, je ne citerai que :
Thomas, procureur général dès 1535. Il fut au nombre des cent
familles d’Aix qui, lors de l'invasion de Charles-Quint, en 1536,
abandounérent tous leurs biens pour n'avoir pas à se soumettre
au vainqueur.
Raymond, son fils, hérita de son office qu'il exerça pendant
trente-un ans (1555-1586) ; puis il l’'échangea contre celui de Prési-
dent à mortier.
Honoré, petit-fils du précédent, après avoir siégé à la Chambre
des Gomptes, fut conseiller au Parlement en 1657.
Joseph-François, son fils, conseiller dès 1674, venait d'être
nommé Président à mortier lorsqu'il mourut rapidement en 1688.
De ses nombreux enfants, deux furent successivement grand-
prieur de l'Ordre de Malte ; mais le plus illustre fut :
Honoré-Henri, qui devint un des grands magistrats du xvtrr°
siècle. Né à Aix, le 2 janvier 1675, il fut appelé dans sa vingtième
anuée aux fonctions d'avocat général au Parlement de Provence
et remplit pendant 66 années consécutives les fonctions les plus
élevées de la magistrature et de l'administration. Premier Prési-
dent et Commandant pour le roi en Dauphiné, de 1740 à 1760, il
continua à se signaler par ses hautes facultés et par son dévoue-
ment à ses concitoyens. Aussi sa mort, survenue le 13 mars 1760,
fut un deuil universel dans la province. — On cite que dans une
inondation de la ville de Grenoble, bien qu'âgé de 70 ans, il par-
courut cn bateau les rues de la ville, pendant trois jours et trois
_— M6 —
seigneur du mandement de Montbel, perd son épouse,
dame Marie-Josephte-Etienne de Cluny !, le 2 avril 1782,
« au château d’Epine. » Pour rendre hommage à la
défunte, il ordonne d’entourer toutes les églises de sa juri-
diction d’une litre, soit ceinture funèbre. Quelques habi-
tants de Saint-Alban de Montbel y firent opposition et
nuits, pour opérer lui-même le sauvetage des habitants, et que
dans les fréquents incendies de l’époque, il se jetait au milieu des
flammes pour diriger les mesures propres à arrêter le fléau.
Son fils, Honoré-Jean-Baptiste-Jacques-Alexandre, président à
mortier au Parlement du Dauphiné, fut le premier qui vint en
Savoie. Il avait épousé à Lyon, en 17%, Jeanne Deschamps de
Chaumont, héritière du comté de Montbel, petite-fille de « noble
Louis Deschamps, baron de Juifs et seigneur de Rochefort, »
nommé, avec dispense d'âge, chevalier d'honneur au Sénat de
Savoie, par la régente Jeanne-Baptiste, le 19 mars 1677. De ce
mariage naquit entre autres enfants :
Jean-Honoré, à qui sa mère fit donation du comté de Montbel
en 1778 par acte Pacoret, notaire à Chambéry. A la suite de cette
acquisition, Jean-Honoré se fit naturaliser Savoyard. En 17%, au
moment de la réunion de la Savoie à la France, il se trouvait à
Turin. Inscrit sur la liste des émigrés, la plus grande partie de
ses biens furent vendus au profit de la nation. Lors de la conquête
du Piémont, il ne fut point inquiété, fut même pourvu d'un
modeste emploi dans les bureaux de l'intendance, qui lui procure
les ressources nécessaires pour sa subsistance. I1 mourut dans la
même ville le 14 avril 4800.
1 Fille de Victor-François, comte de Cluny ou Clugny, repré-
sentant d’une ancienne famille qui a tenu une place importante
en Bourgogne et en Flandre aux xrv° ot xv° siècles.
Son arrière-grand-père, Antoine de Clugny, seigneur de Cou-
lombiers, maïistre de camp de cavalerie, gouverneur de Saint.
Quentin, fut amateur des lettres et même collectionneur de belles
reliures ; mais sa passion était celle de la guerre. Quand la paix
régnait en France, il allait prendre du service en Piémont, en
Hollande et jusque dans les possessions coloniales de cette der-
nière nation sur les rivages de la mer des Indes. Il a laissé dans
son testament du 93 avril 1639 la longue énumération des campa-
gnes auxquelles il prit part.
Du mariage de Victor-François avec sa cousine germaine
Claude de Choiseul naquit le 21 mai 1753, à Darcey (Bourgogne),
Marie-Josephte-Etienne, unie lo 21 janvier 1776 au comte de
Montbel, Jean-Honorè de Piolenc.
= MAT
même «se jactèrent » d’user de violence contre quiconque
voudrait faire placer ce signe de deuil. Le seigneur de
Montbel s'adresse alors au Sénat par une requête où il
expose :
« Qu'il est seigneur et haut justicier du mandement,
« les titres d’inféodation dont il est nanti, passés en faveur
« de ses auteurs, le prouvent, notamment celle passée en
faveur de l'illustre seigneur Louis Dechamps, marquis
« de Chaumont, comte dudit Montbel, du 20 avril 1700.
« Ce seul titre donne le droit de placer la littre sur les murs
« des églises qui sont dans l'enceinte de sa juridiction. »
Et il supplie la Cour souveraine d’inhiber à tous habi-
tants de Saint-Alban et notamment à Joseph Pionchon et à
Antoine Frandin de s'opposer à l’apposition de cette cein-
ture funèbre sur les murs de l'église paroissiale, sous peine
d'amende et subsidiairement de prison. |
Appelé à donner son avis, le substitut Salteur conclut
ainsi :
« La requête du seigneur suppliant présente une question
intéressante à examiner : Un seigneur peut-il faire parta-
ger à Sa femme tous les droits honorifiques dont il jouit
comme possesseur d’un fief ? Si, au lieu de recourir aux
autorités, on cherchait à résoudre cette question par le
seul raisonnement, il paraît qu'on ne pourrait guère leur
accorder ce droit. Un fief est un office confié à celui qui en
est investi et dont il ne peut pas communiquer les droits
LS
1 Le mandement de Montbel, s'étendant sur la rive nord-ouest
du lac d'Aiguebelette, comprenait deux châtellenies : la première,
formée des paroisses d’aAyn, Nances et Montbel ; la deuxième,de
celles de Novalaise, Marcieux et Rochefort. C'était le comté de
Montbel et la seigneurie de Rochefort. Messire Nicolas Dechamps
ou Deschamps avait nommé, en 1740, pour juge de ces deux judi-
catures spectable Joseph Favre, avocat. (BLANCHARD, Les Juges
seigneuriaux, page 14.)
IVe SÉRIE. — ToME IV. 27
— &18 —
selon sa volonté. Il en possède, il est vrai, la propriété selon
la nature particulière de nos fiefs, mais il ne peut en dis-
poser qu'autant que sa disposition serait approuvée par
celui à qui appartient le domaine souverain par une nou-
velle investiture. Ainsi, ce n’est qu’autant que le souverain
lui permettrait de partager ce droit avec une personne qui
lui serait chère, que celle-ci pourrait en jouir légitimement,
surtout lorsqu'il s’agit d’un droit qui, quoique purement
honorifique, est plus particulièrement un dérivé de l'exercice
de la juridiction, et c’est dans cette classe que l’on doit
placer le pouvoir de ceindre de la litre les églises dépen-
dantes du fief que l’on possède.
« Les recherches des feudistes ne nous laissent aucun
doute à cet égard. Primitivement, ce droit n'a été accordé
dans le xn° siècle qu'aux patrons et fondateurs, en recon-
naissance des biens qu’ils avaient consacrés à des usages
pteux, et si ce droit à été ensuite accordé aux hauts justi-
ciers, ce n'était qu’en vertu de la juridiction entière qui
leur était cédée par le prince el comme une reconnaissance
de leur pouvoir de la part des ministres des autels qui ont
voulu donner aux peuples des exemples de soumission et
avouer publiquement leur dépendance par cette distinction
qu'ils accordèrent aux seigneurs .
« Nous sommes toujours plus affermis dans ce senti-
ment, continue le représentant du ministère public, en
réfléchissant qu’il n y a que le haut justicier qui puisse
jouir de ce droit et, quelque distinguée que soit la personne
dont le cadavre est inhumé dans une église, cet honneur ne
lui est point accordé, quand même elle posséderait la
1 « Le seigneur Chastelain est fondé d'avoir la prééminence
« devant ses vassaux es Eglises cestant en et de sa chastellenie
« comme d’avoir et retenir listres à ses armes et limbres au
« dedans et au dehors desdites Eglises. » (Coutume de Tour.)
re
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moyenne ou basse juridiction. Quelques particuliers ont bien
obtenu de faire peindre leurs armoiries sur ‘des bandes
noires, mais ces bandes n’avaient point la forme des cein-
tures funèbres et elles ne pouvaient occuper que le mur
placé vis-à-vis du tombeau !.
« Ce qui prouve toujours plus que c’est un droit inhérent
à la juridiction et non au simple honneur accordé aux sei-
gneurs, C'est que ce droit ne peut point s'acquérir par
prescription et qu'il est de maxime dans